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La gestion de la sphère travail chez les enseignants du supérieur français. Entre obstacles à surmonter et ressources à capitaliser, quelles stratégies ?

Un article repris de http://journals.openedition.org/eds...

Le but de cette étude est d’appréhender la gestion de la sphère travail des enseignants-chercheurs (EC) œuvrant dans le système universitaire français. Cette sphère est définie par la combinaison de trois activités, la recherche, l’enseignement, les responsabilités collectives. Partant de l’idée que les ressources de cette sphère sont limitées, en témoigne une charge de travail perçue et reconnue comme importante, le modèle des activités (Curie et Hajjar, 1987, 2000) a été choisi afin d’aborder l’activité réelle (Leplat et Hoc, 1983 ; Yvon et Clot, 2001) des EC sous l’angle des ressources, contraintes et stratégies de régulation choisies pour parvenir à une possible conciliation entre activités. Une enquête qualitative a été menée auprès de 10 EC. Les résultats montrent que des ressources, propices à la conciliation entre activités existent, tout en signalant l’existence de contraintes conditionnant des stratégies de régulation nombreuses.

Un articlerepris du numéro 60 "L’organisation du travail dans les coulisses de la différenciation (bis)" de la revue "Education et Socialisation” une publication sous licence CC by nc nd

Jacqueline PAQUIOT-PAPET et Florence CASSIGNOL-BERTRAND, « La gestion de la sphère travail chez les enseignants du supérieur français. Entre obstacles à surmonter et ressources à capitaliser, quelles stratégies ? », Éducation et socialisation [En ligne], 60 | 2021, mis en ligne le 30 juin 2021, consulté le 05 juillet 2021. URL : http://journals.openedition.org/edso/14823 ; DOI : https://doi.org/10.4000/edso.14823

Introduction

Dans une période de bouleversements organisationnel et culturel au sein de l’université française, le présent article porte un regard sur le métier d’enseignant-chercheur (EC). Depuis toujours et comme l’évoque Burgel (2006), l’identité de l’EC repose sur l’articulation forte entre recherche et enseignement, mais aussi sur une autonomie légitimée dans ces deux activités (Paivandi et Younès, 2019). Dès 2003, des travaux québécois (Bertrand et Foucher, 2003) annonçaient des changements évidents en termes de rôles sur les trois volets de la mission : enseignement, recherche et responsabilités collectives (RC). Préparer ce changement culturel constitue comme le disent Wouters, Frenay et Parmentier (2011, p. 87) « un chantier de travail qui s’ouvre, en référence aux rôles et à l’évaluation des tâches multiples de l’EC et aux défis méthodologiques qui y sont associés, pour contribuer au développement professionnel des enseignants dans un contexte qui nécessite de la part de tous des pratiques pédagogiques soutenant au mieux l’apprentissage des étudiants ». Pourtant comme le font remarquer Paivandi et Younès (2019, p. 17) « la plupart des chercheurs reconnaissent des modes différenciés d’organisation du travail professoral sans toutefois les identifier clairement et qu’il y ait non plus de consensus à leur sujet ». Dans ce contexte comment les enseignants du supérieur français poursuivent la nécessaire articulation entre la recherche, l’enseignement et les RC au sein de la sphère travail ? L’approche de l’activité réelle des EC (Leplat et Hoc, 1983) via le modèle du système des activités (Curie et Hajjar, 1987) sera présentée puis seront évoquées des dimensions personnelles comme la satisfaction des besoins mais aussi la charge de travail ressentie, avec pour objectif de repérer les stratégies mises en place pour parvenir à trouver un équilibre au sein de la sphère travail des EC.

Repères théoriques

Le métier d’EC et la gestion de la sphère travail

Le monde universitaire est composé pour partie d’EC (maîtres de conférences et professeurs d’université) qui gèrent au quotidien et tout au long de la carrière trois activités : l’enseignement, la recherche et les RC (circulaire du 19 Février 2018). Si pour l’enseignement, Bertrand (2014) signale que « l’enseignant du supérieur est appelé à se repositionner de « transmetteur de connaissances », à un rôle de « développeur des compétences des étudiants, de producteur de contenus de formation et de guide des apprentissages … » (p. 355), pour l’activité de recherche, tout le monde s’accorde à dire qu’elle subit de fortes pressions en raison de la compétition nationale et internationale (indices bibliométriques) pilotée par l’Agence Nationale de la Recherche. Enfin, les RC, regroupant les directions de diplômes, départements (recherche ou enseignement), les mandats d’élus (Conseils d’université (CA, …), Vice-présidence…), sont appelées à augmenter du fait même de l’autonomie des universités (Loi relative aux Libertés et Responsabilités des Universités - LRU). En référence au modèle des activités (Curie et Hajjar, 1987), elles appartiennent à la sphère dite « travail ». Ce modèle postule que tout individu construit son « modèle de vie » à l’interface de quatre sphères : professionnelle, familiale, sociale et personnelle. Chacune de ces sphères se décompose en activités à la fois interdépendantes et autonomes au sein de la sphère considérée. Autonome, car pour chacune des activités, l’individu poursuit des objectifs qui lui sont propres en fonction des moyens dont il dispose (Guilbert et Lancry, 2007). Interdépendantes, car l’activation ou l’inhibition des ressources ou des obstacles entre ces activités peut aussi bien alimenter que gêner la gestion de la sphère concernée. Parvenir à trouver un compromis entre ces trois activités est un défi quotidien pour les EC guidés par un « modèle d’action » (Curie et Dupuy, 1994) qui intervient dans la mise en place de comportements de régulation. Ainsi, cette recherche d’équilibre induit des stratégies de régulation (Leplat, 2006) appelées « conciliation » (Chrétien et Létourneau, 2006 ; Frone, 2003). Celles-ci sont associées à la manière dont les individus apprécient et régulent l’impact réciproque des activités menées (Curie et Hajjar, 2000). Ces interférences peuvent aussi bien engendrer des échanges positifs : « l’enrichissement » (Greenhaus et Powell, 2006) qui renvoie à « la mesure avec laquelle les expériences dans un rôle améliorent la qualité de vie dans un autre rôle » (cité par Kilic, 2014, p. 90), que négatifs : « le conflit » (Greenhaus et Beutell, 1985), qui traduit l’incapacité pour l’individu à trouver une forme d’arrangement entre les activités pour les mener de front, notamment à l’intérieur d’une même sphère.

