Innovation Pédagogique et transition
Institut Mines-Telecom

Une initiative de l'Institut Mines-Télécom avec un réseau de partenaires

La création comme expérience de transformation conjointe de l’activité, du produit de l’activité, et du sujet-en-activité.

6 novembre 2020 par jean-marie.barbier Outils d’analyse 1439 visites 1 commentaire

CREER : RECONNAITRE UNE TRANSFORMATION CONJOINTE DE ‘CE QU’ON FAIT’, ‘CE QU’ON EST’ ET DE ‘CE QU’ON PRODUIT’

La pensée créatrice- Félix Chamayou (avec autorisation)


Collectif de recherche

Jean-Marie Barbier
Marie-Laure Vitali
Martine Dutoit
Guy Berger
Sylviane Martin
Long Pham Quang
Damien Coadour
Christophe Morace

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Formation et apprentissages, professionnels
UR Cnam 7529
Chaire Unesco Cnam Formation et pratiques professionnelles

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La ‘créativité’ : une nouvelle injonction

Le pas a été franchi au détour du siècle/millénaire (21ème siècle) : la créativité, censée fondée sur l’autodétermination du sujet dans l’engagement de son action, est devenue une nouvelle prescription, orchestrée par de multiples relais sociaux, aussi bien dans le domaine des ressources humaines, du management, de la gestion, de l’organisation, que de l’ergonomie ou de l’éducation/formation.

Présentée à la fois comme une responsabilité du sujet dans l’engagement de l’action, et comme invention de soi dans l’action, elle est promue aujourd’hui dans les discours managériaux comme la qualité cardinale des sujets au travail. Le modèle de l’artiste devient figure de référence du discours managérial. Dans le même temps l’artiste peut être présenté comme un entrepreneur : https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2015/supplement-b/06-le-modele-de-lartiste-dans-le-discours-managerial-idees-recues-et-consequences/.

En fait, une nouvelle culture d’action :

Si l’on définit les cultures d’action comme un mode partagé d’organisation des constructions de sens et des donations de significations faites par les sujets autour de leurs propres actions (https://www.puf.com/content/Vocabulaire_danalyse_des_activités) , ces cultures ne constituent pas pour autant un mode d’analyse de l’organisation effective de leurs activités. Elles constitueraient plutôt le référent de leur évaluation.

Replacée dans une perspective historique embrassant les modes managériaux dominants depuis les années 60, la valorisation de la créativité peut être située par rapport à trois autres cultures d’action à la fois successives et imbriquées, touchant plus généralement l’organisation des rapports prescrits entre constructions et mobilisations des sujets dans les actions
(https://www.researchgate.net/publication/336699786_Pour_une_archeologie_des_cultures_de_conception_de_la_formation).

1. Une autonomisation relative de la construction des sujets sociaux par rapport à leur mobilisation : Se construire pour être mobilisable.
Ce mode prescrit d’organisation a par exemple favorisé dans le champ de la formation l’approche par objectifs, la construction de référentiels, l’alternance, l’analyse du travail pour la formation, l’ingénierie. L’ordonnancement de la construction des sujets sociaux se fait autour de leur mobilisation dans les champs d’activités, mis en valeur à la même époque par Pierre Bourdieu.

2. Une construction conjointe des activités et des constructions de soi dans les activités (en rapport avec le paradigme constructiviste, en vogue dans les années 80-90) : Se construire en se mobilisant.
Ce mode d’organisation a par exemple favorisé l’intérêt pour les démarches ‘qualité’, pour le développement des compétences, pour la professionnalisation, pour l’analyse des pratiques, pour les compétences transversales.
S’y trouve valorisé également le développement d’actions de pensée (expérience élaborée) et d’actions de communication (expérience communiquée) des sujets sur leurs propres actions.
3. Un engagement dans la mobilisation de soi pour favoriser la construction de soi : Se mobiliser pour se construire.
L’intérêt pour ce mode prescrit d’organisation est particulièrement observable à partir des années 2000. C’est cet intérêt qui a favorisé la valorisation de la créativité, mais aussi la valorisation de l’éducation thérapeutique, et toutes les formes d’agir sur soi passant par un faire professionnel. La mobilisation des sujets y est affirmée comme relevant de la responsabilité́ des sujets eux-mêmes, et l’engagement personnel dans l’action comme voie privilégiée d’invention de soi.
D’autres voies d’approche de la création, ne se limitant pas aux cultures d’action qui les portent, peuvent être proposées.

Approcher la création par la voie de l’expérience

L’expérience dans la mesure où elle rend compte à la fois des transformations des activités et des transformations des sujets en activité ( Vocabulaire d’analyse des activités op.cit), offre une voie particulièrement pertinente de compréhension de la création ‘comme expérience’.

Cette voie nous a conduit à arrêter de confondre création et créativité. Souvent les deux concepts sont confondus : la création est définie comme expression de la créativité, et la créativité comme une inférence à partir de la création. Cette définition circulaire occulte le fait que la créativité est une qualité attribuée à un sujet alors que la création est un ensemble d’activités ordonnées autour d’une fonction qui reste à préciser.

