Innovation Pédagogique et transition
Institut Mines-Telecom

Une initiative de l'Institut Mines-Télécom avec un réseau de partenaires

Développer la littératie en rétroaction des personnes étudiantes

28 juin 2021 par Michel Briand Veille 226 visites 0 commentaire

Dans ce tableau, Chantal Roussel, professeure à l’UQAR, définit ce qu’est la littératie en rétroaction pour des étudiants et étudiantes universitaires. Elle présente deux stratégies efficaces, guidées par la personne enseignante, permettant de la développer.

Un article de Chantal Roussel repris de Pédagogie universitaire une publication du réseau de l’université du Québec sous licence CC by nc sa

Mise en situation

Émie enseigne en sciences de la santé depuis une douzaine d’années. Elle a beaucoup lu au sujet de l’évaluation des apprentissages et suivi plusieurs formations diffusées sur le web ou offertes par son établissement. Elle comprend bien l’importance de la rétroaction, l’ampleur de ses impacts sur la confiance en soi et sur la progression des étudiantes et étudiants. Durant chaque trimestre, elle offre aux étudiantes et étudiants de bioéthique des appréciations ciblées sur leurs productions. Ses commentaires emploient un ton respectueux puisqu’elle comprend la valeur affective des mots utilisés. De plus, sa rétroaction se centre sur l’essentiel des critères qui leur sont transmis afin qu’ils soient en mesure de saisir le sens des appréciations formulées. Ce faisant, elle saisit les occasions de confirmer les apprentissages réalisés et offre des pistes lorsque des éléments du travail dévient de la voie à suivre (p. ex. en posant des questions référant au critère, en rappelant une consigne, en référant aux objectifs du travail, etc.). À la suite de la remise du travail, elle invite les étudiantes et étudiants à la rencontrer pour discuter avec eux de la rétroaction. Au fil des ans, elle a remarqué l’importance reliée à la compréhension des commentaires formulés et, surtout, à la possibilité que les personnes étudiantes les reconsidèrent lors de travaux subséquents. Elle se demande d’ailleurs quelles autres stratégies pourraient être utilisées pour favoriser la compréhension et l’utilisation de la rétroaction par les étudiantes et étudiants.

Pourquoi ?

CINQ RAISONS DE DÉVELOPPER LA LITTÉRATIE EN RÉTROACTION DES PERSONNES ÉTUDIANTES

 1 La rétroaction représente un puissant moteur de la réussite, ce qui indique l’importance d’en maximiser les bénéfices (Hattie, 2009).
 2 Favorise l’apprentissage des étudiantes et étudiants en augmentant leur niveau de responsabilité, en encourageant la réflexion et en observant leur propre performance ou celle de leurs pairs, en plus de développer une forme d’ « expertise » évaluative (Harris et Brown, 2013).
 3 Transforme le rôle des étudiantes et étudiants en les obligeant à cibler, générer et interpréter les commentaires tout en s’engageant les uns par rapport aux autres (Ion, Cano-Garcia et Fernandez-Ferrer, 2017).
 4 Aide les étudiantes et étudiants à devenir plus critiques de leurs productions, puisqu’ils les comparent avec d’autres productions similaires, ce qui leur indique les forces et les limites pouvant exister.
- 5 Développer la littératie en rétroaction stimulerait les capacités d’autocritique et favoriserait les apprentissages en profondeur (Sutton, 2012).

Quoi ?

QU’EST-CE QUE LA LITTÉRATIE EN RÉTROACTION ?

Sutton (2012) définit la littératie en rétroaction comme étant l’habileté à lire, interpréter et utiliser la rétroaction écrite. Carless et Boud (2018) étendent celle-ci à la compréhension, à la capacité de créer du sens sur l’information (écrite, orale ou autre) obtenue et de l’utiliser dans un objectif d’amélioration de ses productions et de ses stratégies d’apprentissage. Cela implique pour les personnes étudiantes et enseignantes de comprendre ce qu’est la rétroaction et voir comment elle peut être utilisée efficacement ; de développer des capacités permettant d’en faire un usage productif, et de situer leur rôle respectif dans ce processus.

Ce que nous dit la recherche

COMPRENDRE LE PROCESSUS DE RÉTROACTION

Le processus de rétroaction en enseignement supérieur est important pour bien suivre la progression des personnes apprenantes. Il est avantageux de le comprendre, de l’appliquer efficacement, et de l’amener à remplir son rôle d’influence positive sur l’apprentissage (Boud et Molloy, 2013). Il émergerait de l’observation, de l’imitation, de la participation et du dialogue (Bloxham et Campbell, 2010). La rétroaction est composée de différentes remarques appréciatives (des jugements objectifs) formulées. Bien sûr, la personne enseignante est entièrement responsable de l’évaluation. Toutefois, enseignant·es et étudiant·es ont avantage à développer une compréhension claire et partagée de la rétroaction, de sa complexité, ainsi que des possibilités de sa réutilisation pour favoriser l’apprentissage.vol10n03

(Figure par l’autrice)

Comment ?

