L’intérieur d’une famille aisée sous l’ancien régime - Image générée par IA
Un article de Jean-Marie Barbier
Formation et Apprentissages professionnels
EA 7529 CNAM
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« La séparation du ménage (Haushalt) et de l’entreprise (Betrieb)
domine toute la vie économique moderne »
Max Weber : Éthique protestante
1. Modes sociaux d’activité et constructions de sens autour de l’activité : Une relation généré/générant
Historiens, sociologues et penseurs sociaux se sont depuis longtemps attachés à relever, et même à théoriser dans le cas de Marx, les correspondances entre modes sociaux d’activité humaine et cultures/enveloppes de sens dont les humains accompagnent leur activité ordinaire.
Le présent article se propose, à partir de l’exemple de l’émergence des catégories de la vie quotidienne, que nous situons à partir du milieu du XVIIIème siècle en France, d’illustrer la relation de type généré/générant qui caractérise ces rapports réciproques , et en particulier d’illustrer une évolution capitale qui, comme le décrit Max Weber, dominera toute la vie économique moderne : la séparation en des temps, en des lieux et surtout dans des rapports différents, des activités ayant trait à la production des conditions d’existence et des activités ayant trait à la production de l’existence elle-même, ou mieux des existants. Ce faisant, elle abordera à cette occasion la nature des rapports réciproques entre champ économique et champ social dans une entrée épistémologique par l’activité.
Nous appelons cultures d’action les modes évolutifs et partagés par plusieurs sujets, d’organisation des constructions de significations/sens à partir, sur et pour les activités dans lesquelles ils sont engagés. Les cultures se caractérisent par des relations itératives, sans cesse mouvantes, entre significations et sens. Les significations sont des catégories de pensée pour l’action définies par les locuteurs dans les communications et qu’ils imposent de fait à leurs destinataires, alors que les sens sont des catégories construites par les destinataires pour leur propre usage (https://www.fnac.com/a10328542/Jean-Marie-Barbier-Vocabulaire-d-analyse-des-activites?oref=00000000-0000-0000-0000). Le sens est une représentation du sujet adressée à lui-même, il est construit par et pour le sujet destinataire de la communication alors que la signification est une catégorie de discours adressé à autrui. A cette occasion nous aborderons aussi les liens entre engagement de l’activité et engagement de soi dans l’activité.
2. Une recherche sur l’émergence des catégories de la ‘vie quotidienne’
A titre d’exemple, pour illustrer l’évolution des rapports entre modes sociaux d’activité et cultures d’action, ce texte a été composé à partir d’une recherche personnelle sur les origines historiques de l’économie familiale : « Le quotidien et son économie » https://www.researchgate.net/publication/236025312_Le_quotidien_et_son_economieEssai_sur_les_origines_historiques_et_sociales_de_l’economie_familiale (éditions du CNRS) dirigée par Viviane Isambert-Jamati, soutenue devant un jury composé notamment de Michèle Perrot et Marcel Lesne.
A partir du milieu du XVIIIème siècle émerge en effet un quotidien composé essentiellement d’activités d’entretien et de développement des personnes, un quotidien qui est encore à cette époque essentiellement privé, familial, mais qui porte en germe ce qui sera plus tard le champ de la consommation, des besoins, et plus tard encore identifié comme le ’social’.
3. La construction progressive d’un espace-temps spécifique du quotidien
3.1. En France à partir d’un ensemble indistinct de pratiques ayant trait à la fois à la fois à la production des biens et à l’entretien des individus, on constate l’ouverture d’un processus séculaire de différenciation entre la production des moyens d’existence et la production de l’existence elle-même, ou plutôt des existants.
Dans le nouveau type de famille, qui commence à apparaitre à partir du milieu du XVIIIème siècle, bon nombre d’historiens constatent de multiples manifestations d’un intérêt social dans des classes aisées pour les questions de régulation de la vie dans l’institution familiale, s’opposant aux caractéristiques de la vie familiale vécue jusqu’alors.
