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QUELS SAVOIRS PRODUISENT LES RECHERCHES

10 décembre 2021 par jean-marie.barbier Outils d’analyse 1077 visites 0 commentaire

« La Nature se dévoilant aux yeux de la science » (E. Barrias)
Des savoirs donnés ou des savoirs construits ?

Jean-Marie Barbier
Formation et apprentissages professionnels UR Cnam 7529
Chaire Unesco ICP Formation professionnelle,
Construction personnelle, Transformations Sociales

La recherche produit, dit-on, des savoirs. La science, elle, serait constituée de l’ensemble des savoirs produits par la recherche. En tant que telle, elle se voit attribuer une autorité sociale singulière, celle conférée à une contribution au progrès humain, le plus souvent non discutée. Savoirs et connaissances sont par ailleurs largement confondus.
La visée de ce texte est de questionner ces ‘évidences’ ou ces constats, de mettre en rapport types de recherche et types de savoirs produits par la recherche, de distinguer résultats et résultante de la recherche, de les articuler à des enjeux professionnels et sociaux, de contribuer à situer les relations entre champs de recherches et champs de pratiques professionnelles, et enfin de s’intéresser aux effets sur les personnes de l’exercice de la recherche.
Il prolonge trois textes antérieurs consacrés à l’analyse des démarches de recherche
 https://hal-cnam.archives-ouvertes.fr/hal-02279470/document
 https://www.researchgate.net/profile/Jean-Marie-Barbier-2/publication/271705137_Encyclopedie_de_la_formation/links/5543c0750cf23ff716852290/
 https://crf.hypotheses.org/816

D’ABORD QUE PEUT ON APPELER SAVOIRS ?

1. Les savoirs sont des énoncés, caractérisés par leur contenu et par leur adresse.
Les formes de ces énoncés peuvent être diverses :
  Orales. Le contenu n’apparait que dans la situation d’énonciation et implique un sujet énonciateur et un sujet destinataire.
  Écrites. Le contenu est au contraire séparable de la situation d’énonciation, éventuellement conservé et accumulé. Scripta manent …
  Graphiques. Le contenu porte la marque de l’outil d énonciation : figures, lignes, codes.
2. Le savoir est une proposition : il est associé/associable à des systèmes de représentations sur le monde et sur sa transformation ; il est censé susceptible d’être investi dans des activités de pensée, de communication, d’action sur le monde.
3. La mobilisation de ce savoir est distincte de son énonciation, ou de son appropriation. Le savoir existe socialement en dehors des conditions qui le produisent. Il s’oppose, de ce point de vue à la connaissance, qui n’est pas distinguable du sujet énonciateur ou du sujet qui se l’approprie. Connaitre c’est ‘naitre avec’. Enonciation et mobilisation des connaissances sont une même fonction. Les connaissances sont produites dans l’action, notamment au sein de l’activité mentale présente dans l’action.
4. Le savoir fait l’objet d’une attribution de valeur, ou, comme le dit de façon si suggestive J. Dewey, d’une valuation https://journals.openedition.org/traces/833
5. Les savoirs sont perpétuellement mobiles. Ils sont valorisés socialement dans la situation de leur production, ils sont sensibles à l’actualité et au contexte.
Un admirable ouvrage a été consacré à ce phénomène d’historicité des savoirs, appréciée sur des périodes séculaires : http://editions.bnf.fr/tous-les-savoirs-du-monde-encyclop%C3%A9dies-et-biblioth%C3%A8ques-de-sumer-au-xxie-si%C3%A8cle . Cette histoire se prolonge aujourd’hui dans ce qu’on appelle les phénomènes d’obsolescence des savoirs : il en va des savoirs comme de ce certains objets caractéristiques de de notre patrimoine : on ne les voit pas le jour ; éclairés la nuit, ils ‘bénéficient’ d’une autre reconnaissance.

QUE PEUT-ON APPELER ACTIONS DE RECHERCHE ?