La charge de travail perçue au sein de la sphère de travail par les EC

La charge de travail se définit autour de l’activité mentale et physique, utilisée par un individu dans l’accomplissement d’un travail donné (Spérandio, 1972). Mais il est souvent ambigu (Falzon, 2004) car il peut à la fois définir le niveau d’exigence attendu du travail demandé comme les conséquences du travail sur l’individu. Ces conséquences peuvent être de nature différentes : la démotivation, la non satisfaction des besoins, la démission, le « burn-out » ou le suicide. Elles peuvent être enfin observées en situation réelle de travail ou questionnées lors d’entretiens. Dans ce cas, on parlera de charge de travail perçue.

Drucker-Godart, Fouque, Golley et Le Flanchec (2013, cités par Paivandi et Younès, 2019) donnent le ton en parlant de « gageure » (p. 51) pour traduire l’engagement sur ces trois activités. Déjà en 2003 Fave-Bonnet relevait que 93 % des professeurs d’université français affirmaient être à la fois des enseignants et des chercheurs, mais que 69 % d’entre eux se disaient « tiraillés » entre ces deux activités. Aux États-Unis, Bess (1982, cité par Bertrand et Foucher, 2003) avait déjà défendu la thèse selon laquelle « les tâches professorales étaient trop nombreuses, trop complexes, trop disparates et pas assez intégrées et articulées, condamnant les professeurs à vivre un stress considérable et à être, malgré leurs efforts, peu productifs » (p. 359). Dès 1992, Berthelot et Ponthieux signalaient le peu de détails dans les textes ministériels concernant l’activité d’enseignement, hormis le nombre d’heures du service statutaire. Récemment, Paivandi et Younès, (2019, p. 54) notent « la difficile articulation des logiques de transmission et de production de connaissances, fondement du métier d’EC, avec des logiques socio-économiques, fortement sous-tendues par la concurrence, le numérique et la professionnalisation des formations et des universitaires ». Concernant l’activité administrative, si 64 % affirment qu’elle fait partie du métier d’EC, 68 % pensent qu’elle freine leur carrière (Bertrand et Foucher, 2003). Enfin, l’étude de Faure, Millet et Soulié (2005), portant notamment sur la perception de 509 EC à l’égard de leur travail, fait apparaître que 80 % des répondants estime que leur charge de travail augmente. Ainsi, 44 % évoquent une augmentation du travail administratif, 33 % une augmentation du travail pédagogique, et 13,3 % seulement de leur activité de recherche. Dès 2005, ces auteurs en concluent que « dans un contexte global d’accroissement de la charge de travail, on observe donc un processus d’inflation administratif, comme du travail pédagogique, et ce au détriment du travail de recherche, dont les temporalités sont passablement bousculées » (p. 29). Faure et al. (2005, p. 30) n’hésitent pas à parler de « malaise ». Fave-Bonnet (2003) évoque déjà différentes conséquences. Elle parle de « fuite en avant » (p. 199), traduisant la réalisation d’activités valorisantes (en recherche ou enseignement) qui permettent à l’EC qui y a recours, de s’engager dans l’institution, engendrant une source probable d’enrichissement. Mais elle évoque aussi une stratégie de retrait « …qui à l’inverse est un moyen de s’extraire de la logique du système » (ibid) et qui rend compte d’une forme de conflit. L’EC démuni devant son incapacité à tout gérer, choisira cette stratégie. L’auteur range ici ceux qui « ont assez donné », ceux qui ne souhaitent pas ou plus prendre de RC, ou encore ceux qui abandonnent leur activité de recherche.

La satisfaction des besoins « autonomie-compétence-appartenance » au sein de la sphère professionnelle par les EC

Le modèle de l’autodétermination Deci et Ryan (1985, 2000) qui selon Gillet, Berjot et Paty (2010) est un des cadres les plus actuels pour apprécier la motivation au travail, présente ce concept comme multidimensionnel. Il combine une motivation intrinsèque où l’acteur est guidé par ses propres choix et intérêts, une motivation extrinsèque où ce sont des éléments de contingences (valeurs, culpabilité, primes ou sanctions, identification d’un but intermédiaire) qui agissent sur l’engagement des acteurs et enfin une « amotivation » ou résignation (Deci et Ryan, 2000). Cette présentation de la motivation s’inscrit aussi dans un postulat fort, celui de l’articulation entre trois niveaux d’analyse : le contexte (ici l’université), la situation (l’activité de travail) et la personne (l’EC), qui vise la satisfaction de trois besoins : compétence, autonomie et appartenance (Deci, Koestner et Ryan, 1999 ; Ryan, 1995 ; Deci et Ryan, 2017). En situation de travail, Autin et al. (2019, p. 2) indiquent que « lorsque ces besoins sont satisfaits […], les salariés se sentent plus en contrôle de leur travail et davantage en connexion avec lui ». Pour ce modèle, l’autonomie renvoie au besoin de se sentir acteur, responsable de ses actions et de ses choix en accord avec ses valeurs propres (Ryan et Deci, 2006). Pour l’EC, l’autonomie temporelle (Berthelot et Ponthieux, 1992) a toujours été perçue comme une forme de privilège, tout en générant malgré tout un paradoxe (Berthelot et Ponthieux, 1992, p. 198, cité par Fave-Bonnet, 2003) : « les universitaires sont peut-être de toute la fonction publique ceux qui gèrent le plus librement leur temps […] mais cette situation aboutit à un paradoxe, celui d’un temps à la fois non contraint et surchargé ». La compétence est associée au sentiment ou au besoin d’exercer ses capacités sur l’environnement et d’en retirer de l’expérience, de la connaissance, de la stimulation intellectuelle (Deci, 1975, cité par Carré et Fenouillet, 2009). Enfin, l’affiliation exprime le besoin de se sentir membre à part entière de son groupe d’appartenance, en se sentant soutenu, reconnu par lui (Deci et Ryan 2017). Cela fait écho aux cinq traits psychologiques qui fondent le métier d’EC (Finkeslstein, Seal et Schuster, 1998, cités par Paivandi et Younès, 2019, p.109), à savoir : « le goût et la capacité du développement intellectuel, le désir d’autonomie professionnelle, le besoin d’accomplissement, le désir de servir sa communauté et l’attachement à certains principes de libre compétition, d’excellence et de mérite ».

Méthodologie

Des entretiens qualitatifs ont été menés afin d’approfondir plusieurs thématiques concernant le métier et la gestion de la sphère travail. Le guide d’entretien se décompose en 3 parties : la vision du métier et la satisfaction des besoins, la charge de travail perçue, la gestion de la sphère travail et les stratégies de conciliation utilisées (insérer tableau 1).

La population : Dix EC de l’université de Montpellier ont accepté de participer à des entretiens semi-directifs. Ils réalisent leur mission d’EC dans différentes composantes (école, IUT, facultés). Ils appartiennent à différentes sections du Conseil National des Universités (CNU) -chimie, gestion, droit, statistiques, physique, psychologie- qui recouvrent les différents domaines de l’université (sciences expérimentales et appliquées, gestion, sciences humaines, droit). Il y a autant d’hommes que de femmes. Tous ont en charge des RC sur le volet recherche et/ou enseignement.

Résultats et discussion

Comme l’évoquait déjà en 2005, Faure et al., puis Musselin en 2008, et aujourd’hui Paivandi et Younès (2019), l’articulation entre enseignement et recherche est peu étudiée, tout en sachant que s’ajoutent à ce duo, les RC dont on sait qu’elles augmentent régulièrement. Nous abordons les interconnexions entre ces trois activités en concentrant d’abord notre analyse sur les ressources qui accompagnent la gestion de la sphère travail pour les EC, puis sur les contraintes perçues et les stratégies mises en place pour y pallier.

Les ressources pour la sphère travail

La satisfaction des besoins

Le métier d’EC est souvent associé à différentes caractéristiques qui convoquent les besoins d’appartenance, de compétence et d’autonomie (Deci et Ryan, 2017). Une première dimension concerne la grande autonomie aussi bien temporelle (Berthelot et Ponthieux, 1992) que des choix pédagogique ou de recherche dont disposent les EC pour réaliser leur mission. La deuxième renvoie à la compétence liée à un titre universitaire de haut niveau -Doctorat- (Bayona Saez, Goni Legaz, et Madorran Garcia, 2009) et à la diversité des tâches du métier d’EC. Enfin la troisième relève le sentiment d’attachement aussi bien à une « élite », qu’au corps des fonctionnaires de l’état (Renard et Prudhomme, 2011). En lien avec ces dimensions du métier, la question est ici d’apprécier en tant que ressource (Autin et al. 2019), la satisfaction ressentie par les EC, pour chacun de ces besoins qui participent à leur motivation au travail.

La satisfaction du besoin d’appartenance s’exprime avec une certaine fierté aussi bien dans le sentiment de peser sur les décisions collectives en recherche (Deci et Ryan, 2000 ; Gagné, Koestner et Zuckerman, 2000) que dans celui d’un lien fort avec la communauté des fonctionnaires de l’état au service des étudiants (Renard et Prudhomme, 2011).

« C’est l’opportunité de participer au conseil scientifique de l’institut « … », on ne changera pas la recherche en France mais on discute, on écrit aussi des textes, un rapport de perspective…on fait de la science différemment. Mon opinion peut avoir de la valeur pour l’institution, l’impact n’est peut être pas très fort mais le fait de participer me valorise » (Eve)

« Il y a quand même une espèce de morale, de déontologie ou de sentiment de… on est fonctionnaire » (Luc)

« C’est-à-dire que je me bagarre pour les étudiants qui bossent, à qui on va donner une licence quoi, ils ont besoin d’avoir un diplôme qui équivaut à quelque chose, de reconnaître leur travail et leurs compétences » (Luc).