DEUX STRATÉGIES POUR REHAUSSER LE NIVEAU DE LITTÉRATIE EN RÉTROACTION DES ÉTUDIANTES ET ÉTUDIANTS

L’utilisation des stratégies présentées doit être encadrée de manière bienveillante par la personne enseignante. Il est donc recommandé de respecter certaines conditions.

1. L’analyse de productions exemplaires est une discussion habile, orchestrée par l’enseignant·e, au sujet de points forts tirés d’exemplaires. Elle offre l’occasion de partager les appréciations de l’enseignant·e (et celles des étudiant·es) avec les étudiant·es afin de développer leur jugement critique sur diverses productions. Les exemplaires sont des échantillons de productions à analyser et non des « modèles » que les personnes étudiantes pourraient être tentées de reproduire ; des illustrations des points forts de productions montrant que la qualité peut se manifester de diverses façons.

L’analyse des exemplaires (Sadler, 2010) :

  • Illustre à l’aide d’extraits plutôt qu’en expliquant ce que contient un travail de qualité.
  • Affine la capacité de distinguer différents niveaux de productions en aiguisant le jugement.
  • Permet de reconnaitre les caractéristiques d’un travail de qualité.
  • Rend explicite une partie des connaissances tacites que détient l’auteur·e de cette production.

Comment procéder (rôle de la personne enseignante)

  • Relever les aspects clés d’un travail de qualité et expliquer les raisonnements soutenant ses observations.
  • Considérer les points de vue et les perspectives des étudiantes et étudiants en analysant les exemplaires, afin de créer une véritable interaction entourant ce qu’exige un jugement de la qualité.
  • Faire preuve d’éthique professionnelle, par exemple :
  • Rédiger soi-même des exemplaires comprenant des exemples types de qualité.
  • Reprendre des extraits d’exemplaires avec l’autorisation des étudiantes et étudiants auteurs (que l’on anonymise).
    -* Faire preuve d’objectivité, de tact et de bienveillance au moment d’analyser les exemplaires sélectionnés et commentés.

2. La rétroaction par les pairs est une stratégie consistant à demander à la personne étudiante de rétroagir dans une visée formative, de manière guidée et critique, sur le travail de ses pairs étudiants à l’aide de critères et d’indicateurs d’évaluation dont la compréhension est partagée. Elle :

  • Favorise l’apprentissage des étudiant·es en augmentant leur niveau de responsabilité, en encourageant la réflexion et en observant leur propre performance ou celle de leurs pairs, en plus de développer une « expertise » évaluative (Harris et Brown, 2013).
    -* Transforme le rôle des étudiant·es en les obligeant à cibler, générer et interpréter les commentaires tout en s’engageant les uns par rapport aux autres (Ion, Cano-Garcia et Fernandez-Ferrer, 2017).
  • Aide les étudiantes et étudiants à autoévaluer plus efficacement leurs productions, car ils établissent des comparaisons entre les contenus de leur travail et ceux d’autres productions étudiantes.
    -* Engage les personnes étudiantes cognitivement en fournissant des rétroactions aux pairs : application de critères, diagnostic des problèmes et proposition de solutions.

Comment procéder (rôle de la personne enseignante)

La rétroaction étant complexe et délicate, l’enseignant·e doit y aller progressivement dans la démarche utilisée avec les apprenantes et apprenants. Sans formation ni soutien à la rétroaction entre pairs, il est peu probable que les gains attendus se matérialisent (Tai, Canny, Haines et Molloy, 2016). Il convient donc de :

  • Former les étudiantes et étudiants en les guidant à la rétroaction de qualité : une formulation claire, constructive (propose des pistes d’amélioration plutôt que de simplement souligner l’erreur), centrée sur le contenu (donc, spécifique), etc. La personne enseignante peut donner des exemples de formulations types pouvant servir de référence pour effectuer une rétroaction.
  • Discuter du sens et de la valeur des critères utilisés pour l’évaluation (les étudiant·es peuvent participer à l’élaboration ou à la modulation des critères pour une meilleure appropriation).
    -* Inviter les étudiantes et étudiants à formuler des rétroactions sur des productions d’années antérieures (rétroaction dépersonnalisée pour « mettre en pratique »). Encourager les rétroactions formulées adéquatement et rectifier celles qui sont inappropriées en expliquant les motifs de ces rectifications (protéger l’affect).
    -* Formuler des rétroactions sur des sections de travaux étudiants en privilégiant le travail à 2 ou 3 pairs.

