Un articlerepris du numéro 60 "L’organisation du travail dans les coulisses de la différenciation (bis)" de la revue "Education et Socialisation” une publication sous licence CC by nc nd
Olivier Marty, « Une expérience de "Mooc professionnel" : des formations numériques à l’Éducation », Éducation et socialisation [En ligne], 60 | 2021, mis en ligne le 30 juin 2021, consulté le 05 juillet 2021. URL : http://journals.openedition.org/edso/14798 ; DOI : https://doi.org/10.4000/edso.14798
Actualité du sujet : une expérience entre numérisation et professionnalisation de l’éducation
La rentrée universitaire 2020 est marquée par la crise du Covid qui favorise la numérisation des cours. Les enseignants sont encouragés à travailler par classes virtuelles, voire à s’enregistrer pour laisser des traces audiovisuelles dans les environnements numériques de travail. Les pédagogies de la distance, prônées depuis plus d’un demi-siècle par le Centre national d’enseignement à distance, ou plus récemment d’autres organismes novateurs comme France université numérique, sont valorisées. Les enseignants récalcitrants voient que ces innovations sont une réalité qui peut être étendue à vaste échelle — même si cela se fait dans l’urgence de la crise. Les conservatismes sont bousculés, la formation ouverte à distance est mise sur le devant de la scène académique. Les tribunes dans les journaux nationaux (Le Monde, Libération, etc.) se multiplient et ont d’autant plus de crédit qu’elles ne sont pas signées par des spécialistes de l’enseignement à distance mais par des doyens ou des personnalités universitaires que l’on peut supposer neutres dans le débat entre technophiles et technophobes.
Cette accélération de l’histoire, où sont utilisées pleinement les techniques de l’enseignement à distance numérique, s’inscrit dans un mouvement tout aussi général de professionnalisation de l’enseignement supérieur, ou du moins d’une partie massifiée de celui-ci. La création des lycées professionnels dans les années 1980, puis l’accès en masse aux filières universitaires par les bacheliers, transforme le rapport à l’institution qui est vue non pas simplement comme pourvoyeuse de savoirs fondamentaux prestigieux, mais comme un enseignement tertiaire, faisant suite au primaire et au secondaire, qu’il faut fréquenter sans souci de distinction pour trouver un métier dans la société civile. La notion même d’enseignement supérieur devient ainsi discutable, puisque la plupart des jeunes y ont accès dans une démarche de professionnalisation égalitaire, chaque filière donnant une vision propre de la hiérarchie des métiers, voire de celle des savoirs qui les sous-tend. La supériorité n’est plus liée à un nombre d’années d’études, mais au choix de sa filière selon ses propres valeurs, de son degré d’investissement pour se fabriquer ses supériorités à soi. Il s’agit non plus d’un superlatif mais d’un comparatif.
La rencontre de ces deux mouvements historiques, la numérisation actualisée par la crise du Covid et la professionnalisation de l’université remettant en cause les supériorités établies, se traduit bien par l’idée de formation numérique. Il s’agit d’une mise en forme pour un métier, et celle-ci est aidée par les techniques de l’enseignement à distance, aujourd’hui l’ordinateur et Internet. On pourrait parler, peut-être trop rapidement, d’éducation professionnelle de troisième degré, mais il nous reste à savoir si ces formations numériques constituent une Éducation au sens plein du terme. C’est par respect pour le terme d’éducation que nous lui attribuons une majuscule, alors que l’on sait qu’il a succédé historiquement à celui d’instruction, qu’il est concurrent de celui d’enseignement, et pourrait, peut-être, laisser (une) place à la formation.
Problématique et plan
Cristallisant ces deux évolutions, nous voulons présenter une expérience, ou expérimentation, de formation numérique professionnelle, qui nous semble être à un moment critique de l’évolution pédagogique en France et dans le monde. Cette expérience réalisée, que nous allons questionner ensemble, est celle d’un « Mooc professionnel ». Ce cours en ligne ouvert et massif, aussi appelé formation en ligne ouverte à tous, a été diffusé sur France université numérique en juin 2018, suivi par 2 800 apprenants et visait à introduire au métier d’aide-soignant pour accompagner vers l’emploi en EHPAD les internautes qui s’inscrivaient dans la formation (c’est-à-dire jusqu’au recrutement pour prendre soin des personnes âgées en institution). Notre discussion va se baser sur la présentation des données empiriques, fidèle aux ethnométhodes et à la recherche action, sur une discussion de
1. le statut des savoirs mobilisés,
2. la socialisation dans cette formation ainsi que de
3. la notion même d’expérience qui nous semble être la différence entre l’éducation et la formation. Pour le dire par métaphore, il manque à la formation à distance (FAD) les épices de l’expérience réelle pour donner goût aux savoirs. Il s’agirait d’impliquer d’autres sens, plus organiques, que l’audiovisuel. Ceci pour aider à donner un sens profond à l’expérience d’apprentissage, la mémoriser et l’incorporer sur le temps long. L’expérience, et en particulier l’expérience sociale, nous servira finalement de concept pour discuter scientifiquement notre expérimentation.
