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Devenir enseignant : une identité professionnelle à façonner

Un article repris de https://theconversation.com/devenir...

Depuis une dizaine d’années, les démissions d’enseignants progressent, particulièrement du côté des personnes débutant dans le métier. Pour enrayer ce phénomène, il importe de mieux comprendre comment se développent le sentiment d’identité professionnelle et les facteurs qui interviennent dans sa construction.


Cette rentrée 2025, un certain nombre de classes se sont une fois encore retrouvées sans enseignants. Cette pénurie de profs apparaît comme un casse-tête pour les gouvernements successifs, confrontés à la faible attractivité du métier. Non seulement les concours peinent à faire le plein de candidats mais, une fois ce cap franchi, on observe aussi une nouvelle déperdition de vocations. Depuis une dizaine d’années, le décrochage professionnel des enseignants, particulièrement des novices, augmente.

Témoins de ce climat, nombreuses sont actuellement les études qui alertent sur le malaise enseignant et pointent un contexte d’insertion professionnelle sous tension qui s’explique par la complexité croissante du métier, des charges de travail difficiles à soutenir, une reconnaissance insuffisante… Le choc de la réalité pointé depuis 50 ans et l’écart entre le métier fantasmé et la réalité du métier perdurent.

Notre analyse de la situation interroge le façonnage identitaire d’enseignants novices du premier degré, en lien avec le processus d’insertion et/ou de décrochage professionnel. Une fois lauréats d’un concours et reconnus par l’institution, les enseignants novices se sentent-ils pour autant pleinement enseignants ?

Nous allons modéliser le passage du statut d’étudiant à celui d’enseignant sous forme de quatre bascules identitaires, considérées comme des étapes types par lesquelles passent tous les enseignants novices selon un ordre et un rythme singuliers.

Des responsabilités à endosser

Étonnamment, nombreuses sont les situations au cours desquelles les enseignants novices délèguent leur responsabilité en se plaçant en retrait par rapport aux élèves. En maternelle, le rapport avec l’agent territorial spécialisé des écoles maternelles (Atsem), souvent plus âgé que l’enseignant novice et ayant une connaissance fine du contexte de la classe, explique que les enseignants novices leur confient certaines tâches qui leur incombent (effectuer les groupes, expliquer le travail à faire…). De même, lors des premières séances de natation, ils n’hésitent pas à se référer au maître-nageur, considéré comme « le professionnel ».

Cette bascule tient également à la manière de caractériser les élèves. Si certains s’attribuent pleinement l’origine des événements de la classe (des élèves peu attentifs, une séance qui n’a pas fonctionné comme espéré…) et s’engagent dans des actions visant à l’infléchir, d’autres reprochent aux élèves leur manque d’intérêt (« Ils n’en ont rien à faire »), se dessaisissent du problème et s’empêchent d’agir.

Pour l’enseignant novice, l’enjeu de cette bascule est alors de percevoir le lien entre les actions qu’il construit et leurs effets sur les actions des élèves, pour s’attribuer l’essentiel de la responsabilité de ce qu’il se passe en classe.

La bascule des gestes professionnels

La prise de responsabilité des enseignants novices est directement liée à leur sentiment d’efficience, autrement dit, à la construction et la maîtrise de gestes professionnels. Contrôler la classe sans s’épuiser, faire apprendre ou encore récupérer l’attention des élèves nécessite de disposer de ces gestes professionnels.

Certains cherchent à les « calquer », autrement dit à reproduire à l’identique ceux des enseignants chevronnés (voire même, paradoxalement, de personnes n’appartenant pas au métier : l’Atsem, le maître-nageur…). Ils constatent toutefois l’inefficience de cette reproduction des gestes sans en comprendre le sens et sans les contextualiser. Aussi cherchent-ils progressivement à s’en affranchir en les ajustant aux contextes de la classe.

