Dans cette lettre, on vous parle de la « Murale du numérique » (ressource éducative libre sous forme de cartes pour appréhender les enjeux de numérique de manière plus systémique), puis on vous présente un kit pour les coach et facilitateurs et les infos du café Métacartes de septembre : c’est toujours gratuit et sur inscription. Enfin, nous publions un nouvel extrait de notre ouvrage « Les cartes sont le nouveau livre », ce mois-ci vous pourrez découvrir le Chapitre 3 – Les cartes au service de l’intelligence collective. Pourquoi et comment les cartes peuvent-elles nourrir l’intelligence collective ? C’est en fin de message.
La murale de numérique : un outil sous forme de cartes pour aborder le numérique de manière systémique
Nous parlons juste au dessous dans le Chapitre 3 – Les cartes au service de l’intelligence collective, des possibilités des cartes, voici un autre exemple de l’usage des cartes en pédagogie avec une ressource éducative libre très complémentaire des cartes Numérique éthique :
Pour enseigner le cours Enjeux sociaux du numérique, le professeur Julien Pierre, du Département de communications de la Faculté des lettres et sciences humaines de l’
(Québec, Canada), utilise des cartes. À l’ère de l’intelligence artificielle, pourquoi demander à des personnes étudiantes de brasser, distribuer, piger et défausser ? Cherchant à mobiliser les étudiants à travers des pédagogies actives, ce pédagogue est naturellement venu aux cartes et à créer La Murale du Numérique.La Murale du numérique propose une approche systémique, ludique et interactive pour explorer différentes thématiques des enjeux sociaux du numérique. Conçue avec rigueur et créativité, cette ressource a été co-créée avec les personnes étudiantes lors de la première édition de cette activité d’apprentissage en 2023. Ce jeu est composé de 48 cartes divisées en six thématiques : technique, économique, sociale, écologique, psychologique et régulation.
« Le meilleur moyen pour qu’ils aient cette vision systémique sous les yeux, c’est qu’ils la fabriquent eux-mêmes, qu’ils la manipulent et qu’ils posent sur la table les différentes composantes du numérique. »
Cet outil permet montrer aux apprenants les relations qu’il va y avoir entre la couche technique, la dimension économique et une dimension plus socio-anthropologique (culturelle, politique, etc.) du numérique et ainsi de leur offrir aux une vision systémique des enjeux du numérique. De plus, il les implique dans la création de cartes ce qui permet aussi de renforcer leurs compétences éditoriales mais aussi d’animation.
Voir son interview par Le Magazine pédagogique : https://perspectivesssf.espaceweb.usherbrooke.ca/2024/02/21/cartes-sur-table-avec-julien-pierre-grande-entrevue/
Lien vers la ressource libre : https://usherbrooke.scholaris.ca/items/1a832dc4-8975-4827-8389-3e4d99959687
Découvert via la lettre de l’éveilleur.
Nouveau sur la boutique : kit coach et facilitateur.ice
Avec la sortie de la nouvelle version de Faire Ensemble, nous avons aussi proposé un kit spécial pour les coachs et facilitateur.ice.s avec tous les outils pour accompagner les groupes et organiser des temps d’intelligence collective dynamiques, efficients et productifs.
Il contient :
- 1 set Métacartes FAIRE ENSEMBLE Nouvelle édition revue et augmentée (70 cartes, dans un étui). ISBN : 978-2-9580551-3-4.
- 1 livre téléchargeable « LES CARTES SONT LE NOUVEAU LIVRE – Discuter et apprendre collectivement à l’ère de la complexité » . ISBN : 978-2-9580551-2-7
- 1h d’accompagnement et de conseil personnalisé (à distance)
- Accès illimité aux ressources complémentaires (canevas, kit du formateur)
Retrouvez le sur la boutique en ligne : kit coach et facilitateur
Café Métacartes
Autre moyen de nous rencontrer, le désormais traditionnel café Métacartes ! C’est un temps d’échange en visio, ouvert et gratuit, sans ordre du jour préalable. Venez échanger et / ou découvrir les usages des cartes, c’est aussi le moment pour poser des questions ou partager des retours d’expérience avec nous.
