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Femmes et numérique au temps du coronavirus

13 mars 2021 par binaire Coopérer 280 visites 0 commentaire

Un article repris de https://www.lemonde.fr/blog/binaire...

À l’occasion de la Journée Internationale des Droits des Femmes, Anne-Marie Kermarrec retrouve binaire pour nous parler de difficultés rencontrées par les femmes au temps du Covid. La route est longue, on le savait, jusqu’à la vraie parité. On le vérifie. Serge Abiteboul et Pauline Bolignano
PS : binaire est fier de réaliser que nombre des chapitres du dernier livre d’Anne-Marie Kermarrec, ont été d’abord « testés » dans ses colonnes.

Le 8 mars dernier nous observions, encore d’un peu loin, avec une once, une once seulement, quels naïfs nous faisions, d’inquiétude les dégâts du coronavirus en Asie, lançant les paris sur l’éventualité d’un confinement que nous imaginions durer une ou deux semaines. Le couperet est tombé un peu plus d’une semaine après, nous coinçant là où nous étions ce soir du 16 mars 2020. Confinés, un mot un peu nouveau dans notre vocabulaire courant, dont il a fallu s’accommoder et que l’on ne finit de conjuguer depuis à tous les temps. Les écoles et les universités sont passées intégralement aux cours en ligne mettant au défi parents et enseignants, les commerces ont baissé leur rideau avec dépit, les soignants se sont mobilisés, les entreprises ont généralisé le télétravail, l’état s’est démené pour déclencher des aides, les familles se sont recroquevillées ou épanouies ensemble selon les cas, les parents se sont transformés en enseignants du jour au lendemain, les étudiants se sont retrouvés un peu à l’étroit dans leurs 20m2 ou au contraire ont filé dare-dare chez leurs parents pour avoir plus d’espace et bénéficier de la logistique familiale, certains parisiens ont débarqué dans leur résidence secondaire en Bretagne ou Normandie sous l’œil, parfois, réprobateur et méfiant des autochtones, qui les imaginaient trimballer le virus dans leurs poches.

Le numérique à la rescousse

Finalement nous avons survécu, certains mêmes, les plus chanceux, ont pu apprécier cette parenthèse hors norme où le temps s’étirait. Le numérique s’est avéré extrêmement salutaire pour tous dans cette période. En un mot, il a évité que le monde ne s’écroule pendant cette pandémie. C’est grâce au numérique que nous avons pu continuer à travailler, redoublant de créativité pour travailler en équipe, à grand renfort de Zoom, Teams, que sais-je, comparant dans le processus les avantages et inconvénients de chaque plateforme. Les professeurs ont pu effectuer leurs cours en ligne. Familles et amis se sont retrouvés pour des apéritifs virtuel, les artistes ont redoublé d’imagination pour pallier la fermeture des lieux de culture, et ont organisé des concerts virtuels depuis leur salon, des ballets synchronisés sur Internet. Les animaux en tous genres on refait surface en ville. Les radios en un tour de main ont organisé leurs émissions à distance. Les conférences, hauts lieux de rencontres académiques, se sont organisées à distance. Les scientifiques, largement aidés par des algorithmes d’apprentissage se sont lancés dans la quête du vaccin. D ’autres encore se sont lancés dans les applications de traçage ou la modélisation de la propagation du virus.

Et tout ça aura peut-être même un effet salvateur pour notre planète. En effet les plus de 3 millions de trajets qui ont ainsi pu être évités en France chaque semaine grâce au télétravail [1] ont certainement eu un impact non négligeable sur la pollution. On n’a jamais vu le ciel des mégalopoles chinoises aussi clair que début 2020. Même si on peut déplorer que les grosses entreprises de transport aériens aient beaucoup souffert dans le processus, nous avons pris de nouvelles habitudes qui potentiellement pourraient contribuer à la quête d’une empreinte carbone atténuée, y compris sur le long terme. Nous n’en sommes pas encore sortis et il est encore difficile de dresser un bilan. Espérons que le naturel ne revienne pas au galop sur tous les fronts. En particulier maintenant qu’il est avéré qu’une réunion sur zoom face à la mer n’est pas moins efficace qu’une réunion en présentiel (tiens encore un nouveau mot à notre arc) qui aurait nécessité un aller-retour Paris-Oslo dans la journée.

Outre qu’il nous a sauvé, le numérique a été le grand bénéficiaire de cet épisode. À la faveur de cette pandémie qui a mis des millions de personnes sur la paille, Eric Yuanle fondateur de Zoom, au contraire, a vu sa fortune grandir exponentiellement et le placer parmi les 400 américains les plus riches. Amazon, dont la place était d’ores et déjà bien établie, a vu ses bénéfices monter en flèche au troisième trimestre 2020 et tripler grâce aux ventes pandémiques. Un quart de la population s’est abonné à une nouvelle plateforme de streaming vidéo pendant cette période. Le e-commerce a fait un bond, y compris pour les plus petits acteurs, de nouvelles applications sont nées, la télémédecine s’est enfin imposée, etc. Bon, ça ce sont les bonnes nouvelles. On sait bien évidemment que malheureusement de nombreux secteurs ont pâti de cette crise et que de bien nombreuses personnes ont souffert (et continuent) financièrement, psychologiquement voire même physiquement. Comme on ne peut évoquer tous les sujets, je me propose en ce 8 mars de nous interroger, sur l’impact, en particulier celui du télétravail généralisé pendant le confinement, sur les femmes ?

wocintechchat.com
Crédit photo : wocintechchat.com

Le télétravail au féminin : la vraie fausse bonne idée ?

