INFOX#8 : « En e-learning, l’enseignant transfère toute la responsabilité de l’apprentissage à l’apprenant »
Mis en ligne le 2 avril 2020
Par Amaury Daele
Dans l’imaginaire collectif, apprendre à distance ressemble en grande partie à un travail solitaire pour lequel il est nécessaire de posséder de solides capacités à travailler en autonomie et une grande motivation personnelle. Il s’agirait aussi d’accepter de n’avoir que des contacts restreints avec les enseignants et les tuteurs ou avec d’autres apprenants. Cette image est encore fortement liée à l’idée que l’enseignement à distance est un enseignement « de la seconde chance » destiné à des adultes en emploi qui reprennent des études. Dans un tel contexte, on pourrait facilement penser que puisque enseignants et apprenants ne peuvent pas se rencontrer, ces derniers doivent « se débrouiller seuls » et « se responsabiliser ».
Il est intéressant tout d’abord de noter que, selon la littérature sur l’enseignement à distance, cette représentation est véhiculée tant par les apprenants que par les formateurs et les chercheurs. Du côté des apprenants, Albero et Kaiser (2009) ont par exemple recueilli des témoignages selon lesquels les inscrits en formation à distance apparaissent plus sûrs de leurs capacités personnelles d’apprentissage par rapport à des apprenants inscrits dans des programmes en présence. Ces apprenants à distance expliquent leur réussite principalement par des facteurs internes, préférant travailler seuls plutôt qu’en groupes, développant des stratégies d’apprentissage autonome, et réclamant une organisation de leur formation qui soit simple à planifier et à gérer au quotidien. Du côté des formateurs et des chercheurs, pendant longtemps, on s’est attaché à décrire la distance et le sentiment d’isolement des apprenants, cause première de l’abandon des études à distance. Par exemple, Jézégou (2019), dans sa revue de littérature, identifie différents types de distances, comme la distance technologique (l’accès aux technologies nécessaires au suivi d’une formation), la distance « socio-économico-culturelle » (l’accès aux formations supérieures à distance), la distance pédagogique et relationnelle ou sociale (le manque d’interaction entre enseignants et apprenants ainsi qu’entre apprenants), etc. Jézégou fait cependant justement remarquer que toutes ces formes de distance se vivent aussi dans les formations… en présence ! Quand un étudiant assiste à un cours en grand auditoire, avec plusieurs centaines d’autres, devant un enseignant qui délivre un message unique sans grandes possibilités d’interaction, le sentiment de distance peut être bien plus grand qu’en e-learning où un suivi individualisé peut être organisé avec des tuteurs. Cette distance psychologique et communicationnelle est appelée « distance transactionnelle » et dépend autant de la flexibilité du dispositif de formation que de la qualité du dialogue qui s’installe entre enseignant et apprenant. Un dispositif de formation à distance flexible, où des parcours individualisés sont possibles et où des interactions sont organisées avec l’enseignant ou entre apprenants, développe chez les participants un sentiment de proximité parfois bien plus important que dans certaines formes d’enseignement classique en présence.
En se fondant sur cette notion de distance transactionnelle proposée dès les années 1980 par Michaël Moore, Jézégou (2019) propose ainsi d’aller au-delà de l’opposition « géographique » entre présence et distance pour imaginer des dispositifs de formation qui donnent aux enseignants et aux apprenants un sentiment de proximité plus important. Dès lors, il ne s’agit pas pour l’enseignant de « transférer » toutes les responsabilités de l’apprentissage aux apprenants, mais bien de concevoir des dispositifs de formation qui permettent la flexibilité et les interactions. De leur côté, les apprenants sont appelés, grâce aux possibilités offertes par le dispositif, à développer et prendre conscience de leurs compétences méthodologiques pour apprendre et ainsi à accroître leur autonomie.
Concrètement comment faire ? Pour diminuer la distance transactionnelle en e-learning, de nombreux auteurs proposent d’agir sur trois tableaux (voir par exemple dans Deaudelin, Petit, & Brouillette, 2016) : la présence de l’enseignant, la présence cognitive et la présence sociale.
- La présence de l’enseignant à distance peut être développée en concevant des tâches d’apprentissage très structurées (objectifs, étapes de travail, etc.), en laissant du temps aux apprenants pour se familiariser avec ces tâches ainsi qu’avec les technologies qui les soutiennent, en orchestrant de manière précise les échanges à distance, que ce soit pour les rétroactions de l’enseignant ou pour les interactions entre apprenants, en mettant en place des formes de tutorat pour proposer aux apprenants un accompagnement régulier et ciblé, etc.
- La présence cognitive, ou le sentiment de pouvoir se « connecter » aisément avec les contenus enseignés, passe par des activités pédagogiques signifiantes et guidées : la recherche personnelle d’informations, l’exploration de nouvelles idées, des questions qui poussent les apprenants à développer des connaissances en profondeur, des rétroactions régulières de l’enseignant pour accompagner le travail personnel des apprenants, des activités qui poussent les apprenants à prendre conscience et développer leurs méthodes d’apprentissage à distance et leur autonomie, etc.
- La présence sociale consiste en un sentiment de proximité avec d’autres personnes, enseignant et apprenants, à distance. Ceci peut passer par exemple par une organisation précise des moments d’interaction en mettant en évidence les objectifs et les bénéfices attendus, par la façon qu’a l’enseignant de s’adresser aux participants en communiquant de façon personnalisée c’est-à-dire en prenant en compte les aspects socio-affectifs de la relation à distance et en incluant aussi l’ensemble du groupe d’apprenants, ou par de courtes activités collaboratives entre apprenants.
Travailler sur ces trois types de présence dans un environnement de formation à distance contribue à développer chez les apprenants un sentiment de participer à une « communauté » d’apprentissage, gage d’une implication accrue de leur part et d’un taux d’abandon moindre. Pour cela, le rôle de l’enseignant est crucial. Le e-learning ne consiste pas à laisser simplement les apprenants naviguer dans un ensemble de contenus. Il s’agit pour l’enseignant de les accompagner dans leur parcours d’apprentissage grâce à la conception d’activités pédagogiques intégrées dans un scénario cohérent.
Albero, B., & Kaiser, A. (2009). La formation à distance sélectionne un public d’autodidactes : Résultats réflexifs à partir d’une enquête à visée exploratoire. Savoirs, n° 21(3), 65‑95.
Deaudelin, C., Petit, M., & Brouillette, L. (2016). Assurer la présence enseignante en formation à distance : Des résultats de recherche pour guider la pratique en enseignement supérieur. Tréma, 44, 79‑100.
Jézégou, A. (2019). La distance, la proximité et la présence en e-Formation. In A. Jézégou (Éd.), Traité de la e-Formation des adultes. (p. 186‑216). De Boeck.
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