Posture de l’observation : ethnométhodes et documents de référence
Fidèle aux ethnométhodes dans l’enseignement (Coulon, 1993 ; Dutercq, 1992) que nous avons présentées dans une version adaptée à l’enseignement supérieur pour notre habilitation à diriger des recherches, nous voulons décrire une micro organisation éducative, un dispositif d’enseignement à distance par Mooc. Nous mobilisons donc les théories de l’ethnographie de l’éducation et notamment ses postures épistémologiques (Marty, 2014). La problématique principale étant celle de l’identité du chercheur, tantôt ingénieur sur un terrain académique, tantôt enseignant dans le supérieur.
Au-delà de la communauté d’auteurs et de lecteurs de la revue Ethnography and Education, des enseignements du département de sciences de l’éducation de l’université de Stanford (analyse organisationnelle appliquée à l’enseignement), nous maintenons la discussion avec le professeur Jean Marie Barbier, spécialiste, au Conservatoire national des arts et métier, de la formation professionnelle et de la notion d’expérience (Barbier, 2013). Nous allons donc procéder à un « récit d’expérience » pour présenter ethnographiquement la construction du « Mooc professionnel » et nous servir de la notion d’expérience dans notre discussion scientifique.
Ce faisant, nous interrogeons les catégories de recherche. Notre recherche a consisté à chercher encore pour trouver mieux : nous effectuons une recherche en sciences de l’éducation, dans son versant social (Durkheim, 1922), sur la recherche finalisée produite en R&D de formation d’adultes. Lorsque nous étions chef de projet du Mooc, nous étions sur un terrain de R&D, affairé à produire un dispositif innovant finalisé. Aujourd’hui il s’agit d’une recherche sur le réalisé (et non durant l’acte de conception comme le voudrait la recherche orientée conception : Sanchez, 2015), selon d’autres intérêts professionnels.
On retrouve là le propre d’une recherche expérimentale que l’on voit dans les sciences dures (Kuhn, 2018). L’expérience du Mooc recrutement appelle une description théorique dans un paradigme (l’enseignement à distance), une reproduction possible par d’autres chercheurs et des généralisations théoriques (ce seront nos questionnements). Si le parallèle entre sciences physiques et sciences sociales est maintenu, malgré les différences épistémologiques liées à l’accès aux infrastructures expérimentales coûteuses, on peut alors se demander s’il s’agit de science normale qui corrobore le paradigme de l’enseignement à distance (Jézégou, 2012 ; Cisel, 2016 ; Moore, 2014, Marty, 2016 ; Guyon, 2017), ou d’une révolution scientifique qui fait passer à un nouveau paradigme au travers d’une expérience cruciale liant l’enseignement à distance et l’enseignement professionnel. Mais laissons-là ces débats sur le statut épistémologique de l’expérience, qui ne seront peut-être tranchés que par l’histoire des sciences, pour présenter le cœur de notre dispositif.
Données empiriques : le « Mooc professionnel »
Récit d’expérience : chef de projet du Mooc
Alors que nous étions chercheur-associé à l’université de Rouen, nous avons travaillé dans un organisme financier associatif qui promouvait, pour le compte de l’État et sous l’administration des branches professionnelles, l’innovation en matière de formation d’adultes. Il s’agissait là d’un terrain de recherche et développement visant à produire des dispositifs nouveaux et à les valoriser auprès des publics de différentes branches professionnelles.
La principale expérience qui a fait l’objet de notre contrat de travail s’est déroulée sur deux années, c’était un « Mooc recrutement » qui visait à initier des internautes aux compétences d’un métier puis à les accompagner jusqu’aux entreprises de la branche professionnelle recrutant — celle de l’hospitalisation privée. Il s’agissait de recruter des aides-soignants pour travailler dans des EHPAD, secteur remarqué par Pôle Emploi comme étant en pénurie de main-d’œuvre, le métier étant déclaré en tension. Le dispositif était donc initialement au service des entreprises (les Ehpad de la branche professionnelle), ce qui a amené la question de l’instrumentation des savoirs mis au service d’activités rémunérées ultérieures.