Le télétravail, oui…

Dans certains pays, le télétravail est un véritable atout pour attirer les femmes dans des domaines peu féminisés, comme celui de l’informatique par exemple [2]. Cela dit, c’est un argument à double tranchant puisque la raison principale est qu’il permet en effet d’apporter une certaine flexibilité quant à l’organisation de son temps, le rendant ainsi compatible avec le fait de rester à la maison pour les enfants. Cette flexibilité peut cependant s’avérer assez salutaire, ainsi si certaines mettent un frein à une carrière exigeante qui leur demande de voyager à l’autre bout du monde pour une réunion de quelques heures, le faire depuis son salon leur permet d’être plus présentes dans le milieu professionnel. Ou encore leur laisse l’opportunité d’accepter une réunion tardive qui n’entre pas en conflit avec les horaires scolaires. Bien sûr la raison est que les femmes ont une petite tendance à ne pas souhaiter déroger à leurs obligations familiales pour gagner des galons. Mais puisque nous en sommes encore là, le télétravail peut s’avérer salutaire et ouvrir des portes aux femmes en particulier dans le domaine du numérique qui s’y prête particulièrement. Le télétravail peut ainsi représenter une excellente opportunité sur le long terme pour permettre aux femmes de s’ouvrir à des carrières qu’elles n’auraient pas considérées autrement.

…mais pas en pandémie

D’ailleurs, il se trouve que le travail chez les cadres s’est généralisé à la faveur de cette crise sanitaire dont nous ne sommes pas encore sortis. Un quart de la population a eu recours au télétravail des mars 2020 [1]. Si les entreprises ont dû transformer leurs pratiques managériales dans le processus, elles ont accusé réception des avantages potentiels comme des besoins réduits de mètres carrés de locaux et ont même parfois observé des gains de productivité.

Mais le bât blesse encore et toujours. Et si ces habitudes de travailler depuis la maison, faisaient partir en fumée 25 ans de lutte pour l’égalité homme-femme [3] ? Si le télétravail creusait les inégalités contre lesquelles on lutte depuis tout ce temps ?

Tout d’abord, tous les métiers ne se prêtent pas au télétravail, et c’est en majorité les cadres qui s’y sont collés à 86% pendant le premier confinement. Et bien c’est justement dans cette catégorie que les inégalités sont les plus importantes quant au meilleur spot de la maison pour travailler. Ainsi chez les cadres, 29% des femmes disposait d’un bureau à la maison contre 47% des hommes [4]. Pourquoi donc ? Est-ce parce que le bureau va plutôt à la personne du foyer qui occupe le poste le plus important ? Comme on sait que les hommes, s’ils ne préfèrent pas les blondes nécessairement, sont rarement en couple avec des femmes plus diplômées [6]. Et même à diplôme égale, il n’est pas rare que la carrière féminine n’ait pas suivi la même trajectoire et à la même rapidité. Il n’est pas exclu que les femmes elles-mêmes se portent volontaires pour laisser le bureau à leur conjoint.

La conséquence directe est, qu’outre que la répartition naturelle des tâches domestiques dans un couple, qui si elle s’est vaguement améliorée reste largement inégalitaire [7], que ce sont les femmes qui ont assuré en majorité les tâches domestiques pendant les confinements. Tâches du reste d’autant plus importantes que la famille entière prend ses repas à la maison matin, midi et soir en confinement, ce qui augmente singulièrement le volume de courses, cuisine et ménage. Et devinez qui a en majorité jouer à l’institutrice puisque Maman travaillait dans le salon ?

home schooling
Crédit photo : https://nappy.co/alyssasieb

D’ailleurs, ce télétravail « pandémique » a eu un effet désastreux sur les femmes du milieu académique, celles- là même qui ont déjà bien du mal à gravir les échelons [2]. Ainsi les dernières études sur le sujet montrent que les femmes ont soumis proportionnellement beaucoup moins d’articles scientifiques que les hommes pendant cette pandémie [8].

Pour finir, selon les données de l’ONU, les violences conjugales ont augmenté de 30% en France pendant le confinement, à l’instar de ce qui s’est passé dans de très nombreux pays d’ailleurs. De là à dire que le télétravail augmente la probabilité de se faire taper dessus est exagéré. Mais il semblerait quand même que pour une proportion non négligeable de femmes, la maison n’est pas nécessairement l’endroit le plus sûr.

Pour conclure, le télétravail qui est désormais une option beaucoup plus répandue et probablement le restera, n’a pas été nécessairement un cadeau pendant cette pandémie. Mais espérons que dans le monde d’après, le télétravail permettra aux femmes de saisir de nouvelles opportunités que ce soit dans le numérique ou ailleurs.

Pour aller plus loin

[1] https://theconversation.com/le-teletravail-est-il-durable-les-enseignements-du-confinement-151886

[2] « Numérique, compter avec les femmes ». Anne-Marie Kermarrec. Éditions Odile Jacob, 2021.

[3] https://www.bbc.com/afrique/monde-55089131

[4] https://theconversation.com/emploi-teletravail-et-conditions-de-travail-les-femmes-ont-perdu-a-tous-les-niveaux-pendant-le-covid-19-141230?utm_term=Autofeed&utm_medium=Social&utm_source=Twitter#Echobox=1593981298

[5] https://www.insee.fr/fr/statistiques/4768237

[6] https://www.inegalites.fr/Couples-qui-se-ressemble-s-assemble

[7] https://www.inegalites.fr/Le-partage-des-taches-domestiques-et-familiales-ne-progresse-pas?id_theme=22

[8] https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC7302767/

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