1. La première voie de constitution de savoirs a consisté dans la formalisation de l’expérience.
Si nous convenons en effet d’appeler contenu de l’expérience l’ensemble des constructions de sens que les sujets opèrent autour d’eux-mêmes et de leurs activités, la production de savoirs a d’abord consisté en une énonciation des constructions mentales nouvelles produites par les sujets eux-mêmes à partir, sur, et pour leurs propres activités, et reconnues par eux comme des apprentissages, c’est-à-dire des transformations valorisées de leurs habitudes d’activité. Cette voie reste encore largement utilisée dans de très nombreuses situations.
Socialement toutefois se sont constituées des organisations spécifiques d’activités en vue de produire des savoirs. Elles constituent la définition même des actions de recherche. On peut parler de recherche lorsqu’on se trouve en présence d’un ensemble d’activités ordonnées autour d’une intention, une communication sur le processus de production de savoirs inédits et sur ses résultats dans des conditions permettant un jugement sur leur validité par une communauté destinataire (https://www.decitre.fr/livres/encyclopedie-de-la-formation-9782130571292.html p.1091)

2. Une action de recherche présente notamment trois caractéristiques :
  Elle aboutit normalement à des énoncés ; il n’y a pas d’acte de recherche reconnu comme tel sans énonciation et communication auprès d’un communauté destinataire.
  Ces énoncés sont nouveaux, ‘inédits’ au sens étymologique du terme : la simple répétition d’énoncés n’est pas considérée par la communauté destinataire comme une recherche aboutie. L’acteur de la recherche ne peut se contenter de tenir un discours sur le processus de la recherche.
  L’ensemble du processus ayant permis la production de ces savoirs donne lieu également à communication, de façon à permettre à une communauté destinataire un jugement sur la validité de ce processus et de ses résultats.

3. ‘Action de recherche’ ne doit pas être confondue avec espace spécialisé de recherche (maison de la recherche !).
Faire de la recherche’ ne suppose pas forcément une inscription durable du sujet dans un espace ‘dédié’ à la production de savoirs ou dans une carrière de chercheur, elle suppose en revanche l’inscription dans une action spécifique de recherche et ne peut se faire sans une communauté de référence. A l’inverse beaucoup de communications de recherche inscrites dans un champ dédié ne sont pas forcément nouvelles, en dépit de leurs intentions affichées.
Quant à ’être en recherche’, l’expression signifie simplement pour un sujet être engagé dans un processus de reconstruction des activités mentales présentes dans ses actions et y étant relatives.

Selon leur intention dominante, il est possible de distinguer trois modes d’organisation de recherche :

RECHERCHES EN IDENTIFICATION ET PRODUCTION DE SAVOIRS ASSOCIES A DES REPRESENTATIONS D’EXISTANTS DANS LE MONDE

1. Les recherches en identification de données sont des recherches dont les résultats ont l’intention de produire des savoirs en termes de faits, de descriptions, d’événements, de phénomènes, d’observations, de témoignages, et plus généralement dans le langage de la recherche, de matériaux empiriques.
Dans les échanges entre acteurs concernés, les documents ou énoncés auxquels elles aboutissent sont par exemple désignés en termes de données, de data, de monographies, de portraits.
Elles précèdent ou font partie d’autres formes de recherche mais ne sont pas confondues avec elles : elles correspondent par exemple à la partie dite empirique d’une thèse : pour apprécier la qualité de leur articulation avec la partie dite théorique on parle aujourd’hui de documentation  : recherche documentée ou non.
Pour désigner les ensembles de savoirs produits dans ces conditions, on utilise volontiers le terme suggestif de -graphie : sociographie, ethnographie, historiographie, lexicographie, paléographie etc. ; et les énoncés correspondant en termes de -grammes : sociogrammes, histogrammes etc…
2. Ces recherches en identification produisent donc des énoncés auxquels sont associés des nouvelles représentations d’existants ou d’’ayant existé’. Ces recherches sont quelquefois d’un grand intérêt social, comme le montre l’histoire, l’archéologie ou l’enquête dans le droit, ou d’un grand intérêt personnel comme l’histoire de vie :
 Identification de nouveaux phénomènes inconnus jusque-là, et on parle alors de découverte
 Meilleure connaissance de phénomènes déjà approchés, mais dont les contours ont été peu délimités, et on parle alors d’exploration, d’investigation.
L’identification est une activité discursive ayant pour produit des énoncés relatifs à la caractérisation de faits, d’événements, d’objets physiques et/ou sociaux présents ou passés. L’identification peut même avoir pour objet/produit la construction pour le sujet lui-même de représentation de soi. On parle alors du ‘moi’. Le moi n’est en effet que la résultante des actions de représentation de soi, par soi, pour soi : les contours de soi pour soi (https://www.puf.com/content/Vocabulaire_danalyse_des_activit%C3%A9s, 142).

