Vous en avez marre des soutenances où l’apprenant débite son PowerPoint sur un ton monocorde ? Demandez-lui de scénariser sa restitution. Il prendra davantage de plaisir à la préparer. Et vous à l’écouter. Mais attention ! Il ne faut pas pour autant que la forme l’emporte sur le fond. Et expliquez bien que c’est une modalité d’apprentissage non transposable automatiquement dans le monde professionnel.
Si la soutenance constitue en soi un moment d’apprentissage, dans la mesure où elle mobilise notamment les soft skills, elle doit aussi rendre compte de connaissances ou de compétences acquises en lien avec le contenu de l’enseignement. Comment trouver cet équilibre ?
Retour sur une expérience menée par une promotion d’étudiants de Master 1 d’ergonomie au Cnam des Pays de la Loire dans le cadre d’un enseignement de sociologie. Ils ont fait le choix de se mettre en scène pour restituer une enquête sur des problématiques de travail liées à certains métiers.
Témoignage d’Alison, Simon et Thomas sur leur expérience.
Alison, Thomas, Simon, trois apprenants du Cnam
Trouver une mise en scène ou un scénario pour restituer
L’intérêt premier de la scénarisation, c’est de favoriser la communication de certains messages. Il faut donc commencer par trouver une histoire, une situation, un contexte qui va permettre l’expression de ce scénario. Décrivons d’abord ce qu’ont imaginé trois groupes d’apprenants de cette promotion.
Le premier groupe, celui d’Alison, a choisi d’alterner des scénettes avec des temps d’analyses et d’explications. Les apprenants de ce groupe étudiaient la relation de service dans des salons de coiffure. Ils ont réalisé des entretiens avec des coiffeurs qu’ils ont ensuite retranscrits et analysés. Pour leur soutenance orale, ils ont reconstitué un salon de coiffure avec quelques objets et une mise en scène : « On est venu avec la panoplie du coiffeur, des perruques, des brosses à cheveux… Et puis on s’est attribué des rôles, et on s’est inspiré des interviews qu’on avait faites pour reconstituer les échanges ». Trois scénettes ont illustré trois thématiques traitées dans leur dossier.
Estelle, Stéphanie, Dimitri et Alison reconstituent des scènes d’un salon de coiffure
Le deuxième groupe, celui de Simon, a fait alterner une présentation formelle sur Powerpoint avec des vidéos où lui et sa binôme se sont mis en scène. L’objet de leur dossier était : les métiers à risques (pompiers, gendarmes…). Et ils ont utilisé le déguisement pour incarner leurs interviewés : « On a revêtu la tenue de nos interviewés pour les présenter, explique Simon, cela faisait plus réaliste. Par exemple, moi j’ai apporté les armes, bon c’était des fausses hein ! ». Et ils se sont filmés pour présenter les interviewés.
Simon a préparé une vidéo ou il incarne, avec humour, son interviewé.
Un troisième groupe, celui de Thomas, a utilisé la trame d’un journal télévisé pour rendre compte du dossier : « On travaillait sur la passion au travail : c’est un peu le rêve de tout le monde de vivre de sa passion. Le fait d’avoir restitué sous la forme d’un journal nous permettait de faire une présentation plus dynamique. On avait un animateur qui donnait la parole, et ensuite chacun pouvait développer indépendamment sa partie ».
Nolwenn présente l’interview d’un cavalier soigneur et Mélanie d’un professeur de sport..
Pour maintenir l’attention et la motivation
L’intérêt de telles mises en scène était d’abord de favoriser la communication avec le groupe et le jury. « Pour les autres, c’est plus intéressant de voir des petits jeux de scène que des présentations formelles où on décroche totalement » explique Thomas. « Ça maintient l’attention de l’auditoire, précise Alison, même si ce n’est pas facile au début de se mettre en scène ! Ça ne fait peut-être pas mieux passer le message, mais ça le fait passer autrement. Et le groupe s’en souvient davantage ».
Mais ce mode de présentation a aussi un intérêt pour celui qui présente : « C’est plus dynamique pour son auditoire, mais aussi pour soi : on se motive plus à travailler ce genre de présentation qu’une présentation très formelle. Ça nous donne plus d’entrain », complète Thomas.
Sans perdre de vue les messages à faire passer
Toute la difficulté de l’exercice est de ne pas perdre de vue le contenu de l’exposé, le message à porter. Il s’agit lors de cette soutenance orale de montrer l’acquisition de compétences et de connaissances au cours de l’enseignement. Même si leur travail fait l’objet également d’un rapport écrit, il y a un risque que la forme l’emporte sur le fond, mais surtout ne soit pas au service du contenu. Les apprenants de cette promotion ont globalement évité cet écueil.
Alison explique que c’est bien le sujet qui les a amenés à choisir cette forme : « On a tenu à faire des scénettes parce que ça illustrait bien le métier de coiffeur : ils ne sont pas assis toute la journée et pour rendre compte de ce relationnel, la mise en scène apportait un plus ». Les scènes elles-mêmes étaient porteuses de contenu, puisqu’elles rendaient compte de situation ou de propos entendus en entretiens. Par ailleurs, chaque scénette était ensuite suivie d’une analyse sur un mode classique : « Derrière chaque scène, il y avait une explication qui permettait de présenter plus sérieusement nos résultats ».
Pour le groupe de Thomas, le journal télévisé était surtout un « emballage » : « Au final, on s’est juste servi d’une forme, le contenu est resté le même, c’est juste qu’on a habillé le paquet cadeau. Le principe du journal télé, c’est que ça ne dénature pas trop le fond, puisque le discours dans le reportage est le même que dans le document écrit ». Dans ce second cas, le lien avec le contenu est moins visible.
