Les croyances que l’on entretient sur l’intelligence modèlent nos manières d’apprendre, avec des conséquences directes sur la réussite scolaire. Un constat de la recherche qui invite à développer plus d’actions pour « apprendre à apprendre » aux élèves.
Être imbattable à la console, réussir une pavlova ou jongler avec trois balles : rien de tout cela n’arrive du premier coup, évidemment ! Tout le monde sait qu’il faut s’entraîner, échouer, recommencer encore et encore, et s’inspirer des conseils de personnes plus expérimentées. Cela nous paraît évident dans ces domaines, du sport à la cuisine… mais beaucoup moins lorsqu’il s’agit de nos capacités intellectuelles.
Qui n’a jamais entendu un élève affirmer qu’il n’est pas « fait pour l’école », ou, à l’inverse, qu’une matière « est faite pour lui », comme si ses aptitudes étaient fixées une fois pour toutes dès la naissance ?
Notre intelligence serait-elle donc la seule compétence qui résiste à l’entraînement et à l’apprentissage ? Assurément pas. Et pourtant, les croyances sur ce sujet restent très répandues, avec des effets bien réels sur la motivation et la réussite scolaire.
Deux manières de concevoir l’intelligence
Depuis une trentaine d’années, les recherches en psychologie ont montré que deux conceptions de l’intelligence coexistent dans la société. La première, dite fixe, repose sur l’idée que l’intelligence est un don naturel, une capacité innée que l’on possède – ou non – à la naissance, et qu’il serait impossible de faire évoluer.
Les personnes qui adhèrent à cette conception perçoivent les situations d’apprentissage comme des évaluations de leur valeur. Elles cherchent avant tout à prouver leurs compétences et se concentrent sur les bons résultats. De ce fait, elles évitent les situations à risque d’échec, puisque l’échec est alors interprété comme la preuve d’un manque de compétence – perçu comme définitif. C’est pourtant dommage : en privilégiant les tâches qu’elles maîtrisent déjà, elles se privent de précieuses occasions d’apprendre et de progresser.
Dans un autre registre, imaginez si Meryl Streep avait renoncé après qu’on lui eut dit, lors d’une audition pour King Kong, qu’elle n’avait pas un physique de cinéma : elle se serait alors privée de devenir l’une des plus grandes actrices de sa génération. De la même manière, un élève persuadé qu’il n’est « pas fait pour les maths » aura tendance à éviter cette matière – et, en s’y exposant moins, progressera moins, confirmant ainsi sa croyance initiale.
La seconde conception de l’intelligence, dite malléable, propose une vision plus dynamique de nos capacités. Elle repose sur l’idée que, quelles que soient nos compétences initiales, nous pouvons toujours les développer grâce à l’effort, à la persévérance et à l’adoption de stratégies efficaces. Les personnes qui partagent cette vision recherchent les situations qui leur permettent de progresser, même si elles comportent un risque d’échec. Pour elles, l’échec n’est pas une preuve d’incompétence, mais une occasion d’apprendre : les erreurs font partie du processus, car elles indiquent ce qu’il reste à améliorer et soulignent le chemin parcouru.
Loin d’être un simple détail, notre conception de l’intelligence est susceptible d’influencer profondément notre manière d’apprendre, d’enseigner et, plus largement, de réussir à l’école.
Quand les croyances influencent les comportements scolaires
Depuis trente ans, la question des conceptions de l’intelligence a donné lieu à une abondante littérature scientifique, permettant d’évaluer précisément l’impact de ces croyances sur nos comportements et nos performances. Par exemple, en synthétisant les résultats d’études menées auprès de plus de 400 000 personnes, des chercheuses ont montré que plus les apprenants avaient une conception malléable de l’intelligence, meilleures étaient leurs performances scolaires.
Puisque les croyances influencent la motivation et la réussite, que se passerait-il si l’on parvenait à convaincre les apprenants que leurs capacités peuvent évoluer ?
