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Note de synthèse sur la performance

20 décembre 2025 par Manuel Robustesse 28 visites 0 commentaire

Un article repris de https://www.ripostecreativepedagogi...

Un article de Manuel Ibanez

Note de synthèse sur la notion de performance

1 - la performance de quoi parle-t-on ? origine et ambiguité du terme

C’est un terme anglais introduit en France au 19e siècle et utilisé essentiellement dans le monde très restreint des courses de chevaux. Il dérive du verbe anglosaxon « to perform », qui signifie « accomplir ». Ce terme a traversé la Manche plusieurs fois, puisque ses racines remontent au mot « parfourme » en ancien français lui- même dérivé du de « perficere » en latin.

Performance est utilisé en Angleterre au 16e siècle dans l’univers du théâtre pour parler d’un spectacle, d’une représentation. Le terme va ensuite être utilisé pour parler des résultats des chevaux de course jusque au début du 20e siècle. Puis il se diffuse ensuite chez les athlètes et dans le monde sportif (Le Lay G., 2017). Il est constaté une ambiguité initiale des sens que recouvrent le terme de performance (Aubert, 2006 – Jany-Catrice 2012) :

  • la performance en tant qu’accomplissement, mot qui, en français est associé à une idée de
    plénitude,
  • la performance en tant que dépassement, qui sous-entend des questions de mesures, de
    comparaison, de dépassement de limites (que ce soit avec soi-même ou en compétition avec
    d’autres), elle peut faire alors référence à la notion d’exploit, d’exceptionnel, de record.
    Ces deux notions s’entremêlent avec le temps. La sociologue Nicole Aubert, creuse la différence
    entre accomplissement et dépassement notamment dans son article intitulé "Hyperformance et
    combustion de soi" (Aubert, 2006).

Evolution de l’usage du mot

La notion de performance entendue comme élément mesurable, comparable, va être de plus en plus utilisée dans la deuxième moitié 20e siècle (Jany-Catrice, 2012) et surtout à partir des années 80 allant de la sphère sportive puis technique, au management et à la gestion des entreprises, puis dans la sphère publique avec le “new management public” jusqu’à recouvrir aujourd’hui de grands pans de la sphère individuelles et quotidiennes (recherche de performance dans son organisation personnelle, dans ses loisirs, dans l’éducation des enfants, dans son footing…). La notion de performance est intimement liée à celle d’optimisation.

L’économiste Florence Jany-Catrice observe dans sa discipline un glissement progressif d’analyses portant sur la productivité à celles, plus larges, portant sur les performances avec un vrai décrochement à partir des années 80. Elle l’explique par le besoin d’un nouveau mot pour remplacer et élargir le terme de productivité notamment pour rendre compte de l’e cacité de la production de services. Elleffi s’appuie notamment sur l’observation de l’évolution d’occurrence des termes productivité et performance dans la base de références bibliographiques EconLit mise en place par l’American Economic Association (Jany-Catrice, 2012).

La performance dans différentes disciplines

Marie-Caroline Morand du Centre de Ressources en Economie et Gestion de l’Académie de
Versailles propose dans une note un tour d’horizon de la notion de performance dans différents
domaines (Morand, 2008).

  • La performance dans le sport  : Elle fait référence à la notion de "potentiel" : de résultat idéal, d’optimum que l’on peut
    atteindre compte tenu de son physique, sa technique...
  • La performance en gestion d’entreprise et management  : Le terme est devenu très courant de nos jours mais faire référence à plusieurs notions
    • l’efficacité = atteindre son objectif (efficacité par rapport au résultat) : c’est la relation entre l’objectif donné et les résultats atteints. Le terme de performance recouvre plusieurs types d’efficacité : l’efficacité dans la production (la productivité), l’efficacité « marchande » (compétitivité), l’efficacité financière (rentabilité).
    • l’efficience = maximum de résultat avec le minimum d’efforts dépensés c’est la relation entre le résultat et les ressources mises en œuvre pour l’obtenir. C’est une une conception centrée sur les moyens.

On peut lire dans les textes classiques de management comme les ouvrages de Robert Albanese en Amérique du nord (Albanese, 1978) que la performance est la somme de l’efficacité et de l’efficience.

  • La performance dans le contexte du Développement durable avec l’essor de la notion de développement durable suite au rapport Bruntland (1987) qui constituera la base conceptuelle du sommet de la Terre de Rio en 1992, le terme de performance se doit de prendre en compte les nouveaux paramètres pour atteindre les objectifs de soutenabilité.Il est alors proposé la notion de performance globale qui associe la performance économique, la performance sociale, la performance sociétale, la performance environnementale. Néanmoins tout comme dans le contexte de la gestion d’entreprise et du management, le terme de performance recouvre ici aussi les notions d’efficacité et d’efficience mais dans une vision élargie en terme d’impact.
  • La performance ans le domaine de l’ingénierie et de la technique La performance est définie ici comme la capacité d’un système technique à accomplir une fonction donnée en respectant ou en optimisant un ensemble de critères mesurables tels que l’efficacité, l’efficience, la fiabilité, la rapidité, la précision, la résilience ou la consommation de ressources. Autrement dit, un système est “performant” lorsqu’il fait ce qu’il doit faire, dans les conditions prévues, avec une bonne utilisation de l’énergie, du temps et des ressources, et avec un niveau de qualité déterminé.