Choisir la voie de l’expérience présente beaucoup de conséquences méthodologiques et sociales : l’expérience n’est pas seulement l’objet d’une documentation par un observateur/enquêteur extérieur, elle s’échange, se partage et se reconnait aussi entre sujets, notamment entre sujets ayant vécu des expériences analogues. Ce qui modifie singulièrement le travail de recherche sur l’expérience et les rôles d’acteurs/chercheurs.

Situer les uns par rapport aux autres les concepts de créativité, d’innovation, d’invention, de découverte et de création.

On observe en effet une grande polysémie dans le vocabulaire de la référence au nouveau, à l’inédit, à la mesure même des enjeux que représente la transformation continue des habitudes d’activités dans les cultures économiques et sociales contemporaines. Cette polysémie est fonctionnelle. Pour lever ces ambiguïtés, nous faisons, sur la base d’une recherche récente, interprofessionnelle et multi-outils (échanges, entretiens, observations, témoignages, récits), sur la création comme expérience, sur les dynamiques de parcours des créateurs et sur les dispositifs de formation à la création, tant industriels qu’artistiques, les propositions suivantes https://www.editionsharmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=65098.

  1. Le concept de créativité
    Le plus en usage dans le discours contemporain, ce terme est fortement corrélé à la notion d’innovation, et à une demande sociale contemporaine de nouveaux produits à offrir dans une économie de marché. La créativité s’analyse comme une qualité attribuée à des sujets à partir d’une évaluation de leurs activités. Elle a le même statut épistémologique que la compétence, que l’on peut analyser comme une inférence causale à partir d’une action réussie.
  2. Le concept d’innovation
    L’innovation peut être analysée comme une transformation des produits de l’activité. Elle est directement corrélée avec l’existence et le développement d’un marché ordonné autour d’une obsolescence programmée des produits offerts. Elle vise l’originalité et la différenciation sur un marché (Carreteiro, Garcia de Araujo, Andrade de Barroso http://www.education-permanente.fr/public/articles/articles.php?id_revue=1733&id_article=2417 p.138). Au total, l’innovation s’analyse comme une recomposition d’activité sans supposer obligatoirement une modification du rapport d’usage, ni une transformation des sujets innovant.
  3. Le concept d’invention
    Le terme d’invention apparaît au contraire quand on se trouve en présence d’une transformation des pratiques sociales. C’est le cas actuellement du développement du numérique, comme ce fut le cas précédemment d’autres inventions dans le domaine des communications entre humains. Les inventions transforment les engagements réciproques d’activité des sujets humains, leurs couplages d’activités (https://journals.openedition.org/lectures/23995) ; elles transforment les usages. L’invention s’analyse comme une transformation de produits couplée à une transformation d’usage.
  4. Le concept de découverte
    Le terme ‘découverte’ apparaît quand il s’agit de désigner quelque chose qui préexiste ou préexistait, mais qui n’était pas objet de connaissance ou de savoir par les sujets concernés. La découverte s’analyse comme une émergence dans le champ de la connaissance ou du savoir de sujets ou de groupes de sujets. Elle se situe par rapport au monde des connaissances acquises ou des savoirs énoncés sur ce qu’est le monde, tel que connu et considéré comme existant. C’est un phénomène interne aux actions de construction de connaissances et d’énoncé de savoirs. Le ‘nouveau’ est un attribut donné par les sujets aux objets de connaissance/savoir en rapport avec ce qui était connu précédemment par le même sujet ou groupe de sujets. La découverte s’analyse comme une transformation des objets de savoir et de connaissance.
  5. Le concept de création
    La création suppose une reconnaissance par le sujet d’une transformation de lui-même. La création agit sur le ’moi’ : elle contribue à définir les contours qu’un sujet s’attribue à lui-même. « Une expérience est quelque chose dont on sort soi-même transformé. [...] De sorte que le livre me transforme et transforme ce que je pense. Je suis un expérimentateur, en ce sens que j’écris pour me changer moi-même et ne plus penser la même chose qu’auparavant » déclarait M. Foucault en 1978 http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Quarto/Dits-et-ecrits. La transformation de soi est conjointe avec des transformations d’activités et des transformations d’usages. Elle s’analyse ainsi comme une action conjointe de transformation du produit, de l’usage et du sujet créateur . La création ne connaît pas à l’avance ce qu’elle produit. C’est un travail dont le coût est connu, mais pas son prix, et dont l’effet est inconnu. Elle est à la fois prise de risque, d’aventure et occasion d’étonnement. L’intérêt contemporain pour la création peut s’interpréter comme une intervention sociale sur la production de soi ("l’invention de soi").

La création comme conjonction d’activités : les configurations d’activités présentes dans les moments mêmes de création

Ces activités sont communes à l’ensemble des expériences de création, qu’elles soient artistiques, culturelles, professionnelles, organisationnelles . Elles surviennent simultanément et sont ordonnées à la triple transformation précédemment relevée : de l’activité, du produit de l’activité, du sujet en activité. Elles constituent des faces de ces mêmes expériences.