Concernant la satisfaction du besoin d’autonomie, les EC sont très lucides quant à la liberté qu’on leur accorde tant dans l’organisation de leur travail que dans les choix des cours et du contenu de ceux-ci. C’est un privilège auquel ils sont très attachés et qu’ils définissent comme une expertise, même s’ils se font piéger (Berthelot et Ponthieux, 1992).

« Je suis attaché à la liberté et c’est peut-être encore un des rares métiers qui permet cela et là-dessus je ne négocierai pas » (Paul)

« En Master, le programme c’est nous qui le faisons en fonction de nos recherches…je trouve ça génial. C’est une liberté qui est exceptionnelle ! » (Tom)

« Le beau de ce métier c’est qu’on n’a pas d’horaires, mais beaucoup de fois, je travaille quand même, il n’y a pas de samedi et de dimanche, dans la semaine je peux gérer comme je veux mais après s’il y a une deadline, il faut le faire même pendant les vacances » (Eve).

Si la satisfaction des besoins d’autonomie et d’appartenance s’exprime comme une ressource laissant supposer une motivation et un engagement positif (Louche, 2005) pour la structure, la satisfaction du besoin de compétences appelle deux constats. Le premier c’est qu’elle se trouve malmenée par les pairs, car comme l’évoquent Paivandi et Younes (2019, p. 261) « leur identité professionnelle est aussi fondée sur la reconnaissance par les pairs et par de puissants mécanismes institutionnels et sociaux de régulation de la carrière ».

« En recherche ! Cela fait trois ans que je fais un dossier pour obtenir la PEDR (prime d’encadrement doctorale et de recherche) et cela fait trois ans que cette prime m’est refusée à chaque fois » (Léo).

Le sentiment d’être remis en cause sur ses compétences et plus spécifiquement en recherche est difficile à vivre. Ceci bouscule de manière profonde « l’identité pour autrui » (Mead 1934 ; Sainsaulieu, 1977 ; Tap, 1980, cités par Roux-Perez, 2004, p. 3) comme « constitutive de l’identité professionnelle ». Un désaveu qui pourrait devenir une contrainte pour la gestion de l’ensemble et engendrer des stratégies de « retrait » (Fave-Bonnet, 2003). Le second, c’est que fort heureusement, ce sentiment de compétences est à l’inverse, vécu comme une ressource dans le travail avec les étudiants. Il apparaît comme un rempart à tout le reste.

« Ce qui me satisfait le plus c’est le retour des étudiants quand je vois qu’un étudiant que j’ai eu depuis la L1, et puis qui finit son parcours et que l’on se revoit par la suite et qui trouve de l’emploi…y a une reconnaissance du travail effectué…on se sent utile » (Fany)

« Je suis super content de pouvoir enseigner ce que je recherche, d’avoir des étudiants qui viennent me titiller par rapport à ça..qui savent pourquoi ils sont là » (Tom)

« Le plus important pour moi c’est quand on a l’impression d’apprendre des choses aux étudiants, de leur rendre service, le reste est sans intérêt pour moi » (Lola).

Des échanges positifs entre les activités

L’activité de recherche est une ressource pour l’enseignement. Certains EC la présentent comme un enrichissement (Greenhaus et Powell, 2006 ; Greenhaus et Beutell, 1985) pour un enseignement de qualité. Elle est naturellement associée à la transmission de connaissances. En permettant de prendre de la hauteur, du recul, d’avoir une vision d’ensemble sur les phénomènes, elle traduit une souplesse intellectuelle qui permet de présenter des modèles compliqués en les illustrant par des exemples concrets. Même si le contenu de la recherche n’alimente pas les cours, c’est l’exercice même de la recherche qui constitue une compétence pour l’exercice pédagogique. Ces échanges au sein du duo historique, revêtent un sens particulier pour les EC en lien avec l’identité professionnelle :

« Faire de la recherche cela permet d’avoir une vision beaucoup plus globale, moins restrictive et donc de pouvoir apporter son expérience ne serait-ce que son expérience au quotidien dans le cadre de ton enseignement » (Anne)

« C’est beaucoup mieux de faire la recherche car on aura toujours des exemples d’application pour illustrer son cours » (Noé)

« Ça peut être une ressource pour l’enseignement bien sûr ! Pour moi la recherche ça veut dire que j’apprends toujours de nouvelles choses…cette nouvelle lymphe, ça nourrit, parce qu’on est toujours actif » (Eve).

Comme d’autres chercheurs (Paivandi et Younes, 2019) nous constatons aussi que cette ressource est davantage reconnue en Master qu’en 1er cycle :

« Qu’un enseignant de premier cycle regarde un peu ce qui se fait en recherche oui, mais de dire qu’il faut qu’il fasse lui de la recherche reconnue pour enseigner en premier cycle non… voilà » (Luc)

« Je suis d’accord pour dire que la recherche est une ressource pour l’enseignement quand on enseigne au niveau Master… mes recherches permettent d’alimenter mon enseignement, cela introduit une approche différente, et pas seulement redonner quelque chose que j’ai appris, je trouve qu’il y a une façon de présenter en lien avec une meilleure compréhension des concepts… alors c’est dans ce cas une ressource » (Fany).

