Innovation Pédagogique et transition
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Ce qu’on apprend en écoutant 300 ados parler d’IA, d’école et d’effort

17 juin 2025 par Colin de la Higuera Coopérer 283 visites 0 commentaire

Un article repris de https://chaireunescorelia.univ-nant...

Le blog de la Chaire est ravi d’accueillir aujourd’hui Charlotte LE HÉNANFF et Pauline CORRIOU, de Motiv. Celles-ci sont engagées dans la création d’une ed-tech visant à motiver les jeunes à apprendre. Un besoin que nous avons identifié et dont nous parlons dans le blog !

Dans la préparation de leur proposition, elles ont interrogé adolescent.es et parents autour d’elles. Même si l’échantillon ne peut pas être qualifié de « représentatif » de la société en général, les informations qu’elles nous font remonter nous paraissent pertinentes et intéressantes.


L’IA est dans les smartphones, et dans les cartables, depuis quelques mois.

C’est devenu la norme, un réflexe quotidien pour la très grande majorité des jeunes français. ChatGPT, Mistral, MyAI : les adolescents s’en servent pour résumer un cours, comprendre une notion, générer une fiche, ou gagner du temps sur leurs devoirs.

Nous essayons de comprendre ce bouleversement. Comment les jeunes utilisent-ils l’intelligence artificielle ? Qu’est ce qui leur plaît, les freine, les inquiète ? Quel impact sur leurs apprentissages ? Quels effets sur leur motivation ?

De notre côté aussi des questions ouvertes s’invitent dans l’enquête : comment soutenir le développement cognitif à l’ère de l’IA pour tous ? Comment utiliser l’IA pour nourrir l’intelligence humaine ?

Nous avons rencontré plus de 300 personnes : des jeunes de 10 à 20 ans, leurs parents, des profs, des orthopédagogues,… Pendant huit mois, chaque semaine, nous écoutons, observons, essayons d’entendre les signaux faibles.

Spoiler : les ados ne sont pas perdus. Ils sont lucides. Ils sont exigeants.

L’équipe Motiv,

Charlotte LE HÉNANFF et Pauline CORRIOU


Entendu en boucle : “flemme”

C’est le refrain récurrent avec des jeunes mais est-ce le vrai problème ? Au fil de nos entretiens, nous percevons que « la flemme » chez les jeunes est un mot-valise qui peut tour à tour signifier :

  • une surcharge cognitive : “j’ai trop de trucs à faire, je sais pas par où commencer” ;
  • une perte de sens : “à quoi ça sert d’apprendre si toute l’info est à dispo ?” ;
  • un manque d’organisation : “je prends les devoirs au jour le jour” ;
  • un manque de confiance : “je vais jamais y arriver de toute façon” ;
  • une fatigue mentale : “j’ai juste besoin de souffler.

Les causes sont multiples et hétérogènes, le symptôme est connu et en partie intrinsèquement lié à l’adolescence, mais on constate que nombre d’élèves se sentent démunis pour y faire face.

« En fait, quand je ne vais pas comprendre un truc qui me paraît fondamental, je vais paniquer. » – Lisa

« Un coup de stress peut me faire totalement divaguer. Pourtant, je sais mon texte… mais un coup de stress peut me tuer. » – Anonyme

À propos des devoirs à la maison… et des agendas bien chargés !

Pour le temps dédié à l’apprentissage à la maison, plusieurs points d’étonnement :

  • Les ados aiment nous dire qu’ils ont une bonne mémoire. Ils veulent en prendre soin et sont toujours partants lorsqu’on leur demande si un outil pour améliorer leur mémoire les intéresse.
  • Chacun a son rythme pour les devoirs et les révisions. Toutefois, on observe que les lycéens, en moyenne, travaillent 2 à 3 soirs par semaine pendant environ 1 heure et refont une grande session sur un jour du week-end. Quelques exceptions sur les élèves d’établissements scolaires renommés sont à noter, où les enfants travaillent systématiquement tous les jours pour stimuler la réactivation de connaissances.
  • Ils ont tous l’obsession de faire les devoirs ou les révisions, le plus vite possible. Dans leurs mots, on perçoit que c’est aussi une posture, on ne veut pas être celui ou celle qui passe son temps à travailler. Certains retours d’enseignants ou d’orthopédagogues font un peu mentir ces déclarations, ils expliquent que beaucoup d’ados passent énormément de temps devant leur bureau à la maison pour des résultats médiocres. Cela corrobore le besoin qu’ils expriment d’organisation, de méthode, de bonnes habitudes.