1. Engager la performation pour faire émerger l’intention :
« Ce que je fais m’apprend ce que je cherche » P. Klee.

Les créateurs échangeant sur leurs expériences de création insistent sur le rôle de ‘l’engagement d’activité’, par différenciation avec la formation d’une intention préalable : la construction progressive de l’intention s’effectue dans la confrontation entre le sujet créateur et le premier produit de son activité.
Comme l’explique Dewey http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio-essais/L-art-comme-experience p.196), « c’est ce qu’il a préalablement fait qui permet à un artiste de savoir où il va ». A rebours des représentations sociales dominantes, on se trouve en présence d’une influence de la performation d’activité sur la conduite de l’action.
La création n’est pas précédée d’une intention ordonnée autour d’un résultat défini à l’avance. Elle n’est pas déterminée par un acte de volonté : « On n’écrit pas les livres qu’on veut », disait Flaubert (http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Tel/Gustave-Flaubert 218) .. Au mieux la création est favorisée. Dans les moments de création, les créateurs peuvent même éprouver du plaisir à ne pas savoir où ils vont.
L’amont d’une expérience de création est éprouvé comme un mouvement, une pulsion, un désir de faire. C’est la perception d’un affect (Vocabulaire d’analyse des activités, op.cit). Je me mets à travailler, et cela fait autre chose, disent fréquemment les créateurs. Ce mouvement est souvent comparé à l’activité ’naturelle’ de l’enfant, décrite d’ailleurs en termes de création. On peut parler de pulsion d’activité et de pulsion de soi en activité. Cette pulsion a intéressé en particulier les philosophies vitalistes et a été nommée de façon diverse : conatus chez Spinoza https://www.momox-shop.fr/spinoza-benedictus-de-l-ethique-folio-essais-taschenbuchM02070328295.html?variant=UsedAcceptable&gclid=Cj0KCQjw8rT8BRCbARIsALWiOvSX3z8-zSGMNNW9xx36fM6p1muL1N6W051PBiAwSCHpaxWa6Eg-O7UaAlBVEALw_wcB), élan vital chez Bergson file :///19 Bergson, H. (2014). L’évolution créatrice. Paris / PUF.), polarité chez Jullien ( https://www.grasset.fr/livres/cette-etrange-idee-du-beau-9782246768111 217 et seq ) .
Les créateurs évoquent souvent une forme de jaillissement soudain qui relève moins de l’action comme organisation d’activités ordonnée par le sujet autour d’une intention , que de l’activité comme perception/transformation du monde et perception/transformation de soi percevant/transformant le monde.
Ce jaillissement joue une fonction de "déclic" de l’activité ; il est désigné comme une "idée", nécessaire et confuse, déclencheuse d’activité et représentation d’un possible d’activité. Créateur de parfum, Jean-Claude Ellena https://www.babelio.com/livres/Ellena-Journal-dun-parfumeur/410046 , indique, "Je suis conscient que je suis le seul à pouvoir me représenter mentalement son odeur. ».
Cette performation fonctionne comme une communication du sujet à lui-même pour y ’ voir plus clair’. Elle est une base, une trace permettant la poursuite de l’activité. Elle est un premier possible-en-acte : pour le peintre, le premier coup de pinceau qui informe la suite de son activité. C’est un processus de développement non déterministe.
Le possible n’est donc pas l’être en puissance comme dans la philosophie aristotélicienne/scholastique, c’est déjà ce qui arrive. La première trace d’activité a un effet générateur pour la suite. Le faire est contraint par le déjà-là. Selon l’expression de P. Klee, c’est donc le travail qui est le chemin (Werk ist Weg). Ce n’est qu’au terme du processus de création que le créateur prend conscience de sa propre intention.

2. Inhiber les constructions de sens opérées autour de la conduite habituelle de l’action :
«  Il faut avoir du chaos en soi pour enfanter une étoile qui danse ». Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra https://www.babelio.com/livres/Nietzsche-Ainsi-parlait-Zarathoustra/15506 Prologue § 5

