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Choisir une licence ouverte, une affaire de goût ou de posture ?

15 juin 2023 par invité.e Coopérer 180 visites 0 commentaire

Un article repris de https://chaireunescorelia.univ-nant...

par Marianne Dubé et Colin de la Higuera

Marianne Dubé est coordinatrice de la fabriqueREL, un très beau projet à l’échelle du Québec, dont le but est d’accompagner la création de RELs en enseignement supérieur dans toutes les matières. La fabrique REL est également productrice de “Méta-RELs”, donc des ressources pour comprendre comment créer, trouver et utiliser des RELs.

Dans nos approches respectives concernant les Ressources Éducatives Libres, il y a une question qui revient souvent : celle du choix de la meilleure licence libre. Le qualificatif “meilleur” se rapporte à la personne qui fait le choix : la meilleure licence pour cette personne en fonction de son projet, son intention, ses craintes et ses valeurs. Il existe une multitude de licences pour répondre aux différents désirs de partage. Toutefois, à nos yeux, certaines licences facilitent davantage le partage et la réutilisation. 

La question

Ou plutôt les questions, car il y en a plusieurs : à titre personnel, quand nous devons choisir une licence, laquelle choisissons-nous ? Quelle licence conseillons-nous, quand on nous le demande ? Et pourquoi ? Et s’il fallait proposer une politique à nos Universités respectives, que recommanderions-nous ?

Ces questions ont toujours existé et elles se posent à tous les éducateurs ouverts. Et il est assez fascinant de noter que chacun est persuadé de détenir la vérité ou plutôt d’effectuer le meilleur choix.

Sont-ce des questions importantes ? Pourquoi faut-il une réponse ?

L’expérience montre que devant un choix qu’on ne maîtrise pas, comme celui de choisir une licence libre ou ouverte pour partager ses documents, la réponse peut s’obtenir en la différant ou en refusant d’y répondre. C’est ainsi que, devant un choix important de réponses, sur nos plateformes, l’enseignant indécis aura tendance à ne pas faire de choix en n’apposant aucune licence, ce qui hélas consiste à en choisir une puisque toute œuvre sur laquelle n’apparaît pas de licence, ni de conditions d’utilisation, est par défaut protégée par la Loi sur le Droit d’auteur : le copyright. Cette « licence par défaut » est celle qui restreint le plus : tous les droits sont réservés. Voilà comment, à notre insu, l’on renforce la culture de la permission : demander la permission pour utiliser, demander la permission pour diffuser, demander la permission pour traduire, demander la permission pour effectuer une rédaction épicène, demander la permission pour ajouter un nouveau chapitre, etc. 

Faut-il, pour éviter cela, que l’institution impose une licence ? Sans doute pas : il y a de nombreuses façons d’être ouvert et de nombreuses façons de partager. Il est raisonnable de laisser à chacun et chacune le choix.

Ce qui ne nous empêche pas, bien entendu, d’avoir un avis…

Car c’est justement ces façons de partager (comment on veut partager) qui doivent déterminer la licence à choisir, mais de manière encore plus ancrée, qui déterminent le type d’enseignant/éducateur ouvert que nous sommes. S’il existe un spectre d’ouverture lié aux licences, il existe sûrement un spectre d’ouverture chez les éducateurs ouverts !

Parmi les différents paradigmes possibles pour examiner cette question, prenons ici celui du développement durable.

Un partage écoresponsable

On sait que les RELs sont l’objet d’une recommandation de l’UNESCO qui en font un instrument essentiel de l’Objectif de Développement Durable n° 4 : Assurer l’accès de tous à une éducation de qualité, sur un pied d’égalité, et promouvoir les possibilités d’apprentissage tout au long de la vie (lien). On voit très bien que la diffusion libre de la connaissance, et en particulier de la connaissance pédagogique, est à même d’apporter une réelle contribution à la diminution des barrières. Le troisième des 5 R (la Révision) qui sert à définir les RELs est primordial ici pour sortir d’un modèle colonisateur, pour permettre à chacun de prendre une ressource et de la modifier en fonction de ses besoins pédagogiques, sans nécessairement importer les décisions pédagogiques et/ou culturelles du concepteur. Par exemple, l’approche pédagogique de l’enseignement de certains sujets, sensibles ou non, en France ne serait pas la même au Québec, en Haïti ou au Burundi. Bien que le contenu soit rédigé dans la même langue, le français, il se peut que l’ordre des concepts abordés change, que les exemples aient besoin d’être adaptés à chaque contexte, que les images que l’on y retrouve soient plus représentatives des populations locales, etc.