Prochain rendez vous le vendredi 5 septembre, 13h30 en ligne (sur inscription, limité à 10 places). Au plaisir de vous rencontrer !
Lien d’inscription à l’évènement : https://mobilizon.fr/events/4511683c-61b6-4ec0-89d5-2bebeec75269
Les cartes sont (toujours) le nouveau livre
Fidèles à nos valeurs de partage sincère, nous continuons à dévoiler ce mois-ci un nouvel extrait de notre ouvrage consacré aux cartes. Nous publierons d’autres extraits au cours des prochains mois, abonnez vous pour être informé ou bien achetez le livre format epub sur la boutique pour le découvrir immédiatement.
Chapitre 3 – Les cartes au service de l’intelligence collective
Intelligence collective ?
Si le terme est en train de devenir à la mode pour désigner des méthodes créatives (souvent à base de post-it), et en cela risquant d’être dévoyé[^26] aussi nous nous en tiendrons à une définition sommaire :
L’intelligence collective ou de groupe se manifeste par le fait qu’une équipe d’agents coopérants peut résoudre des problèmes plus efficacement que lorsque ces agents travaillent isolément.[^27]
Notre but ici ne sera donc pas de rediscuter en détail ce concept, mais de voir comment les cartes, en tant qu’outil, peuvent contribuer à notre intelligence individuelle et surtout collective.
Cartographier pour donner une vision d’ensemble
Pour démarrer nous allons poser quelques bases sur la capacité des groupes à faire ensemble et à être intelligent collectivement en citant largement un excellent article de Jean-Michel Cornu : Cartographier pour donner une vision d’ensemble
« Comment dépasser les antagonismes ? Que ce soit lors d’une discussion collective avec des points de vue différents, ou a fortiori lors d’un conflit, chacun défend sa position et la répète sans cesse pour être sûr qu’elle soit bien prise en compte ou même qu’elle s’impose face aux autres. Ce biais empêche en général chacun d’avoir une vue d’ensemble des points proposés : chacun cherche ce qui justifie sa position et éventuellement ce qui discrédite la position de l’autre. La discussion « tourne en rond« .
À y regarder de plus près, il se joue deux choses dans ce type d’échanges : les participants cherchent à atteindre ensemble une vérité ou une solution, mais en remplaçant bien souvent la démarche rationnelle par une justification a posteriori des positions prises ; et d’un autre coté se joue un jeu le plus souvent inconscient où chacun cherche à ne pas être mis en défaut mais plutôt à obtenir l’estime des autres.
Le plus souvent, il existe également un présupposé qu’une seule solution est vraie ou au moins est la meilleure. Cette situation empêche fréquemment les participants de chercher d’autres propositions que celles qui sont données au début par eux. Les techniques de créativités permettent de sortir de ce cercle vicieux en conservant l’ensemble de ce qui est dit et en proposant aux participants de trouver des solutions nouvelles.
Un antagonisme est « une situation dans laquelle deux phénomènes ou leurs conséquences s’opposent dans leurs effets » . Dans la fable des aveugles et de l’éléphant, chaque aveugle touche une partie différente de l’animal et en tire une conclusion différente qui semble s’opposer aux autres.
Les Aveugles et l’Éléphant est une fable d’origine indienne. Elle met en scène six aveugles qui doivent décrire un éléphant, chacun touchant seulement une partie de son corps, ce qui les amène à avoir des représentations partielles et différentes de l’animal. Lorsqu’ils confrontent ensuite leurs idées, ils entrent en désaccord, doutent même de la sincérité de leurs interlocuteurs et, dans certaines versions, en viennent aux coups. La morale de la parabole est que chaque humain a tendance à revendiquer une vérité absolue fondée sur son expérience subjective limitée, car il ignore les expériences subjectives limitées des autres, qui peuvent être également véridiques. Image : Illustrateur inconnu, domaine public, via Wikimedia Commons,
Mais un opposé n’est pas un contraire qui lui, est totalement incompatible avec la proposition de départ. Ainsi, on oppose souvent réussir et échouer. Mais ces deux opposés ne sont pas si incompatibles qu’ils le semblent au premier abord. Ceux qui ont réalisé des projets savent bien que dans la vie on rencontre à la fois des réussites et des échecs… Sauf à ne rien faire du tout ce qui permet ni de réussir ni d’échouer. Il est donc important de ne pas exclure des propositions dès le départ dans une discussion, mais au contraire de chercher de nouvelles idées pour enrichir la « carte« des possibles avant de chercher à faire un choix. »[^28]
Conversation dialectique contre conversation dialogique
Dans son nouveau livre, Ensemble : les plaisirs rituels et la politique de la coopération, le sociologue Richard Sennett, enseignant à la l’école d’économie de Londres et à l’université de New York, s’est intéressé à la coopération. Pour comprendre pourquoi elle se produit – et parfois, pourquoi elle ne se produit pas.
