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Capron Puozzo, I. (Ed.). (2016). La créativité en éducation et en formation. Perspectives théoriques et pratiques. Louvain-La-Neuve, Belgique : De Boeck.

3 octobre 2020 par Evelyne Clavier Veille 120 visites 0 commentaire

Un article repris de http://journals.openedition.org/eds...

Un article repris de la revue Socialisation et Education, une publication sous licence CC by nc nd

Évelyne Clavier, « Capron Puozzo, I. (Ed.). (2016). La créativité en éducation et en formation. Perspectives théoriques et pratiques. Louvain-La-Neuve, Belgique : De Boeck. », Éducation et socialisation [En ligne], 57 | 2020, mis en ligne le 27 octobre 2020, consulté le 03 décembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/edso/12261 ; DOI : https://doi.org/10.4000/edso.12261

La créativité s’apprend et s’enseigne. Tel est le message de cet ouvrage collectif de 192 pages regroupant dix contributions de chercheurs et de chercheuses de différents pays francophones provenant de champs disciplinaires et interdisciplinaires variés. L’ouvrage a le mérite de lever certaines idées reçues sur la créativité, parfois encore envisagée comme un don réservé à certains êtres d’exception. En Suisse Romande et au Québec, la créativité est conçue comme une compétence transversale qui vient soutenir les apprentissages. En France, le socle commun de connaissances, de compétences, de culture de 2015 se fixe comme objectif dans son préambule de « développer les capacités de compréhension et de création, les capacités d’imagination et d’action ». Ainsi, dans le domaine 4, « les systèmes naturels et les systèmes techniques » et dans le domaine 5, « les représentations du monde et l’activité humaine », est-il demandé respectivement à l’élève de « [mettre] en œuvre observation, imagination, créativité, sens de l’esthétique […] » et de « mobiliser son imagination et sa créativité au service d’un projet personnel ou collectif ». Entre 2013 et 2017, date de sa disparition, le CNIRE (Conseil national de l’innovation pour la réussite éducative) misait sur les pratiques innovantes « prenant appui sur la créativité des personnes et de tous les élèves » (cité par Capron Puozzo, p. 14) pour « porter les valeurs de la démocratisation scolaire » (ibid, p. 13) [1]. Mais qu’entend-on par créativité ? L’intérêt de ce livre est de poser un cadre épistémologique solide à cette notion souvent peu explicitée, d’en proposer des déclinaisons en situation d’éducation et de formation et de montrer certains enjeux majeurs d’une pédagogie de la créativité.

De la créativité

L’ouvrage dans son ensemble s’appuie sur définition large et consensuelle de la créativité, donnée au chapitre 3. Elle est « cette capacité à générer une production nouvelle originale et adaptée aux contraintes de la réalité » (p. 65) et suppose « le désir de générer de nouvelles solutions, de nouvelles idées ou de nouveaux comportements jusqu’alors inconnus » (ibid.), selon Lubart, Zenasni et Barbot, chercheurs en psychologie. C’est cette discipline qui, avec le discours de Guildford en 1950, a initié une conception moderne de la créativité et a lancé son étude faite selon différentes approches : cognitive, sociopsychologique, socioculturelle, multivariée. Botella, Nelson et Zenasni examinent deux approches complémentaires du processus créatif dans le domaine des idées. Il s’agit de l’approche en macroprocessus qui identifie quatre étapes - la préparation, l’incubation, l’illumination, la vérification (modèle de Wallas) - et l’approche en microprocessus qui permet de comprendre le fonctionnement de pensée divergente [2], de la pensée associative [3] , de la pensée convergente [4] alors mobilisées. Clerg-Georgy montre que la collaboration de la pensée conceptuelle et de l’imagination est nécessaire à l’émergence de la créativité. Elle propose cinq pistes pour le développement de l’imagination en situation d’enseignement et notamment dans l’objectif de prévenir la « chute de l’imagination » (p. 91) à l’adolescence. En milieu scolaire, elle rappelle à juste titre que la créativité peut être source de malentendu et être associée à tort à un « système de croyances éducatives qui revendiquent la spontanéité et qui dénoncent l’action sclérosante et étouffante de l’école » (p. 80). Piccardo, quant à lui, dégage les enjeux de la créativité pour les individus dans les sociétés postmodernes à l’aune du concept de complexité. De nombreux textes plaident pour le développement de la créativité à la fois chez les enseignants et les apprenants dans une perspective non utilitariste. Dans l’introduction, Capron Puozzo invite ainsi à faire confiance en une pédagogie de la créativité à même selon elle d’impulser le désir de formation tout au long de la vie. La pédagogie de la créativité consiste à concevoir des dispositifs qui puissent contribuer à tisser des passerelles entre l’apprenant, son histoire, l’objet de son savoir et le contexte. Elle suppose une approche holistique des apprentissages qui englobe une triple dimension : cognitive, affective et conative. La conclusion insiste également sur le rôle du corps pour apprendre et être créatif. Au chapitre 5, Sofia évoque la « créativité incarnée » entendue comme « une créativité située dans un corps interagissant avec son environnement » (p. 96) en contexte de formation de l’acteur. Cette dimension somatique de la créativité pourrait être davantage prise en compte en milieu scolaire où le corps de l’apprenant demeure encore peu mobilisé dans certaines disciplines catégorisées comme intellectuelles.

