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Assumer nos interdépendances
Des « communs universels » aux « communs de la relation »
Puisqu’ils entendent souvent s'articuler autour de fonctionnements collectifs inclusifs tout en apportant des réponses à des problématiques qui se posent à nous, nos groupes agissants doivent parvenir à accorder tant les ambitions d’universalité que la légitime diversité des solutions et modes d'action qui co-existent.
Imaginer des futurs souhaitables accessibles à tous, mais dont les parties prenantes aspirent à des présents potentiellement incompatibles, constitue un défi majeur. C’est tant dans la relation des contributeurs entre eux que dans la relation des communautés à leur environnement qu'il aut chercher les lendemains qui chantent.
- "Je pense que plutôt que de l’universel, […] je parlerais de la relation […] parce que […] c’est la quantité finie de toutes les particularités du monde, sans en oublier une seule. Et, je pense que la relation c’est l’autre forme d’universel, aujourd’hui. C’est notre manière à nous tous, d’où que nous venions, d’aller vers l’autre et d’essayer […] de se changer en échangeant avec l’autre, sans se perdre, ni se dénaturer (Glissant et Adler 2004)."
Dans le cas de nos projets collectifs, la notion de « relation » est un indicateur intéressant ; alors que la qualité de relation entre les contributeurs nous informe sur la gouvernance, la qualité de relation aux écosystèmes est gage d’ancrage au monde et aux territoires.
Ce que tous les groupes humains ont de similaire, au sein de communs ou non, c’est qu’il leur est vital de produire une gouvernance qui leur permette de s’accomplir. Pour ce faire, ils s’appuient sur des outils tantôt créés par leur soin, tantôt repris, mais dont l’assemblage est chaque fois inédit. Pour nous organiser, nous nous appuyons consciemment sur ceux qui ont construit avant nous, ou avec qui nous coexistons – les fameux géants qui nous offrent leurs épaules – mais aussi, inconsciemment, sur des éléments (notamment culturels) véhiculés par les individus et les communautés avec lesquels nous sommes en relation.
Ce que produit la mise en relation consciente et inconsciente de deux cultures « valorisées égales ou inégales », c’est ce qu’Édouard Glissant appelle la « créolisation ». La créolisation se distingue du métissage par l’impossibilité de distinguer les éléments constitutifs du tout ; en relation, les traces des cultures se transforment pour proposer une culture nouvelle, libre de toute appartenance atavique. Avec moins de poésie, mais tout autant de justesse, les naturalistes parleraient ici de « lisières », lesquelles constituent un espace de relation entre deux écosystèmes, et dont la caractéristique principale est d’abriter une diversité plus riche que la somme des écosystèmes en présence.
- "il est reconnu par les écologistes que l’interface entre deux écosystèmes constitue un troisième système plus complexe, qui combine les deux. Sur cette interface, des espèces des deux systèmes peuvent coexister, et le milieu de lisière possède aussi ses formes de vie propre, spécifiques, dans de nombreux cas (Mollison 2013)."
Créolisation et lisières portent un enseignement similaire : la relation rend fertile là où l’entre-soi stérilise. En effet, lorsqu’il s’agit de culture(s), la présence de sa propre identité ne permet que la reproduction, chacun puisant dans l’autre pour se réinventer et évoluer. C’est se remémorer une règle fondamentale du vivant que d’assumer nos interdépendances, et ces interdépendances ont besoin de zones de rencontre qui permettent une mise en relation bienveillante redonnant la place à l’imprévisible.
À mon sens, c’est cet espace de possibles que doivent sanctuariser nos collectifs, puisqu’ils visent ce qui est nécessaire, mais encore inexistant, et qui s’invente dans la relation qu'ils entretiennent à eux-même et au rest du monde. Nous ne faisons pas un cadeau au monde en partageant nos récits ou nos outils ; nous laissons simplement nos traces dans un espace où nous puisons également pour nourrir notre propre développement.
La lisière est cet espace de lâcher-prise qui permet la prise de contact sincère ; ni forêt ni champs, la lisière est un espace de non-droit (ou de tous les droits) qui produit des solutions inédites. L’intention y laisse place à l’attention, le sol s’emplit des traces de ceux avec qui nous sommes en relation, et chacun est libre d’y laisser sa propre empreinte. Nous pouvons y rencontrer des individus avec lesquels construire des cadres collectifs nouveaux, ou y suivre les traces de ceux avec qui nous n’avons pas pu (ou souhaité) interagir. Ce sont dans ces lisières que se développent des espèces nouvelles qui constituent les marges instituantes qui fertilisent nos groupes humains.
À avoir cru que nous pouvions nous passer de la nature en développant des solutions indépendantes de notre environnement, nous aboutissons à une société qui s’effondre. Si nous nous perdions à isoler nos collectifs pour protéger les réponses que nous construisons de réappropriations par d'autres, nous nous dirigerions vers la même forme de stérilisation. La grande majorité des outils que nous produisons sont duplicables en abondance ; il est pertinent de veiller à ce qu’ils continuent à se mêler au reste du monde pour produire des kyrielles d’outils hybrides dont on ne saura déceler les composants originels.
Traces et marges instituantes : de la frontière à la lisière
En rédaction
Romain Lalande - reprise et adaptation d'élément depuis :
http://sens-public.org/articles/1424/
- Un projet / réseau collaboratif qui fonctionne
- Autre
- Non
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