Un certain nombre de travaux de neurosciences tendent à faire valoir, dans l’émergence d’activités créatrices, l’existence d’une activité d’inhibition de réponses immédiates et automatiques, souvent approchées en termes de combinaisons neuronales et/ou de schèmes.
L’inhibition s’exerce en fait sur les constructions habituelles de sens que le sujet opère autour de la conduite de son activité ordinaire. Cette inhibition est elle-même une activité.
Les créateurs reconnaissent être en multi-activité dont l’une apparait comme action principale , comme ’préoccupation’, dans laquelle ils se voient engagés, ce qui autorise la présence dans la même situation, d’autres activités, moins ’investies’ de sens, et variables selon les sujets. Pour un romancier c’est l’œuvre de fiction qu’il a soit imaginée soit rêvé de faire... sous la douche.
C’est pour favoriser l’action principale, objet de construction de sens et de charge mentale, que sont évoquées des situations de décrochage, de débrayage, de lâcher prise, de déconnexion par rapport à l’activité ordinaire. Ces situations rendent possible l’entrée dans un processus de création : « Si je veux vraiment créer, très modestement, malheureusement je me balade. Je marche. Je pense que c’est en marchant que l’on créée » (Chercheur, https://www.opinion-internationale.com/2018/09/30/le-cerveau-createur-dans-un-monde-en-mutation-les-rencontres-capitales-ouvrent-le-debat_55804.html). Ce qui n’est jamais que revivre l’expérience de Jean-Jacques Rousseau, relatée dans les Confessions https://livre.fnac.com/a3808612/Jean-Jacques-Rousseau-Confessions-Confessions-Tome-1-nouvelle: « Jamais je n’ai tant pensé, tant existé, tant été́ ’moi’ si j’ose dire, que dans les voyages que j’ai faits seul et à pied. La marche a quelque chose qui anime et avive mes idées ; je ne puis presque penser quand je reste en place ; il faut que mon corps soit en branle pour y mettre mon esprit. Tout cela dégage mon amé, me donne une grande audace de penser (...) ». « Quand c’est insupportable, je me mets à̀ travailler avec la radio comme fond (...) j’ai besoin de faire plusieurs choses en même temps. Il y a du confort d’avoir le sentiment d’appartenir à̀ plusieurs mondes en même temps ; on a le sentiment de pouvoir se libérer de certaines règles » (L. Duneton, Conférence Travail créateur, Crtd-Cnam https://calenda.org/433553).
Lorsqu’il a été́ éprouvé, le lâcher-prise est explicitement recommandé. Il est formulé en termes de renoncement à la maîtrise, ou en termes de combinaison de maîtrise et d’abandon, comme dans le cas du travail d’acteur : « En répétition, il ne faut pas jouer à l’intelligent tout le temps (...). Il faut parfois simplement s’abandonner. Cette dialectique de l’abandon et de la maîtrise constitue toute la difficulté du métier d’acteur. Maîtriser les choses et s’abandonner à elles, les réfléchir et cesser de les réfléchir » (Podalydes, https://www.franceculture.fr/litterature/les-masterclasses-de-france-culture-creer, 131).
Ces situations de décrochage sont vécues comme des moments de détachement de soi, de ses ressources personnelles habituelles : habitudes de pensée, habitudes professionnelles, habitudes de comportement, habitudes venant d’expériences antérieures. On retrouve, on le voit, une des expressions favorites de Louis Jouvet,https://editions.flammarion.com/Catalogue/champs-arts/le-comedien-desincarne, « pour être personnel, il faut d’abord se dépersonnaliser ».
Elles sont vécues également comme des moments de déstabilisation émotionnelle. Mais cette angoisse, non désirée, peut elle-même être appropriée, faite sienne : « L’angoisse m’est familière. Je ne l’ai jamais invitée. Elle a surgi par surprise alors que j’avais 20 ans ou un peu moins. Je l’ai détestée, puis acceptée. C’est elle qui m’a fait comprendre beaucoup plus tard que le ‘véritable mystère du monde est le visible, et non l’invisible’. Cette phrase d’Oscar Wilde, à la fois simple et complexe, m’a déstabilisé si fortement le jour où je l’ai lue que j’ai eu l’impression de perdre pied quelques secondes » (Ellena, https://livre.fnac.com/a4087360/Jean-Claude-Ellena-Journal-d-un-parfumeur, op.cit . 43). Rétrospectivement les sentiments peuvent s’inverser : « La création est associée au péril (...). Le nombre de situations qui me sont arrivées et que je vis maintenant avec délice mais qui étaient sur le moment insoutenables » (Directeur centre création culturelle, Entretien).
Cette posture nouvelle est génératrice elle-même d’une activité de reconstruction de sens. Les ’idées’ surviennent dans des situations incongrues : « Quand les gens ont une idée nouvelle, cela se passe toujours sous la douche, en laçant ses souliers, ou en marchant. Poincaré, quand il a trouvé sa fameuse théorie, c’était place Saint Michel en montant dans l’autobus, il n’y pensait pas du tout, c’est ensuite qu’il l’a cristallisée » (Chercheur , https://www.opinion-internationale.com/2018/09/30/le-cerveau-createur-dans-un-monde-en-mutation-les-rencontres-capitales-ouvrent-le-debat_55804.html). Mais surtout les idées ne sont pas seulement des représentations de possibles d’activité, mais aussi des reconstructions de sens pour le sujet qui les imagine. L’idée est tout autant dans l’usage du projet que dans le projet.