Des expériences créatives en situation d’enseignement

3Dans cette optique, Aden témoigne, au chapitre 6, en faveur d’une pédagogie et d’une didactique des langues vivantes menées au moyen d’activités théâtrales pour réduire les inhibitions émotionnelles, corporelles et les filtres cognitifs qui entravent apprentissages. Sa démarche s’appuie sur la théorie de l’enaction (de l’anglais to enact : susciter, faire advenir, faire émerger) qui considère que « la cognition, loin d’être une représentation d’un monde prédonné est l’avènement conjoint d’un monde d’un esprit à partir de l’histoire des diverses actions qu’accomplit un être dans le monde » (Varela et al., 1993, cité par Aden p. 108). Ainsi pour Aden, l’enjeu de la créativité dans l’enseignement est-il de « refonder l’acte d’apprendre » (p. 108) grâce aux apports des sciences cognitives qui lui accordent une place centrale. Au chapitre 8, de manière également pragmatique à partir de recherches menées sur le terrain de l’école en Suisse, Giglio s’intéresse aux « gestes des enseignants pour soutenir une collaboration créative entre élèves », des gestes appelés « étayages créatifs » (p. 134). Ceux-ci doivent faciliter le passage d’une posture de récepteur et de consommateur à celle de concepteur et de producteur et aider à imaginer, penser et agir de façon créative dans une communauté d’apprentissages. Pour l’enseignant, il s’agit ainsi d’orienter les apprenants vers la tâche créative collaborative proposée en encadrant le temps accordé, d’observer ceux-ci sans les interrompre, de soutenir la gestion autonome des conflits et des ententes, de confirmer l’avancement du travail et d’apporter certaines connaissances nécessaires. L’enseignant devient alors « un constructeur d’étayages créatifs » (p. 149). Cette fonction doit être accompagnée et être intégrée à la formation initiale et continue. Elle peut en effet susciter des résistances et des peurs car elle vient à l’encontre de certaines représentations de l’acte éducatif et elle ne manque pas d’interroger les identités professionnelles.

Devenir enseignant créatif

C’est la créativité de l’enseignant que Chaîné examine, au chapitre 7, à partir de son expérience en art dramatique en contexte de formation dans une université canadienne. Sa démarche est fondée sur l’accompagnement et le dialogue pour co-construire avec ses étudiants des projets interdisciplinaires de création en art qui ne soient pas préconçus et qui demandent un engagement et une prise de risques conjoints. Ses expérimentations la conduisent à écrire que devenir un enseignant créatif est un défi qu’il est possible de relever. Celui-ci invite à faire confiance dans l’imagination collective qui « s’intériorise progressivement afin de devenir un outil de pensé intra individuelle » (Clerc-Georgy cité par Chainé p. 129) ainsi que dans l’improvisation et dans la collaboration féconde entre étudiants et enseignants où chacun se retrouve dans une position qui avoisine celle d’artiste chercheur [5]. Au chapitre 9, Border et Nyffleler rendent compte d’un dispositif innovant Innokick mis en place pour des ingénieurs et des économistes à la Haute école pédagogique de Suisse occidentale en lien avec la Haute école d’arts appliquées de Lausanne. La créativité enseignée repose sur du learning by doing dans des ateliers qui nécessitent un pilotage habile pour maintenir la motivation et prévenir l’exclusion de certains participants ainsi que la dégradation des relations lorsque l’on traverse des zones d’inconfort et d’insécurité. Devenir un enseignant créatif demande donc des compétences dans la compréhension et la gestion de groupes où une attention se doit être portée à chacun et chacune.

Conclusion

On peut donc apprendre à être enseignant créatif et le devenir. Il s’agit là vraisemblablement d’une des conditions pour que l’école inclusive devienne une réalité et puisse prendre en compte la diversité de ses élèves : « L’impératif d’accessibilité entend […] changer les conceptions de l’enseignement : il fait de la créativité et de la réactivité des acteurs de l’école la condition essentielle à la création d’un environnement scolaire inclusif, c’est-à-dire réceptif à la variabilité cognitive de ses élèves au sein des classes et, plus généralement, à la diversité scolaire » (Ebersold, 2017, p. 90). Dans cette perspective, cette pédagogie de la créativité prônée par Capron Puozzo ne saurait-elle pas développer des habiletés qui redonneraient aux enseignants une certaine légitimité pédagogique dans domaine de l’inclusion ?

Ebersold, S (2017). L’École inclusive, face à l’impératif d’accessibilité. Education et sociétés 2017/2, 40, 89-103.

Ministère de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports. (2015). Socle commun de connaissances, de compétences et de culture. https://www.education.gouv.fr/​le-socle-commun-de-connaissances-de-competences-et-de-culture-12512 (récupéré à cette adresse le 30 août 2020).

Licence : CC by-nc-nd

Notes

[1On ne retrouve plus cette définition de l’innovation sur le site de l’Éducation nationale à l’adresse donnée par Capron Puozzo https://www.education.gouv.fr/cid73878/l-innovation-un-facteur-cle-pour-construire-l-ecole-de-demain.html. On peut toutefois la retrouver encore sur le site de la CARDIE de Limoges :
http://pedagogie.ac-limoges.fr/cardie/spip.php?article6

[2La pensée divergente est la capacité à générer des idées nombreuses et diverses.

[3La pensée associative permet des combinaisons inédites de deux ou trois éléments a priori indépendants.

[4La pensée convergente permet de focaliser sur une seule idée parmi une multitude.

[5Cette question de l’artiste chercheur a été est abordée dans le champ de la danse par Betty Mercier-Lefèvre. Voir Chercheurs et artistes : du trouble dans la place, Recherches en danse [En ligne], 6 | 2017, mis en ligne le 15 novembre 2017, consulté le 30 août 2020.

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