L’apparition même de la vie fait l’objet d’une restriction. De multiples travaux ont été largement consacrés aux comportements démographiques et sexuels, et mis en particulier en valeur une série de faits :
- apparition à partir de 1750 d’un discours abondant sur le développement des pratiques de régulation des naissance, telle l’appréciation de Prémonval en 1751 sur ses contemporains : « c’est la politique seule qui décide du plus ou moins d’enfants que chacun se procure », ou de l’abbé Coyer en 1756 : « Il se répand un bruit peut être trop fondé que les hommes grossiers dans le sein même du mariage, ont trouvé l’art de tromper la nature ».
- à partir de 1770-1775, réduction effective du nombre d’enfants par couple dans les dénombrements statistiques, notamment dans les villes les plus développées. Selon Dupaquier, spécialiste de démographie historique (introduction à la démographie historique ,1995) « au moment de la révolution, tout le Bassin parisien, au début du XIXème siècle est gagné par le mouvement de prévention volontaire des naissances ; au début du XIXème, ce sera tout le territoire français, mises à part quelques régions montagneuses ou mal francisées »
- Shorter (Naissance de la famille moderne, Paris Seuil 1977, p.102) et Ariès (Interprétation pour une histoire des mentalités (Ined Cahier 35-1960) invitent à parler à cette même époque d’une économie conjugale
- une relation très claire est établie entre le nombre d’enfants et les préoccupations que l’on peut avoir sur leur avenir (Novi de Cavaignac 1756)
- apparait une littérature spécialisée pour les enfants, de l’Ami des enfants au Magasin des enfants, et plus tard aux ouvrages de la Comtesse de Ségur
- de manière générale s’établit dans les milieux aisés un consensus sur le caractère irremplaçable du rôle des parents dans l’éducation des enfants
- dans le domaine de la protection de la vie, une coïncidence est remarquée par Ariès entre les progrès de la médecine et les progrès de la régulation des naissances. L’existence physique même des individus se trouve objectivée.
3.2. Le sens de l’évolution
L’évolution est assez claire : les activités familiales prises globalement, le travail familial, semblent évoluer dans un double sens :
Il tend à devenir un travail spécifiquement ordonné à l’entretien et au développement des personnes individuelles.
Il est significatif que la notion d’économie, prise dans son acception individuelle, quitte le terrain de l’administration des biens en vue de la production des richesses comme on le définissait déjà au XIVème siècle : « Économie est art de conserver un hôtel et les appartenances pour acquérir richesses » (N. Oresme, Éthique 11) pour ne plus désigner que l’usage des biens de consommation. Au début du XIXème siècle J. Baptiste Say définit l’économie comme le jugement appliqué aux consommations (Traité 1841, p.455). On constate pour la première fois que des ouvrages traitant explicitement et exclusivement de l’usage ordinaire des biens de consommation : on pense notamment à « La cuisinière bourgeoise » de Menou parue en 1746 et s’adressant à un grand nombre de lecteurs) et à « L’avis aux bonnes ménagères des villes et des campagnes sur la meilleure manière de faire leur pain » de Parmentier, paru en 1782.
Même si un plus grand nombre de produits finis sont susceptibles d’être achetés, les tâches domestiques tendent à s’alourdir au point de constituer l’essentiel de l’activité d’un personnage social nouveau, la ménagère, que la division du travail familial spécialise dans ces tâches. C’est toujours à partir du milieu du XVIIIème siècle que le sociologue allemand Robert Konig fait remonter le phénomène social de la femme qui n’est que ménagère (Sociologie de la famille, Gehlen Schelesky, 1955) dont on constate l’apparition à partir de la deuxième moitié du XVIIIème siècle et depuis le XIXème siècle ». En France, en tout cas, on ne constate un développement du terme qu’après 1750 dans les ouvrages d’économie rurale.