En reconnaissant que d’autres ont des besoins différents, force est d’admettre qu’une ressource, pour qu’elle exerce son plein potentiel de ressource éducative, doit être adaptable. Ainsi, on doit reconnaître que la finalité d’une ressource ne sera quasi jamais atteinte : c’est l’évolution collective des connaissances ou plutôt la roue du libre qui tourne. Cela doit nous convaincre de partager avec le moins de restrictions possible. 

On a maintenant deux choix : la REL « ultime » et la « REL chaînon ».

La REL ultime

Un enseignant peut avoir travaillé intensément sur son matériel, être prêt à partager, mais vit un moment d’hésitation avant d’appuyer sur la touche qui libérera sa ressource : partager… oui, mais avec qui exactement ? Avec nos collègues ? Avec l’école privée concurrente ? Avec les enseignants d’une dictature ? Avec une petite école défavorisée ? Avec les géants de l’Internet dont les bénéfices financiers nous scandalisent ? Avec tout le monde, en somme ? Et même quand on partage, accepte-t-on qu’un enseignant puisse transformer notre cours, enlever des chapitres, en ajouter d’autres, et tout cela sans nous consulter ?

Ne peut-on pas plutôt laisser un libre accès à notre ressource, ne pas faire payer mais insister pour qu’ils demandent l’autorisation avant de s’en servir vraiment ? En somme, choisir avec qui on partage et détenir un droit de regard sur comment cette ressource sera utilisée ? 

Si on a tendance à répondre prudemment aux questions ci-dessus, il est possible de restreindre les conditions d’utilisation avec différentes mentions :

La mention SA (partage dans les mêmes conditions d’utilisation) pour que les œuvres dérivées créées à partir de la ressource soient distribuées sous la même licence (ou une licence similaire) que celle de la ressource primaire. La mention SA est très prisée par les défenseurs du libre : personne ne peut ainsi briser la chaîne du libre. Cette condition d’utilisation est celle de Wikipédia (CC BY-SA).

La mention NC (usage non-commercial) permettra d’éviter que le cours ou la ressource tombe entre les mains de quelqu’un qui cherchera à en tirer un bénéfice financier. Toutefois, la publication savante diffusée sous copyright est considérée comme une activité commerciale, et cette ressource ne pourrait pas être réutilisée en ce sens, à moins d’obtenir la permission. Il en est de même pour la reproduction papier de certaines ressources (reprographies à moindre coût) pour les étudiants. 

La mention ND interdit toute modification à l’intégralité de l’œuvre. Cela empêchera un utilisateur malveillant de transformer, ne serait-ce que légèrement, la ressource. Cette dernière est un objet ultime -au sens “fin de la chaîne”- à nos yeux et doit être considéré comme abouti : en partage sans autorisation de modification, c’est déjà un bon premier pas ! 

La mention BY (attribution) permet l’utilisation en tout ou en partie de la ressource à condition d’être cité en tant qu’auteur de l’œuvre primaire. Un tiers utilisateur pourrait aussi en faire une version dérivée (traduction, modification significative notable pour en faire une nouvelle œuvre) et celle-ci pourrait être diffusée sous une autre licence, voire même pour un usage commercial. Notons que c’est la mention sur laquelle on n’a pas à choisir (même s’il existe une licence CC0, mais qui est rarement utilisée dans le contexte qui nous intéresse ici).