3. Laisser advenir à la conscience le produit d’une activité sous-jacente :
« Ce qui frappera tout d’abord, ce sont ces apparences d’illumination subite, signes manifestes d’un long travail inconscient antérieur » (H. Poincaré, L’invention mathématique, in Villani : https://editions.flammarion.com/Catalogue/champs/les-mathematiques-sont-la-poesie-des-sciences , 101)

L’activité de conscience est une conjonction établie par un sujet entre la représentation qu’il se fait de son activité en cours et la représentation qu’il se fait de lui-même comme sujet de cette activité (Vocabulaire d’analyse des activité, op.cit.).
Placé dans une situation de décrochage et de détachement de soi, le sujet peut laisser advenir à la conscience des possibilités de nouveaux liens d’usage. Les créateurs parlent souvent de l’existence d’un travail invisible, inconscient, effectué par une autre part de lui-même, et dont il va être conscient après coup, et qu’il va traiter sur le mode de la découverte.
Ce travail consiste à multiplier les combinaisons. D. Laming, architecte, indique (Séminaire public du Cnam sur les expériences de création, Chaire Unesco, 2017,Conférence) : « Je ne travaille que dans mon lit et en dormant pratiquement. C’est à dire que le cerveau et l’imagination, et la liberté de trouver ce n’est pas un labeur (...). Jean-Claude Carrière a une très belle image (...) à savoir que nous avons dans nos cerveaux des ouvriers invisibles (...) ils ne se mettent jamais en grève ». Pour rendre compte de ce travail, ils recourent à des expressions qui mettent en jeu une part d’eux-mêmes avec laquelle ils ont un autre rapport que la conscience. La terminologie employée est souvent celle de l’appel à l’inconscient et au subliminal. Le mathématicien Poincaré (L’invention mathématique, in Villani, op.cit. , 104-105-109) insiste sur le moi subliminal dans ce qu’il appelle l’invention : « le moi subliminal joue un rôle capital dans l’invention mathématique (...) Mais on considère d’ordinaire le moi subliminal comme purement automatique (...) Il est certain que les combinaisons qui se présentent à l’esprit (...) après un travail inconscient un peu prolongé sont généralement utiles et fécondes (...) Le moi conscient est étroitement borné, quant au moi subliminal, nous n’en connaissons pas les limites, et c’est pourquoi nous ne répugnons pas trop à supposer qu’il a pu former en peu de temps plus de combinaisons diverses que la vie entière d’un être conscient ne pourrait en embrasser ».
Ce travail inconscient n’est pas séparé du travail conscient qui l’a précédé ou qui l’accompagne. C’est ce qui explique l’importance du travail conscient préliminaire, relevé par Poincaré (Villani, ibidem, 109) « Peut-être faut-il chercher l’explication dans cette période de travail conscient préliminaire qui précède toujours tout travail inconscient fructueux ». Et par F.Chamayou, auteur de l’œuvre illustrant ce texte (Dubois, Vitali, Sonntag, https://www.worldcat.org/title/creation-creativite-et-innovation-dans-la-formation-et-lactivite-dingenieur/oclc/1025340567 , 249-259) « Si, dans la création, l’essentiel est de faire, d’atteindre la concrétude (...) c’est un dialogue constant avec l’inconscient (...). Le réel résiste, mais c’est une source importante de l’inventivité, car il stimule en retour l’inconscient ». De ce point de vue, la prise en compte d’une commande extérieure peut être un élément de réalité qui n’entrave pas le processus de création mais qui au contraire peut être vécue comme une stimulation .
La création a ceci de commun avec l’invention qu’elle consiste à opérer un choix entre différentes combinaisons en fonction de leur pertinence. Faire de nouvelles combinaisons ne suffit pas, encore faut-il qu’elles soient pertinentes, c’est à dire adaptées à l’usage, en l’occurrence un nouvel usage. La pertinence est une représentation ou un énoncé attributif de valeur sur le lien entre une action et son environnement praxéologique : « Inventer, cela consiste précisément à ne pas construire les combinaisons inutiles et à construire celles qui sont utiles et qui ne sont qu’une infinie minorité. Inventer, c’est discriminer, c’est choisir » (Poincaré, Villani, op.cit., 95-96). Ceci est vrai aussi de la création industrielle . L’idée est la représentation conjointe d’un possible d’activité et d’un intérêt ou d’un usage pertinent. Poincaré (Villani, op.cit. 106-111-113) s’efforce de la décrire : « Toutes les combinaisons se formeraient par suite de l’automatisme du moi subliminal, mais, seules, celles qui seraient intéressantes pénétreraient dans le champ de la conscience. Et cela est encore très mystérieux (...) Les phénomènes inconscients privilégiés, ceux qui sont susceptibles de devenir conscients, ce sont ceux qui, directement ou indirectement, affectent le plus profondément notre sensibilité(...). J’ai parlé d’une nuit d’excitation, où je travaillais comme malgré moi (...) il semble que, dans ce cas, on assiste soi-même à son propre travail inconscient, qui est devenu partiellement perceptible à la conscience surexcitée et qui n’a pas pour cela changé de nature". »
L’intuition est la conscience de la pertinence d’une idée par rapport à un usage. Elle est une action en acte, un ’circuit court’. A. Gide relevait qu’A. Einstein disait penser rarement avec des mots (...) il dit c’est une sorte de regard (...) il a l’impression de voir. Varela https://www.seuil.com/ouvrage/l-inscription-corporelle-de-l-esprit-francisco-varela/9782757867181, p.87) utilise le mot ’être à propos’ ou ’intentionnalité’ : « La notion-clef dans ce contexte est celle de représentation ou d’intentionnalité, terme signifiant être à propos de quelque chose (...). À partir de là, nous ne pouvons expliquer le comportement cognitif que si nous supposons qu’un agent agit en se représentant des traits pertinents des situations dans lesquelles il se trouve ». Ce qui signifie aussi une disponibilité : « Ce que nous appelons l’inspiration, c’est que par moment on sait la capter, se rendre disponible à cette énergie, et par moment, on ne sait pas » (Musicien, Témoignage, https://www.opinion-internationale.com/2018/09/30/le-cerveau-createur-dans-un-monde-en-mutation-les-rencontres-capitales-ouvrent-le-debat_55804.html).
Le résultat de ce choix s’impose au sujet comme une certitude et génère une nouvelle grammaire d’activité : « Quand une illumination subite envahit l’esprit du mathématicien, il arrive le plus souvent qu’elle ne le trompe pas » (Poincaré,Villani ibidem, 108). Si nous appelons grammaire d’activité une activité génératrice d’activité, la création peut être définie comme une idée génératrice de nouvelles idées d’activité du sujet qui l’a produite. L’idée nouvelle ainsi créée présente tous les caractères d’un changement de vue qui s’impose au sujet. « La première fois que j’ai eu ce sentiment : ah ! mais ça change tout ça c’est quand, au début de ma vie professionnelle, je me suis intéressé à la question non pas seulement de l’activité, mais égalment des rapports sociaux dans l’activité (...) Il fallait accoucher de cela et (...) je suis bien resté quinze jours-trois semaines avec ce problème là, tout à coup, ’Ah ! Mais c’est bien sûr’, c’est apparu comme une évidence, mais pourquoi n’y avais-je pas pensé avant ? (...) Il y a un effet de sidération devant le changement à opérer » (Chercheur, Atelier).
L’idée nouvelle transforme l’activité ultérieure. « Tout ce qu’on peut espérer de ces inspirations, qui sont l’effet du travail inconscient, ce sont des points de départ pour de semblables calculs ; quant aux calculs eux-mêmes, il faut les faire dans la seconde période du travail conscient, celle qui suit l’inspiration, celle où l’on vérifie les résultats de cette inspiration et où l’on en tire les conséquences » (Poincaré, Villani, op.cit, 112). « De cette "rencontre olfactive" que j’avais consignée dans mon carnet Moleskine, j’ai gardé en mémoire une image très détaillée sur laquelle j’ai décidé aujourd’hui de commencer à travailler » (Ellena, ibidem, 31). Elle transforme le sujet lui-même : « Là, je me suis dit, "mon petit père, il faut que tu sois sûr de ce que tu dis là, parce que tu n’es pas du tout dans le discours dominant" ». (Chercheur, Atelier).