La performance est presque toujours associée au terme d’optimisation qui correspond au processus
permettant d’aller vers plus d’efficacité et d’efficience. Il implique des actions de choix, de prise de
décision, d’élimination des redondances, des erreurs, des lenteurs…

2 - Critiques et questionnements autour de la performance

En parallèle de l’expansion du terme de performance dans de multiples domaines, vont peu à peu émerger quelques critiques autour de cette notion.

  • Le rapport idéologique à la notion de performance : la culte de la performance
    • Un des premiers à parler du culte de la performance est un sociologue, Alain Ehrenberg dans son livre paru en 1991. C’est un ouvrage sociologique fondamental pour comprendre comment la “performance” devient une norme sociale : l’exigence d’être performant dans tous les domaines (travail, sport, vie personnelle) est analysée comme un phénomène culturel. Sa thèse est qu’on passe d’une société disciplinée (Foucault, etc.) à une “société de la performance” où l’individu est sans cesse poussé à se dépasser.
    • Benoît Heilbrunn dans l’ouvrage qu’il va diriger en 2004 (la performance, une nouvelle idéologie ? Critique et enjeux) va poursuivre cette critique. Il écrit par exemple dans son introduction : "Issue du monde industriel et de l’univers sportif, la performance a progressivement envahi le monde de
      l’entreprise et irrigue désormais l’ensemble de la vie sociale. Le culte de la performance semble ainsi accepté comme une évidence, qui invite sans cesse l’individu à " performer " pour devenir soi-même. »
  • Le rapport au temps et à l’accélération
    • Benoît Heilbrunn va également développer cet aspect : « le dévoiement le plus important de la performance (de la sur-performance) est qu’elle instaure un rapport au temps tronqué, biaisée. La performance doit alors être immédiate, presque naturelle, spontanée. Il faut être en mesure non seulement d’atteindre les objectifs fixés, mais aussi de les réaliser dans un temps de plus
      en plus court." . Cette réflexion fait écho au livre d’Hartmut Rosa (Accélération) de 2013 où il écrit notamment : « L’expérience fondamentale, constitutive de la modernité, est celle d’une gigantesque accélération du monde et de la vie et, par conséquent, du flux de l’expérience individuelle. »
  • Le rapport à l’indicateur et à la donnée
  • Charles Goodhard, économiste, a décrit en 1975 un processus particulier d’effet indésirable lié à la mesure et l’objectif : « quand une mesure devient un objectif, elle cesse d’être une bonne mesure, car elle devient sujette à des manipulations, directes ou indirectes."
  • Robert Salais, économiste également, va développé en 2014 cet aspect dans son article « La donnée n’est pas un donné - Pour une analyse critique de l’évaluation chiffrée de la performance » dans un contexte de réflexion sur la place de la mesure de performance dans la gestion de fonds publics et de décision publique. Il écrit par exemple « la rhétorique de la performance a occulté les enjeux politiques, éthiques et normatifs des réformes de la gestion publique (LOLF, RGPP) relativement au rôle de l’État et à son action. ». « Une dérive essentielle réside dans le fait que, du haut en bas, les acteurs sont incités, non plus à améliorer les résultats des politiques menées vis-à-vis de leurs objectifs fondamentaux, mais à accroître directement, par tous les moyens, leur score sur les indicateurs selon lesquels ils sont évalués. »
  • Le rapport aux conditions de travail
    • Guillaume Lecoeur dans ouvrage « Le travail comme performance : critique d’une conception dominante du travail » (2024) propose une lecture sociologique critique du travail envisagé comme performance. Il explore les représentations morales, politiques et économiques du travail-performance.
  • Le rapport entre performance et libéralisme économique
    • Nicole Aubert va développer ce volet dans l’article "Hyperformance et combustion de soi" sorti en 2006. « [Performance et dépassement de soi] Elles constituent, sinon deux valeurs centrales, du moins deux impératifs qui semblent sous-tendre le fonctionnement de notre société : une société
      « hypermoderne », où tout est hyper, ce préfixe désignant le trop, l’excès, l’au-delà d’une norme ou d’un cadre et impliquant une connotation de dépassement constant, de maximum, de situation limite. Ainsi, tout comme on parle d’hyperconsommation pour désigner un des piliers du fonctionnement de notre société, on pourrait parler d’hyper-(per)formance pour exprimer cette
      exigence de performance poussée à l’extrême qui s’impose à tous les individus et aboutit à un clivage entre ceux qui suivent le rythme qu’elle implique et ceux qui n’y parviennent pas (ou le refusent). »
    • Florence Jany-Contrice va développer cette thèse dans son travail « La performance totale : nouvel esprit du capitalisme ? » en 2012.
  • Le rapport à l’instrumentalisation de la performance globale
    • Une critique de la notion de « performance gloable » va sortir en 2019 dans le management et la RSE (responsabilité sociale des entreprises) : comment la performance est instrumentalisée comme outil managérial / politique. Il montre les critiques de l’usage de la performance comme indicateur “durable” ou “vert”