Selon Sennet (cité par Hubert Guillaut), nos conversations peuvent suivre deux voies différentes :
- la voie dialectique qui porte sur le jeu verbal des contraires (thèse/antithèse) qui permettent graduellement de construire une synthèse.
- la voie dialogique, elle, consiste plutôt en un échange mutuel pour lui même, plus à l’écoute, rebondissant sur les expériences de l’autre de manière plus ouverte.
Guillaut explique :
« Beaucoup de programmes imaginent la coopération sur un mode dialectique plutôt que dialogique ce qui produit un résultat qui tend à contraindre l’expérience et inhiber la coopération » explique Sennett. « La société moderne est bien meilleure à organiser la première forme d’échange que la seconde ; meilleure à communiquer via des arguments dialectiques que de penser des discussions dialogiques ». La voie dialogique semble donc beaucoup plus propice a une démarche exploratoire de type maïeutique où les techniques de questionnement visent à faciliter pour une personne la mise en mots de ce qu’elle a à exprimer, à ressentir, ou ce dont elle a du mal à prendre conscience.
Pour favoriser l’intelligence collective, il devient donc essentiel de trouver ou d’inventer des outils qui facilitent une conversation dialogique où des points de vue différents deviennent sources de richesse et non de conflit.
Les limites du discours
À ce sujet, reprenons l’analyse de Jean-Michel Cornu qui explique les limites du discours et leurs impacts sur notre capacité à penser collectivement :
« Prenons une image pour représenter le discours d’une personne. Il comprend un point de départ – souvent une question – un cheminement et un point d’arrivée qui en est la conclusion. En cela, il ressemble à une promenade par exemple dans une forêt, avec son point de départ, son cheminement et son point d’arrivée. Mais si nous cherchons à nous promener à plusieurs sans que tous acceptent de suivre une seule et même personne, alors les choses commencent à se gâter. Le conflit pourrait être représenté par un même point de départ et deux cheminements dans des sens opposés.
Comment représenter ce conflit sous la forme d’un seul et même discours ? Nous pouvons présenter les cheminements l’un après l’autre, mais il n’est plus possible de présenter un seul point de départ, un seul cheminement et un seul point d’arrivée comme lorsque nous raisonnons à l’aide de la parole…De même l’intelligence collective peut être représentée comme plusieurs points de départ (plusieurs points de vue) pour un même point d’arrivée (l’objet à observer).
Comme dans le cas des aveugles et de l’éléphant, il n’est plus possible également de représenter cela sous la forme d’un discours unique. La création pour sa part consiste à relier deux idées entre elles pour en créer une nouvelle. Là aussi, un discours unique ne permet pas de partir des nombreux points de départ potentiels vers les nombreux points d’arrivée possibles.
