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Tenir parole. Responsabilités des métiers de la transmission

12 janvier 2021 Veille 195 visites 0 commentaire

Un article repris de http://www.cahiers-pedagogiques.com...

Cet opus clôt une trilogie qui fera date : S’engager pour accompagner. Valeurs des métiers de la formation (2018), Préserver un lien. Éthique des métiers de la relation (2019) et Tenir parole. Responsabilités des métiers de la transmission. Les chapitres, tous adressés à des professionnels de la transmission, écrits à des époques différentes, ont été réécrits pour faire livre.

Conditions d’une parole

Les titres de chapitres comportent un infinitif pour souligner qu’il s’agit à chaque fois d’un processus, d’une dynamique. « Demeurer fiables », permet de repérer tout ce qui menace la « solidité » d’une parole : mensonge, promesse non tenue ou protection qui se traduit souvent par une omission car ce que nous disons de ce que nous faisons peut chercher à dissimuler « nos fuites et nos protections » (p. 27). Le risque est grand de réduire la parole à une procédure, de la figer dans un langage algorithmique. « Protéger une intériorité » incite à respecter la parole privée des élèves. « Pratiquer au quotidien » souligne le danger d’une scolarisation de l’intime. L’école a intégré des savoirs qui touchent à l’intime de l’être humain. Il y faudrait pourtant « une autre posture face aux savoirs » (p. 59), quand ceux-ci touchent à la construction psychique. D’où l’impérieuse nécessité d’un lieu protecteur où chacun puisse « avancer ses mots, puisque personne ne les utilisera contre lui » (p. 66).

« Accueillir silences et rumeurs » concerne l’établissement scolaire ; il « a une dimension affective qui, si nous la nions, resurgira en crise, passage à l’acte, dépression, somatisation » (p. 75-76). Une première façon de mal faire réside dans le silence, le « circulez, il n’y a rien à voir », ni à dire ! La pression monte jusqu’à l’explosion verbale ou à la propagation de la rumeur. Enfin, le jugement des professionnels est décliné en trois catégories : le juridique s’appuie sur des lois, ce n’est pas « avoir du jugement » ou de la jugeote. Dans nos métiers, sommés d’avoir à juger une personne et, à moment donné, certifier, attester, nous sommes parfois amenés à refuser cette responsabilité du jugement (« un mécanisme très puissant, inhibiteur de nos actes », p. 101) ou à prononcer des paroles définitives malgré tous nos efforts pour permettre à l’autre que nous accompagnons de se construire. Les groupes de parole permettent de se confronter à ce dilemme.

Conditions d’un dialogue

La deuxième partie consacrée aux conditions qui peuvent faire advenir le dialogue commence mal : comment avons-nous fait pour signifier aux personnes à qui nous entendons transmettre que c’est à elles de faire l’effort qu’elles ne parviennent pas à assumer ? « Rêver d’inclure » demande de collaborer, donc de construire une éthique de la parole. C’est affaire de « construction collective » (p. 120). Or, les politiques générales d’inclusion se diluent dans l’action quotidienne où il s’agit d’être « au plus proche de nos pratiques, pour ne pas leurrer ceux qui sont concernés » (p. 122). La collaboration entre professionnels leur impose de trouver les occasions pour « penser ensemble et inventer des dispositifs ayant des effets bénéfiques » (p. 139), donc de se parler.

« Obliger "l’efficace" » à tout prix est le meilleur moyen de ne pas l’obtenir car ces métiers de la transmission sont soumis à l’obligation de moyens. Comment faire concrètement ? « Si nous confondons une action pédagogique avec son dispositif, nous gommons toutes ces minirégulations où nous revenons sur ce qui a été fait, tentons de comprendre pourquoi ça résiste et devenons intelligents en accueillant cette résistance » (p. 153). S’ajuster au cheminement de chaque enfant tient compte de la peur d’apprendre aux causes complexes et de notre peur de ne pas savoir lui enseigner dans sa singularité. « Dialoguer au quotidien » entre un thérapeute et un enseignant n’est pas toujours facile. Et pourtant ! « À deux, il y a des choses que nous n’aurions pu élaborer tout seuls » (p. 177). Qu’il s’agisse d’un élève ou d’un enseignant en difficulté, le doute sur sa légitimité de celui qui doit agir constitue la meilleure chance d’obtenir un regard entre humains qui se font confiance.

Conditions d’une transmission

Dans cette troisième partie, il est d’abord question de violence, sans reprise des discours convenus qui en font le mal absolu. Et son opposé, la tendresse suppose, surtout dans ses manifestations gestuelles, des limites quant au toucher du corps de l’autre, enfant, adolescent ou même adulte. Que disons-nous à celles et ceux qui ont choisi ces métiers « parce qu’ils aiment les enfants »  ? « Répétons-le, le mal n’est pas la violence, le bien, la tendresse » (p. 205). Mireille Cifali s’efforce de faire comprendre que « la violence se fabrique, et nous y participons avec certaines logiques institutionnelles et personnelles » (p. 211-212). Autrement dit, il n’y a pas d’êtres violents, seulement des moments, des comportements passagers qui s’originent dans la surabondance actuelle de droits destructrice des accords momentanés du social. Une « clinique de la violence » (p. 227) pourrait réduire les faits de violence sans toutefois les faire disparaître.

« Saisir comment accompagner chacun dans sa confrontation à la loi et à la liberté » (p. 234) dévide le fil d’Ariane de la trilogie. Le travail du formateur, ceux du thérapeute et de l’enseignant convergent dans le comment faire autorité, autoriser sans humilier, préserver et/ou restaurer l’image de soi et de l’autre. La finalité visée par Mireille Cifali est rappelée : « Construire et transmettre un savoir autorisant une pensée de l’action » (p. 277). Cette pratique met au cœur des métiers concernés le faire (poïein en grec), la poésie. L’illustre parfaitement le jeu détecté entre métaphore et concept qui se complètent et finissent par alimenter une subjectivité « qui préserve le travail de création et de recréation de soi et du monde. Exigence d’une transmission ». (p. 296).

Ce livre constitue une belle ressource contre ceux qui ambitionnent de gérer d’en haut une société de plus en plus proche de l’épuisement. L’accélération imposée par l’informatique et l’internet mal employés cède la place au temps long de la transmission et de l’éducation. Il y est question, sans volonté d’hégémonie psychologique ou psychanalytique, du travail de parole de professionnels pour lesquels toute tentative de simplification est vouée à l’échec.

Richard Etienne

Licence : CC by-nc-nd

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