RECHERCHES EN INTELLIGIBILITE ET PRODUCTION DE SAVOIRS ASSOCIES A DES CORRELATIONS ENTRE EXISTANTS

Les recherches en intelligibilité ont pour résultat explicite la production de savoirs théoriques, c’est-à-dire associés à des représentations de corrélations entre plusieurs existants : co-survenance, causalité, transformations simultanées ou conjointes etc...
Les recherches en intelligibilité sont des recherches présentées socialement comme des recherches à intention scientifique, et en tant que telles, comme des recherches de type classique. Malheureusement les attributs sociaux attribués à la ‘science’, l’autorité sociale conférée aux acteurs qui la produisent font que souvent les acteurs concernés par toutes les formes de recherche tendent à revendiquer les caractères des recherches en intelligibilité : on parle de résultats scientifiques, de savoirs produits par les ‘scientifiques’ (on disait autrefois ‘savants’) alors qu’à l’analyse il s’agit le souvent d’évaluations.
Ceci est particulièrement vrai de nombre de recherches médicales qui souvent sont des évaluations d’actions thérapeutiques. Autrement dit le mot scientifique a du sens davantage pour qualifier les méthodes utilisées que pour qualifier la démarche de recherche elle-même. Les débats relatifs à ce qui serait scientifique et ce qui ne le serait pas dans le cas récent du Covid 19 en ont été un exemple révélateur. Les méthodes utilisées dans la production des données seraient garantes de leur scientificité. Vraisemblablement sont confondues d’une part intention d’énoncé de ‘vérité’, de scientificité, d’autre part rigueur par rapport aux méthodes, efficacité et validation. Les démarches à intention scientifique sont des actions d’établissement de relations entre des existants. Cela ne remet pas en cause l’importance sociale des évaluations. Nombre de praticiens de la santé ne qualifient pas d’ailleurs la médecine comme une science mais comme une optimisation du soin ou de l’action thérapeutique.

RECHERCHES EN OPTIMISATION ET PRODUCTION D’ENONCES ASSOCIES A DES REPRESENTATIONS LIANT EXISTANTS ET POSSIBLES / SOUHAITABLES

Les recherches en optimisation, c’est-à-dire associant des représentations d’existants et représentations de possibles pour produire des énoncés relatifs à des transformations souhaitables du monde, ou d’activités de transformation du monde,
Les recherches en optimisation sont des recherches à orientation prescriptive ou axiologique, c’est à dire qu’elles produisent des énoncés sur ce qu’il est possible/souhaitable de faire dans l’action. Autrement dit, ce qui est obtenu au bout du compte de la démarche de recherche est un savoir susceptible d’être ‘appliqué’ pour transformer le réel, alors que l’action, quand elle est formalisée suppose une référence à des enjeux, des objectifs et des valeurs qui, par posture, sont exclus du fonctionnement interne de la démarche à intention scientifique.
Les résultats de cette contradiction sont bien connus : les objectifs implicites des chercheurs ne recouvrent pas ceux des praticiens et un décalage affecte la reconnaissance sociale dont bénéficie la recherche en optimisation par rapport à la recherche en intelligibilité. La recherche en optimisation peut en effet être tentée de vouloir cumuler les bénéfices sociaux des deux types de démarche, effets de reconnaissance et d’autorité et effets d’efficacité dans la résolution de problèmes concrets (https://hal-cnam.archives-ouvertes.fr/hal-02279470/document ibidem).
Les formes de recherche en optimisation sont nombreuses : analyses de besoins, élaborations de projet, évaluations. En fait tout ce qui peut être analysé comme relevant de la conduite des actions, qu’il s’agisse de la conduite mentale ou de la conduite verbale sont des recherches en optimisation. Très fréquemment on parle d’études.
Il est utile de repérer l’usage de leur produit précisément dans le procès de conduite des actions. La forme discursive de cette conduite facilite la communication avec les autres acteurs impliqués dans l’action.