Finalement, le soutien de la personne enseignante s’avère essentiel pour le développement de la littératie en rétroaction. Celle-ci doit être en mesure de saisir la portée de l’évaluation afin qu’elle soit favorable à l’apprentissage.

Références

Bloxham, S. et Campbell, L. (2010). Generating dialogue in assessment feedback : exploring the use of interactive cover sheets. Assessment & Evaluation in Higher Education, 35(3), 291-300. https://doi.org/10.1080/02602931003650045

Boud, D. et Molloy, E. (2013). Rethinking models of feedback for learning : the challenge of design. Assessment & Evaluation in Higher Education, 38(6), 698-712. https://doi.org/10.1080/02602938.2012.691462
Carless, D. et Boud, D. (2018). The development of student feedback literacy : enabling uptake of feedback. Assessment & Evaluation in Higher Education, 43(8), 1315-1325. https://doi.org/10.1080/02602938.2018.1463354
Harris, L. R. et Brown, G. T. L. (2013). Opportunities and obstacles to consider when using peer- and self-assessment to improve student learning : Case studies into teachers’ implementation. Teaching and Teacher Education, 36, 101-111. https://doi.org/10.1016/j.tate.2013.07.008
Hattie, J. (2009). Visible learning : a synthesis of over 800 meta-analyses relating to achievement. Routledge.
Ion, G., Cano-Garcia, E. et Fernandez-Ferrer, M. (2017). Enhancing self-regulated learning through using written feedback in higher education. International Journal of Educational Research, 85, 1-10. https://doi.org/10.1016/j.ijer.2017.06.002
Quality Indicators for Learning and Teaching. (2017). 2016 Student Experience Survey. National Report. https://www.qilt.edu.au/docs/default-source/gos-reports/2017/2016-ses-national-report-final.pdf?sfvrsn=14e0e33c_5
Sadler, D. R. (2010). Beyond feedback : developing student capability in complex appraisal. Assessment & Evaluation in Higher Education, 35(5), 535-550. https://doi.org/10.1080/02602930903541015
Sutton, P. (2012). Conceptualizing feedback literacy : knowing, being, and acting. Innovations in Education and Teaching International, 49(1), 31-40. https://doi.org/10.1080/14703297.2012.647781

Tai, J. H.-M., et al. (2016). The role of peer-assisted learning in building evaluative judgement : opportunities in clinical medical education. Advances in Health Sciences Education : Theory and Practice, 21(3), 659-676. https://doi.org/10.1007/s10459-015-9659-0
Pour en savoir plus

Brassard, N. (2012). Évaluation et rétroaction : comment en tirer profit ? Le Tableau. https://pedagogie.uquebec.ca/le-tableau/evaluation-et-retroaction-comment-en-tirer-profit
Guillemette, F. et Leblanc, C. (2015). Préparer l’évaluation et guider l’apprentissage. https://oraprdnt.uqtr.uquebec.ca/Gsc/Portail-ressources-enseignement-sup/documents/PDF/evaluation_notes_de_cours.pdf

Deux résumés d’articles scientifiques sur la question de l’évaluation :

Boucher, C. (2016). L’évaluation par les pairs en enseignement supérieur. Veille. https://pedagogie.uquebec.ca/veille/levaluation-par-les-pairs-en-enseignement-superieur
CAPRES. (2018). Autoévaluation et évaluation par les pairs – résumé d’article scientifique https://www.capres.ca/enseignement-et-apprentissage/apprentissage-et-ressources-de-letudiant/publication-autoevaluation-et-evaluation-par-les-pairs/

D’autres questions à explorer

Comment puis-je m’assurer que ma rétroaction est de qualité (ampleur, type, etc.) ?
En quoi la qualité de ma rétroaction influence le comportement d’apprentissage et d’étude de mes étudiants ?
Comment cibler les éléments les plus appropriés lors de ma rétroaction ?

Notice biographique

Chantal Roussel est professeure au baccalauréat en enseignement professionnel à l’UQAR. Elle est détentrice d’un doctorat traitant de l’évaluation des apprentissages et des compétences en formation professionnelle. Outre ce domaine privilégié de recherche, elle s’intéresse entre autres à différents aspects de la pédagogie universitaire tels que la formation à distance, ainsi que la conception et l’utilisation pédagogique du manuel numérique en contexte postsecondaire.

Licence : CC by-nc-sa

Répondre à cet article

Qui êtes-vous ?
[Se connecter]
Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom