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Ambiguïtés de la notion de « compétences collaboratives » en formation d’adultes : le cas du dispositif Animacoop.

1er décembre 2015 par Elzbieta Sanojca Veille 1265 visites 1 commentaire
Communication n° : 516 / Atelier : « Concept de coopération » Biennale internationale de l’éducation, de la formation et des pratiques professionnelles "Coopérer ?" , Juin 2015, Paris, France.

SANOJCA Elzbieta et ENEAU Jérôme

CREAD, Université Rennes 2


Résumé en français

Dans le cadre d’une recherche doctorale portant sur les compétences collaboratives dans les organisations et les formations dites « innovantes », cette communication présentera : (1) une revue de la littérature recensant les travaux existants et les ambiguïtés présentes dans l’usage de ces termes, tant dans les recherches francophones qu’anglophones ; (2) une analyse exploratoire d’un dispositif visant à développer la collaboration entre les acteurs, dans des modalités « hybrides », à la fois en présence et à distance. Une première discussion permettra d’examiner, tant au plan théorique qu’empirique, la pertinence de l’usage des termes de « coopération » et de « collaboration » dans de tels dispositifs de formation.

Mots-clés : compétences collaboratives, formation hybride, dispositifs de formation, communautés de pratique, organisations innovantes.

Résumé en anglais

This paper presents two aspects of a doctoral research on collaborative competences in organizations and innovative training systems : (1) a literature review that identifies the existing work and the ambiguities in use of these terms in French and English research ; (2) an exploratory analysis of a specific training program, called “Animacoop”, developing cooperation between actors both in presence and at a distance. Thus, the discussion examines theoretical and empirical approaches of the terms of cooperation and collaboration and their appropriation in this training program.

Key words : collaborative competences, cooperation, hybrid training, community of practice, innovative organizations.

Introduction

Dans les modèles de fonctionnement en réseau caractéristiques de l’époque contemporaine, les compétences collaboratives sont considérées comme pertinentes pour conduire des projets complexes et innovants (Choplin et al. 2001 ; Blomqvist & Levy, 2006). Le développement des capacités à collaborer est de plus présenté comme un défi majeur pour les cursus de formation et les organisations de demain (Michinov & Michinov, 2013 ; Voogt & Pareja-Roblin, 2012).

En France, rares sont les références qui évoquent l’expression « compétences collaboratives ». Quelques exceptions donnent une idée de ce qu’elles pourraient recouvrir, telles que « apprendre à collaborer » et « travailler ensemble » (Simonian & Manderscheid, 2012). L’absence de définition consensuelle laisserait à penser que cette capacité vient « naturellement », dès lors que les personnes commencent à travailler ensemble. L’illusion de ce savoir-faire spontané est à l’origine de notre questionnement sur des connaissances, attitudes et habilités nécessaires aux acteurs pour réaliser un travail collaboratif, c’est-à-dire, pour reprendre la définition de Dejours (1993), « de construire les liens en vue de réaliser, volontairement, une œuvre commune ».

L’enjeu du travail de thèse en cours est de sortir de la « zone invisible » des apprentissages professionnels particuliers liés à la capacité des individus à coopérer/collaborer. Cet article souhaite rendre compte de l’avancement de ce travail. Pour cela, un double éclairage sera proposé. Une revue de littérature tentera d’éclairer l’ambiguïté du terme « compétences collaboratives ». Une analyse exploratoire d’un dispositif de formation introduira ensuite une approche plus concrète de la même question. Pour ce faire, nous nous appuierons sur une enquête réalisée auprès des concepteurs et bénéficiaires d’un dispositif de formation singulier : le projet « Animacoop » (Heaton, Millerand et al. 2013 ; Sanojca, 2013).