Si les objectifs du Master comme diplôme professionnalisant adossé à la recherche restent une évidence, pour le niveau Licence, la question des objectifs pédagogiques est sans doute délicate pour les EC. Ainsi, Soulas, Descamps, Moraux, Sauvannet et Wicker, (2005, p. 29) disent du L : « la licence ne doit pas devenir un simple diplôme d’accès au Master, comme le baccalauréat est le diplôme d’accès à l’enseignement supérieur, et se trouver ainsi dévalorisée. C’est aussi un diplôme terminal, susceptible d’apporter une qualification aux étudiants, et c’est dans ce but que son contenu devrait être conçu ». Les EC se trouvent face à une double contrainte pour un même diplôme. Soit ils visent un accompagnement vers le Master, auquel cas l’orientation recherche est envisageable. Soit ils considèrent le L comme un diplôme terminal avec une orientation métier pour lequel l’orientation recherche est moins adaptée. Mais alors comment se positionner face à une population d’étudiants toujours plus importante et toujours aussi hétérogène en terme de pré-requis ? (Alberti et Laterrasse, 2002)

Les RC sont des ressources pour l’enseignement. Ces RC ne sont pas vécues de la même manière selon que l’EC est en IUT (Institut Universitaire de Technologie), école ou en Faculté. Nous observons que les EC exerçant en IUT ou en école, témoignent d’un échange entre les deux rôles et ceci sur deux axes : un meilleur accompagnement des jeunes et une vision pédagogique d’ensemble du diplôme qui se traduisent par une réflexion sur la posture d’enseignant autant dans le soutien qu’au niveau pédagogique.

« … être responsable d’étude cela permet d’avoir un contact particulier avec les étudiants, on les voit différemment…du coup c’est une charge qui me plait quand même » (Léo)

« Le fait d’avoir des missions administratives, te fait réfléchir différemment et ça peut aider même ta façon d’enseigner » (Noé).

Plusieurs explications sont possibles : la taille des promotions accueillies, une équipe pédagogique restreinte, un programme national (notamment pour les IUT) ou certifié par la Commission du Titre d’Ingénieur (CTI), pour les écoles d’ingénieur.

Les RC sont des ressources pour l’activité de recherche

Comme pour l’enseignement, l’impact des RC sur la recherche est noté :

« Administratif au service de la recherche…oui ! Cela permet de comprendre les enjeux politiques, pour comprendre les financements…les possibilités de budget » (Noé).

En effet, les RC en donnant l’accés aux éléments financiers et administratifs permettent de mesurer les enjeux de la recherche et de peser sur le choix de ses thèmes. Les RC apportent des ressources sur des choix stratégiques pour l’activité de recherche.

Les contraintes pour la sphère de travail : la charge de travail perçue et les stratégies de conciliation

En 2020, tout comme en 2005 (Faure et al.), on note une charge de travail globale perçue élevée. Pourtant, elle serait presque définie comme une caractéristique intrinsèque du métier, parfaitement acceptée et intégrée.

« Je trouve que ce travail n’est jamais fini » (Eve)

« La mission est extrêmement optimiste, disons démesurée » (Anne)

« Ah je fais plus de 35 heures, ça c’est sûr !... peut-être 60 ou a minima 45 ! » (Fany).

Pour l’activité d’enseignement

L’activité d’enseignement, programmée et structurante, revêt une charge de travail spécifique. Mais ce sont à la fois des temps incontournables (cours) et d’urgences (corrections) qui constituent des contraintes à dépasser et initient une stratégie de « report » (Curie et Dupuy, 1994). Elle amène l’EC à retarder le travail engagé sur les autres activités pour répondre aux urgences pédagogiques. Elle est présentée comme :

« Chronophage et énergivore » (Zoé)

« Les moments d’examen sont souvent très chargés, il faut tout laisser tomber pour que tout soit rendu en temps et en heure » (Lola).

Le 1er cycle et ses étudiants définissent des conditions de travail particulièrement contraignantes. Le sentiment de culpabilité des EC est évident. Il s’explique par un conflit interne particulièrement pénible traduisant un tiraillement entre des injonctions criantes du ministère concernant la réussite en L et l’impossibilité de conduire une activité d’enseignement efficace en raison du nombre et du niveau des étudiants accueillis. L’incapacité de répondre à la mission d’enseignement dans de bonnes conditions est douloureuse.

« Le niveau des étudiants. En première année, c’est complètement démotivant ! Quand vous avez plus de la moitié d’analphabètes en première année, on peut pas faire cours quoi ! Ce n’est pas vrai ! » (Luc).

Une stratégie de contournement est énoncée. Nous l’appellerons : « stratégie de transfert ». Elle consiste soit à transférer une partie du service (heures statutaires) vers une population choisie (étudiants sélectionnés ou plus avancés -doctorants-), soit à proposer les cours où le public est jugé trop important ou délicat, à des vacataires d’enseignement. Ce faisant, l’EC concerné se défait d’une situation qui engendre pourtant chez lui une dissonance cognitive (Higgins, 1960). En effet pour mener correctement une mission d’enseignement à laquelle il est profondément attaché, il a conscience que la réduction de ses propres contraintes passe par un seul levier de régulation celui d’un nombre d’étudiants plus restreint dans les cours.

« Donc c’est quoi la stratégie ? Soit les enseignants se replient sur l’enseignement doctoral soit ils se replient sur les filières sélectives et ils font faire les premières années par les vacataires extérieurs » (Luc).