3.3. Des indications sur les domaines d’activité de cette ménagère sont données par Evelyne Sullerot dans son ‘Histoire de la presse féminine’ qui présente ainsi ses catégories (Colin 1966) ; hygiène : allaitement, propreté, nourriture, aération, gymnastique ; éducation : éducation primaire grammaire, littérature, méthodes pédagogiques ; psychologie : caractères, ‘attachements’, affections, penchants ; économie domestique ; théâtre et modes.
4. Le produit de cet espace-temps est la contribution à la production d’êtres sociaux dotés de capacités à occuper une situation sociale.
La notion de situation a pris peu à peu le pas sur la notion de fortune, de richesse. Jusqu’au XVIIIème siècle, cette notion de fortune, de richesse (et son corrélat la notion de pauvreté) occupait une place cardinale dans la vie familiale. Conserver et multiplier les richesses, rechercher un profit constituaient dans les ‘livres de raison’ et les ouvrages d’agriculture du XVIème le but primordial de l‘activité familiale, celui dont dépendent tous les autres. Conserver et si possible accroitre le patrimoine, si petit soit-il au départ, était en effet la première fonction de la famille et cet accroissement ne pouvait se faire que grâce à l’apparition d’un solde positif entre dépenses et recettes.
Or au XVIIIème siècle, une nouvelle préoccupation tend à prendre le devant de la scène du moins dans les familles qui ne sont pas détentrices d’un patrimoine très important, c’est la préoccupation de pouvoir donner à ses enfants une ‘situation’, voilà ce qui tend à permettre d’assurer leur avenir. Or la situation n’est pas la richesse, elle constitue simplement un ensemble de moyens d’y accéder.
Tout se passe comme si cette évolution des familles aisée pouvait être étendue aux familles en général : les mettre en mesure de gagner leur vie, faire des « hommes » voilà les préoccupations qui deviennent importantes. Tout se passe comme si le principal produit n’était plus la conservation et l‘accroissement du patrimoine existant, mais de manière médiatisée, la production chez les individus membres de cette famille de moyens, de capacités de toute nature leur permettant d’occuper une position sociale.
4.1. La production de capacités
On peut le voir effectivement dans les nouvelles définitions que donne le XVIIIème siècle des responsabilités de la famille sur l’enfant. Définitions directes comme les nombreuses affirmations selon lesquelles la puissance paternelle n’a qu’une portée temporaire pour la durée de l’éducation, qu’elle ne s’étend pas au-delà du moment où l’enfant, parvenu à l’âge d’homme, demande « à se séparer de ses parents pour vivre en liberté » (article Enfant de l’Encyclopédie) et qui aboutissent à une intéressante distinction entre fonction émotionnelle et fonction sociale de la famille. Affirmations et débats qui exercent une influence sur la législation révolutionnaire et dans le Code Civil.
On peut le voir également dans la fonction qui est donnée à l’instruction : c’est Durkheim lui-même qui affirme qu’à partir du milieu du XVIIIème siècle se développe en France une nouvelle conception de l’éducation qui doit avoir pour but de « permettre à l’enfant de remplir ses fonctions dans la société » (L’évolution pédagogique en France, Alcan 1938). Les contenus de l’enseignement prennent du coup davantage d’importance. Le XVIIIe siècle fourmille d’écrits sur l’éducation. Partout, écrit madame d’Epinay, « en Allemagne, en Angleterre comme en France, il n’y a pas d’affaire plus importante, de question plus souvent agitée que la fabrication de l’homme idéal et du citoyen parfait » (Compayré, Histoire des doctrines de l’éducation 1885).
Un intérêt public se manifeste vis à vis des problèmes de population. Toute la seconde moitié du XVIIIème siècle est remplie de plaintes de populationnistes qui dénoncent le danger moral, mais aussi, et surtout politique et social, de l’abaissement de la natalité.