4. Rassembler ce qui est épars
« J’aime tous mes bébés. Mais pas de la même manière (...) la vraie rupture a été le Kinemax c’est-à-dire le Cristal de roche. Là il y avait à la fois une belle métaphore sur la limpidité, le cristallin, l’organisation de la nature et cette force inouïe de mise en ordre des choses (...), le symbole de la capacité de la nature à se mettre en ordre dans un cristal, un minéral. » (Denis Laming, Architecte, Web).

Pour Dewey le sentiment de beauté naît d’une expérience d’unité. Dans l’Art comme expérience (op.cit.) il parle d’unité dans la diversité. Cette affirmation se situe dans la perspective de l’unité/continuité de l’expérience : « De même qu’il revient à l’art d’être unificateur, de frayer un passage à travers les distinctions conventionnelles (...), de même il revient à l’art de faire concerter les différences au sein de la personne individuelle, de supprimer l’atomisation et les conflits entre les éléments qui la composent, et de tirer parti de leurs oppositions pour construire une personnalité riche ».

Dans la création, trois types de rassemblements s’opèrent en même temps, provoquant précisément un sentiment d’unité : - Rassemblement dans le produit de la création . - Rassemblement dans le processus de création lui-même, se manifestant en termes de recomposition. - Rassemblement au niveau du moi du sujet créateur, donc de la définition par le sujet des contours de soi et dans l’affirmation qu’il fait de lui-même devant autrui.

Le vocabulaire de l’assemblage, du rassemblement, est fréquemment utilisé pour décrire le produit de la création. « Mon besoin de créer, d’assembler est venu très tôt » (Henry https://philharmoniedeparis.fr/fr?_ga=2.160432830.2048228956.1603282876-1730916088.1603282876, 34). « Je me suis mis assez rapidement, en tout cas au niveau des images, et également au niveau des objets, à tenter de les rassembler pour constituer des choses plus vastes, plus grandes (...) Et le sous-titre de ma thèse, c’est : La pratique de l’assemblage comme rituel de résistance » (Artiste plasticien, Entretien). Cet assemblage est un aboutissement. « C’est cela qui m’intéressait : ces lignes mélodiques, ce contrepoint, ces rapports, c’est-à-dire l’attirance entre le son de l’un et le son de l’autre, cette forme de sympathie". (Henry, op.cit. 37). Ce qui rejoint le propos prêté à Saint Exupéry : « Dans quelque domaine que ce soit, la perfection est enfin atteinte non pas lorsqu’il n’y a plus rien à ajouter, mais lorsqu’il n’y a plus rien à enlever ».