Il ne s’agissait pas de présenter des savoirs abstraits avec une valeur en soi, mais des savoirs utiles à l’action. Ce mouvement n’est du reste pas nouveau puisque l’on observe une étatisation des savoirs professionnels avec la fondation du Conservatoire national des arts et métier en 1794, mais aussi la loi Astier qui établit le CAP en 1919 ou encore la loi Delors de 1971 qui donne à l’État, via le ministère du travail, la régulation de la formation professionnelle, secteur dans lequel s’inscrit l’organisme financier étudié.
L’étatisation des savoirs professionnels s’observe ici par la rencontre entre ce projet de « Mooc recrutement » et la plate-forme nationale créée par la loi de 2013 : France université numérique. Si ce type de Mooc à visée professionnelle est le quatrième en France (l’importation depuis les États-Unis étant le fait de la SNCF pour le Mooc visant à orienter, former et recruter des « aiguilleurs du rail ») il est le premier à être déposé sur la plate-forme nationale de l’enseignement supérieur. Nous avons donc une rencontre entre des dispositifs du ministère du travail et du ministère de l’enseignement supérieur de la recherche et de l’innovation.
Forces et faiblesses du consortium
Une société de la branche professionnelle a mobilisé l’organisme financier qui lui-même a sollicité France université numérique ; puis le consortium a instrumenté la chaire dédiée à ce secteur professionnel des organismes de santé, qui se trouvait au Cnam. Le projet a donc consisté à coordonner des acteurs publics et privés issus de différents secteurs d’activité et avec des vocations différentes : enseignement, recherche, financement, formation professionnelle, soin à la personne, etc. Ceci n’a pas été sans poser des questions de communication, de visibilité dans l’espace public, ou encore de définition des objectifs, : chacun tirant de son côté pour identifier le projet à sa propre vocation institutionnelle.
Ainsi la création de cet objet innovant : le « Mooc recrutement », n’est pas allée de soi. Pour tourner la page des tractations entre les différentes institutions, nous proposons de renommer notre objet de terrain en : « Mooc professionnel », en lui donnant ainsi une portée scientifique plus générale dépassant le cadre des parties prenantes. Comme nous l’avons indiqué en introduction, il s’agit de relier professionnalisation et numérisation dans l’enseignement supérieur. C’est-à-dire, pour une version minorée, une formation ouverte à distance visant à un métier. La polysémie du terme : « Mooc professionnel » renvoie d’abord à la professionnalisation des enseignements (dans leurs contenus et finalités), mais aussi au fait que le cours en ligne était issu du monde professionnel (les EHPAD) et à destination de futurs professionnels (les aides-soignantes recrutées). C’est un cours en ligne par et pour les gens de métier, incluant les arts qui leurs sont propres.
Limites et innovations du Mooc
Apprendre un métier par un Mooc semble être une gageure. La durée de la formation en ligne (trois semaines) et le temps de travail hebdomadaire (une à deux heures) pose la question de l’empan temporel de la formation. Et l’on sait depuis Olivier Reboul que la durée de la formation est un des critères qui la différencie de la simple information. En quelques semaines, et malgré l’intervention de la chaire dédiée du Cnam pour professer les grandes lignes du métier, on peut s’attendre à ce que les apprenants ne soient qu’initiés et orientés vers ce métier. Ce qui est un début de formation.
Mais on remarque que le dispositif insère aussi des vidéos sur le métier : c’est le travail filmé qui constitue une innovation pédagogique pour France université numérique en médiatisant les savoirs professionnels sous forme audiovisuelle. Au-delà du cours magistral avec la professeure du Cnam, le Mooc présente ainsi des situations de travail réel filmées, avec l’environnement matériel, les bâtiments, les costumes, mais aussi le phrasé naturel et les actes du quotidien du personnel du métier. Ce personnel est joué, sur site réel, par de véritables professionnels et non des acteurs. C’est la une façon de présenter et de former efficacement à un métier, une profession, mais aussi ses arts ou compétences, ses savoir-y-faire en situation et son savoir-être-agissant qui passe à l’écran. Ces arts pratiques sont aussi testés par un questionnaire à choix multiples, de mises en situation, qui permet d’évaluer l’adaptation de l’internaute, récemment initié au métier, aux contraintes et nécessités de l’emploi.