Pour le savoir, des chercheurs ont mené des études interventionnelles visant à modifier les conceptions de l’intelligence, puis ont mesuré l’impact sur la motivation et les résultats scolaires. Concrètement, ils intervenaient dans les classes pour présenter les notions de plasticité cérébrale, le rôle constructif des erreurs, ou encore des exemples de personnalités ayant réussi grâce à leurs efforts et leur persévérance.
Les résultats sont très encourageants : de telles interventions permettent aux élèves – en particulier ceux issus de milieux défavorisés ou à risque de décrochage – de faire évoluer leur conception de l’intelligence, de renforcer leur motivation et d’améliorer leurs performances.
Restons toutefois prudents : ces effets, bien que réels, restent d’amplitude modestes, surtout lorsque les interventions ne s’accompagnent pas d’un apprentissage explicite de stratégies permettant d’investir efficacement ses efforts.
Apprendre à mieux apprendre
Et si la clé n’était pas seulement d’aider les élèves à concevoir l’intelligence comme une capacité malléable, mais aussi de leur apprendre à apprendre – pour que leurs efforts soient dirigés vers les bonnes stratégies ? C’est ce que nous avons testé dans une étude récemment publiée dans le Journal of Educational Psychology.
Spoiler : de courtes interventions en classe permettent bel et bien de modifier les croyances et de promouvoir l’adhésion à une conception malléable de l’intelligence et l’utilisation de stratégies de mémorisation efficaces.
Nous avons rencontré des élèves de CM1 et CM2 de l’académie de Besançon (Doubs). Pendant quatre semaines, tous ont participé à des séances pédagogiques d’une heure animées par un chercheur. Les élèves avaient été répartis aléatoirement en deux groupes. Dans le premier, dit groupe expérimental, les élèves travaillaient sur la malléabilité de l’intelligence, la plasticité cérébrale et découvraient des stratégies de mémorisation efficaces. Dans le second, dit groupe contrôle, ils participaient à des séances de science sans lien avec la motivation ou l’apprentissage (par exemple, sur la thermorégulation chez les animaux).
Avant et après les interventions, nous avons recueilli les conceptions de l’intelligence des élèves à l’aide d’un questionnaire, et testé leurs performances de mémoire. Les résultats sont clairs : après l’intervention, les enfants du groupe expérimental, et uniquement ceux-ci, étaient plus convaincus que l’intelligence se développe grâce aux efforts, utilisaient de meilleures stratégies pour apprendre… et obtenaient de meilleurs scores aux tâches de mémoire.
Oui, il est possible – et utile – de mener des interventions en classe pour aider les élèves à comprendre que l’intelligence se développe grâce aux efforts. Mais pour qu’elles soient pleinement bénéfiques, ces interventions doivent aussi fournir des outils concrets pour apprendre plus efficacement.
Ce changement de regard ne peut toutefois pas reposer uniquement sur les enfants : parents et enseignants jouent un rôle essentiel dans la manière dont ils valorisent l’effort, les erreurs et les progrès. Les études récentes montrent d’ailleurs que les programmes qui associent également les enseignants ont un impact plus durable sur la motivation et la réussite scolaire. En somme, changer les croyances sur l’intelligence, c’est l’affaire de tous !
Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science (qui a lieu du 3 au 13 octobre 2025), dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition porte sur la thématique « Intelligence(s) ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.
![]()
Laurence Picard a reçu des financements de l’Agence Nationale de la Recherche, de la Fondation de France, de la région Bourgogne Franche-Comté.
Anais Racca a reçu des financements de l’Agence nationale de la recherche (ANR).
Marie Mazerolle a reçu des financements de l’Agence nationale de la recherche (ANR), de la Fondation de France, de la Région Bourgogne Franche-Comté.
Rémi Dorgnier a reçu des financements de la région Bourgogne Franche-Comté.



Répondre à cet article
Suivre les commentaires :
|