I. « Coopération/collaboration » et « compétences collaboratives » : de l’usage des mots à l’objet de recherche

La complexité de l’expression de « compétences collaboratives » est renforcée d’emblée par le fait que les deux termes qui la composent sont eux-mêmes polysémiques et difficiles à cerner. L’étymologie et l’évolution historique des termes compétence, coopération, collaboration, renvoient à des sens multiples selon les époques, les champs disciplinaires et les usages sociaux (Rey, 1998). Pour des raisons de place, nous ne pourrons développer ici ce riche champ sémantique et renverrons, dans ce texte, aux travaux de Jonnaert (2002), sur la compétence, et à ceux de Henri et Lundren-Cayrol (2001), sur la coopération et la collaboration, pour les usages les plus fréquents dans la littérature en formation d’adultes. Ce qui nous intéressera ici, au delà de ces distinctions largement discutées par ailleurs, se centrera sur les mécanismes fondant le processus de coopération/collaboration dans un dispositif singulier, d’une part, et la manière dont ils peuvent rendre compte du développement d’aptitudes ou d’habiletés, pour les apprenants, afin que ceux-ci puissent ensuite, dans leur contexte professionnel, mieux « travailler ensemble ».

La difficulté à aborder le couple coopération/collaboration et plus encore la notion de compétences collaboratives ressort de l’héritage culturel de leurs usages et de la diversité des approches scientifiques qui les traitent comme objet de recherche.
Concernant le travail et l’apprentissage, plusieurs sources peuvent être convoquées pour expliciter les différences d’approches constatées aujourd’hui en sciences de l’éducation de manière générale et en formation d’adultes en particulier. Deux groupes principaux de travaux peuvent être mentionnés à ce sujet, dont ceux portant sur l’analyse des phénomènes de coopération d’un point de vue anthropologique, sociologique et économique (Mead, 1937/2002 ; Akerlof, 1982 ; Axelrod, 1984 ; Eymard-Duvernay, 1994 ; Raynaud & Raynaud, 1996 ; Terssac & Friedberg, 1996 ; Candau, 1997 ; Cordonnier, 1997 ; Aubé, Rousseau & Savoie, 2006 ; Proulx, 2008 ; Tomasello, 2009 ; Alter, 2009 ; Sennet, 2013) et, pour l’étude des phénomènes d’apprentissage, ceux issus de la psychologie sociale (Argyle, 1991 ; Michinov, 2004 ; Johnson & Johnson, 2009 ; Michinov & Michinov, 2013).

Plus récemment, ces recherches ont été renouvelées en profondeur par l’arrivée des outils numériques de formation et de travail à distance, abordant par exemple les notions de « cognition distribuée » ou encore de travail coopératif et d’apprentissage « supportés » ou « assistés » par ordinateur (Computer Supported Collaborative Work, Computer Supported Collaborative Learning) (Cardon, 1997 ; Choplin, Lemarchand & Galisson, 2001 ; Cohendet, Créplet, & Dupouët, 2003 ; Michinov, 2004 ; Blomqvist & Levy, 2006 ; Simonian & Manderscheid, 2012).

Dans la recherche francophone en éducation des adultes, et au delà de travaux portant sur les liens entre apprentissage, formation et travail (Eneau, 2005 ; Jobert, 2014), il existe cependant peu de références présentant clairement une définition des compétences collaboratives. La recherche dans les bases de données et les moteurs de recherches (Google Scholar, Eric, Francis, Erudit) permet déjà d’aboutir à quelques conclusions intéressantes (cf. figure 1) :

  • depuis les années 2000, la progression des publications qui évoquent les compétences collaboratives est constante ;
  • les références en français sont rares dans les sciences de l’éducation, au niveau international (ERIC) ;
  • en anglais, l’usage de l’expression collaborative skill-s est dominant, dans le sens français d’habilités ou d’aptitudes ;
  • les domaines applicatifs les plus représentés sont la gestion, l’enseignement, la médecine et l’information-communication.

Figure 1 : La coexistence du terme « compétences collaboratives » dans la littérature

Dans la littérature tant nord-américaine que nord-européenne (pays scandinaves en particulier), les exemples de cadres de références ou de listes de compétences collaboratives sont plus abondants (Morse & Stephens, 2012 ; Emerson & Smutko, 2011 ; Blomqvist & Levy 2006). La sélection présentée ici prend en compte non seulement les présentations explicites des compétences collaboratives mais elle explore aussi les méta-analyses des facteurs favorables à la collaboration. Ces facteurs semblent en effet intéressants à prendre en compte dans la mesure où ils sont liés à la capacité des acteurs à agir collaborativement.