Enfin, le dispositif est original car il relie les internautes ayant l’attestation de réussite après l’évaluation (400 attestations de réussite sur 2800 inscrits) à plusieurs entreprises ou organisations qui recrutent dans le marché du travail (envoi automatique de leur candidature par courrier électronique aux services de recrutements mobilisés et préparés à les accueillir). La branche professionnelle a orienté le Mooc vers un métier en tension selon la définition de Pôle emploi, c’est-à-dire où il y avait un fort besoin de recrutement. La faiblesse liée à la durée de formation est compensée par un fort besoin de recruter qui amène les lauréats à s’inscrire dans un métier et à poursuivre leurs apprentissages dans l’organisation qui les rémunère (50 recrutés à l’issue de l’expérimentation)
Figure 1 : Donnée empirique, la page de présentation du Mooc
Lors de la conception, une opposition est apparue entre, d’un côté une logique productiviste industrielle que l’on retrouve par exemple au Cned mais aussi en partie dans France université numérique et au Cnam et qui vise à produire un grand nombre de Mooc à la chaîne (c’est la « Fabrique des Mooc ») ; et d’un autre côté une logique artisanale d’un produit unique, expérimental, porté par la R&D de l’organisme financier qui veut se différencier par la qualité de son innovation.
Une opération de communication a enfin été effectuée, via la branche professionnelle et Pôle emploi, pour tenter de dynamiser le secteur. Au point que l’on peut parler du Mooc comme d’un outil de promotion plus que d’expérimentation pour ces acteurs : l’opérateur a relayé, sur les réseaux sociaux et dans la presse professionnelle, des articles laudateurs pour faire face à une situation délicate puisqu’il y avait aussi une grève des personnels d’EHPAD au même moment.
Le Mooc a attiré un public de curieux sur France université numérique. Un quart était plus sensible, d’après le questionnaire en ligne sur le profil des utilisateurs, à la découverte des structures d’EHPAD pour y placer un membre de la famille, que pour y travailler eux-mêmes. Le taux d’attrition, moins faible que celui de la moyenne des Mooc, mais tout de même assez bas, peut s’expliquer, selon la thèse de Cisel en 2016, par les raisons de l’inscription. Les six septièmes ne sont pas allés jusqu’au diplôme, ni jusqu’à l’emploi, car ils n’étaient pas venus pour ces raisons-là. Ceci peut expliquer les taux d’abandon, tout comme cela explique plus généralement dans les années 90 les décrochages à l’université avec un public nouveau, non préparé, parfois simples curieux et n’étant pas décidé, dès l’inscription, à aller jusqu’à la diplomation.
Le Mooc dont il est question, ainsi présenté, peut alors être mis en questions selon plusieurs axes : d’abord les questions émergeant du terrain sur le statut des savoirs, puis les questions liées à la socialisation et qui valent pour toutes les formations numériques, enfin la question de l’expérience qui constituera le terme de notre discussion scientifique
Questions issues du terrain : le statut des savoirs
Nous avons indiqué qu’une des questions issues du terrain était lié au statut des savoirs, ou encore à l’étatisation des savoirs professionnels et plus largement des savoirs d’action. Cette problématique était d’autant plus vive que, financé par une branche professionnelle, c’était le Conservatoire national des arts et métier qui fut l’opérateur spécialiste de la production des savoirs. Les arts du métier, ou compétences de la profession, acquièrent dans France université numérique le même statut de savoir que la physique fondamentale, la littérature, la théologie ou encore la médecine et le droit, ces deux dernières ayant rencontré ces questions de professionnalisation dès l’université médiévale.
Les savoirs prennent de la valeur en référence à une réalité extérieure (la profession visée) et non en soi parce qu’ils sont des énoncés culturellement valorisés dans les quatre grands domaines de connaissances : lettres, sciences, droit, médecine. On pense la valeur des savoirs, non pas uniquement dans la relation d’un apprenant à ceux-ci, selon son origine sociale, mais dans la relation d’un apprenant à des objectifs d’activités, qui l’amènent à traverser le champ des connaissances cultivés à l’université pour y accéder.
La logique artisanale de l’organisme financier, et de son pôle de recherche et développement, se heurtant aux standards d’une production industrielle de Mooc par d’autres opérateurs, a aussi amené à questionner la transformation du métier d’enseignant.