Le discours est donc limité dans sa capacité à représenter certains domaines. Parfois même nous tournons en rond ! Jacques Monod a montré que c’est notre langage symbolique et notre capacité à former des discours qui constitue notre intelligence. Ainsi, nous les humains disposons d’une intelligence qui nous permet de faire des discours parfois rationnels. Elle nous a permis de développer des civilisations et même d’envoyer des hommes sur la Lune.Mais cette forme d’intelligence ne nous permet ni de résoudre les conflits, ni de traiter l’intelligence collective, ni de faire de la créativité ! C’est sans doute pour cette raison que nous sommes les seuls animaux à avoir été capable de maîtriser l’atome mais que nous avons été assez bête pour nous envoyer des bombes atomiques sur nous même… »[^29](…)
Une carte pour ne pas tourner en rond
Alors dans ces conditions, comment faire pour dépasser nos limites ? Jean-Michel Cornu nous donne des pistes :
« Heureusement, nous n’avons pas que le discours et le langage classique pour développer notre intelligence. Les sciences cognitives ont montré que nous avons plusieurs mémoires de travail qui nous permettent de conserver ces concepts à l’esprit. Or penser consiste à relier des idées entre elles.Nous faisons cela avec celles que nous avons « à l’esprit » , présentes dans nos mémoires de travail.
La « boucle phonologique » est une mémoire de travail qui s’intéresse aux idées qui s’enchaînent comme c’est le cas dans notre discours ou, pour reprendre notre analogie, comme les différents pas de notre cheminement durant notre promenade.
Nous disposons également d’un « calepin visuo-spatial », une autre mémoire de travail qui elle s’intéresse aux différents concepts non-reliés entre eux. Si nous reprenons notre analogie de la promenade dans la forêt, cette mémoire nous permet de constituer un plan rassemblant différents éléments pour nous orienter. Dans ce cas, il est possible de conserver à l’esprit plusieurs idées opposées ou bien simplement différentes.
Embranchement – Photo CC-BY-NC-ND Corse sauvage ; la vision de notre seul point de vue par rapport à l’endroit où nous nous trouvons ne nous offre que des choix limités.
Lorsque nous arrivons à un embranchement, nous ne pouvons pas prendre plusieurs chemins à la fois. Même si nous pouvons revenir en arrière pour essayer un nouvel embranchement, nous sommes limités dans le nombre d’essais possibles sans se perdre.
Cela a des conséquences sur notre limite à penser de cette façon : nous ne pouvons pas facilement explorer tous les cheminements possibles et conservons donc notre propre « fil de pensée » tant que celui-ci n’est pas réfuté, ou plus exactement tant que nous n’acceptons pas cette réfutation. Mais il existe de nombreux domaines, comme le débat philosophique ou politique, où il n’y a pas un seul cheminement possible entre des postulats et une conclusion. Cela est particulièrement crucial dans un domaine particulier : le conflit d’intérêt.
Chacun suit alors son propre cheminement. Il n’est alors possible avec ce premier mode de pensée que de gagner ou de perdre face à l’autre (…). Il est cependant également possible de faire un « compromis » ne prenant que partiellement en compte chacun des deux « points de vue ».
De même que de disposer d’une carte pour notre promenade collective permet de se situer et de situer les autres, il est possible de constituer une carte d’idées pour se situer dans un débat. Cette forme de pensée particulièrement adaptée à la résolution de conflit, à l’intelligence collective ou à la créativité, nous l’avons nommée « pensée-2 » en reprenant le terme de Edward de Bono.
La carte permet de voir tous les chemins en même temps et éventuellement d’en chercher de nouveaux non encore explorés. Nous pouvons la co-construire en y mettant toutes les idées et les cheminement de chacun au cours d’un échange.[^30]
Plan – Photo CC-BY-NC-SA Corse sauvage ; la vision du plan permet de se représenter les différents cheminements possibles sans avoir à les explorer tous un par un.
Des outils tels que la carte heuristique (aussi appelée carte mentale par traduction littérale de l’anglais « mind map »), permettent justement de cartographier les débats avec une grande efficacité.
Cet outil permet d’avoir un vision d’ensemble des notions et des liens entre elles et, pour les cartes numériques d’offrir la possibilité d’ouvrir et de fermer les branches pour zoomer ou dézoomer afin de limiter la quantité d’informations à traiter.