Les premières statistiques, les premiers dénombrements d’une certaine ampleur datent du XVIIIème siècle. Ce phénomène est par ailleurs profondément semblable à celui qui voit le pouvoir royal commencer à s’installer dans la vie des écoles sous la forme d’un contrôle des intendants.
4.2. Des capacités différenciées et différenciantes
On touche là à un problème de fond : la formation des classes sous le double aspect de ses manifestations dans le champ du quotidien, et de la contribution que celui -ci apporte au quotidien. La question est d’abord celle de la ségrégation physique/sociale des classes dans les temps et les lieux de la vie quotidienne, phénomène bien connu à Paris avec le phénomène les chambres de bonnes.
Il s’agit non seulement d’éviter les mélanges sociaux, mais d’identifier, dans des conditions sociales différentes, la production de capacités sociales différenciées et différenciantes. Ce qui se prépare dans les temps et les lieux de la vie quotidienne, ce sont les êtres sociaux qui vont être les supports des classes sociales modernes ; une comparaison avec la période contemporaine peut être trouvé dans l’usage contemporain des médias, et notamment de la télévision selon les couches sociales, apparu en France sous la période gaulliste.
D’une manière générale les actes de la vie quotidienne font l’objet d’un investissement en termes d’identification sociale. La vie privée offre aux familles aisées de multiples occasions de se distinguer et de se différencier comme l’a montré plus tard en particulier P. Bourdieu https://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-La_Distinction-1954-1-1-0-1.html
4.3.Des effets plus globaux
Le fait que l’activité familiale ait pour fonction la production de capacités à mettre en œuvre dans des activités subordonnant de fait le travail familial aux activités auxquelles il prépare, c’est-à-dire aux activités qui contribuent à la production des moyens d’existence. Ceci veut dire, que la sphère nouvellement apparue de l’économie domestique ou familiale moderne est directement subordonnée à la sphère de l’économie politique.
Par exemple, pour ce qui nous concerne, cette évolution contribue à renforcer l’isolement social, l’atomisation du travail familial qui prend fonction par rapport aux unités sociales pertinentes dans les rapports de la vie économique proprement dite, lesquelles tendent précisément à devenir des unités individuelles mobiles. Elle contribue à expliquer la relégation de son statut, même si le travail familial tend à être valorisé idéologiquement.
Elle contribue en tout cas à rendre possible une disparité profonde des positions au sein du groupe familial, en particulier par l’introduction d’une distinction entre actifs, supports concrets de deux types de rapports sociaux (rapports familiaux, rapports économiques) et ‘non actifs’ qui ne sont engagés dans un seul type de rapports (rapports familiaux) dont le type est la ménagère.
5. La transformation des rapports familiaux
5.1. Les rapports familiaux traditionnels
Ils sont complexes parce que jouant plusieurs fonctions : les différentes personnes composant le groupe familial faisaient, à la fois, l’objet d’un rapport de prise en charge et d’un rapport instrumentalisant émanant de l’individu chef de famille détenteur du patrimoine, et dépositaire du pouvoir familial :
- Rapport de prise en charge : l’individu, chef de famille, était responsable de l’entretien des différentes personnes composant le groupe familial, quelle que soit leur positionnement du moment qu’ils vivent et travaillent sous le toit familial. Ce rapport de prise en charge concerne également les biens
- Rapport d’instrumentalisation : son pouvoir d’administration des biens a vu également s’accroitre son pouvoir sur la mise en œuvre des capacités. Fin de la politique familiale, ses différents membres en constituent aussi l’instrument.