I.1 Les facteurs liés à la coopération/collaboration

Une des premières synthèses de littérature qui propose une étude approfondie des approches est un rapport réalisé en 1992 par Mattessich et Monsey pour la Wilder Foundation. Les auteurs se sont appuyés sur l’analyse de 18 travaux de recherche, sélectionnés à partir de 133 études, leur permettant d’identifier 19 facteurs facilitant la collaboration, qu’ils ont finalement classés en 6 domaines :

  • Facteurs liés à l’environnement : tradition d’une culture collaborative ; perception du groupe collaboratif comme leader ; climat politique et social favorable.
  • Facteurs d’appartenance au groupe : respect mutuel ; compréhension et confiance ; perception de la collaboration bénéfique dans son propre intérêt ; capacité à faire des compromis.
  • Facteurs liés au processus et/ou à la structure : participation partagée dans le processus et dans le résultat ; existence des mécanismes de prise de décision à plusieurs niveaux ; flexibilité ; rôles et lignes directrices claires ; adaptabilité ;
  • Facteurs liés à la communication : communication ouverte et fréquente ; liens formels et informels.
  • Facteurs liés à la finalité : objectif concrets et réalisables ; vison partagée ; finalité unique.
  • Facteurs liés aux ressources : fonds suffisants (base financière adéquate) ; animateur qualifié.

Même si, nous l’avons dit, ces aspects coopératifs et collaboratifs ont été étudiés tout particulièrement depuis l’avènement des outils numériques et des réseaux sociaux, cette synthèse offre une lecture explicative des phénomènes de collaboration en dehors des contextes marqués par le numérique.

Une proposition plus récente de Thomson et Perry (2006) a présenté une classification similaire. En plus de solides bases théoriques, ces auteurs s’appuient sur les résultats d’études empiriques et longitudinales collectés entre 1995 et 2000. Ils élaborent un modèle multidimensionnel de la collaboration et proposent une échelle du processus collaboratif qui couvre 5 dimensions-clés de la collaboration, impliquant des activités liées à ce processus :

  • La gouvernance : comprend la prise de décisions conjointes sur les règles devant régir la collaboration.
  • L’administration : consiste à faire avancer les choses à travers un système opérationnel efficace qui comprend la clarté des rôles et des canaux de communication efficaces.
  • L’autonomie organisationnelle : couvre la capacité à aborder la tension implicite exposée à des collaborations entre l’intérêt de l’organisation et les intérêts collectifs du groupe.
  • La mutualité : comprend la compétence de « travailler dans la différence » pour arriver à des relations mutuellement bénéfiques.
  • Les normes : consistent à développer la confiance et les modes de réciprocité.
    Enfin, le modèle de Morse & Stephens (2012) se distingue des deux précédents car il traite explicitement de la coopération sous l’angle des compétences collaboratives.

Les auteurs proposent une approche originale : ils partent du principe que les compétences collaboratives sont étroitement liées à l’action collaborative en jeu. Ainsi, ils identifient tout d’abord un processus d’action particulière (ici celui de gouvernance collaborative), puis appliquent à ce processus plusieurs grilles issues de travaux universitaires et professionnels, avant de synthétiser les items les plus pertinents dans un modèle de compétences collaboratives adaptées au processus en question (figure 2).

Figure 2 : Compétences collaboratives inscrites dans le processus de la gouvernance

(source : Morse & Stephens 2012, p. 572, traduction libre)

L’intérêt de cette présentation réside dans le fait que les compétences collaboratives sont traitées comme des savoir-agir adaptables à la dynamique du processus dans lequel elles s’exercent. Dans d’autres contextes (la pratique d’apprentissage collaboratif par exemple) les compétences collaboratives mises en exergue seraient différentes.

