Innovation Pédagogique et transition
Institut Mines-Telecom

Une initiative de l'Institut Mines-Télécom avec un réseau de partenaires

Comprendre les espaces intéressant les parcours individuels de formation

Générée par I’IA Canva


Un article de Jean-Marie Barbier et de Martine Dutoit

Formation et Apprentissages professionnels EA 7529 CNAM


Objectifs inducteurs de formation et objectifs de formation

C’est probablement la qualité la plus attendue des organisateurs et responsables de formation  : partir de la situation donnée d’une personne, d’une population ou d’une organisation ; imaginer des opérations susceptibles d’aboutir à un projet d’évolution de leurs compétences actuelles ; et enfin traduire ce projet d’évolution des compétences en termes d’objectifs de formation.

Les objectifs de formation sont des objectifs directement formulés dans le champ des formes institutionnelle et sociales de la formation et atteignables dans cet espace (unités de valeur, certificats, diplômes, niveaux...).

Les objectifs inducteurs de formation sont des objectifs qui donnent signification et sens à la formation, dont l’atteinte constitue un horizon pour inspirer une action de formation : par exemple être capable de prendre la parole dans un contexte professionnel. Ce sont des objectifs pour s’engager en formation.

Les objectifs de formation permettent à chaque personne, indépendamment de leur statut, d’acquérir, actualiser, ou améliorer des connaissances et des compétences qui favorisent leur évolution professionnelle dans différentes situations. Les objectifs de formation peuvent permettre aussi de contribuer à changer ou à améliorer d’au moins un degré leur niveau reconnu de qualification professionnelle.

En contexte francophone, on a l’habitude en milieu professionnel de parler d’analyse des besoins en formation pour désigner ces opérations d’attribution de sens en contexte à la formation. Cette formulation est toutefois contestable car elle tend à substantialiser les besoins comme un objet qui préexisterait à une opération d’expression et de recueil. Elle tend aussi à confondre détermination d’un objectif d’action, et centration sur un objet d’identification et d’analyse. Tout se passe comme si les besoins existaient à l’état naturel, comme s’il suffisait de provoquer leur expression, et de les collecter, pour mieux les connaitre. N’est pas posée notamment la question de qui les définit, qui les détermine, qui est l’acteur dominant de leur élaboration. Autrement dit, n’est pas posée la question élémentaire des rapports de pouvoir dans lesquels s’effectue cette pratique spécifique qu’est l’analyse des besoins.

L’analyse des besoins : une construction sociale et mentale

Une recherche que nous avons menée dès le début des années 70 a traité directement de cette question en s’appuyant sur le matériau de récits de pratiques par les acteurs professionnels concernés, en éliminant les discours prescriptifs (ce que doit être l’analyse des besoins) et en retenant comme définition provisoire la définition sociale de l’objet : ce que les acteurs en contexte appellent opérations d’analyse des besoins.

Dans tous les cas, nous avons pu reconnaitre les modalités organisées d’un processus de détermination d’objectifs inducteurs de formation. Nous avons pu distinguer ainsi les approches par les exigences de fonctionnement des organisations (pratiques les plus fréquentes), par l’expression des aspirations et des attentes, et par la définition des intérêts sociaux dans les situations de travail. On lira ci-joint un texte illustrant ces trois types de démarches https://www.researchgate.net/profile/Jean-MarieBarbier2/publication/44827391_L’Analyse_des_besoins_en_formation_Premiere_edition/links/55717a3308ae679887327bf0/LAnalyse-des-besoins-en-formation-Premiere-edition.pdf ; on retrouve d’ailleurs cette typologie plus largement dans la conduite des actions.

https://www.fnac.com/a1061241/Jean-Marie-Barbier-Elaboration-de-projets-d-action-et-planification Nous avons pu également mettre en correspondance contexte fonctionnel de l’analyse des besoins, et contexte fonctionnel du transfert des résultats de la formation chap.15 https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782130571292-encyclopedie-de-la-formation-jean-marie-barbier-etienne-bourgeois-gaetane-chapelle-jean-claude-ruano-borbalan/ Analyse des besoins et évaluation du transfert des résultats de la formation assurent le lien entre une action et son contexte fonctionnel.

Au-delà du champ la formation, la notion de besoin et la définition des besoins faisaient par ailleurs, à l’époque, pour les professionnels eux-mêmes, l’objet d’un vif débat social, aussi bien dans des contextes favorables au consumérisme, à l’écologie, qu’à une analyse critique du statut même de la notion de besoins. C’est le cas par exemple d’un débat organisé par la revue La Pensée https://gabrielperi.fr/librairie/revues/la-pensee/la-pensee-n-376/ .

