Innovation Pédagogique et transition
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Une place pour l’usage ordinaire du numérique ?

8 avril 2015 par André Guyomar Veille 890 visites 0 commentaire

Un article de Bruno Devauchelle mis en ligne sur "le café pédagogique".
Une excellente réflexion sur les innovations "ordinaires" issues d’initiatives d’enseignants soucieux de l’utilité de leurs actions et des valeurs ajoutées apportées à leurs apprenants.
En accord avec le constat de B.Devauchelle, l’objectif du site "innovation-pedagogique.fr" est justement de recenser, d’encourager et de diffuser ces innovations "ordinaires", appelées aussi "minuscules", dont on ne parle pas ou peu mais qui sont des actions banales et ordinaires(1) essentielles afin que "l’école continue à vivre ordinairement", c’est-à-dire qu’elle remplisse ses missions d’éducation, d’enseignement et de formation.
(1) N.Alter,2000, l’innovation ordinaire, Puf

Ce qui crée un trouble dans l’analyse du développement du numérique en éducation c’est que l’on survalorise les expérimentations/innovations par rapport aux pratiques ordinaires. La médiatisation des faits tend à encourager cette survalorisation : on parle des évènements rares et pas de ceux qui sont fréquents et ordinaires (hormis pour les "marronniers", ces moments de l’année pour lesquelles les médias ne peuvent que faire un pseudo évènement : rentrée des classes, arrivée de l’hiver etc.). Et pourtant les pratiques ordinaires sont beaucoup plus nombreuses que ces pratiques qui font l’objet de tant de reportages et autres articles de presse. Même les chercheurs du domaine s’y laissent attirer (il y a des budgets à la clef...) prompts qu’ils sont parfois à se jeter sur les dernières nouveautés pour en faire un article (même s’il est de piètre qualité) qui fera la une de la presse et qui valorisera son auteur. Certains "spécialistes" mêmes ont fait de cette manière de faire une façon de vivre, surfant de modes en modes, de nouveautés en nouveautés.

Et pendant ce temps-là, l’école continue à vivre "ordinairement", modestement, dans l’ombre

Seules, les enquêtes sociologiques semblent nous apporter de temps à autre un possible regard sur ces pratiques ordinaires. Profetic, Evaluent et autres enquêtes du Credoc, et tant d’autres enquêtes menées ici ou là qui soulèvent un coin du voile des pratiques ordinaires. On peut d’ailleurs s’interroger sur la fiabilité des enquêtes simplement déclaratives et parfois effectuées par téléphone dont les résultats doivent être analysés avec prudence, déclaration ne valant pas action. En croisant plusieurs sources, aussi bien quantitatives que qualitatives ou empiriques on peut apercevoir quelques-unes des dimensions de ces pratiques ordinaires et surtout de leur environnement, c’est à dire le contexte dans lequel elles s’inscrivent au quotidien.

Quelques constats récurrents

 le ratio équipements/élèves met en évidence qu’accéder aux machines reste toujours un goulet d’étranglement pour les usages ordinaires. Réservation de salle, programmation en amont des activités, etc., sont des contraintes qui, par rapport à l’ordinaire de la classe, freinent les activités.

 Les infrastructures (réseau, matériel) et la maintenance se révèlent souvent en deçà des attentes ou du confort d’utilisation souhaité par ces utilisateurs "ordinaires".

 Le niveau de compétence des enseignants reste en décalage assez fort avec les technologies (et leurs exigences de maîtrise technique) mises à disposition, ce qui freine nombre d’usages.

 Le temps à consacrer à la maîtrise des technologies (formation et surtout autoformation) implique un investissement volontaire fort que les plus passionnés font sans problème mais que la plupart trouvent trop contraignant en regard des fonctionnements du système scolaire et de leur activité quotidienne.

 La pression des programmes et des examens ainsi que des modalités d’évaluation des apprentissages n’a toujours pas pris en compte les dimensions nouvelles introduites par les moyens numériques qui, souvent, demandent du temps... que ce soit dans la classe (mise en route de l’activité) ou en dehors (préparation, organisation).

 Les passionnés sont l’arbre qui cache la forêt. On les montre, on les met en avant (tant qu’ils ne dérangent pas trop l’institution) et on oublie de parler de l’ensemble des acteurs de l’enseignement qui eux sont beaucoup moins enclins à développer ces pratiques.