Dans tous les cas il reste un inédit : pour R. Bresson http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio/Notes-sur-le-cinematographe « Rapprocher les choses qui n’ont encore jamais été rapprochées et qui ne sembleraient pas disposées à l’être ». La force de la création c’est de mettre ensemble des choses qui ne vont pas ensemble. « Ma définition de l’artiste, c’est quelqu’un qui se réveille le matin et qui fait des choses qu’on ne lui a jamais demandé » (Formateur, École de création, Entretien).

La recomposition n’est pas seulement dans le produit de l’activité, mais dans l’activité elle- même. L’activité est plus directe : « Pour moi, la création c’est vraiment le chemin le plus court et le plus juste pour arriver à une sorte de bonheur et de paix intérieure » (Petitgérard, Cerveau créateur, op.cit). Elle est aussi la plus économe : « La culture Troisgros a toujours été le rejet de toute forme de sophistication. (...) Rien ne m’émeut autant que le peu : peu d’ingrédients qui, justement choisis et essentiels, révèlent beaucoup sous le nez, devant les yeux, puis dans la bouche de celui qui le goûte » (Troisgros, https://livre.fnac.com/a10939770/Michel-Troisgros-La-joie-de-creer 155-156). L’économie de moyens est célébrée comme une vertu. Mozart dans une lettre à un proche à propos de ses concertos (XV 413-4-5) écrivait ainsi : « Ils tiennent le juste milieu entre le trop difficile et le trop facile... mais ils manquent de pauvreté » (in : Robert Bresson, 1995, http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio/Notes-sur-le-cinematographe.
L’activité devient plus importante que le produit : « depuis que je suis devenu président de l’Académie des Fous, j’ai compris que la création, c’est le processus même de création » (Polunin, Cerveau créateur, op.cit.). « J’ai trouvé maintenant le moyen de faire de ça un ensemble lisible... il n’y a pas que l’instant séminal de l’idée il y a aussi toutes les autres idées qui viennent, qui se collent, (...) vous avez l’homogénéité de l’idée princeps et l’hétérogénéité de vous vivant avec ce livre qui allez attraper plein de choses » (Romancier, Entretien).

Cette recomposition singularise l’auteur tout en s’inscrivant dans une histoire collective. « Fabriquer un ‘travail d’auteur’, c’est-à-dire(...) une signature différente de toutes les autres. Pour y parvenir, ces grands vignerons n’hésitent pas à transgresser règles et normes, à expérimenter des cépages ou des modes d’élevage inconnus, à délaisser le confort commercial des reconnaissances officielles (AOC) pour explorer ce qu’ils estiment correspondre à leur exigence la plus intime, à leur conviction la plus radicale » (Troisgros,op.cit , 93). « L’unicité de l’œuvre d’art et son intégration à la tradition ne sont qu’une seule et même chose (...) la valeur unique de l’œuvre d’art ‘authentique’ se fonde sur ce rituel qui fut sa valeur d’usage originelle et première » (Benjamin W., https://initiation.histoiredelart.info/initiation/loeuvre-dart-lepoque-de-sa-reproductibilite-technique, 18-19). Le créateur se reconnaît dans ce produit. « Le plus souvent je n’évalue pas la nouvelle ébauche en la comparant à la précédente. Je cherche seulement à voir si le résultat olfactif global correspond à ce que j’ai en tête (...) . Il ne s’agit pas pour moi de modifier quelques éléments de la formule du parfum dans une démarche linéaire, aller vers un but connu, comme pourrait le faire un artisan qui maîtrise l’objet de son savoir, mais de chercher ce qui n’existe pas encore. Ainsi, au bout d’un certain temps, je sens l’ensemble des ébauches pour n’en garder que deux ou trois, chacune ayant sa propre expression et ne résultant pas de la précédente, et j’élimine les autres essais. Par cette démarche, j’ouvre de nouveaux territoires. De fait, je poursuis simplement un propos d’artiste, celui qui cherche et, parfois, trouve » (Ellena, op.cit., 22-23). « Une œuvre vit trois fois : une première fois dans votre tête, une deuxième fois quand elle est là, et la troisième fois quand vous la regardez » (Architecte, Conférence).

5. Vivre un moment de rencontre, de ’cristallisation’

Le ’moment de création’ constitue aussi une expérience holiste : il implique un lien entre une représentation d’engagement dans une situation d’action et une représentation identitaire globale mettant en jeu une perception de soi dans l’ensemble de sa biographie. On peut parler de ’moi biographique’. Le sujet se reconnaît dans une situation d’action. Retour ligne automatique
Ce moment est souvent décrit en termes de rencontre, soit avec d’autres sujets rencontrés, soit avec un environnement qui devient chargé de sens, à la mesure de sa représentation identitaire globale. Dans la littérature, la description la plus proche de ce phénomène est probablement le concept de cristallisation que Stendhal (https://www.babelio.com/livres/Stendhal-De-lamour/4227) utilise pour approcher le sentiment amoureux et plus particulièrement pour le phénomène d’idéalisation à l’oeuvre au début d’une relation amoureuse ;"en un mot, il suffit de penser à une perfection pour la voir dans ce qu’on aime". Les sentiments supposent l’exercice d’une activité de conscience, de reconnaissance de soi par soi en situation d’interaction avec autrui. Un lien est fait entre perception globale de soi et représentation de la situation d’action.

