Nous étions trois à représenter la Chaire à la conférence OER25 – Speaking Truth to Power : Open Education and AI in the Age of Populism, organisée les 23 et 24 juin 2025 à Londres. Nos deux propositions d’intervention avaient été retenues, ce qui nous a permis de présenter nos travaux mais aussi de tisser de nouveaux liens avec la communauté internationale de l’éducation ouverte. L’événement a réuni chercheur·es, praticien·nes et militant·es autour de questions vives : comment l’intelligence artificielle transforme-t-elle les pratiques éducatives ouvertes ? Quels défis éthiques, juridiques et politiques cela soulève-t-il, notamment dans un contexte marqué par la montée des discours populistes ?
Chacune de nous revient ici sur ce que cette édition nous a apporté, sur ce que nous en retenons — et sur les questions que nous continuons à nous poser.
Mélanie :
L’OER 2025 a rassemblé beaucoup d’exposés et d’opinions à la fois différentes et divergentes sur l’Education Ouverte et l’IA.
Pour commencer, les communs ont été décrits comme une infrastructure composée de ressources, de licences, de pratiques mais l’éducation ouverte soulève aussi des critiques notamment en ce qui concerne le travail caché de ce « cadeau » de l’économie. En effet, la création de REL est un processus qui nécessite du temps et un investissement considérable pour des personnes enseignantes par exemple.
Les communs sont pourtant essentiels car ils offrent un espace de contestation, de résistance face aux dynamiques de pouvoir, aux inégalités et aux risques de capture commerciale de la connaissance par des géants privés. L’esprit des communs a encore de belles années devant lui.
L’IA, maintenant. Car c’est un sujet qui a été beaucoup discuté, oscillant entre approbation, prudence et rejet. Plusieurs raisons : celui autour de la propriété intellectuelle, remise en cause par l’utilisation de l’IA pour créer de nouveaux contenus à partir de REL. Un dilemme éthique également se pose car un travail caché et parfois injuste prend forme autour de l’IA : l’exploitation de personnes étudiantes et travailleuses précaires afin d’entrainer des modèles.
Plusieurs mouvements militants sont cités tels qu’une initiative française : HIATUS, « l’IA contre les droits humains, sociaux et environnementaux ».
Sans grande surprise, à travers plusieurs exposés, l’usage de l’IA est préconisé de façon facultative, comme un outil, avec discernement et honnêteté intellectuelle (c’est-à-dire préciser lorsqu’un contenu a été amélioré – relu et corrigé par exemple – avec de l’IA, rédigé à 100% par une IA générative ou 100% créé par un humain).
Les discussions ont également porté sur la désinformation et le rôle des éducateurs face à la confusion entre le vrai et le faux que génère l’IA. Des recommandations émergent :
- intégrer une réflexion critique sur la vérité, le pouvoir et les biais dans les cours,
- prioriser l’usage des REL,
- encourager les étudiants à devenir créateurs de REL et à développer leur esprit critique.
Enfin, j’ai été très sensible aux témoignages de collègues, venant d’Ukraine, des États-Unis et travaillant pour certain.es avec la Palestine : ils nous rappellent à quel point l’éducation ouverte, ses valeurs autour de la résilience et de la solidarité sont des moyens précieux pour résister aux pouvoirs en place et soutenir les populations dans des zones de conflits armés.
Solenn :
Cette année, j’ai eu la chance de participer à la conférence OER2025 qui s’est tenue à Londres sur le thème : Speaking Truth to Power, Open Education and AI in the age of populism.
Dès l’ouverture, la keynote d’Helen Beetham (Université de Manchester) a donné le ton avec une intervention intitulée “When Speaking Truth Is Not Enough”. Elle y appelle à une posture critique face à l’IA qui confisque le savoir, en proposant trois nouveaux “R” : Repurpose, Rebuild, Resist, en écho aux 5 R de David Wiley.
L’IA a en effet été au cœur de tous les débats, révélant ses nombreuses ambiguïtés pour le monde de l’éducation ouverte. Si l’IA facilite la création de contenus et la recherche de REL, elle diminue la transparence, le partage des pratiques pédagogiques, et crée des inquiétudes sur la centralisation des outils et des savoirs entre les mains d’acteurs privés.
Mais au-delà de tous les exposés instructifs et inspirants auxquels j’ai pu assister, ce que je retiens avant tout sont les échanges passionnants avec les personnes présentes qui nous ont relayé des situations que nous connaissons souvent déjà mais qui tout à coup prennent vie devant nos yeux.
Comme cette personne du Texas qui nous raconte avoir dû adapter les termes de son exposé afin d’être autorisée à venir le présenter. Ou encore ces deux autres personnes d’une prestigieuse université américaine qui nous disent avoir rayé certains mots de leur vocabulaire et de leurs écrits, comme le mot Équité, par exemple. Un terme qui vu d’ici parait tout à fait anodin.
C’est également l’exemple de la résistance de bibliothécaires ukrainiennes qui malgré les bombes continuent d’œuvrer pour l’éducation ouverte et le partage de la culture dans leur pays. Une initiative mise en avant dans l’exposé de Heather Blicher, Paola Corti, Mira Buist-Zhukde : « Stories of Resistance : Uniting Open Practitioners in Times of Crisis ».
Ou encore l’exposé de Howard Scott : « Sumud as Connected Learning : Towards a Collective Digital Commons in Palestine » dans lequel il nous explique le concept de Summud qui symbolise à la fois la persévérance inébranlable face aux perturbations et la connexion entre les personnes déplacées. L’auteur l’utilise aussi comme un symbole de l’apprentissage connecté et œuvre pour la mise en place de communs numériques pour le peuple palestinien.
Toutes ces expériences de résistance et de persévérance sont autant de motivations pour continuer à œuvrer en faveur du libre accès au savoir et révèlent aussi l’urgence d’agir pour défendre l’éducation comme un bien commun ouvert à toutes et tous.
Lucie :
J’ai eu la chance d’assister à l’édition précédente de l’OER à Cork, l’occasion de revoir ici à Londres des visages connus, de faire de nouvelles rencontres… et de découvrir un format de présentation particulièrement intéressant que je souhaite partager avec vous.
En 2024 à Cork, la présentation « keynote » Open Education at a Crossroads de Catherine Cronin et Laura Czerniewicz m’avait particulièrement marquée (voir l’article ici).
Cette année à Londres, j’ai été très heureuse de retrouver une présentation en écho direct à cette réflexion, portée par Connie Blomgren, Paola Corti et Jonathan Poritz.
La présentation s’est appuyée sur les 5 axes du Manifesto for Higher Education for Good :
- Name & analyse the troubles of higher education,
- Challenge & resist hegemonies,
- Make claims for just, humane & globally sustainable higher education,
- Courageously imagine & share fresh possibilities,
- Make positive changes here and now

