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Intérêt pour le certificat des MOOC : quelques réflexions sur une enquête

15 octobre 2018 par Matthieu Cisel Veille 95 visites 0 commentaire

Un article repris de https://numpedago.hypotheses.org/121

Dans mon blog Educpros, j’ai fait tout une série de billets consacrés aux certificats de MOOC, et à l’intérêt que les participants lui portent. J’aimerais conclure aujourd’hui par un petit article sur la question. Dans la mesure où cet article fait beaucoup référence à des travaux de recherche, sa tonalité est tout indiquée pour un articles dans Hypothèses. Nous parlons aujourd’hui autoformation compensatoire, certificat, et légitimation d’apprentissages.

Le gros du public des MOOC portant un intérêt professionnel au certificat est constitué de salariés en poste, dont la plupart disposent d’un niveau de diplomation supérieur ou égal à Bac+5, et s’inscrivant avant tout dans une logique de buts de maîtrise. L’intérêt pour le certificat correspond avant tout à une logique de prévoyance, et c’est la compétence ou la connaissance qui est recherché, une démarche qui fait écho au besoin de compétence de la théorie de l’autodétermination (Deci & Ryan, 1985). On peut également interpréter ces résultats au prisme de la sociologie des loisirs, ou à celui des recherches sur l’éducation non-formelle. Dès les années 1960, Johnstone & Rivera (1965, p.130) montraient sur l’exemple des Etats-Unis que les individus qui avaient un niveau supérieur ou égal au baccalauréat étaient trois fois plus nombreux à s’engager dans une démarche d’éducation non-formelle « vocationnelle » que les individus qui n’avaient pas atteint ce niveau.

Dans une enquête diffusée en France auprès d’un demi-millier de personnes, le sociologue des loisirs Dumazedier (1962, p. 210) montre dès le début des années 1960 qu’entre 20 et 30% des personnes intérogées se forment par eux-mêmes sur des disciplines comme la géographie, l’histoire, l’éducation, les questions économiques et politiques, en dehors de tout contexte professionnel. Il met en évidence une relative « atonie culturelle » chez les classes sociales les moins favorisées, en démontrant que les cadres étaient davantage enclins que les ouvriers à s’engager dans une telle démarche d’autoformation. La sociologie des loisirs est sans doute le cadre le plus approprié pour appréhender la surreprésentation des classes sociales les plus favorisées au sein de cours n’attirant que peu de personnes animées par des motivations professionnelles.

Plus récemment, un certain nombre de recherches menées dans le courant des années 2000 (Eastmond, 1998 ; Selwynn et al., 2001 ; Gorard et al., 2003 ; Selwyn & Gorard, 2004 ; Gorard & Selwyn, 2005 ; Selwyn et al., 2006 ; Branchet & Julien, 2010 ; Eynon & Helsper, 2010) se penchèrent sur les usages d’Internet par les apprenants adultes. Nombre de ces auteurs s’attachèrent à montrer que la démocratisation d’Internet ne conduisait pas nécessairement à une réduction des inégalités relatives à l’apprentissage tout au long de la vie. Il est d’autant plus intéressant d’ancrer les résultats relatifs à la composition socioprofessionnelle des audiences de MOOC dans la lignée des recherches antérieures menées dans différents champs d’investigation que la question de la démocratisation de l’éducation constitue l’un des axes des débats sur les MOOC.

La persistance du débat sur la surreprésentation des classes sociales favorisées dans les audiences de MOOC, aussi bien au sein de la communauté scientifique (Emmanuel, 2014 ; Hansen & Reich, 2015) que dans les médias (Cisel, 2015b) reflète probablement la prégnance d’une certaine représentation de l’autoformation comme autodidaxie compensatoire (Carré et al., 2010). Cette forme d’autodidaxie, dont la fonction est de compenser un faible niveau d’éducation, constitue pour Bézille (2003) une représentation tenace de l’autoformation, héritière des représentations colportées en France notamment par la littérature, de Flaubert à Sartre. Ce débat reflète probablement également une certaine ignorance des travaux issus des recherches sur l’éducation non formelle ou de la sociologie des loisirs, qui mettent en évidence depuis près d’un demi-siècle cette surreprésentation aussi bien à travers les enquêtes sur l’occupation du temps libre (Dumazedier, 1962, p.207), que Johnstone & Rivera sur l’éducation non-formelle (1965).

Le fait que le niveau de maîtrise du sujet ne joue pas sur l’intérêt porté au certificat soulève un certain nombre de questions relatives à la nature de cet intérêt, qui varie vraisemblablement selon ce niveau de maîtrise. Pour la plupart des participants, qui débutent ou n’ont que quelques notions sur la thématique du MOOC, ce certificat vient valider des connaissances ou des compétences nouvellement acquises. Pour les participants possédant une certaine maîtrise du sujet, il vient possiblement légitimer des connaissances acquises de manière informelle, notamment dans le cadre de l’activité professionnelle. Il est en effet frappant de constater que nombre des participants qui portent un intérêt au certificat sont confrontés à la thématique du MOOC dans le cadre de leur activité professionnelle, sans jamais y avoir été formés. On peut émettre l’hypothèse selon laquelle ils viendraient apporter du crédit à une expérience passée, selon une démarche somme toute relativement similaire à celle qui sous-tend la Validation des Acquis par l’Expérience, ou VAE (Boutinet et al., 2009).

On peut également proposer une interprétation sensiblement différente pour expliquer la démarche des participants ayant déjà une certaine maîtrise du sujet : l’objectif du participant n’est pas tant de légitimer des apprentissages informels que de montrer à autrui qu’il n’a pas « perdu la main » quant à la thématique abordée dans le cours, dans une logique de buts d’évitement de la performance (Elliot & Harackiewicz, 1994). Ce cas de figure pourrait expliquer le fait qu’une partie significative des participants qui s’inscrivent ont reçu une brève formation à la thématique du MOOC au cours de leur formation initiale. Les disciplines des MOOC que nous avons étudiés– développement durable, changement climatique, etc. – ont potentiellement considérablement évolué depuis que le participant a obtenu son diplôme. Il est plausible qu’un certain nombre des participants, quand bien même ils auraient été formés de manière approfondie, se sentent dans l’obligation de démontrer qu’ils sont toujours à jour sur ces thématiques. Ceci conclut notre tour d’horizon de l’intérêt professionnel pour le certificat.

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