RESULTATS ET RESULTANTES DES ACTIONS DE RECHERCHE

Nous n’avons parlé jusqu’à présent des actions de recherche qu’au regard de leurs intentions sociales spécifiques : produire des savoirs.
Or les actions de recherche ont d’autres conséquences que celles se situant dans le champ de ces intentions. L’exercice même de la recherche produit des effets sur les sujets engagés dans l’activité de recherche.
Comme toute action, toujours composée d’une organisation d’activités impliquant des sujets (https://www.puf.com/content/Vocabulaire_danalyse_des_activit%C3%A9s 40-41-42), l’exercice de la recherche contribue à transformer ces sujets impliqués. La recherche a d’autres produits que des énoncés de savoirs. Mieux, elle peut même avoir pour intention à la fois de produire des énoncés de savoirs et des effets de transformation des habitudes d’activités de ceux qui font la recherche. L’exercice de la recherche favorise à l’évidence, chez ceux qui la pratiquent, l’exercice d’activités discursives sur leurs propres activités et d’activités mentales qui leur sont associées. Elle produit par exemple des compétences de rhétorique et de gestion de sa propre action, à ne pas confondre avec les compétences d’action proprement dites. L’exercice de la recherche sur l’activité favorise donc les compétences à produire des représentations nouvelles et des savoirs nouveaux. On parle alors par exemple de recherche-formation, de recherche-développement, ou de recherche- intervention.
C’est le cas notamment de toutes les formations professionnelles comportant la réalisation d’un mémoire dont la fonction est en fait de développer des compétences ‘transversales’ face à des situations complexes : masters professionnels, doctorats professionnels etc…
Si la recherche produit des savoirs et, intentionnellement ou non, des compétences transversales dans la conduite des actions, il convient alors de distinguer résultat et résultante de la recherche.
Nous appelons ‘résultat’ l’évaluation par les sujets des transformations opérées par leurs actions au regard de leurs objectifs.
Et ‘résultante’ l’état final de l’objet-cible d’une intervention https://www.puf.com/content/Vocabulaire_danalyse_des_activit%C3%A9s ,178)
Résultante et résultat ne se confondent pas. L’approche de la résultante tient compte du déjà-là que constitue le point de départ de l’activité, alors que l’approche du résultat s’intéresse à la plus-value apportée par l’action.
Les acteurs se situant à l’interface des activités de formation, de recherche et d’action ont remarqué depuis longtemps les effets de transformations des sujets entrainés par l’exercice de n’importent quelles actions, y compris évidemment les actions de recherche. Ce qui a donné naissance à de multiples démarches cumulant ces intentions : précisément recherche-formation, recherche-action, recherche-intervention, recherche développement etc…

INTENTIONS, RESULTATS ET RESULTANTES DES ACTIONS DE RECHERCHE

Si nous cherchons à représenter de façon simplifiée la corrélation que nous pouvons établir entre intentions et savoirs produits par les actions de recherche sans oublier les effets des unes et des autres sur les personnes engagées dans l’exercice de la recherche, nous pouvons parvenir au tableau suivant :

Tableau 1 : Intentions, résultats et résultantes des actions de recherche

Recherches en identification Recherches en intelligibilité Recherches en optimisation
Formes sociales des actions de recherche Recherches empiriques Recherches à ‘intention scientifique’ Études, analyses de besoins, élaborations de projets, évaluations
Langage de la recherche Établissement de données, de data, documentation de la recherche Hypothèses de compréhension, hypothèses de liens entre existants Référent de l’action, hypothèses d’action
Résultats : savoirs produits Énoncés associés à des représentations de configurations de phénomènes existants ou ayant existé dans le monde Énoncés de corrélations entre plusieurs existants Énoncés associés à des représentations liant des existants et des souhaitables : ex. projets, évaluations
Résultantes des actions de recherche Transformations d’habitudes d’activité des acteurs individuels/collectifs engagés dans l’exercice de la recherche