Un point a attiré notre attention dans les échanges : encore peu d’élèves entendent un jour à l’école : « voilà ce qu’il se passe dans ton cerveau quand tu penses ».

Les jeunes ne sont pas systématiquement formés à la métacognition, aux fonctions exécutives, ou à la conscience de leurs stratégies d’apprentissage. Ils sont 10% à se déclarer formés à apprendre à apprendre.

Selon nos premières observations, c’est très dépendant de l’environnement familial et variable d’un établissement à l’autre.

Hors des murs de l’établissement scolaire, nous sommes étonnés par le nombre d’activités et d’initiatives pratiquées par les jeunes. Code et programmation, aquariophilie, animation sportive, dessin, site de vente en ligne, animation de réseaux sociaux pour un club d’athlétisme, ils ont des centres d’intérêts affirmés et variés, qui les mettent en action.

Presque tous les ados que nous avons rencontrés ont des “side projects” qui s’inscrivent dans du “project based learning”. Sans qu’ils ne le formulent clairement, ils apprennent en faisant.

Des professeurs et des parents nous ont expliqué que ces initiatives sont en outre largement encouragées, et valorisées par exemple dans les lettres de motivation pour les demandes d’orientation (Parcoursup).

Ce qui les engage

Les jeunes interrogés décrivent avec aisance les conditions dans lesquelles ils arrivent à se concentrer, à se dépasser, à “apprendre pour de vrai”.

Ce qui revient :

  • La liberté de choisir le moment, le format, le rythme
  • Des formats clairs et courts, où ils voient leur progression
  • Un cadre bienveillant, non jugeant, qui ne les étiquette pas ; à ce titre, les outils digitaux offrent un cadre où ils sont plus à l’aise pour faire des erreurs, se tromper par exemple, comme c’est le cas avec les jeux-vidéos
  • La possibilité de reformuler, réessayer, recommencer ; ils demandent de la patience dans les explications quand ils ne comprennent pas
  • Des signaux positifs, des encouragements : « t’as progressé« , « t’as compris quelque chose que tu ne comprenais pas hier« 
  • Une gamification : des défis, des récompenses symboliques, un petit boost d’ego à la Duolingo, ce qui rejoint l’idée de la grande sensibilité des adolescents à la récompense immédiate.

Un dénominateur commun attire notre attention. Les jeunes français que nous avons rencontrés veulent être “acteurs de leurs apprentissages”. Ce qui les motive, c’est d’agir, de manipuler, de tester, de comprendre par eux-mêmes. Ils veulent apprendre, mais à leur façon, dans un cadre qui les respecte.

« J’avais appris tout mon cours, et après j’ai fait genre que j’étais un prof et j’explique. » – Lisa

Alors, est-ce que l’IA change la donne pour eux ?

« ChatGPT, c’est bien pour démarrer. Mais faut vérifier. » Paul

« Des fois je l’utilise pour aller plus vite, mais je comprends pas mieux. » Léon

« Je veux pas que ça fasse tout à ma place. Juste que ça m’aide à y voir plus clair. » Lola

L’usage est massif certes, mais pas naïf. Les ados utilisent l’IA, mais lui reconnaissent des limites. Ils sont tiraillés entre deux tendances : le confort cognitif (ça va plus vite, c’est plus simple) et le désir de comprendre par eux-mêmes.

Malheureusement, ils n’ont souvent pas les outils pour éviter de basculer dans le pilotage automatique. L’IA, sans cadre, devient une béquille.

Avec les bons leviers et un peu de formation – le plus souvent de la part de parents sensibilisés, elle peut redevenir un tremplin.