Ce débat social centré au départ sur la notion de besoins et sur la délimitation de l’espace de la formation offrait deux grandes vertus :

  • Il permettait, de déplacer le centre de la polémique des besoins proprement dits vers les pratiques d’analyse des besoins : que produisent elles, comment peut-on les analyser ?
  • Il permettait de considérer l’analyse des besoins comme un acte professionnel comme un pont, comme un passage, entre deux espaces : l’espace des compétences professionnelles et de leur gestion, et l’espace de la formation.

S’ouvrait un espace susceptible de reconnaitre la conception des formations comme un acte professionnel liant dans une transition réciproque objectifs professionnels et objectifs de formation. On peut aller d’un objectif inducteur de formation à un objectif de formation proprement dit, ou d’un objectif de formation vers un objectif inducteur de formation, notamment lorsque les objectifs de formation ne sont pas assez précis, ce qui est très fréquent.

Dans cette perspective, l’analyse des besoins peut être considérée non pas seulement comme une opération de recueil mais comme un ensemble d’activités cohérentes entre elles, ayant une même fonction de construction. Cet ensemble mérite une analyse globale avec cette entrée particulière que constituent les rapports sociaux dans lesquels elle s’effectue.

Autrement dit, il convenait de voir les rapports entre sujets dans lesquels s’effectue l’analyse des besoins comme un processus social organisateur d’un processus technique, et pas comme un processus technique gouvernant un processus social, comme le présentent souvent les manuels (voir toutefois A. Meignant qui prend en compte cet aspect https://www.eyrolles.com/Entreprise/Livre/manager-la-formation-9782878809923/. Ce choix de privilégier le processus social comme entrée d’analyse a été organisateur des trois approches précédemment distinguées.

Un espace protégé

Dans les années 90, d’autres chercheurs en formation des adultes comme E. Bourgeois et J. Nizet, travaillant dans la perspective de produire des analyses à intention scientifique de pratiques professionnelles, et usant pour ce faire à la fois d’une approche globale des opérations qu’elle comportait et une identification des composants émotionnelles des processus d’analyse des besoins, ont développé l’idée que la formation constitue un « espace protégé ».

Outre que la formation via l’analyse des besoins joue une fonction de transition, il apparaissait qu’elle jouait un rôle de protection des apprenants, condition jugée essentielle pour l’expérimentation intellectuelle : « le développement d’une pensée critique ne peut se faire que dans la préservation d’un espace et d’une distance du processus de formation ». Cette hypothèse supposait que « l’activation d’une structure de connaissance (…) était liée aux significations sociales que celle-ci revêt » (https://www.persee.fr/doc/refor_0988-1824_2000_num_34_1_1655_t1_0150_0000_2 p.152)

Autrement dit l’analyse de besoins était reconnue comme liée à la reconnaissance d’un lien entre entités relevant du monde la formation et entités relevant du monde de la construction de soi dans d’autres champs que celui de la formation.

Un espace anticipateur

Facilitée par les mutations industrielles favorisant dans les années 60 une attention sociale portée aux mobilités, un vif intérêt était accordé par ailleurs à la question des trajectoires individuelles sur le plan de la formation et sur le plan social. Cette attention était paradoxalement influencée à fois par la notion de capital humain et par la sociologie de la reproduction.

Une recherche entreprise dans les années 80 a eu pour objet plus particulier l’étude du public et les trajectoires des étudiants professionnels du Cnam.

Le public du Cnam se caractérise en effet par le fait qu’il est engagé à la fois dans un parcours professionnel et dans un parcours de formation ; il est concerné simultanément par plusieurs niveaux de stratégies individuelles : stratégies sociales, stratégies professionnelles, stratégies de formation, stratégies pédagogiques.

Un article publié dans la revue Française de Sociologie, rédigé à partir de cette recherche https://www.jstor.org/stable/3320933 par un des auteurs du présent texte a permis de faire apparaitre deux types de liens fonctionnels

  • Un lien entre les composantes de chacune ces trajectoires, exprimé en termes de profil, d’activité, de position
  • Un lien entre espaces de transformation concernés et leurs relations : transformations sociales, transformations professionnelles, transformations de formation, transformations pédagogiques

Une limite évidente de cette enquête reposait toutefois sur le fait que ces stratégies étaient énoncées par écrit par les étudiants dans un questionnaire. Toutefois le taux de réponse fut particulièrement satisfaisant, significatif de l’intensité des attentes des répondants par rapport à l’institution à laquelle ils appartenaient.