Seuls les gestes qui donnent satisfaction sont conservés, ceux jugés inefficaces sont rejetés. Confrontés à répétition à des gestes inefficaces et insatisfaisants, les enseignants novices sont amenés à douter de leur capacité à répondre aux élèves et ne peuvent basculer vers l’introduction de leurs propres gestes professionnels. Le processus d’accrochage professionnel est ralenti et le façonnage de leur identité professionnelle mis à mal.

Remettre en perspective les prescriptions

En début de carrière, les enseignants réalisent rapidement qu’ils ne peuvent suivre à la lettre les prescriptions, nombreuses et parfois contradictoires, auxquelles ils sont confrontés. Certains s’en affranchissent donc en s’autorisant à les « renormaliser », dans le but de gagner en efficacité. Pour ce faire, leur entourage professionnel (les formateurs, les pairs, les collègues, le tuteur) joue un rôle majeur, partageant leurs choix dans des situations de dilemme.

Les enseignants novices peuvent alors effectuer des renormalisations « par procuration », en reprenant les choix d’autrui, ou s’en éloigner. Si être enseignant exige le suivi des prescriptions, façonner une identité professionnelle passe ainsi par une émancipation, volontaire et réfléchie, qui nécessite de faire des compromis (finir le programme en passant rapidement sur certaines notions ou approfondir les notions quitte à ne pas tout faire…) et de marquer des écarts à la prescription. Les enseignants novices gagnent ainsi des espaces de liberté qui contribuent au façonnage identitaire et à leur accrochage professionnel.

Des reconnaissances qui façonnent l’identité professionnelle

Tout au long de l’année, les enseignants novices oscillent entre des moments où ils se perçoivent encore plutôt étudiants ou davantage enseignants. Nombreuses sont les circonstances qui expliquent cette dynamique : une question d’élève qui conforte ou déboussole, une remarque d’un parent, d’un collègue… Typiquement, recevoir les clés de l’école ou sa première fiche de paie, effectuer pour la première fois des démarches administratives, recevoir des cadeaux avant les vacances sont autant de signes de reconnaissance « donnés » par autrui.

Au-delà de ces situations, l’identité professionnelle est surtout façonnée par des reconnaissances « acquises », obtenues en classe, à travers les réussites des élèves eux-mêmes, leurs progrès, l’amélioration du climat de classe grâce à sa persévérance. Les enseignants novices se sentent alors comme étant une « personne de métier ». Cette bascule identitaire se joue donc dans le passage d’une reconnaissance « par les autres adultes » à une reconnaissance « par les élèves ».

Cette approche identitaire questionne l’accompagnement à mener auprès de ces jeunes enseignants pour actionner les bascules identitaires : encourager la prise de responsabilités, ouvrir la réflexion sur les gestes professionnels adaptés aux circonstances, autoriser des écarts à la prescription et appuyer la reconnaissance du travail mené.

Le soutien du collectif trouvé dans les écoles est en effet essentiel pour éviter l’isolement, s’approprier le métier d’enseignant et exercer dans un contexte protégé qui rassure et favorise la prise d’initiatives. Il en est de même de l’accompagnement effectué par le tuteur, véritable équilibriste devant par exemple veiller à la bonne application des textes officiels tout en favorisant l’émancipation professionnelle.

En cas de difficultés persistantes, les dispositifs locaux d’aide professionnelle individualisée constituent une aide précieuse à l’entrée dans le métier. À défaut d’attirer de nouveaux enseignants, l’effort pour éviter d’intensifier la pénurie d’enseignants porte alors sur le fait de garder les étudiants et enseignants novices motivés, en leur proposant un accompagnement renforcé pouvant se prolonger en formation continue.

Espérons que la réforme de la formation des enseignants et la création d’une licence « Professorat des écoles », avec des stages en établissement proposés dès la première année d’études, suscitent à nouveau des vocations et favorisent le façonnage identitaire !

The Conversation

Philippe Zimmermann ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

Licence : CC by-nd

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