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L’IA et l’Université. Quel pari faire ?

25 septembre 2025 par Colin de la Higuera Coopérer 179 visites 0 commentaire

Un article repris de https://chaireunescorelia.univ-nant...

Ce mercredi 10 septembre, je donnais mon dernier premier cours de l’année. En face, des étudiant·es de première année de Licence pour un cours d’informatique. J’ai voulu aller un peu plus loin que l’an passé où je leur expliquais comment je suggérais d’utiliser les IAs génératives dans le contexte de mes cours. Cette fois, la question est plus large. Faut-il faire appel à l’encombrant nouveau meilleur ami à l’Université ?

Pas de certitudes : il faut accepter de parier

Des nombreuses rencontres de ces derniers mois, une seule chose est évidente : personne de sérieux n’ose répondre aux questions pourtant essentielles (et parfois existentielles) que l’on se pose : quel rôle pour l’Université ? Quel rôle pour l’enseignant·e ? Quels sont les métiers de demain ? Quels métiers seront les plus (ou seront les moins) impactés par l’IA générative. Ainsi, en janvier dernier, une rencontre entre spécialistes internationaux et plusieurs centaines d’élèves italiens, à Milan, a montré l’urgence des questions, mais aussi l’impossibilité de répondre avec assurance [Nos amis Italiens ont fait un joli montage suite à cet événement, qui doit être utilisé prochainement à Naples lors de nouvelles rencontres (Next Generation AI – Summit internazionale sull’intelligenza artificiale nella scuola)]. Oh, des réponses on en trouve (il suffit de demander à ChatGPT). Mais on est essentiellement dans l’incertitude. Cela signifie que les choix de chacun sur comment il ou elle construit son parcours universitaire s’apparente encore plus à un pari.

Et la première des questions pour un·e jeune est tout simplement : pourquoi apprendre ? Nous avons d’ailleurs étudié cette question avec des étudiant·es de Nantes Université, dans le contexte du réseau UNOE : leur rapport final est tout à fait éclairant.

Il faut donc accepter que la situation contient bien des incertitudes et qu’on ne peut donc que relever, ou non, un parmi trois paris.

Le premier pari : celui de ne rien faire

Il n’est pas difficile de se laisser convaincre que l’IA pourra tout faire. Qu’il est inutile d’apprendre une langue étrangère, d’étudier pour se préparer à tel ou tel métier, puisque l’IA saura tout faire, et mieux. Les AGIs (Les Intelligences artificielles générales) seraient sur le point d’arriver, et après…

Le discours sur-ambitieux et en grande partie irresponsable des acteurs industriels désireux d’occuper le marché laisse penser que leurs IAs vont pouvoir tout faire. Bien entendu, ce même discours est accompagné de phrases toutes faites « human centred AI« , « human in the loop« …

La suite logique de ce pari est qu’il convient donc de profiter de l’instant présent (ce qui est, cela dit, une bonne idée) et peut aussi s’interpréter comme un encouragement à arrêter les occupations fatigantes, devenues ainsi inutiles, comme étudier.

Mais faire ce pari implique qu’on suppose que des mécanismes se mettront en place pour permettre à chacun de vivre, de s’accomplir. Le fonctionnement d’une société de consommation est qu’il faut -du moins pour l’instant- des consommateurs. Peut-être inventera-t-on des solutions permettant aux un·es et aux autres de ne pas travailler et de bénéficier d’un certain nombre de choses, tant basiques (un toit, des repas…) comme moins basiques et qu’on estime indispensables comme l’accès à la culture, à des interactions sociales, et à …euh… l’éducation.

Donc ce premier pari serait plutôt réservé à celles et ceux qui estiment pouvoir vivre de leurs rentes ou qui pensent que la société s’organisera spontanément pour leur permettre d’y avoir accès sans rien faire.

Attention : je ne dis pas que l’Université est la seule voie possible ! Mais simplement que démissionner face aux promesses de l’IA entraine quelques conséquences.

Et je suis peut-être un peu injuste : ce pari est souvent fait par dépit, parce qu’on n’arrive pas à trouver une autre voie. Mais aussi peut-être parce qu’on aimerait que les autres voies (ou paris) soient plus sûrs.

Le second pari : un diplôme « coquille vide »

Une alternative très actuelle est de penser qu’on peut obtenir un diplôme avec peu de travail. L’IA doit permettre de rédiger devoirs, mémoires et projets. Le jeu de la compensation fera le reste. Ce pari n’est pas saugrenu. Passer entre les gouttes est -à mon avis- tout à fait possible aujourd’hui. Un cas extraordinaire est celui de cette jeune américaine qui a terminé ses études secondaires avec une moyenne tout à fait honorable et a porté plainte contre ses autorités scolaires parce qu’elle ne savait même pas écrire son nom.1

Nous n’en sommes pas là -ou du moins nous n’avons pas encore identifié cette situation- mais il est possible de sortir du lycée avec cette impression d’avoir la capacité d’apprendre absolument tout via l’IA. Et comme le montre cette étude préliminaire du MIT, plus on utilise l’IA pour « boucher les trous », moins on a confiance en soi, et donc… plus on utilise l’IA. [étude citée en particulier dans cet article récent de The Conversation]

Ce pari repose aussi sur l’idée que l’utilisation abusive de l’IA serait indétectable. Et s’il est vrai que les détecteurs sont inefficaces, il n’en demeure pas moins qu’il existe un détecteur terriblement efficace : l’humain. Celui-ci ne détectera peut-être pas chaque fraude, mais est tout à fait en mesure de se rendre compte qu’un·e diplômé·e n’a pas les compétences supposément liées à son diplôme. Ainsi, dans un très grand nombre d’entreprises, les enjeux financiers d’un recrutement d’un·e jeune diplômé·e sont tels qu’audition et tests sont aujourd’hui de rigueur.

Il est donc devenu malheureusement habituel de voir des jeunes diplômé·es regretter le diplôme qui décore leur CV qu’ils ou elles n’arrivent absolument pas à justifier.

Et les enseignant·es ? Elles et eux vont aussi améliorer leur capacité à évaluer autrement. Il est donc tout à fait envisageable de commencer son université en passant entre les gouttes mais de ne pas pouvoir terminer son diplôme faute de bases.

Le troisième pari : c’est moi qui étudie

Le troisième possible pari est de profiter de l’Université pour étudier. Dit comme ça, cela parait évident. Mais pour faire ce pari il faut récuser les deux précédents. Et penser que dans le monde de demain il y aura une (meilleure) place pour des gens qui auront développé leurs compétences et leurs connaissances. Des gens qui n’auront pas besoin d’interroger une IA pour tout et pour rien, même si l’IA est capable de répondre !

Ce pari reste un pari. On verra forcément des gens obtenir un emploi intéressant avec un diplôme qu’ils ne méritent pas, du simple fait d’appuis conséquents (eh oui… ça existe encore). On verra aussi d’autres gens réussir malgré tout à briller « injustement » lors d’entretiens. Mais comme avec tout ce qui touche l’IA, il convient de considérer ces paris stochastiquement. Il n’y a que des incertitudes, donc des règles et des exceptions. Mais certains choix auront une probabilité plus haute de s’avérer payants.

A chacun·e son pari

Le pari sera forcément personnel. Et il sera sans nul doute plus facile de se tenir au premier qu’au troisième. Mais il faudra éviter de le subir : ce n’est pas chose facile.

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