I.2 Les points de vue en lien avec la graduation du processus de collaboration

Dans les recherches abordant les compétences collaboratives en lien avec la graduation (taille du groupe, niveau d’analyse, etc.), deux points de vue se distinguent. Blomqvist & Levy (2006) proposent une identification des compétences collaboratives en rapport avec la taille des groupes. Ils défendent l’idée selon laquelle l’action de collaboration dépend de la nature des groupes collaboratifs et identifient quatre niveaux de collectifs. A ces niveaux, ils associent différents items et concepts :

Au niveau interpersonnel : qualités relationnelles avec les dominantes de confiance, d’engagement et de satisfaction.

  • Au niveau « dyade » : partenariat, vision à long terme, capacité de coopérer, capital relationnel.
  • Au niveau « équipes » : compétences collectives de résolution de problèmes.
  • Au niveau « organisations » : intégration de la coopération, travail en réseau, alliances.

La nature des liens que les acteurs tissent varie en fonction des contextes et en conséquence, les compétences collaboratives seraient différentes selon ces contextes (Blomqvist & Levy, 2006).

Un point de vue analogue mais plus clairement inscrit dans les différentes échelles du périmètre de la collaboration est proposé par D’Amour (1997) et repris par Kosremelli-Asmar (2011). Les facteurs de la collaboration, traitée comme une pratique interprofessionnelle, sont inscrits sur trois niveaux distincts :

Les facteurs « micro » sont associés aux relations interpersonnelles entre les membres de l’équipe. Parmi ces facteurs :

  • La volonté de collaborer constitue le facteur le plus important dans la mise en place d’une pratique collaborative. Elle dépendrait de l’éducation, des expériences antécédentes similaires et de la maturité de l’individu.
  • La confiance mutuelle dépendrait des compétences des individus. Elle est un élément critique surtout pour la compréhension et l’acceptation des rôles et niveau d’expertises à un niveau individuel.
  • La communication influencerait le degré de collaboration et elle constitue un véhicule pour d’autres facteurs comme le respect mutuel et le partage.
  • Le respect serait un pré-requis à la collaboration, exigeant que les membres reconnaissent et comprennent la complémentarité de leur expertise et des rôles. La communication est un antécédent critique puisqu’il sert de précurseur à l’articulation d’autres antécédents de la collaboration.

Les facteurs « meso » sont liés au contexte organisationnel. Kosremelli-Asmar (2011)
y réfère quatre facteurs :

  • La structure organisationnelle horizontale.
  • La philosophie de l’organisation, qui favorise la participation, l’équité, la liberté d’expression et l’interdépendance.
  • Le support administratif, qui met à disposition les ressources, le temps pour les partager et le leadership basé sur la participation et la collaboration.
  • L’existence de mécanismes de coordination et de communication.

Les facteurs « macro-structurels » sont externes aux organisations et concernent :

  • Le système social : identifié comme un obstacle potentiel à la coopération, dans la mesure où les différences dans les prises de pouvoir entre les acteurs trouvent leurs origines dans le système social.
  • Le système culturel : certaines valeurs sont profondément ancrées dans l’esprit des acteurs, au point que la négociation et les ajustements mutuels deviennent difficiles, voir impossibles.
  • Le système professionnel, qui peut s’opposer à la logique de la collaboration interprofessionnelle, lorsque ce système est basé sur le pouvoir et l’autorité.

Ces travaux offrent ainsi un éclairage à trois niveaux du périmètre de la collaboration et un cadre d’analyse systémique, limitant les confusions habituelles. De plus, reprenant les niveaux employés usuellement dans le champ de l’ingénierie de formation, ils entrent en résonance avec les pratiques de formation observées dans le dispositif « Animacoop » qui va maintenant être abordé.

II. Les cas de la formation-action Animacoop

Le terrain exploratoire de nos investigations sur les compétences collaboratives est constitué d’un dispositif de formation professionnelle dénommé « Animacoop : Animer un projet collaboratif », dont l’évolution a été suivie depuis sa phase expérimentale et durant deux ans de mise en œuvre (Sanojca, 2013).

Cette formation a été conçue dans le cadre d’un appel à projet de la Délégation aux Usages de l’Internet (DUI) du Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche en 2010. Après 13 sessions organisées, 197 stagiaires ont bénéficié de la formation dans le cadre de la formation professionnelle continue.