A cet égard, le "sondage 2014 sur les usages du numérique des enseignants du second degré" organisé par la DANE de l’académie de Paris, donne des indications précieuses tout comme, mais plus générale, l’enquête du Credoc 2014. Comme selon toutes les autres enquêtes, depuis longtemps, l’usage effectif du numérique dans l’enseignement scolaire se limite beaucoup aux activités de l’enseignant et s’oriente peu vers les activités effectives des élèves. De plus, les enseignants ont des pratiques personnelles du numérique en assez fort décalage avec celles de leurs élèves, ce qui explique en partie, le sentiment de "différence" souvent signalé par les enseignants. Tantôt ils parlent d’incompétence des élèves, tantôt d’aisance voire de familiarisation très supérieure de ces élèves par rapport à eux, tantôt encore ils signalent l’activité quasi exclusivement ludique du numérique. Bref le décalage est ressenti comme un danger qu’il convient de maîtriser pour que l’on puisse utiliser aisément le numérique en classe

Et pourtant malgré ces résistances, il y a beaucoup d’usages ordinaires dont on ne parle pas.

Quasiment invisibles, ou seulement lorsque l’on "s’infiltre" dans la salle de classe, ils sont simples et même s’ils ne sont pas apporteurs de la plus grande plus-value rêvée, ils mettent petit à petit l’enseignant en confiance. L’exemple le plus frappant est la demande récurrente d’outils de production simple. Traitement de texte ou présentation assistée ou encore logiciel d’écriture de livres ou de contenus numériques multimédias sont révélateurs de cette pratique ordinaire mais réaliste : mettre les élèves en activité de production. Petit à petit l’enseignant qui ne fonde son activité que sur l’exposé prof/prise de note élève perd de sa consistance et de son efficacité. A la recherche d’activités d’élèves, une fois pratiqués les rituels exercices d’entraînement (questions de toutes sortes... exercices multiformes), les enseignants se sentent démunis. Aussi le plus simple est d’abord d’inviter les élèves à la production individuelle. Certains plus audacieux vont inviter les élèves à une production collective voire collaborative. L’arrivée surmédiatisée de la classe inversée doit nous rappeler qu’au-delà de cette survalorisation, il y a le souhait ordinaire des enseignants de "voir" leurs élèves en activité. Aussi souhaitent-ils souvent pouvoir s’affranchir des contraintes habituelles (programmes, notes, devoirs, regard des autres, hiérarchie parfois...) pour mener ces activités dont ils reconnaissent la valeur pédagogique et éducative, mais dont ils savent qu’en regard des exigences de l’évaluation traditionnelle elles sont trop peu "rentables" dans le temps et l’espace qu’on leur permet d’utiliser.

L’ordinaire de l’enseignement reste l’hésitation à s’engager dans des pratiques "à risque".

Celles avec le numérique en font partie. Les usages détournés, en regard des règles fixées par les règlements intérieurs, systèmes de contrôle et de restriction imposés par les responsables informatique, ou même parfois de la loi, sont trop souvent un point de passage obligé de nombreuses pratiques efficaces. Ces cadres, dont on peut comprendre la logique dans un univers scolaire, sont différents de ceux mis en œuvre dans une pratique personnelle, c’est d’ailleurs souvent ce qui crée des tensions. Pourquoi je ne peux pas faire à l’école ce que je fais si bien à la maison ? Si l’on veut permettre une évolution du plus grand nombre il est nécessaire que l’on ne se limite pas à la nécessaire montée en compétences des acteurs, ce que l’on nomme formation. Il est aussi nécessaire que ceux qui sont en charge du cadre ne ferment pas les portes à des évolutions. Dans le même temps, il est indispensable que les enseignants les plus engagés aient aussi le souci de rendre accessibles leurs pratiques, de rassurer. Car finalement, cette inquiétude, qui nous a été si souvent signalée par les équipes elles-mêmes, doit pouvoir être prise en compte si l’on pense que ces pratiques ordinaires ont de la valeur. A moins que seules "celles qui brillent dans les médias" n’intéressent les décideurs ou que seuls les spécialistes de la technique soient habilités à utiliser le numérique dans leurs pratiques...
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Lien vers l’article en ligne sur le site "Le café pédagogique"

Licence : CC by-sa

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