« Je lui donne mon cours et après je lui dis j’ai un contrôle demain sur ça, pose-moi des questions. » – Maël

« Je ne vais pas lui dire : fais-moi mon exercice. J’essaie d’abord. Si je trouve pas, je lui demande. » – Anonyme

« J’aimerais bien un petit calendrier où on peut suivre nos évolutions aussi, ce qui est daily un peu. » – Penda

Et les parents dans tout ça ?

Beaucoup de parents nous ont confié leurs difficultés à :

  • Fixer un cap sans imposer,
    • « J’avais un comportement beaucoup trop exigeant et dévalorisant. Maintenant, j’essaye de me corriger. » – Yves
  • Gérer les tensions autour des devoirs,
    • une maman nous a expliqué qu’elle ne voulait plus entendre parler des devoirs à la maison car c’était une source infinie de conflits. Elle délègue désormais le travail à des profs particuliers.
  • Rester un modèle tout en intégrant les nouveaux outils,
    • « Ils fonctionnent beaucoup par l’exemple. Les parents, on est plus des modèles qu’on ne le croit. » – Nadia
  • Faire confiance… sans lâcher prise,
    • « Pour lui, les apprentissages ont été plus compliqués… et à la fois, je m’en occupe pas beaucoup, parce que de toute façon, c’est source de disputes. » – Elodie

Unanimement concernés par le temps d’écran de leurs adolescents, nous avons identifié 4 traits saillants chez les parents rencontrés, parfois entremêlés :

  • Les classiques : ils choisissent avec soin l’établissement de leurs enfants, valorisent énormément les résultats scolaires, les « bonnes » notes. Ils n’hésitent pas à faire appel aux profs particuliers, aux stages de rentrée. Proactifs, ils se renseignent et connaissent les rouages du système académique. Leur posture : pas d’IA pour mon enfant.
  • Les inquiets : peu confiants, souvent fatalistes « moi aussi j’étais nul en maths  », les parents inquiets transmettent sans s’en rendre compte leurs propres appréhensions à leurs jeunes. Ils stressent à l’évocation de Parcoursup, le grand oral de 3ème ou le stage à décrocher. Et sont rarement au fait des usages IA de leurs enfants.
  • Les experts : ils utilisent l’IA au travail et ont décidé de proactivement former leur progéniture aux nouveaux outils. Organisés et agiles, ils ont le réflexe “outil” pour faire gagner du temps à tout le monde dans la famille.
  • Les bosseurs : nous avons été surpris par l’engagement en temps de certains parents. Ils sont plus forts que le prof de maths, connaissent les théorèmes, écrivent les lettres de motivation pour décrocher le stage de leur fille de 3ème. On a même croisé des parents au bord du burn out avec les devoirs !

Pour les parents, côté scolaire, c’est important de “coller” au programme. Il importe que les initiatives soient reconnues par l’éducation nationale, approuvées par les professeurs.

Ils expriment un besoin urgent de repères. Ils veulent des solutions concrètes, compatibles avec la réalité de leurs soirées, et alignées avec leurs valeurs éducatives.


Motiv, mobiliser l’IA au service du développement cognitif des ados

L’intérêt très vif pour le concept d’“apprendre à apprendre” de la part de tous nos publics (jeunes, experts éducation, famille) nous inspire.
Le cerveau des adolescents est en plein développement jusqu’à 25 ans. On pense qu’il est urgent de créer des outils qui aident les jeunes à grandir — pas uniquement à aller plus vite ou à tricher.

Motiv est une application mobile conçue comme un coach cognitif personnel, visant à accompagner les jeunes dans leur apprentissage sans se substituer aux enseignants ou aux parents, pour renforcer des compétences essentielles telles que la planification, l’attention, la flexibilité mentale et la mémoire de travail. Des compétences fondamentales pour favoriser l’autonomie et l’épanouissement des jeunes.

Actuellement en phase de prototypage, une première séquence axée sur la mémorisation active est testée auprès de lycéens. Nous cherchons à co-construire Motiv avec des professionnels de l’éducation pour qu’il réponde au mieux aux besoins des adolescents.

Si vous souhaitez participer, contribuer, discuter, critiquer, contactez-nous, nous sommes ravis d’échanger.

Charlotte LE HÉNANFF : charlotte@motiv.club +33667957245

Pauline CORRIOU : pauline@motiv.club

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