LES CONFIGURATIONS D’ENONCES PRESENTS DANS LES DISCOURS DE RECHERCHE

Jusqu’à présent, nous avons privilégié en quelque sorte les invariants d’intention des discours de recherche, les types de résultats qu’ils recherchent. Il est assez intéressant d’observer que dans la ‘science occidentale’ ils se transforment assez facilement en discours prescriptifs…
Mais les actions de recherche situées sont souvent poly-finalisées, et même quelquefois peuvent poursuivre plusieurs finalités contradictoires.
Les actions de recherche sont polyfonctionnelles :
 Des recherches à dominante d’intelligibilité peuvent être l’occasion de découvertes empiriques ou de transpositions opératives, quelquefois désignées en termes de ‘retombées praxéologique’
- Des recherches à dominante d’optimisation peuvent donner lieu à production de nouvelles hypothèses et perspectives théoriques : on peut parler alors de ‘transposition théorique’. Elles peuvent favoriser aussi le développement d’affects d’engagement dans les actions.
 Quant aux recherches à dominante d’établissement de données elle peuvent nourrir toutes les formes de recherches comme on le voit dans les recherches en immersion ou en contact privilégié avec le terrain.
 Enfin s’engager dans différents modes de recherche diversifiés peut produire des effets diversifiés de transformation d’habitudes d’activité.

Dès lors il nous parait intéressant dans l’analyse et l’évaluation des discours de recherche, par exemple dans l’analyse de thèses, de repérer des configurations variables d’énoncés :

1. Les énoncés d’établissement de données.
Les énoncés d’établissement de données ont le même statut épistémologique que les recherches en identification. Ils sont spécifiquement relatifs à la production de savoirs inédits sur des existants, éventuellement qualifiés de savoirs factuels ou de savoirs descriptifs. Ils sont ordonnés à l’établissement de faits, à la production d’informations, à la mise au jour de phénomènes, à la définition de caractères, à l’établissement de mesures, de classements, d’événements ou de chaines d’événements. Ils font appel à un lexique si possible univoque : à un mot correspond une signification, donnant lieu généralement à définition.
Ce type d’énoncés s’appuie sur ou se nourrit de disciplines ou de sous-disciplines souvent donc désignées avec le suffixe -graphie. Leur équivalent existe dans d’autres secteurs scientifiques que les sciences humaines, comme l’anatomie ou la botanique par exemple.
Ces énoncés se développent en particulier dans des situations où est diagnostiqué un ‘déficit’ d’information ou de qualité d’information : des domaines où l’accès à l’objet de recherche est difficile, où l’information est absente ou peu fiable, où se pose aussi la question de son éventuelle quantification.
Il s’agit de ‘produire des informations’ sur l’objet de la recherche. Ces énoncés constituent une bonne part de la méthodologie de recherche. Ils sont évalués en termes de cohérence avec l’objet, en termes de qualité, de validité et de fiabilité des informations obtenues.