Paivandi et Younès (2019, p. 58) mettent l’accent sur ce phénomène en pointant que « l’évolution du public étudiant et le mouvement de professionnalisation des formations impactent fortement le travail des universitaires ».

Enfin, le manque d’EC dans certaines sections CNU, devient une contrainte pour l’EC sur qui repose les enseignements en question. Pour pallier ce manque, on note l’utilisation d’une stratégie de « tampon » qui consiste pour ces EC, à effectuer des heures complémentaires, malgré eux.

« J’ai été prise par l’enseignement parce que dans mon institut on a de tels besoins, que quand on me disait, tu peux prendre ce cours, je le faisais, je n’ai pas su dire non » (Fany).

Pour l’activité de recherche

En recherche c’est la compétition latente et très dure entre les chercheurs ainsi que les évaluations par la publication qui créent l’obstacle, le mal-être, voire la marginalisation, conduisant certains à une « stratégie de retrait » (Faure et al, 2005) ou à des issues plus dures comme la dépression :

« Je me suis retrouvée dans un laboratoire vraiment toute seule... Au lieu de m’aider les gens étaient plutôt là pour voir comment j’allais m’en sortir, ils m’attendaient un peu au tournant. Ils m’ont tellement écœuré, c’est vraiment le mot écœuré, que j’ai arrêté la recherche » (Anne)

« C’est très décevant dans ce monde de voir des comportements qui sont de vrais comportements de prédation » (Luc)

« J’ai eu des échecs de publication, de recherche, je trouve qu’il y a une démotivation dans la manière dont on comptabilise. On confond activités de recherche et activités de publication et on confond activités de publication et publication de rang A avec des petites étoiles » (Paul)

« Je pensais pouvoir mener de front enseignement, recherche et administratif, je suis partie beaucoup sur l’enseignement et des responsabilités pédagogiques, et du coup j’ai délaissé la recherche, certains collègues ont commencé à pointer du doigt ceux qui faisaient beaucoup d’heures mais qui ne faisaient pas de recherche et c’est quelque chose que j’ai très mal vécu…être pointé du doigt par ses pairs dans son propre labo, j’ai fait un burn-out » (Fany).

C’est ici aussi le manque de financements qui génère une contrainte forte dans l’exercice du métier. Une des stratégies choisies, la « fuite en avant » (nous empruntons ce terme à Fave-Bonnet (2003) sans lui donner la même définition), consiste à aller chercher des fonds privés pour accompagner des problématiques de recherche publique. Pourtant, cette stratégie se solde, à terme, par le sentiment d’être pris en otage par les financeurs et plonge les EC dans un état de dissonance vis-à-vis de leurs valeurs. Comme l’évoquent Paivandi et Younes (2019, p. 65), « ce genre de discours met en avant les valeurs du service public » mais aussi selon nous, le sentiment de perte d’autonomie (Deci et Ryan, 2000, 2017). En recherche, une brèche liée à l’amenuisement de la satisfaction des besoins d’appartenance et d’autonomie semble s’ouvrir :

« En recherche… si on n’a pas de moyens on ne peut accueillir des thésards dans de bonnes conditions » (Noé)

« En terme de recherche…ce qui est lassant c’est de toujours être obligé d’aller chercher des budgets pour pouvoir faire » (Zoé)

« Pour essayer de récupérer de l’argent on a trouvé des partenariats avec des industriels, ils avaient des sous, mais le problème c’est qu’on ne fait pas de recherche, on fait la recherche de l’industriel, voilà ! » (Lola).

Enfin, une dernière contrainte apparaît dans le duo -enseignement et recherche- qui constitue la mission première de l’université « former par l’enseignement et la recherche ». Les EC témoignent d’une incompréhension à l’égard des décisions prises par la gouvernance et disent ne pas en comprendre le sens, ni la stratégie à long terme.

« Des gestionnaires qui n’ont pas forcément été à la hauteur et on se retrouve avec des trous dans les finances qu’il faut combler maintenant et on pense finances avant de penser pédagogie et étudiants ; les heures des maquettes sont touchées » (Lola)

« Compte tenu de ce qui se passe en recherche mais aussi l’absence de projets pédagogiques universitaires …il n’y a pas de projets dans cette université… chacun fait comme il l’entend…il n’y a pas de cap ! » (Noé).

La transformation de l’université et de facto de sa gouvernance semble avoir bousculé les EC dans leurs valeurs et dans leur mission. Aura-t-elle pour conséquence à terme la réduction du sentiment d’appartenance pourtant encore fort aujourd’hui ?

Pour les responsabilités collectives

Elles sont présentées comme une surcharge cognitive régulière qui a augmenté avec le temps.

« Je reconnais que la lourdeur administrative, c’est allé « crescendo » entre la première et la 6e année de mon mandat de chef de département… » (Anne)

« On se fait quand même un peu bouffer par des tâches administratives de plus en plus… donc il faut faire gaffe… il ne faut pas saloper le travail » (Paul).

Mais la contrainte vient aussi de l’organisation. D’une part dans la collaboration entre BIATSS (Ensemble de fonctions et de personnel de la fonction publique rassemblés en un corps, nommé : (Bibliothèques, Ingénieurs, Administratifs, Techniques, Sociaux et de santé) et EC entachée de représentations qui n’invitent pas à la sérénité attendue alors que l’interdépendance entre ces deux groupes est nécessaire pour l’efficacité de l’ensemble, d’autre part dans la définition du poste de « manager » (responsable de diplôme, chef d’équipe, de département de recherche ou d’enseignement…) qui pose un problème de positionnement pour l’EC qui l’assume.