Augmenter notre capacité à cartographier les débats
Jean-Michel Cornu nous explique comment utiliser ces connaissances pour mieux discuter collectivement :
« Tout comme nous avons pu augmenter notre capacité à construire des discours en stockant dans notre mémoire à long terme des mots symboliques, il est possible d’augmenter notre capacité de construire des cartes mentales. « L’art de la mémoire » consiste à stocker dans sa mémoire à long terme des lieux symboliques – appelés Loci – puis à les associer aux idées qui apparaissent dans les échanges (il est plus facile de mémoriser à long terme un territoire que des idées). Nous pouvons ainsi conserver dans notre mémoire à long terme suffisamment de concepts pour dépasser les limitations de notre mémoire à court terme. »
Mais pouvoir mémoriser et relier de multiples concepts s’avère très difficile.
« Il existe une solution qui consiste à faire converger au moins partiellement les intérêts pour trouver suffisamment de points communs (approche coopérative par la convergence d’intérêts, stratégie « Win-Win ») – ou mieux encore d’articuler des points de vue apparemment incohérents entre eux pour proposer une vision nouvelle de la question (…). Mais cette solution fait appel à un autre mode de pensée.
Nous pourrions le décrire comme la vision du plan permettant de se représenter les différents cheminements (vision allocentrée) par rapport à la vision de notre seul point de vue par rapport à l’endroit où nous nous trouvons (vision égocentrée).
Pour aller plus loin, il faudrait pouvoir conserver dans notre mémoire à long terme, non plus une suite non ordonnée de mots symboliques pour y accoler les concepts sur lesquels nous voulons penser, mais plutôt un plan sur lequel nous pourrions avoir plusieurs centaines de « lieux de mémoire » (loci) où nous pourrions lier les notions sur lesquels nous voulons réfléchir.
Nous pourrions alors construire non plus un simple cheminement logique, mais au contraire, découvrir des chemins nouveaux entre des idées qui n’avaient pour certaines pas été reliées jusqu’alors. Pour permettre le développement de l’intelligence collective par exemple dans la production d’un document collectif ou la résolution des conflits, nous pouvons donc utiliser des cartes afin de montrer les différents cheminements des participants et en découvrir de nouveaux.
L’utilisation des schémas heuristiques (mind-mapping) est particulièrement puissant. Lors de réunions en présentiel il est possible de projeter la carte sur un mur à la vue de tous afin de permettre à chacun d’avoir une vue d’ensemble et ainsi de changer totalement la façon dont les participants proposent de nouvelles pistes plutôt que de ne répéter que celles dont ils se souviennent… Généralement la leur. »[^31]
Exemple d’une carte conceptuelle ayant pour sujet d’étude la carte conceptuelle (Philippe Boukobza, cité par Laura Bisson dans L’utilisation des cartes conceptuelles pour faciliter l’apprentissage)
Similitudes et différences entre les cartes conceptuelles et les cartes heuristiques selon Philippe Boukobza, (cité par Laura Bisson dans L’utilisation des cartes conceptuelles pour faciliter l’apprentissage )
Pour dépasser les différences entre les deux modes de pensée soulignés par Jean-Michel Cornu et aller vers des coopérations dialogiques, l’usage d’outils qui permettent de visualiser les points communs et les différences (les « désaccords féconds ») devient crucial. À ce sujet, notons que la gestion visuelle de l’information, une discipline en développement depuis quelques années amène des propositions de réponses.
L’essor de la gestion visuelle de l’information
Plus connue sous son nom anglais de visual management, la gestion visuelle de l’information est une approche de gestion de projet qui utilise des représentations graphiques et visuelles afin de communiquer efficacement des informations complexes, impliquer davantage les parties prenantes, fluidifier les échanges et les interactions, et garantir ainsi une communication optimale en rendant accessibles et compréhensibles les données clés du projet.
S’il n’existe pas de définition stricte, la gestion visuelle de l’information s’appuie sur plusieurs techniques et outils : facilitation graphique et usage du dessin, cartes heuristiques et usage de méthodes basée sur des « notes repositionnables » ou « notes autocollantes » plus communément appelés « post-it » .
Situés dans la même famille que les cartes, les notes repositionnables connaissent depuis quelques années un usage croissant dans les ateliers dit « créatifs ».
