Un texte repris de la revue Education et socialisation, une publication sous licence CC by nc nd
Les gouvernements africains s’intéressent aux travaux des chercheurs dans le domaine de l’éducation, comme en témoigne le Document de travail récemment publié sur la question des langues d’enseignement par la Conférence des ministres de l’Éducation des États et Gouvernements de la Francophonie (2022). Pour éclairer le potentiel de ressources que représente le travail des chercheurs, nous allons dresser un tableau des recherches portant sur l’éducation dans les pays francophones du Sud global. Un tel travail avait été réalisé en France pour les seules sciences de l’éducation par Jacky Beillerot (1993). Il s’agit ici, à l’instar d’Annie Feyfant (2005), d’embrasser l’ensemble des thèses concernant l’éducation dans le cadre scolaire. Notre objet portera sur un champ géographique spécifique, celui des pays francophones d’Afrique, plus le Liban et Haïti et sur les thèses soutenues depuis 2000, rédigées en français et portant sur l’enseignement dans ces pays, quel que soit leur lieu de soutenance et quelle que soit la nationalité de leurs auteurs. Nous interrogerons une base de données en libre accès, élaborée par le programme APPRENDRE de l’Agence Universitaire de la Francophonie. Il s’agira de proposer une cartographie par pays et par thématiques des thèses consacrées à l’enseignement primaire et secondaire dans les pays francophones émergents et en développement. Nous y verrons de forts contrastes régionaux. Ces recherches sont souvent en lien avec les écoles doctorales européennes ou canadiennes, mais aussi, et de plus en plus, en pleine autonomie dans le cadre d’écoles doctorales africaines.
Après une présentation du contexte, puis du Répertoire des thèses et PhD consacrées à l’enseignement primaire et secondaire dans les pays francophones émergents et en développement, notre propos se déroulera en trois parties : tout d’abord une approche quantitative par pays, quels que soient les sujets où on verra différentes formes de structuration de la recherche, ensuite une approche par thématiques étudiées où apparaitront certaines spécialisations régionales. Enfin, il s’agira de mettre en valeur les pôles de structuration de la recherche et leurs dynamiques.
Méthodologie
Livres et articles publiés, thèses soutenues permettent d’observer la production des chercheurs en et sur l’éducation, mais dresser une cartographie des recherches en éducation, publiées en français et portant sur l’Afrique francophone, n’est pas chose aisée. Les livres peuvent être d’inégale valeur au regard des critères scientifiques. Les articles dans des revues à comité de lecture, dans des revues nationalement ou internationalement reconnues pourraient être un bon indicateur de la production scientifique. En faire leur inventaire est malaisé, certaines ont des parutions très irrégulières et à ce jour peu de revues publiant en français, surtout au Sud du Sahara, sont consultables en ligne. Il est possible via des outils comme Google scholar de recenser les publications, pas toujours consultables en ligne et surtout ne distinguant pas les articles publiés dans des revues à comité de lecture et les revues « prédatrices » qui publient moyennant financement quasiment tout ce qui leur est envoyé. Certes il existe un remarquable travail de synthèse à l’échelle de la Côte d’Ivoire (Azoh et Goin Bi, 2019). Mais étendre cette démarche à l’échelle du continent est difficile, ne serait-ce qu’à cause de la faible visibilité sur la Toile des travaux, des laboratoires et de leurs équipes (Pilon et Ngwe, 2015). Une autre limite est d’ordre linguistique, les recensements internationaux sont souvent faits par des organismes anglophones minorant les publications en français. Ainsi, l’African education research data base développée par l’Université de Cambridge recense 3394 titres en août 20222, dont 3068 en anglais, 288 en portugais, 9 en espagnol, 1 en arabe et seulement 26 en français. Pour la seule Côte d’Ivoire cette base recense 6 articles à travers leurs titres en anglais, alors que Azoh et Goin ont de 2008 à 2018 listé 127 thèses, 344 articles, 17 ouvrages. Cet exemple illustre la forte incomplétude de la base African Education Research Database (AERD) pour les publications émanant des pays francophones.
Compte tenu de ces difficultés, nous avons opté pour nous concentrer sur une seule source : le répertoire des thèses francophones en éducation en Afrique consultable sur le site du programme APPRENDRE de l’Agence Universitaire de la Francophonie (AUF). Un répertoire conçu pour valoriser la recherche et pour servir d’outil aux chercheurs. 1817 thèses y sont recensées entre 2000 et 2020, elles y sont référencées selon dix-huit champs disciplinaires différents, appelés dans la base « domaines de recherche ». Ce sont des thèses en langue française portant sur la recherche en éducation depuis 2000 dans les pays d’Afrique, de l’Océan Indien, le Liban et Haïti. Le Répertoire renseigne pour chaque thèse de nombreux éléments : titre, pays et niveaux scolaires concernés, nom du docteur, pays, université et laboratoire ou faculté, directeur de thèse, co-tutelle éventuelle, résumé et mots-clés.
Cette base de données a été élaborée par Laurent Sovet et Paboussoum Pari avec l’aide d’une équipe (2020), actualisée en 2022. Wassouo et Sovet (2021) ont résumé la méthodologie de collecte et de classement des données. Ils proposent une analyse bibliographique des thèses soutenues dans le domaine des langues, question qui a été approfondie dans le domaine du plurilinguisme (Chevalier, 2003). Les limites du répertoire sont claires. Ce répertoire ne recense pas des thèses en français soutenues par des chercheurs africains portant sur des pays anglophones voisins ou centrées sur les didactiques dans l’enseignement universitaire. En revanche, la base contient aussi les travaux des chercheurs européens ou nord-américains portant sur ces pays. Cela noté, nos analyses se centreront ici sur les thèses soutenues par les chercheurs africains et plus particulièrement sur celles soutenues en Afrique. Nous comparerons par zone géographique et par champs disciplinaires le nombre de thèses soutenues localement et le nombre de thèses soutenues dans les pays du Nord, afin de comparer le flux des nouveaux chercheurs (nouveaux docteurs) et l’existence de pôles de recherche fait de chercheurs confirmés habilités à diriger des recherches.
Notre approche sera quantitative, celle d’un décompte, et marginalement qualitative et subjective par le choix des intitulés de thèses que nous citerons à titre illustratif. Notre étude s’appuiera sur les champs disciplinaires retenus par les auteurs de la base pour qualifier les thèses. Si certains classements sont discutables, nous considérerons qu’ils sont statistiquement négligeables et de plus nous regrouperons des champs disciplinaires voisins. Enfin, on peut penser qu’aujourd’hui peu de thèses ont pu échapper à un signalement sur la Toile, si c’était le cas, cela ne devrait pas affecter les grandes lignes de la cartographie de la recherche francophone en éducation en Afrique et de ses dynamiques.
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