« Les uns démotivent les autres ! Les BIATSS considèrent que les enseignants ne foutent rien ; les enseignants considèrent que les BIATSS les emmerdent » (Luc)

« On a l’impression que l’administration est là pour se protéger elle-même…On n’a pas toujours l’impression qu’on travaille tous dans le même sens. Il y a une fracture qui existe entre le personnel BIATSS et le personnel enseignant chercheur qui est assez importante, il me semble en tout cas c’est comme ça que je le ressens dans notre université » (Paul)

« C’était vraiment le côté management, l’impression de ne plus y arriver, notamment avec l’équipe technique, d’avoir tourné dans tous les sens donc c’est vraiment ça qui m’a démotivé » (Anne).

Deux analyses peuvent être avancées. Premièrement, une confusion entre les missions supports (activités collectives menées par les BIATSS et certains EC) et les missions principales (enseignement et recherche) portées par les seuls EC de l’université. Deuxièmement, le volet asynchrone des missions. Si les RC sont tenues par des EC sur des temps courts (3 à 5 ans), les BIATSS en soutien, restent parfois sur leur poste durant toute leur carrière. Cette temporalité différente rend la gestion des activités collectives aussi inconfortable pour les uns que pour les autres. On comprend ainsi que le « management » soit présenté comme mal défini voire mal circonscrit, autant pour l’EC concerné que pour ses collaborateurs, car ce n’est pas tant le manque de compétences (Faure et al, 2005) qui est évoqué ici, mais un manque de clarté et de reconnaissance affichée par la structure, pour mener à bien cette activité.

Une conciliation difficile entre activités qui conduit à des stratégies « temps court – temps long »

Le temps apparaît comme une contrainte majeure lorsqu’il s’agit de concilier les trois activités. Des stratégies de régulation bien spécifiques sont alors construites sur des « temps courts » et des « temps longs ».

Les stratégies « de temps court »

Une stratégie de « cloisonnement » dont Curie et Dupuy (1994) disent qu’elle contribue notamment à la réduction des échanges entre les activités. Elle est utilisée ici, pour délimiter un espace temporel à chacune des activités dans l’emploi du temps de la semaine.

« En revanche, ça impose un tel cloisonnement des tâches, essentiellement temporel d’ailleurs, qu’il est matériellement impossible …de réaliser bien au-delà » (Paul)

Les EC élaborent aussi des stratégies « d’ajustement » qui consistent à utiliser momentanément le temps alloué à une activité pour le reporter vers la gestion des deux autres. De manière paradoxale, alors qu’elle est la plus valorisée pour la carrière, la recherche est présentée comme l’activité d’ajustement presque « obligée », parce qu’évoluant dans un espace de liberté que les deux autres n’ont pas. Nous la qualifierons de stratégie « d’ajustement par la recherche ».

« Ça dépend des moments parce que y a des moments où les tâches administratives y en a plus que d’autres, d’autres moments où c’est l’enseignement qui prend le pas, je dirai presque que quand j’ai rien d’autre à faire je fais de la recherche » (Zoé)

« Et malheureusement la recherche c’est la 3ième roue du carrosse, c’est malheureusement quand j’ai le temps que je fais de la recherche » (Tom)

« Je me mets à la recherche quand j’ai des journées complètes de disponibles…en fonction du planning » (Fany).

On note aussi une stratégie « d’ajustement par l’enseignement », que le contexte universitaire permet parfaitement. La décharge de service, prévue par le ministère rend cette option possible soit pour accompagner le début de carrière d’un EC nouvellement recruté, soit pour allouer une partie du temps du service d’enseignement à une autre activité en cours de carrière.

« J’ai un contrat de recherche sur 5 ans, et du coup je peux avoir une décharge d’enseignement, je fais que mes heures » (Eve)

« La première année où je suis arrivée, je n’ai pas beaucoup publié et d’ailleurs au labo on m’a vraiment fichu la paix car ils me l’ont dit, tu prends ton 1er poste, il faut que tu montes tous tes cours, on sait très bien que tu auras pas le temps » (Zoé).

Les stratégies « de temps long »

Le temps long est celui de la carrière. Une stratégie de « programmation » où l’EC va s’adonner à chacune de ces trois activités de manière plus intense mais à différents moments de sa carrière, est relevée.

« Oui j’ai réussi les trois mais pas en même temps » (Noé)

« Je dis toujours que le bon plan, c’est de faire de la recherche très jeune à un bon niveau et d’arrêter à 35 ans et de faire autre chose après » (Luc)

« Pour l’enseignement, j’ai pris au bout de 9 ans une routine, mais avant que ça le devienne, c’était très dur » (Eve)

« Non ça s’est mis en place doucement… déjà les responsabilités administratives étaient moins importantes, voire au début je n’en avais pas, notamment la 1ère année, j’ai mis l’accent sur la préparation des cours au moins les trois premières années » (Léo).

Enfin, pour gérer au mieux leur carrière et comme s’ils étaient conscients de leurs ressources limitées, certains EC décident d’abandonner une activité au profit d’une autre ou de ne pas en exercer une volontairement. Nous l’appellerons la stratégie de « retrait » (Fave-Bonnet, 2003). Dans certains cas, le temps recherche est reporté entièrement vers les RC. Cette stratégie permet à l’EC placé face à ce conflit, de retrouver un équilibre psychologique en phase avec les valeurs du service public et l’identité professionnelle du métier.