Cette situation présentait une série de conséquences sur les positions respectives de chacun. Le chef de famille se voit conférer des pouvoirs très variés dans la maison. Les enfants sont soumis à la puissance paternelle qui connait des manifestations très variées depuis la 16èmesiècle, notamment dans le domaine de la sexualité des filles, dont la virginité est considérée comme une composante du patrimoine social familial et plus généralement dans le domaine du mariage des enfants. La femme mariée soumise à la puissance maritale et est relai de la puissance paternelle. Si les domestiques et les valets occupent une place qui n’est pas toujours enviable, leur statut n’en est pas moins très différent des enfants ; les maitres ont à leur égard un certain nombre d’obligations qui n’ont rien à voir avec celles d’un employeur vis-à-vis de ses employés : devoir ‘d’éducation chrétienne, soin des malades, prise en charge de la vieillesse, attachement. En contrepartie des exigences de travail, qui ne sont pas toujours clairement définies les gages n’ont rien à voir avec des rapports marchands : pas un salaire, mais une récompense ou l’amorce de constitution d’un petit capital.
5.2. Les nouveaux rapports familiaux
Ils vont au contraire se caractériser par leur univocité : entre les personnes du groupe familial, les rapports instrumentalisant vont disparaitre pour laisser place à de seuls rapports de prise en charge ; complémentairement les rapports d’appropriation des biens tendent à devenir purement instrumentaux : Une nouvelle définition des règles familiales subvertissant les définitions traditionnelles de la famille survient. La famille légitime va cesser d’être une association productive pour devenir comme la décrit Flandrin » (Familles, Hachette 1973) « une association disposant des moyens économiques de nourrir ou d’éduquer ses enfants et d’une répartition des rôles individuels spécifiques à cette tâche ».
La puissance paternelle va tendre à s’exercer formellement dans le sens de l‘intérêt des enfants’.
C’est ainsi qu’il faut probablement interpréter les méthodes pédagogiques, si vivement débattues dans la seconde moitié du XVIIIème siècle. La crainte en tant que principe d’éducation dans la famille, et aussi d’une certaine façon au collège, tend à être remplacée par la recherche du consentement, c’est à dire d’une adhésion de l’enfant ou de l’adolescent à ce qui est fait pour lui parce qu’il l’aura estimé conforme à ses intérêts.
C’est ainsi aussi qu’il faut interpréter les revendications du XVIIIème en faveur d’une division égalitaire des héritages. Dès le milieu du XVIIIème siècle, les coutumes héréditaires, le droit d’ainesse, la liberté de disposition, sont dénoncés par les Encyclopédistes parce qu’elles correspondent de moins en moins aux mœurs ; elles trouveront un écho dans la législation révolutionnaire et dans le code civil. Ces nouveaux rapports familiaux sont plus encore profondément hétérogènes avec les rapports s’établissant dans la vie professionnelle qui tendent à devenir essentiellement instrumentalisant et marchands.
Sur la base de cette hétérogénéité perçue comme telle par les individus entrant dans les deux types de rapports sera construite la représentation idéologique dominante d’une différence de nature entre économique et social.
L’identification des nouveaux caractères de ce champ de pratiques s’ordonne de fait autour de trois entrées d’analyse : l’objet sur lequel elles portent, le produit auquel elles conduisent et enfin les rapports dans lesquels elles s’établissent.
Tableau 1 : La transformation des constructions de sens autour des activités familiales
| Empan d’activités relevant du travail familial Traditionnel | Nouvel empan en émergence des activités familiales | |
|---|---|---|
Unité pertinente des constructions de sens autour de l’activité familiale |
L’unité sociale, ‘corps et biens, rassemblant les composantes du groupe social (maison, maisonnée, hôtel…) | Le groupe composé par la famille retreinte Usage progressif de la catégorie publique de ‘ménage’ |
Rapports interindividuels Vécus dans les activités |
Biens et personnes font à la fois l’objet d’un rapport de prise en charge et d’un rapport d’instrumentalisation | Coexistence de deux types de rapports dans la production
|
Fonction de l’activité familiale |
La conservation et éventuellement le développement de la ‘fortune’ | La contribution à la production d’êtres sociaux, dotés de capacités à occuper une position sociale |
A la suite de quelles évolutions s’est fait ce passage du travail familial traditionnel au travail familial moderne, cette différenciation du quotidien comme contribution à la production des identités sociales ?