A son origine, Animacoop a été pensé en direction des animateurs d’espaces publics numériques, mais très rapidement d’autres professionnels s’y sont intéressé : les coordinateurs et animateurs des projets des collectivités territoriales, des permanents associatifs, des bibliothécaires, des formateurs et responsables de formation, des personnes en création d’activité. Le parcours d’apprentissage hybride était calibré sur centaine d’heures articulant regroupement (25 % du temps) et différentes formes de travail à distance (pour 75 %) sur une durée de 14 semaines.

L’analyse des contenus et des pratiques pédagogiques observés dans Animacoop, permet de constater trois paradoxes de la formation à la collaboration.

II.1 Premier paradoxe : des compétences collaboratives invisibles mais très présentes

Il est intéressant de noter que les objectifs affichés de la formation Animacoop ne font aucunement apparaître la notion de « compétences collaboratives ». Ces objectifs sont d’ordre opérationnel, autour du démarrage et de l’animation d’un réseau, de l’animation des groupes, de l’usage d’outils collaboratifs de travail à distance. En 2012, une enquête conduite auprès de 71 stagiaires a fait apparaître que seulement 10 % des stagiaires lisent les cours durant la formation (Sanojca, 2013). Pourtant, le taux de satisfaction de ces mêmes stagiaires relevé en fin du parcours est très positif et les personnes évoquent un véritable apprentissage de la collaboration. La compréhension de cet apprentissage sans l’objet clairement affiché et sans une réelle appropriation des cours peut venir de l’analyse du parcours de formation. Ainsi trois parcours se réalisent parallèlement :

  • Parcours individuel : chaque stagiaire doit s’approprier les contenus mis en ligne chaque semaine.
  • Parcours « collectif apprenant » : les activités sont structurées de manière progressive pour amener les stagiaires à produire collectivement une ressource (article) qui est publiée sur le Web.
  • Parcours « projet » : la condition d’entrer en formation pour chacun des stagiaires est de conduire un projet collaboratif en parallèle de la formation dans son contexte professionnel ou associatif.

Même si, dans la majorité des cas, le parcours du « collectif apprenant » est le seul réellement suivi par les stagiaires, l’idée du triple parcours reste intéressante. On pourrait penser que l’apprentissage des compétences collaboratives se réalise dans la combinaison de ces trois modalités.

II.2 Second paradoxe : des méthodes de formation informelle mais très structurée

Dans la formation Animacoop, la structuration des contenus et des activités cherche à correspondre au processus collaboratif, bien que le développement des compétences collaboratives ne soit pas explicitement recherché ou affiché.

Les contenus de la formation sont organisés en cinq étapes de la vie du réseau (cf. figure 3) : formation du réseau ; collecte d’informations ; transformation du réseau ; son rayonnement avec la diffusion des travaux ; consolidation du réseau.

Figure 3 : Structuration des contenu selon la logique de « cinq étapes de la vie d’un réseau »

La structuration des activités en groupe est une autre manière d’appréhender les caractéristiques des réseaux collaboratifs logiques. Des activités s’exercent dans des groupes dont la taille est augmentée progressivement (figure 4).

Figure 4 : Progression des travaux en groupe.

Ainsi, alors que les objectifs de formation ne se réfèrent pas au développement de compétences collaboratives, l’organisation des cinq étapes et la progression de la taille des groupes nécessitent implicitement des capacités à collaborer dans des environnements et des groupes de taille, voire de nature ou de structure différentes.

II.3 Troisième paradoxe : alternance de l’expertise et du bricolage.

Le terme utilisé par les formateurs d’Animacoop pour rendre compte de leur pratique est celui de « l’action-formation-action ». Cela illustre la manière dont ces formateurs envisagent leur métier. Selon eux, il s’agit d’un expérimentateur qui met à disposition des situations d’apprentissage dont il ne maîtrise pas totalement le résultat. Le formateur « apprend », en quelque sorte, l’effet de ce qu’il provoque. La pratique professionnelle ressemblerait à cette logique : l’expérimentation (action) ; la réflexion sur cette action (formation) ; puis le réinvestissement dans de nouvelles pratiques formatives (action).