Le cadre d’exploration pour une analyse est présenté ci-dessous. Il a été à la fois investi et enrichi par cette recherche en relevant les différents liens possibles entre ces transformations.

Pour une approche des espaces d’activités concernés par les trajectoires individuelles de formation d’adultes en emploi

  1. ESPACE DE LA PRODUCTION DES MOYENS D’EXISTENCE
    D’abord l’espace des phénomènes et activités ayant directement trait à la transformation des profils sociaux des individus, des capacités et attitudes spécifiquement investies dans la production de leurs moyens d’existence. Ces caractéristiques sont inférées à partir des positions sociales occupées. Leur prise en compte s’avère particulièrement obligatoire dans le cas d’un dispositif de promotion sociale précisément. Dans la situation de travailleur salarié, elles largement assimilables à la notion de force de travail et leur mise œuvre correspond en fait à leur vente, ce qui entraine un processus social de détermination de leur valeur. Point intéressant à relever : pour certains nouveaux ingénieurs du Cnam l‘occupation d’une position sociale s’avère quelquefois plus difficile que l’occupation d’une nouvelle position professionnelle.
  2. ESPACE DU TRAVAIL ET DE LA PRODUCTION DES BIENS ET SERVICES
    Ensuite l’espace des activités ayant trait à la transformation des profils professionnels des individus, c’est. à dire des ensembles de capacités et d’attitudes mises en œuvre dans l’exercice de leur travail, dans la production de biens et services, dans la production d’utilités sociales. Ces ensembles de capacités et d’attitudes sont identifiables à partir des positions professionnelles occupées. L’importance de leur prise en compte tient au fait que les individus sont en situation de travail, de production. Dans le cas du travail salarié, ils font également dans certains cas l’objet d’un processus de détermination de leur valeur.
  3. CHAMP DE LA FORMATION
    L’espace des phénomènes ayant directement trait à la transformation des profils de formation, c’est à dire, des activités déployées dans le fonctionnement institutionnel et social de la formation.
    Le phénomène peut être également constaté à propos d’autres caractéristiques de ces trajectoires comme leur longueur. Parcours sociaux, parcours professionnels et parcours de formation semblent manifester sur ce point une homologie : les étudiants les plus persévérants du Cnam sont en effet le plus souvent originaires des catégories socio-professionnelles les moins favorisées et à l’inverse les étudiants originaires des catégories sociales les plus favorisées, ou du niveau de formation le plus élevé, ont les trajectoires les plus courtes.
  4. CHAMP DE LA PEDAGOGIE
    Nous n’avons pas pu avoir d’informations aussi précises sur les parcours pédagogiques qui s’analysent plutôt dans le face à face formateur /formé dans le moment de la formation. Nous sommes alors dans les parcours pédagogiques qui supposent d’autres approches plus cliniques. Il s’agit alors du lieu d’exercice et de développement de capacités bien précises et autonomisées dans le moment même de la formation ; c’est essentiellement le cas du face à face formateur/formé ou enseignant/apprenant.

CONCLUSION

La construction des sujets s’accomplit dans tous les espaces où les sujets développent leur activité, y compris dans la vie quotidienne https://www.innovation-pedagogique.fr/article24400.html . Cette construction est souvent silencieuse, mais elle constitue aussi souvent l’horizon de construction de soi dans ces espaces spécialisés que sont les espaces de la formation et les espaces de la pédagogie.
Pour la formation d’adultes salariés, quatre espaces de référence contribuent à l’élaboration des objectifs et des projets :

  • L’espace de la production des moyens d’existence et de la détermination de la valeur sociale des sujets concernés
  • L’espace du travail , de la production d’utilités sociales, et de détermination de la valeur professionnelle
  • Le champ de la formation comme espace de production d’ensembles de capacités déterminés institutionnellement
  • Le champ de la pédagogie comme processus même de transformation de capacités précise et autonomisées dans le face à face éducateurs/apprenants

Ces espaces font selon les cas l’objet d’incessantes transitions et retraductions entre champs ou espaces ; quand les espaces sont très institués on tend à parler de champs, quand ils font l’objet d’une simple appropriation, on parle plutôt d’espaces .
La référence aux espaces et champs est particulièrement explicitée dans les opérations d’analyse des besoins et de transfert des résultats de la formation.

Licence : CC by-sa

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