La situation est un peu différente pour le groupe de Simon, qui faisait alterner présentation classique et vidéos. Le recours à l’humour pour présenter les résultats était d’autant plus pertinent que celui-ci constitue justement un des mécanismes de défense utilisé par les professionnels enquêtés. Ils ont aussi recours à l’humour pour faire face aux tensions auxquelles ils sont exposés. Autrement dit ils ont illustré par l’exemple ce qu’ils présentaient (en dédramatisant aussi leur objet).
Des conditions préalables pour une restitution scénarisée
Dans les cas observés ici, on ne peut pas réellement parler de restitution « scénarisée » dans la mesure où elle n’a pas fait l’objet d’un accompagnement spécifique à la soutenance et d’une préparation conscientisée (apprentissage des différentes formes ou étapes de communication possibles par exemple…). Il aurait fallu pour ce faire que des objectifs pédagogiques soit alloués spécifiquement à cette restitution et que le scénario soit travaillé en amont avec les apprenants. Toutefois on peut tirer de cette expérience quelques enseignements sur les conditions qui peuvent favoriser des restitutions plus attractives.
Etre autorisé à « dévier »
Evidemment la consigne donnée par l’enseignant est déterminante pour encourager ou non cette forme de restitution. Dans le cas présent, « Il y avait une consigne pour la restitution mais aussi une certaine liberté dans la forme, nous savions que nous avions des marges de manœuvre » explique Alison. « L’enseignant nous a dit : « n’hésitez pas à faire des présentations originales et profitez-en pour tester des choses. Profitez de cet exercice pour voir ce qui fonctionne ou pas », complète Thomas. « Dès que la consigne a été donnée, raconte Simon, on a su qu’on avait le droit de « se lâcher » entre guillemet pour les présentations, on s’est dit qu’on allait faire un truc un peu plus « déjanté », même si ce n’est pas la folie non plus hein… On s’est tout de suite dit qu’on allait partir en mode déguisement ».
Et s’autoriser à le faire !
Outre la consigne ouverte, si les élèves se sont autorisés à sortir des sentiers battus en terme de restitution, c’est que l’unité d’enseignement où cette expérience s’est faite n’était pas au cœur de leur formation. Elle ne constituait pas un enjeu fort en terme de notation par exemple. « Le fait que ce soit une unité qui n’est pas au cœur de notre métier, il y avait un côté cours de récré, pour une fois on pouvait s’autoriser à sortir du cadre et s’amuser un peu. On était plus libre que si ça avait été dans un cours au cœur de notre métier », analyse Thomas. Cela ne signifie pas qu’elle ne pourrait pas être utilisée dans d’autres enseignements. Cela ne signifie pas non plus qu’elle peut être généralisée : d’abord parce que la répétition atténuerait l’effet de motivation. Ensuite parce que ce mode de restitution n’est que partiellement transposable dans le monde professionnel. Elle doit donc être pensée comme un acte d’apprentissage et explicitée comme tel aux apprenants.
Un travail de préparation en amont
Il faut du temps pour préparer cette forme de restitution, d’ailleurs une des raisons de sa réussite, a été un évènement tout à fait fortuit : « Ce qui a aidé aussi, c’est que le matin du jour où on devait présenter il y a un cours qui a sauté, du coup on a eu du temps pour préparer ». Du temps pour penser la situation, les objectifs, le scénario et le déroulé.
Reste que pour ces apprenants, la mise en situation pouvait être relativement rapide parce que les contenus qui servaient de support à la présentation avait déjà été très travaillés : « je me suis filmé par rapport à ce que je me souvenais des entretiens, ça venait tout seul, faut dire qu’on les avait beaucoup travaillés pour le dossier, donc on les connaissait bien », nous dit Simon. Autrement dit une restitution scénarisée est possible lorsqu’on a réellement un contenu à défendre…
Des conditions matérielles adaptées
La mise en scène suppose enfin des conditions matérielles en terme d’organisation de l’espace, que les salles de cours traditionnelles ne permettent pas toujours. « On a tous pris du plaisir à regarder les autres, raconte Simon. La limite, c’est la salle où on était qui n’était pas du tout pratique. Elle était petite, les autres élèves étaient à nos pieds, l’enseignant était tout près, donc ce n’était pas évident de faire une mise en scène dans l’espace ».
Faire de la soutenance orale un véritable acte d’apprentissage
Au final, on retiendra de cette expérience qu’elle a été source de plaisir et de motivation pour les apprenants (le jury interrogé a partagé ce sentiment). Elle est source d’apprentissage également, puisqu’elle a mobilisé des compétences transversales : la créativité, la gestion du temps, du stress, l’audace, le sens du collectif… comme le mentionne Thomas, « Il y a toujours un apprentissage déjà de passer devant tout le monde, sur la gestion du stress, et puis après c’est un apprentissage de travail collectif. C’est toujours utile ensuite ». En effet renchérit Alison : « ce genre d’exercice nous aide aussi dans notre pratique quotidienne, puisqu’on sera amené à présenter des résultats dans le cadre de notre travail ». Même si la transposition n’est pas totalement possible.
Sans doute pour en faire une situation réellement apprenante faudrait-il qu’elle soit davantage accompagnée et que les objectifs de cet exercice soient intégrés dans l’évaluation. Reste aussi à veiller à ne pas tomber dans le simple storytelling, où le récit et la volonté de séduire le jury l’emporterait sur le contenu. Le lien doit être travaillé entre forme et contenu, le premier devant être au service du second.
Pour des dimensions plus pratiques, on trouvera ici les 10 règles d’or de la soutenance orale ou ici des conseils pour soutenir son mémoire.
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