2. Les énoncés d’analyse.
Ces énoncés ont le même statut que la recherche en intelligibilité : elles ont comme résultat spécifique la production d’énoncés sur des liens entre des existants. Une grande partie du travail de recherche à intention scientifique consiste en effet également à traiter des liens constatables ou constatés entre données recueillies : selon les cas, on parlera d’établissement de rapports, de liens, de relations, de corrélations. Dans tous les cas il s’agit de proposer une ’intelligibilité’ des existants identifiés, ce qui mobilise également des ’cadres’ préalables ou en cours d’émergence sur des liens possibles ou antérieurement constatés.
Les énoncés d’analyse correspondent sur le plan discursif à ce qui est appelé sur le plan mental les activités de compréhension.
L’inscription des énoncés d’analyse dans des actions de recherche s’accompagne fréquemment d’une explicitation et d’une discussion des cadres mobilisés, souvent désignés en termes d’outils conceptuels (voir ci-dessous : théorisation).
Les voies de l’analyse sont extrêmement diverses. L’analyse pose en effet la question de la caractérisation des corrélations relevées, et en particulier la question de la causalité.
Fréquemment ces corrélations sont appréhendées en termes de détermination. Une bonne partie de la science occidentale classique s’est constituée sur ce modèle : selon les cas, les liens de causalité ont été appréciés en termes linéaires (par exemple lien entre une variable indépendante et une variable dépendante), en termes structuraux (détermination structurale), ou termes systémiques (co-détermination). Le succès des modèles de causalité est évidemment lié aux enjeux de transformation du monde qui accompagnent souvent les actions de recherche. Les approches actuelles en termes d’émergence invitent à des repérages plus modestes, indicateurs de co-transformations.
Dans les actions de recherche, énoncés d’hypothèses et discours d’analyse sur les corrélations constatées sont très proches : les hypothèses ne sont jamais en effet que l’anticipation d’un lien éventuel, alors que le discours d’analyse consistera dans ’l’établissement’ de ce lien. C’est la raison pour laquelle nombre de chercheurs n’émettent pas d’hypothèses préalables à la recherche : celles-ci émergent en cours et sont difficilement distinguables du discours d’analyse. En tout état de cause les contours des hypothèses comme du discours d’analyse ne peuvent être éloignées des contours des données identifiées ou identifiables. Ne peuvent être considérées comme hypothèses que celles qui peuvent être ’éprouvées’ dans la recherche.

3. Les énoncés de théorisation
Ce sont des énoncés sur des relations entre les liens construits entre des existants et des constructions conceptuelles plus larges.
Une part importante du travail de recherche consiste encore à traiter pour eux-mêmes les cadres intellectuels, les outils conceptuels, utilisés pour construire des liens entre existants, et à les (re)situer dans des ensembles de relations beaucoup plus larges. Selon les cas, on parlera par exemple de cadre théorique, de cadre conceptuel, de problématique, de cadre interprétatif, de théorie de référence. Dans tous les cas il s’agit d’énoncer une architecture d’ensemble d’outils conceptuels, ce qui est la définition même du mot théorie. L’empan du cadre théorique déborde l’empan des liens opérés à partir des données identifiées ; le cadre théorique a précisément pour fonction de replacer ces liens dans des significations plus larges, au-delà des données constituées dans le cadre de la recherche en question.
Les énoncés de théorisation correspondent probablement sur le plan discursif à ce que nous avons appelé, dans le registre le registre mental, les activités d’interprétation.
Dans les actions de recherche, les activités de théorisation donnent lieu à explicitation et à discussion sous la forme notamment de revue de littérature, de présentation du contexte scientifique, de choix ou de construction du cadre théorique. Les voies des énoncés de théorisation sont également diverses. Elles peuvent s’effectuer par des références disciplinaires explicites, par la référence à des écoles de pensée au sein des disciplines ou transversalement à plusieurs disciplines, par la référence encore à quelques grands paradigmes de recherche, pouvant avoir une incidence tant sur le plan épistémologique, théorique, que méthodologique. Le choix d’un cadre théorique ou d’une discipline a souvent une incidence sur le découpage de l’objet même de la recherche, quelquefois sans que les chercheurs s’en rendent compte, ce qui rend souvent assez naïfs les échanges dits pluridisciplinaires.
Dans les actions de recherche, cadre conceptuel initial et discussions sur les implications théoriques des résultats sont très proches sur le plan de leur statut. Se trouve en jeu là encore la dimension d’historicité de la recherche. Au cours d’une même recherche les cadres théoriques peuvent évoluer, et les chercheurs concernés peuvent considérer cette évolution comme une plus-value. C’est encore plus vrai au niveau de toute une trajectoire de recherche, au cours de laquelle les acteurs impliqués peuvent construire et socialiser progressivement leur univers théorique.