« Le fait de faire plus d’administratif ça a compensé la recherche que j’ai arrêtée et par rapport à moi, j’avais l’esprit tranquille » (Anne)

Dans d’autres cas les deux activités principales du métier : l’enseignement et la recherche sont priorisées. L’EC se met en accord avec les missions historiques du métier en n’exerçant aucune RC durant toute sa carrière.

Enfin, on relève une stratégie « opportuniste » qui consiste à saisir les propositions qui se présentent en s’appuyant sur une reconnaissance du groupe et avec l’objectif de ne pas décevoir.

« Quand on m’a confié des responsabilités et que je les avais acceptées, je savais qu’il y aurait des implications et puis voilà donc j’ai fait mon job et après je suis passé à autre chose » (Noé).

On retiendra que la mise en forme de cet ensemble de stratégies s’appuie sur la combinaison de deux paramètres : la durée de l’activité concernée et l’intensité ou l’effort que l’EC souhaite lui accorder dans ce temps choisi. Ces stratégies se caractérisent aussi par leur degré de flexibilité (l’institution laisse toute liberté à l’EC de les choisir) et par une dimension intra-individuelle (elles sont certainement choisies par les EC en fonction de dimensions personnelles (carrière, gestion des autres sphères de vie) qui ne sont pas directement évoquées ici mais qui ouvrent vers de nouvelles perspectives de recherche.

Conclusion

Le système des activités qui fournit un cadre d’analyse des interconnexions entre activités et de leur « emprise réciproque » en termes de ressources ou de contraintes (Curie et Dupuy, 1994) au sein d’une même sphère a été utilisé ici pour aborder la gestion de la sphère travail des EC. Bien que nos résultats soient issus d’un échantillon relativement faible (10 EC) en regard de l’importance de cette communauté en termes de taille et de la complexité du métier, nous avons tenté, sur la base de leurs verbatim d’approcher la gestion des activités : enseignement, recherche et RC. Ceci nous a conduit à dissocier dans leurs discours les éléments présentés comme des ressources, de ceux présentés comme des contraintes pour aboutir à l’identification de stratégies de régulation spécifiques, déclinant le « mode d’action » (Curie et Dupuy, 1994 ; Guilbert et Lancry, 2007) ou activité réelle (Leplat et Hoc, 1983) de ces EC. Comme l’évoquaient Yvon et Clot (2001, p. 65),

« Cette activité réelle des opérateurs, que l’on retrouve dans toutes les catégories professionnelles, manifeste une expression propre des individus qui, si elle était placée au centre des préoccupations de la gestion, pourrait permettre un gain tant au niveau du développement des hommes au travail que de l’organisation du travail ».

Nous constatons tout d’abord l’existence de ressources pour l’exercice de ce métier. Les EC expriment ainsi leur satisfaction des besoins d’appartenance et d’autonomie et ceci fait écho à des composantes du métier auxquelles les EC sont traditionnellement attachés ; l’autonomie temporelle (Berthelot et Ponthieux, 1992) et les valeurs du service public (Renard et Prudhomme, 2011). Par ailleurs alors que classiquement les échanges entre les activités sont considérés comme complexes voire déplacés (Faure et al, 2005), notre échantillon exprime une forme d’enrichissement dans la conduite conjointe des RC et des activités de recherche ou d’enseignement. Ainsi l’accès à une vision d’ensemble tant en enseignement qu’en recherche permet une prise de recul et une meilleure réflexion autant sur des choix à long terme (faire évoluer les maquettes des diplômes, choisir des axes de recherche) qu’à court terme (choix pédagogiques, accompagnement des jeunes).

Nous relevons aussi des contraintes qui rendent compte de la charge de travail. Ainsi, paradoxalement, le temps, souvent mentionné comme une ressource du métier (autonomie temporelle) s’avère être aussi sa contrainte majeure. Pour autant il reste un privilège auquel les EC sont attachés, tout en initiant des stratégies de régulation combinant intensité ou effort (concentration sur l’une ou sur la combinaison de deux activités ; RC et enseignement/ RC et recherche) et durée (long terme « versus » court terme).

Pour conclure, si la charge de travail retenue ici, correspond à un élément perçu et apporte déjà des résultats, une analyse précise de l’activité mériterait d’être menée afin d’étudier la charge réelle de travail des EC. De plus, ces résultats centrés sur la seule sphère professionnelle, pourraient aussi être prolongés par l’étude des stratégies (long terme et court terme) englobant les autres sphères de vie et pouvant influencer la gestion de la carrière. Ceci dit, considérant la diversité des parcours de carrière des EC, nos résultats témoignent d’un paradoxe : la nécessité et la richesse à concilier les trois activités tout en considérant la difficulté à les mener simultanément. Ainsi, comment accompagner les EC dans la mise en œuvre des stratégies qu’ils ont choisies (cloisonnement, ajustement, programmation…) pour gérer leur carrière tout en préservant leurs besoins d’autonomie et de compétence ? Une reconnaissance équitable par l’institution des trois activités ainsi que des stratégies de carrière possibles, choisies et justifiées par l’EC, pourrait constituer un levier dans l’accompagnement de ce que l’on nomme aujourd’hui le suivi de carrière.

Bibliographie

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