Le moment même de création fait "événement" pour le sujet. Il est vécu comme un moment intense, qui s’inscrit dans la mémoire émotionnelle de soi. « Je faisais ces photos soit très tôt , soit tard le soir, quand le soleil est couché ou pas encore levé (...).Et c’est là qu’ont commencé les choses extraordinaires. C’est-à-dire que sur la plaque de plexiglas le soleil a commencé à jouer (...) Quand je vous parlais de l’expérience du corps (...) c’est vraiment ça. Contact avec la terre, l’observation, le long temps d’observation. Je ne peux pas penser à mon père sans avoir les larmes aux yeux. Là le fait de voir cette image avec le filtre de la caméra m’oblige à me concentrer sur l’image pure et les sensations. J’en oublie la douleur et j’en oublie la peine (...)" (Photographe , Entretien).

Cet événement est une rencontre entre perception d’un environnement physique ou social et perception de soi. C’est constatable même dans le travail de recherche : « Je me souviens très bien de l’endroit où ça s’est passé, c’était d’ailleurs dans ce bâtiment auprès d’une photocopieuse, et je suis dit : ’Si j’appelais cela comme ça (...) alors cela changerait les choses’ (...) chaque fois que j’ai cru faire une création conceptuelle, je me souviens exactement de l’endroit où elle s’est passée » (Chercheur, Atelier). « Mon père..., j’ai essayé de mener l’enquête et combien de fois j’ai essayé de comprendre un peu..., cette tristesse qu’il avait toujours au fond de lui-même dès qu’il parlait d’Italie ou dès qu’il parlait de France. Le seul moment joyeux, le seul moment où je l’ai senti heureux de son existence, c’est son enfance dans les Vosges (...) Et du coup je me suis dit ’Mais, voilà ! Il a été heureux là-bas et je vais aller dans les Vosges’" (Photographe).

Cette rencontre est accompagnée d’une émotion, d’une réorganisation des constructions de sens du sujet. C’est une rencontre : « L’odeur est vaste et évidente, j’ai le sentiment brutal qu’elle peut me servir. J’éprouve une telle joie à la volée que je note dans mon carnet ce que je ressens, noms de matériaux, notes d’impression, un début de formule. Ma mémoire complétera les détails que je n’ai pas écrits. Le portrait olfactif que je vais tirer au laboratoire ne sera pas la production de ce que j’ai senti, mais l’image de l’odeur mis en mémoire. Ces ‘rencontres olfactives’ dont je tire parti me dopent à un tel point que j’en oublie généralement ma fatigue, et je me sens d’un coup libéré et léger » (Ellena, op.cit. 15). Un moment de grâce : « En fait au début tout ça je trouvais intéressant parce que c’est un travail très expérimental (...) et c’est là qu’est apparue la chose extraordinaire c’est-à-dire : l’improbable, l’espèce de moment de grâce où tout d’un coup vous voyez que le soleil est en train de jouer sur la plaque et du coup il y a à la fois l’effet de transparence et de reflet qui donne ça. Et du coup d’un propos on va dire personnel, ça devient un homme universel » (Photographe). « Pour moi, la création, c’est vraiment le chemin le plus court et le plus juste pour arriver à une sorte de bonheur et de paix intérieure » (Polunin, Cerveau créateur).

Cette réorganisation est une reconstruction / transformation de l’expérience du créateur. « Je n’ai fait que dérouler le son ! Une fois encore, la langue, comme je vous le disais, on ne fait que dérouler ce qu’il y a déjà dans la langue. (...) Je pensais que j’imaginais ces choses- là ... que j’étais l’auteur. Une fois encore, on est rabattu. Notre vanité est rabattue à la réalité physique des choses. C’est à dire que ce son contient toutes ces idées » (Romancier, Entretien). « C’est hyper violent. Et en même temps quelque part je me suis dit que cela ne peut pas s’arrêter là, il faut finir ça, quoi ! Il faut aller au bout de ça (...) Donc à la fois on est parti d’une base d’univers et on a quand même redéveloppé différemment » (Metteur en scène). « Quand j’ai commencé à constater le jeu du soleil sur les plaques. Je me suis dit "mais il est là, le travail" » (Photographe, Entretien). Retour ligne automatique

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Travailler sur la création c’est être confronté à ce qu’est l’activité humaine , et à ce qu’elle fait : logiques d’émergence et de développement, rapports entre activité et action, entre activité et sujet-en-activité, solidarité des transformations individuelles et collectives, des transformations intra- et inter-psychiques. Mieux qu’une énigme, l’analyse de l’activité est un défi pour l’acteur comme pour le chercheur : décomposer dans l’instant ce qui est en perpétuel mouvement.

Licence : CC by-sa

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