Pour chacun de ces cinq volets, un podcast en direct se tenait sur scène : deux intervenant·es échangeaient sur le thème, pendant qu’un·e troisième jouait le rôle de facilitateur·rice. Les rôles tournaient d’un « épisode » à l’autre.
J’ai été sensible à la manière dont chacun·e assumait un positionnement fort, questionnait quelques hégémonies éducatives actuelles (réduction de l’éducation à l’employabilité, marginalisation des arts, déconnexion entre valeurs et pratiques…) et appelait à des pratiques plus humaines et ouvertes.
Ce format prenant la forme d’un dialogue transdisciplinaire, et riche en « désaccords constructifs » m’a paru être une forme vivante d’éducation ouverte en acte.
Cette intervention qui propose une continuité et une complémentarité avec celle de 2024, me semble incarner pleinement ce que sont les ressources éducatives libres : non seulement ouvertes et partageables, mais réutilisées, revisitées, remixées, redistribuées — et surtout réimaginées dans leurs formes.
Une très belle démonstration des 5R en action. Bravo et merci aux intervenant·es pour cette proposition créative et exigeante autant dans la forme que dans ses contenus.
Discussion sur les « 23 Bonnes Raisons pour l’Éducation Ouverte
Lundi après-midi, nous avons eu le plaisir de présenter notre initiative « 23 Good Reasons for Open Education », lors d’une session exposé/discussion de 30 minutes. Pour rappel, en mars dernier, nous avions ouvert nos 3 blogs (Chaire RELIA, Réseau UNOE et Euniwell) et lancé un appel vers les personnes de notre communauté française et internationale, spécialistes de l’Education ouverte afin qu’elles partagent, à travers un article, leur vision sur une des 23 bonnes raisons identifiées pour s’engager en éducation ouverte.

Lors de notre intervention, nous avons partagé les grandes étapes du projet, les défis rencontrés, ainsi que l’enthousiasme qu’il a suscité au sein de la communauté. Nous avions également la chance d’avoir avec nous Javiera Atenas, de l’Université de Suffolk, une des contributrices aux articles, qui nous a partagé son ressenti et le plaisir qu’elle a eu à participer à ce travail collaboratif.
Nous avons pu ensuite échanger avec les personnes présentes, répondre à leurs questions et recueillir leurs retours pertinents et encourageants sur notre initiative.
Atelier Diamond Card Game : explorer ensemble les raisons d’adopter l’éducation ouverte
Lors de cet atelier, nous avons invité les participant·es à construire en sous groupe un plaidoyer pour convaincre l’un de ces acteur de l’éducation — enseignant·es, étudiant·es, bibliothécaires, responsables ou décideurs — d’adopter l’éducation ouverte.

Chaque groupe a reçu un set de 9 cartes sélectionnées parmi les 23 raisons, et devait les discuter, hiérarchiser et justifier leurs choix, en intégrant une dimension nouvelle : l’impact de l’intelligence artificielle (IA), notamment générative, sur chacune de ces raisons. Cette dimension a nourri des échanges riches et nuancés, soulevant à la fois les opportunités (comme la traduction facilitée des ressources ou l’amélioration de leur accessibilité grâce à l’IA) et les défis (incertitudes sur les droits d’auteur, qualité des contenus, surcharge informationnelle).
Ce dispositif a favorisé des échanges riches, où les personnes participantes ont construit collectivement des arguments solides pour défendre l’éducation ouverte dans leur propre contexte. Testé dans plusieurs pays, cet atelier montre que l’éducation ouverte gagne à être pensée collectivement, surtout dans un monde où l’IA vient transformer notre façon d’apprendre et d’enseigner.

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