6. Différenciation de la « vie quotidienne » et autonomisation d’un facteur travail dans les rapports de production de type capitaliste
« Le travail est semble-t-il une catégorie toute simple et l’idée du travail en général est vieille comme le monde. Conçu sous l’angle économique dans toute sa simplicité le travail est cependant une catégorie aussi moderne que les rapports qui engendrent cette abstraction pure et simple » (Marx -Fondements de la critique de l’économie politique,1857)
Une interprétation relativement simple peut-être donnée de cette différenciation. Si revenant sur les outils d’identification que nous venons d’utiliser et leurs transformations en outils d’analyse, nous pouvons comparer le procès de production de type capitaliste avec le travail familial de type traditionnel ; il en est de même, pour l’activité du marchand ou de l’artisan qui n’emploie pas une main d’œuvre salarié libre, mais des serviteurs, des compagnons, qui vivent « à son pain, lit et maison », nous observons le résultat suivant :
Tableau 2 : Procès de production de type marchand et de type capitaliste
| Procès de production de type marchand | Procès de production de type capitaliste | |
|---|---|---|
| Objet du procès de transformation | Le patrimoine comme ensemble de biens et de personne | Capital engagé |
| Moyens du procès de transformation | Biens et personnes sont les deux facteurs de production | Force de travail de la main d’œuvre salarié |
| Rapports de production | Cumul d’un rapport d’appropriation et d’usage des biens et des personnes | Les personnes font l’objet de rapport instrumentaux : vente de la force de travail contre l’octroi des conditions de sa reproduction, c’est-à-dire le salaire |
| Produit | Conservation et éventuellement développement du patrimoine comme ensemble de biens et de personnes : le ‘ domaine’ | Capital valorisé par intégration de la plus value |
Aussi rudimentaire que soit cette comparaison, on voit que le procès de production de type marchand, apparemment complexe, assure du fait de son propre fonctionnement l’entretien et le développement des personnes, tandis que le procès de production capitaliste crée les conditions d’un procès d’entretien et de développement des personnes, qui tend à s’autonomiser comme tel.
Ce serait donc l’apparition de rapports de production de type capitaliste et leur diffusion qui, en différenciant clairement les facteurs de production créent un procès induit d’entretien et de développement des personnes et que nous avons discerné derrière l’apparition d’un nouveau quotidien.
Le développement de rapports de production de type capitaliste et leur extension à des domaines de plus en plus nombreux n’a pas pour conséquence de réduire l’importance des lieux de production des êtres sociaux comme la famille, mais tend au contraire à accroitre la variété des tâches qui doivent s’y dérouler. Cette hypothèse rejoint l’hypothèse de chercheurs contemporains sur le travail domestique (Colloque de l‘ACSES sur la force de travail, Paris 7 ,1977) : le travail familial ne tend pas à dépérir, mais tend à se développer.
CONCLUSION
Les activités familiales créent un espace-temps d’intentions et de pratiques spécifiques à leur champ et peuvent faire, en tant que telles, l’objet d’approches historiographiques.
Pour autant, resituées dans une anthropologie de la construction des activités et de la construction des sujets dans les activités, elles peuvent permettre de mettre épistémologiquement en relation, au-delà de la recherche d’invariants, singularité des constructions de sens des acteurs et production d’une fonction élargie : la construction d’identités sociales différenciées et différenciantes.
A deux conditions, d’une part de découper des objets de recherche en termes d’activité, d’autre part de recourir à une épistémologie du vivant qui interprète les dynamiques sociales non plus seulement en termes de relation causale mais en termes de corrélation circulaire : une corrélation généré-générant https://www.innovation-pedagogique.fr/article16434.html.



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