4. Les énoncés de finalisation, mobilisateurs de l’activité : ce sont des énoncés inédits relatifs à la conduite des actions de transformation du monde, qualifiables éventuellement de savoirs d’action, de savoirs opératifs, de savoirs procéduraux, de savoirs professionnels.
De nombreuses recherches impulsées par les organisations économiques et sociales peuvent avoir de tels objectifs : c’est le cas notamment des recherches dites professionnelles, des recherches finalisées, des recherches évaluatives, des évaluations de politiques. Les unes peuvent avoir comme but un diagnostic ou une prévision de l’évolution et pour résultat dominant la définition d’objectifs ; les autres la conception de plans, de programmes, de stratégies ; d’autres encore l’évaluation : analyses de méthodes, évaluations de politiques. Une pression sociale constante se fait sentir pour labelliser les recherches évaluatives come scientifiques, ce qui au sens littéral est contradictoire, puisque l’évaluation produit des jugements de valeur et non des jugements de fait.
Ces énoncés attributifs de valeur peuvent être notamment de deux types :
 attributions de valeur anticipatrices par rapport à l’action : discours centrés sur les problèmes à résoudre, les dysfonctionnements, les enjeux, etc., et pouvant déboucher sur la définition d’objectifs et de projets
 attributions de valeurs rétrospectives par rapport à l’action : notamment tous les discours de type évaluatif
Les discours de recherche comportent une part beaucoup plus importante qu’on ne le croit généralement de discours de finalisation, qui peuvent ’échapper’ aux auteurs ou au contraire être délibérés : ils sont repérables notamment à travers la survenance d’énoncés de type prescriptif, normatif, déontologique, et surtout axiologique. On les trouve dans toutes les communications de recherche, les termes les plus fréquents étant par exemple ‘il faut’, ‘il est nécessaire’, ‘il convient’ ou l’utilisation du registre du bien, du vrai, de l’efficace, de l’efficient, etc...
Trois types d’objets font ainsi l’objet de discours finalisant dans les discours de recherche :
 les problèmes ou enjeux qui sont à l’origine des démarches de recherche, et la manière d’y faire face dans l’action.
 la conduite des démarches de recherche elles-mêmes, qui fonctionnent elles aussi comme des actions, et s’accompagnent de problématiques d’action de recherche, bien distinctes évidement des problématiques théoriques évoquées plus haut.
 les enjeux, intentions, idéologies, valeurs, objectifs, projets des différents acteurs concernés à tous niveaux.
La place et la fonction des énoncés de finalisation dans le discours d’ensemble de la recherche peut varier selon ses formes sociales. Dans les recherches en optimisation, l’explicitation des projets d’action, des référents est une forme de rigueur propre à ces recherches. Ces énoncés permettent d’objectiver la subjectivation.

5. Les énoncés d’argumentation
Ce sont des énoncés à intention d’influence sur le destinataire de la recherche, en vue de favoriser chez ce dernier des constructions mentales relatives à l’intérêt de cette recherche, à sa validité, au respect des règles de la communauté destinataire.
On constate que se trouvent en jeu notamment :
 la cohérence interne de la recherche de recherche, sa construction, par exemple la correspondance entre données recueillies, analyses proposées et appareil théorique mobilisé.
 le respect des règles de la communauté de référence : rappel des savoirs déjà produits sur l’objet au sein de la communauté (état des ‘savoirs’, fiabilité des méthodologies utilisées, règles de présentation en usage.
 la nouveauté ou l’originalité des savoirs produits : qu’est-ce que la recherche a apporté ?
Toutes dimensions qui apparaissent dans la logique de construction et d’exposition de la recherche

LES SAVOIRS : DES CONSTRUITS

Comme toutes les actions, quelles que soient leurs intentions dominantes, les actions de recherche sont des constructions. C’est seulement la persistance du paradigme théorie/pratique qui explique chez les uns la croyance en des ’sciences appliquées’, culture qui vient du scientisme du XIX ème siècle, chez les autres la recherche obscure d’une promotion de la pratique par ’la’ recherche. La nature ne se ‘révèle’ pas au chercheur ; les actions de recherche construisent aussi bien savoirs, lois, que technologies. Raison peut être de mieux reconnaitre leurs modes de construction, et les configurations situées de leur énonciation.

Licence : CC by-sa

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