Dans cette idée de réflexivité, les formateurs d’Animacoop ont tenté de nommer les compétences collaboratives à l’oeuvre dans le dispositif. Ils ont ainsi identifié 12, dont la présentation correspond aux concepts-clés utilisés pendant la formation (cf. figure 5).

Figure 5 : Concepts et compétences collaboratifs de la formation Animacoop

(source : présentation en ligne http://prezi.com/zfw1u8jrd7ax/la-cooperation-en-28-mots-cles)

L’intérêt de cette classification réside dans la distinction des trois registres d’application des compétences mais elle relève plusieurs ambiguïtés : les compétences dites individuelles semblent s’associer aux compétences d’un animateur (leader d’un groupe) et restent centrées sur la gestion de la dynamique de groupe. Les compétences liées à l’environnement sont également floues et se rapportent d’avantage au niveau « groupe » pour ce qui est de la « production collective des ressources et des méthodes ».
Cependant, cet effort de formalisation des compétences collaboratives, même s’il reste imparfait, est relativement rare à notre connaissance, dans les formations professionnelles, et témoigne ainsi d’un réel intérêt des praticiens pour la formalisation de l’apprentissage de la collaboration.

III. Discussion et ouverture

Dans une société fonctionnant en réseaux ouverts, la question du développement des compétences collaboratives devient un enjeu majeur pour la formation professionnelle, en particulier dans les milieux où interviennent des outils techniques, une part de médiatisation ou de mise à distance, voire différentes formes d’hybridation des modalités de travail et d’apprentissage. Comme la montré la première partie de cet article, les compétences à l’œuvre dans les processus de coopération/collaboration restent difficiles à cerner et relèvent, dans la littérature, de points de vue divergents.

III.1 Les éclairages de la littérature pour la notion de « compétences collaboratives »

Au regard des travaux présentés, deux pistes se dégagent pouvant éclairer la compréhension des compétences collaboratives. Premièrement, les facteurs qui déterminent la collaboration peuvent constituer des indicateurs pertinents pour nommer les aptitudes et habilités nécessaires pour coopérer/collaborer. Même s’ils restent de nature très variée, ils se référent aux trois composantes du processus : les préalables, c’est à dire, les conditions qui la favorisent ; le processus, qui comprend les éléments directement liés à l’action collaborative ; le résultat, qui englobe les facteurs centrés sur le fruit de la coopération/collaboration. Dans ce sens, ces facteurs peuvent être rapprochés d’un « modèle systémique de l’activité de travail » (Aubé, Rousseau, & Savoie, 2006 ; Thomson & Perry, 2006) particulièrement pertinent pour la conception de dispositifs de formation permettant de prendre en compte et de développer des compétences collaboratives.

Deuxièmement, ces compétences renvoient à la situation et à l’action particulière ; elles sont doublement situées, par la nature de la compétence qui elle-même se dévoile en situation et par la nature de la coopération/collaboration qui consiste à « faire ensemble ». Comme nous l’avons souligné, les compétences collaboratives seraient différentes et aussi différemment mobilisées selon leur domaine d’application (conception, apprentissage ou gouvernance). Cependant, il semblerait opportun de discerner, au préalable de la conception, une analyse de la dynamique de l’action collective en jeu et de distinguer, ensuite, les compétences nécessaires à développer. L’exemple des travaux de Morse & Stephens (2009) renforce cette hypothèse.
Enfin, les compétences ainsi identifiées et contextualisées peuvent s’observer et s’évaluer dans trois registres différents : au niveau des interactions entres les individus (micro) ; au niveau de la structuration du dispositif (meso), corrélé aux capacités d’organiser le fonctionnement horizontal et de gérer et partager les ressources ; au niveau plus global (macro), en lien avec le contexte politique et culturel dans lequel elles s’exercent.

Ces trois logiques : séquentielle (entrées-processus-résultat), dynamique (liée à l’action), et graduelle (par niveaux) devraient être examinées dans une analyse combinée pour aspirer à une compréhension fine des compétences collaboratives développées. C’est probablement seulement après cet examen qu’elles pourraient être inscrites dans les dispositifs de formation.