Notes repositionnables – Photo de Daria Nepriakhina sur Unsplash
Mais pourquoi cet outil si présent chez certains développeurs (particulièrement la communauté agile) et depuis fréquemment repris (avec plus ou moins de réussite) par les entreprises puis, plus récemment, par les institutions et les associations soumises à l’injonction « d’innover » est il devenu si présent ? Aide-t- il vraiment à la créativité ? Et pourquoi fonctionne-t-il ou ne fonctionne-t-il pas dans certains cas ?
L’importance des artefacts informationnels pour penser ensemble
Gamestorming, excellent livre consacré à la facilitation et aux jeux co-créatifs, explique clairement et en quelques mots l’importance de certains ingrédients-clés présents dans de nombreux formats co-créatifs ; notamment l’usage des post-it et des cartes.
« La collecte, la sélection et l’organisation du contenu informationnel peuvent bien vite vous dépasser. Comment vous y retrouver ? En archéologie, un artefact désigne tout objet altéré par l’homme – surtout si ce dernier recèle une valeur historique ou archéologique.
Quant aux artefacts du travail de la connaissance, ils font référence à tout objet tangible et amovible renfermant une certaine information. Il peut s’agir d’un bout de papier, d’un post-it, ou encore d’une fiche quelconque. Ces artefacts permettent de garder une trace des informations collectées en les intégrant dans un environnement de travail. Toute pièce (cartes, jetons, dés, etc.) constitue un artefact.
Lorsque vous déplacez la salière et la poivrière sur la table dans le but de raconter une histoire, vous transformez ces deux objets en artefacts informationnels en les associant à votre récit. Le rôle primordial de ces artefacts en tant qu’aide à la réflexion peut facilement être illustré : imaginez vous en train de jouer aux échecs les yeux bandés.
S’il est possible de se souvenir de l’emplacement de toutes le pièces pendant quelques temps (certains experts y parviennent même jusqu’à la fin de la partie), le jeu est bien plus facile lorsque l’échiquier est placé devant soi.
La forme et la couleur des pièces, de même que leur position sur le plateau par rapport aux pièces de l’adversaire, renferment un contenu informationnel extrêmement riche pouvant vous aider à prendre de meilleures décisions au cours du jeu.
Les artefacts sont porteurs de sens au même titre que les pièces d’un échiquier. Ils rendent l’information explicite, tangible et continue.
*Jeu d’échec – photo par Photo de HARUN BENLİ : https://www.pexels.com/fr-fr/photo/jeu-d-echecs-3701276/
Lorsque vous notez une idée sur une note repositionnable, vous créez un artefact informationnel. Quand elles seront multipliées, elles s’avéreront plus ou moins utiles selon la manière dont vous les agencerez dans votre environnement. Plus le contenu informationnel que vous pouvez stocker dans votre environnement ou sous forme d’objets concrets est riche, plus les esprits des membres de votre équipe sont allégés. Ils peuvent ainsi se consacrer librement à l’étude de la situation en question[^32]. »
Des objets repositionnables pour une organisation dynamique de l’information
Une propriété clés de ces artefacts informationnels s’avère la possibilité de tri par affinité, c’est-a-dire organiser, combiner, inclure ou exclure certains des artefacts pour structurer et faciliter la réflexion collective en allégeant la charge informationnelle des individus et du groupe.
Mur de post-it – photo de Hugo Rocha sur Unsplash
L’animateur qui note les idées du groupe sur une simple feuille de paperboard se prive et prive le groupe de la possibilité réorganiser l’information de manière collective et dynamique (sans parler du bruit et du flou ajouté par les ratures et reformulations).
En nous délestant d’une partie de la charge informationnelle, les notes repositionnables (et les cartes) facilitent la création collective de sens.
Utiliser ces artefacts consomme un peu plus de papier, mais le bénéfice amené en terme de qualité d’intelligence collective est incomparable avec ce qui pourrait être obtenu sans eux.
C’est pour cela que de nombreux animateurs de réunion en usent (et parfois en abusent).
Attention cependant, ce n’est pas un outil miracle et son utilisation si elle est dépourvue de sens ne répondra pas au vrai besoin. Pire, elle peut aboutir à une véritable « post-it-o-phobie« chez les participant·e·s [^33].