3 - ZOOM : et qu’en est-il de la performance dans le domaine des sciences du vivant

La notion de performance dans les sciences du vivant (biologie, écologie scientifique, systémie) est beaucoup moins établie que dans l’ingénierie et les techniques. Elle est beaucoup plus relative au contexte. A différentes époques, il était très courant de faire des analogies entre le vivant et la machine : la physiologie associée à l’image de la plomberie, le métabolisme à l’image de l’ingénierie de l’énergie et l’information dans le vivant associée à l’image de l’informatique. La notion de
performance a été ainsi très souvent utilisée dans ses domaines sous l’angle performance = efficacité + efficience au moins jusqu’au début des années 2000 et encore aujourd’hui dans la vulgarisation scientifique.

Des auteurs sont critiques de dérives possibles de l’utilisation de la notion de performance dans le vivant :

  • Critique de l’optimisation. Elle doit composer avec des contraintes physiques (Gould), des accidents historiques (contingence évolutive), la dérive génétique (Lynch), les compromis entre fonctions incompatibles (trade-offs). La performance n’est donc jamais absolue dans le vivant.
  • Critique de la métrique. Comment mesurer la performance d’un organisme ou d’un écosystème ? Fitness (valur sélective) ? Survie ? rendement énergétique ? Diversité ? Stabilité ? En écologie notamment, la performance peut être confondue avec une valeur morale ou finaliste (écosystème “qui fonctionne bien”).
  • Critique de l’analogie ingénierie > nature. Certains critiques (Lewontin, Haraway, Keller) refusent l’idée que la nature est une “machine optimisée”. La performance devient alors un anthropomorphisme techniciste appliqué au vivant.

Mais il va surtout y avoir des travaux qui vont approfondir "le compromis entre performance et robustesse" dans le vivant.

  • le "nid conceptuel" à de plus en plus d’auteur est l’étude du couplage performance environnement stable et robustesse/environnement instable. Tous convergent sur une idée clé : dans un milieu stable, la performance se spécialise. Dans un milieu instable, la robustesse domine, et la performance maximale devient un handicap.
  • Et sur un autre point crucial : la nature ne maximise pas la performance : elle maximise la
    persistance.
    On peut citer comme auteurs sur ces sujets
  • en écologie
    • Robert May qui travaille sur la stabilité des écosystèmes, montre que complexité + performance élevée peuvent réduire la robustesse.
    • C.S. Holling, qui oppose explicitement performance à la robustesse. Dans un environnement stable > “efficacité”, “performance”, “constance”. Dans un environnement instable > “robustesse”, “variabilité”, “plasticité”.
    • David Tilman qui travaille sur la notion de "trade-off" dans les écosystèmes et chez les espèces : le compromis de perdre en performance pour gagner en robustesse. Un "trade-off" est un compromis, une décision qui fait d’un côté augmenter quelque chose, de l’autre diminuer autre chose.
  • en biologie évolutive
    • Andreas Wagner. Un des penseurs les plus influents sur la robustesse, l’évolvabilité (=adaptabilité évolutionnaire), la performance des architectures génétiques.
    • Stephen J. Gould, qui ritique l’idée d’optimisation évolutive > la performance n’est
      jamais maximisée ; la robustesse et la contrainte structurale dominent.
  • en biologie des systèmes
    • Hiroaki Kitano. Texte fondateur sur la robustesse des systèmes biologiques (2004). Il introduit rigoureusement le concept de robustesse dans les réseaux biochimiques. Il explique le compromis robustesse/performance.
    • James M. Whitacre. Le plus explicite sur la relation entre robustesse et performance dans milieux instables.
  • en France on peut citer
    • Guillaume Lecointre du Muséum national d’Histoire naturelle qui a travaillé sur la robustesse des phylogénies (étude des liens de parenté entre les êtres vivants)
    • Fabrice Besnard (ENS Lyon) et Olivier Hamant (ENS Lyon / INRAE) qui travaillent sur le rapport robustesse vs performance dans le secteur de la biologie végétale
    • le laboratoire “Biologie de l’Adaptation et Systèmes en Évolution” (Université Paris- Saclay) qui étudie comment les organismes “s’adaptent” et comment cette adaptation implique des compromis (robustesse vs performance) selon le contexte environnemental
    • actuellement dans le monde Francophone, c’est Olivier Hamant (ENS Lyon, INRAE) au titre de directeur de l’Institut Michel Serre qui vulgarise très largement ses différents travaux et qui proposent de faire des ponts entre ces travaux sur la robustesse/performance dans l’étude du vivant et nos contextes politico-socio-économiques.

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