III.2 Du dispositif de formation au développement des compétences collaboratives

L’exemple d’Animacoop peut alors être analysé comme une tentative de formation aux compétences collaboratives. Même si, nous l’avons vu, elles ne sont pas explicitement inscrites dans le programme de la formation, elles semblent s’exercent réellement dans les travaux de groupes. La progression des apprentissages de la coopération sur la trame de vie d’un réseau est comparable à « l’approche processus » de Morse & Stephens (2009). Cependant, il semblerait que, dans la formation, ce processus reste artificiel : les formateurs y font référence seulement lors de la présentation en ouverture de la formation sans s’y référer ensuite. Cette dynamique de la vie du réseau ne rentre pas non plus en résonance avec les deux autres parcours (« du collectif apprenant » ou « projet »). Il reste là une piste pratique (ingénierique) à explorer.

La graduation de taille de groupe appliquée aux exercices collectifs se remarque comme une autre forme de l’apprentissage de la coopération/collaboration. L’idée des formateurs correspondait à l’intention pédagogique d’exercer le caractère « agrégatif » des réseaux sociaux. Comme le suggère Proulx (2008), les usages des technologies numériques influencent fortement la construction identitaire des communautés virtuelles ; elles seraient davantage des « agrégats éphémères d’individus », formés autour d’intérêts voisins, suscitant des adhésions partielles. Cette habileté des personnes à s’agréger/désagréger semble être mise en jeu, dans le cas d’Animacoop, dans les exercices progressifs à deux, à quatre, à huit. Plusieurs questions restent à examiner pour la suite de cette recherche : l’objectif souhaité de la formation correspond-il réellement à l’apprentissage de « l’agrégativité » ? Les apprenants tirent-ils le bénéfice attendu de cet exercice ? Cet apprentissage a-t-il réellement un sens dans le développement des compétences à coopérer/collaborer. Si oui, y aurait-il des compétences spécifiques à chaque niveau de groupe, comme le suggèrent Blomqvist & Levy (2006) ?

Ainsi, pour poursuivre la recherche en cours, nous allons vérifier en premier lieu la pertinence des modèles de compétences collaboratives disponibles et celui de Morse et Stephens en particulier. Un questionnaire élaboré à partir de vingt-cinq indicateurs proposés par ces auteurs est actuellement diffusé auprès des 197 stagiaires qui ont suivi la formation. La deuxième phase de l’enquête consiste à questionner plus finement le dispositif de formation et les méthodes qui conduisent au développement des capacités à travailler en collectifs, à partir d’une série d’entretiens semi-directifs, en cours de passation, auprès d’un échantillon d’une vingtaine de stagiaires.
En nous intéressant aux contextes professionnels des stagiaires après leur retour de la formation, nous cherchons à savoir, entre autres, de quelle manière ils ont réinvesti ou non les compétences collaboratives acquises. Les premiers résultats de cette enquête tendent à montrer que, avant de coopérer/collaborer réellement, une fois rentrés dans leur lieu de travail, les stagiaires commencent par transmettre ce qu’ils ont appris dans la formation. Nous examinerons en profondeur ce réinvestissement et posons l’hypothèse que, au même titre que les compétences collaboratives s’acquièrent dans la formation-action, elles se réinvestissent ensuite dans un processus particulier d’action-formation.

Les résultats escomptés nous permettront de vérifier la validité d’une échelle de compétences collaboratives construite à partir des travaux de Morse et Stephens (2009), pour envisager de la transposer à d’autres dispositif et contextes de formation faisant appel à la pratique collaborative (dans les MOOCs connectivistes, par exemple).

Pour autant, l’enjeu de ce travail ne réside pas dans la conception d’un référentiel de compétence collaboratives. Il nous importe plutôt d’appréhender ces compétences comme des savoir-agir transversaux, facilitant l’adaptation nécessaire à un environnement en constante transformation et pour lesquels la capacité à coopérer/collaborer est placée au premier rang des compétences à acquérir, dans le monde professionnel contemporain (Voogt & Pareja-Roblin, 2012 ; Sennet, 2013).

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