Donner du sens aux relations avec un univers de référence
Gamestorming discute aussi une autre notion clé et complémentaire, celle d’univers de référence.
« Imaginez vous en train d’essayer de jouer aux échecs sans échiquier.
Un jeu tel que les échecs ne repose pas uniquement sur le rôle des différentes pièces, mais également sur la relation constamment changeante qu’elles entretiennent dans un espace donné. La grille de l’échiquier crée une univers de référence aussi clair et net que le quadrillage d’une carte. Cette grille, comme les pièces de l’échiquier font partie intégrante du jeu et lui est nécessaire.
Une partie d’échec, à l’image de tout autre jeu, crée un monde que les joueurs peuvent explorer ensemble. L’échiquier (l’univers de référence) délimite ce monde et les pièces (artefacts informationnels) le peuplent.
(…)
Un explorateur du savoir peut créer un univers de référence en tout lieu et en toute circonstance : sur un tableau blanc, un paperboard, la surface d’une table ou une pièce entière. Il s’agit de cadrer un espace pour donner tout leur sens aux relations qui s’y opèrent.
Le recours à une grille, comme dans les parties d’échecs, est l’une des méthodes d’organisation de l’espace les plus courantes et utiles. Elle est employée à tous niveaux, de la planification urbaine à la constitution d’une feuille de calcul.
(…)
Tenir une réunion sans artefacts informationnels ni univers de référence reviendrait à vous réunir les yeux bandés et les mains liées derrière le dos. Bien sur, rien ne vous empêche de la faire, mais… à quoi bon ? »
Il existe plusieurs familles de canevas graphiques et autres supports visuels servant à organiser l’information et jouant le rôle d’univers de référence.
On peut ainsi citer :
- Mindmaps/Cartes mentales , canevas (Business model canevas, Lean canvas, Mon modèle éco…),
- Matrices (impact/effort, plus/delta…),
- Diagrammes (Gantt, radar…),
- Métaphores visuelles (Tous dans le même bateau, montgolfière, chemin)…
Matrice de la méthode de l’analyse SWOT. Les 4 quadrants permettent d’organiser l’information visuellement en 4 grandes catégories. Xhienne, CC BY-SA 2.5, via Wikimedia Commons
Dérivé du business model canvas, Le canevas Mon modèle éco développé par la Scop Ozon comporte des cases concernant les aspects économique mais aussi des cases en plus pour interroger les aspects sociaux et environnementaux. Il s’enrichit aussi de l’usage de cartes liées à chaque cadrant pour proposer des pistes de réflexion.
Atelier Tous dans le même bateau. La métaphore visuelle sert à repérer les opportunités (représentés par des vents favorables) les freins (représentés par des ancres) et à les organiser d’une manière facile à visualiser et plus ludique à communiquer. Extrait de Ten Simple Rules for Running Interactive Workshops, Katrina Pavelin et Sangya Pundir
Les supports visuels deviennent des points de convergence stimulant les échanges et facilitant l’organisation collective de l’information. Visibles par tous à tout moment, ils permettent à chaque membre du groupe d’avoir accès à une information actualisée et de discuter du fond sans se perdre dans des détails. Chacun peut ainsi s’exprimer et interagir plus simplement autour de ces supports communs.
Ces outils s’avèrent donc essentiels pour favoriser l’alignement et la compréhension commune, que ce soit sur les objectifs à atteindre autant que sur les moyens d’y parvenir.
Ces univers de référence jouent le rôle de cartes de navigation qui donnent du sens aux relations et nous aident à naviguer dans des environnements complexes.
En permettant de juxtaposer les multiples points de vue sans les opposer [^34], mais en permettant de visualiser des complémentarités, ils favorisent des discussions plus riches.
Nous allons maintenant voir comment les cartes à manipuler disposent de supers pouvoirs pour augmenter notre intelligence individuelle et collective. [à suivre]
Ceci est un extrait de notre ouvrage consacré aux cartes « Les cartes sont le nouveau livre ». Nous publierons d’autres extraits au cours des prochains mois, abonnez vous pour être informé ou bien achetez le livre format epub sur la boutique pour le découvrir immédiatement.
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