La REL chaînon

Dans un contexte de développement durable, on sait que rien n’est final, qu’il convient d’imaginer les objets (depuis les gobelets jusqu’aux voitures) en intégrant dès la conception le fait qu’ils continueront à exister et à évoluer… après. En quelque sorte, en les créant pour qu’ils puissent être utilisés, transformés et peut-être même compostés ! Et dans le cas d’un cours (d’une REL) cela signifie nécessairement que le prof suivant devra adapter ou améliorer ce cours, le traduire dans une autre langue, le modifier pour l’adapter à un nouveau contexte local.

Réexaminons les différentes mentions (ND, NC, SA) dans cette perspective : 

La mention ND est la plus facile à éliminer. Pour de nombreux experts, cette mention fait davantage référence au libre accès qu’aux ressources libres. En effet, cette licence n’est pas ouverte puisqu’elle ne permet pas de modifications à la ressource. Avec elle, le R de la révision et le R du remixage cessent de faire sens. En pratique, cela signifie que le cours doit être utilisé tel quel, sans pouvoir le faire évoluer dans le temps, sans pouvoir le traduire, sans pouvoir l’adapter au contexte local.

La mention NC est plus complexe à éliminer. On comprend bien qu’il puisse être irritant de voir son travail utilisé par d’autres dans un but lucratif (ou pour accompagner un projet à but lucratif). Toutefois, la protection n’est que partielle : une œuvre dérivée pourra être rediffusée sous une autre licence à condition qu’elle soit considérée comme une nouvelle œuvre (apport créatif suffisant selon la loi). Et l’expérience prouve qu’on se protège déjà du pillage en publiant ouvertement et en faisant comprendre qu’il est absurde de payer pour un contenu proposé gratuitement ailleurs.

Reste la mention SA. Rappelons que CC BY-SA est la licence choisie par Wikipédia, projet qui est une source d’inspiration et une base de connaissance largement répandue. Et que l’argument de Wikipédia (et de la plupart des partisans du SA et des puristes libristes) est de rendre la licence virale et d’empêcher qu’elle soit utilisée hors du champ du libre. 

Tout comme avec la mention NC à nouveau, c’est malheureusement un obstacle à la combinaison de ressources : le résultat de toute fusion devra être CC BYSA. Ce qui est bien au niveau théorique, principalement pour des ressources documentaires comme Wikipédia. Mais pour des ressources éducatives, c’est un peu plus embêtant : en imposant la licence de diffusion des œuvres dérivées à partir de la mienne, j’en reviens à imposer ma posture. N’est-ce pas contradictoire pour un éducateur ouvert d’imposer sa vision du libre sans compromis ? En éducation ouverte, effectuer son choix de licence est un processus personnel en mouvance et devrait faire l’objet d’un choix libre et éclairé. D’autant plus que le fait qu’une version dérivée de la mienne soit disponible sous une autre licence que la mienne n’entrave rien à ma propre REL, qui elle, continue d’exister sous la forme et la licence désirée.

Il ne reste plus qu’à choisir

Voilà, deux positions peut-être extrêmes liées à des priorités différentes qu’on peut résumer ainsi :

  • si l’on veut une licence Creative Commons qui limite l’utilisation que les gens en feront : CC BY-NC-ND. Mais soyons bien conscients que d’un point de vue développement durable, nous choisissons de ne pas permettre à la connaissance d’évoluer ;
  • si l’on veut avant tout que le matériel créé reste dans une communauté donnée, ajoutons NC ou SA. Mais soyons bien conscients qu’en faisant cela nous les rendons plus difficiles à réutiliser et à remixer par tous ;
  • si l’on est persuadé -et vous aurez compris que les auteurs le sont- que le but est d’ajouter une brique de connaissance dont on veut simplifier la transformation ultérieure, la licence CC BY, réputée comme la plus ouverte, est celle que nous devrions choisir.

Le choix d’une licence est, en plus d’être écoresponsable, un acte quasi politique : nous affirmons que l’état de nos connaissances actuelles est le fruit d’avancées collectives et qu’à notre tour, nous contribuons à ce méta-cerveau collectif qu’est la connaissance en partageant le plus librement possible. 

Licence Creative Commons

Sauf indication contraire, l’ensemble des contenus de ce site https://chaireunescorelia.univ-nantes.fr/ est mis à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution 4.0 International.

Licence : CC by-sa

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