Premièrement la chaire professionnelle était instrumentée par l’organisme financier représentant la branche : la direction voulait imposer sa pédagogie en corrigeant l’enseignant et faisant passer le travail filmé avant l’introduction parlée. C’est le service technique d’appui audiovisuel du Cnam qui a été amené à produire une œuvre cinématographique de type documentaire sur le travail. Si la recherche en sociologie du travail a déjà mobilisé le cinéma, l’introduction de ces techniques dans un cours en ligne pose la question de leur maîtrise par l’équipe pédagogique à même de les mettre en œuvre et de les valoriser à bon escient.
Nous avons ensuite joué le rôle d’un chef de projet mais aussi d’ingénieur de formation à visée professionnelle, selon une « approche par programme », telle que définie par la conférence de Paris de 2017, inscrite dans le processus de Bologne. La vision d’ensemble est primordiale, c’est le canevas avec un motif du professionnel sur lequel doivent broder l’enseignant et l’équipe d’appui. Cela pose la question de la connaissance même des métiers finaux par le chef de projet. C’est pour cela que nous avons eu recours à des référentiels d’activité et des entretiens avec les professionnels (directrice d’EHPAD, DRH de groupe d’EHPAD, référence qualité, etc.) pour qu’ils définissent eux-mêmes les types de savoir à montrer par la caméra.
Au-delà des intérêts des différentes institutions parties prenantes, nous avons donc eu à coordonner des compétences distinctes entre enseignement, ingénierie de formation, techniques audiovisuelles, contraintes de métier sur le site de tournage (mobilisation du personnel d’un EHPAD dynamisé deux jours durant). Ce qui revient à mobiliser des compétences sociales pour coordonner les différentes techniques. Garant de l’intérêt général et de la finalité du projet, le chef de projet devait naviguer entre différentes exigences et différentes institutions pour trouver un point d’entente dans la réalisation des objectifs. Ceci s’est déroulé sur une année pleine, depuis la convention entre les établissements jusqu’à la production du rapport final sur le Mooc pour l’organisme financier et à destination des partenaires.
Figure 2 : Modélisation du rôle du chef de projet : maintenir les intérêts de la profession
On voit, dans le schéma, que le chef de projet maintient les intérêts de la profession tout au long du développement : les positions au cours du projet varient au fil des tractations entre les institutions. Les acteurs aux compétences variées et objectifs divergents portent chacun un intérêt spécifique. L’intérêt du Mooc pour la profession est préservé par le chef de projet, mais l’intérêt varie selon les négociations entre les acteurs durant les avancées du projet. Ainsi, alors que l’intérêt maximum est atteint alors qu’est choisi le Cnam comme opérateur, la promotion d’un EHPAD, par les films tournés dans un établissement singulier, ramène le projet collectif à cet intérêt particulier.
Une seule diffusion du Mooc a été effectué, car la loi de 2018 « pour la liberté de choisir son avenir professionnel » a entraîné un remaniement des branches professionnelles et de leurs outils financiers, ce qui a bloqué momentanément la rediffusion du cours en ligne. Alors même que la branche, comme le Cnam, auraient souhaité que le Mooc soit rediffusé. Au-delà de la pérennité dans les archives vivantes de France université numérique, la production de ce type d’expérience pose la question de leur survivance (liée à l’actualité des pénuries de recrutement dans une profession et à la pérennité des contacts avec les RH recruteurs ou les bourses à l’emploi de branches).
Au-delà de ces questions de terrain, une montée en généralité dans l’espace scientifique peut-être posée autour de la dimension sociale de ce type de formation numérique.
Questions scientifiques de socialisation
Émile Durkheim définit l’éducation comme : « la socialisation méthodique de la jeune génération » (Durkheim, 1922, page 9). C’est une approche de l’éducation par le social et ses processus d’impositions de normes, valeurs, règles, par l’ancienne génération sur la nouvelle génération. Cette approche questionne la formation numérique et son caractère pleinement Éducatif. Dans ce cadre-là, une définition de la compétence que nous proposons est : la compétition entre tous pour la compétitivité du tout. Lorsqu’un jeune aide-soignant entre dans le métier, les plus anciens le socialisent en le mettant en concurrence avec d’autres de sa classe d’âge ou de son niveau d’expérience. Cette compétition permet d’intégrer les règles et standards en vigueur dans l’établissement, les manières de penser, de sentir et d’agir, mais aussi d’augmenter la productivité de la société intégrée : l’Ehpad. La compétence est alors autant une question de transmission et de socialisation éducative, qu’une question de productivité. Est-ce que la formation numérique, par un « Mooc professionnel », permet cette éducation et socialisation à la compétence ?
Indirectement, oui. En effet, la rédaction des épreuves par questions à choix multiples dans l’énoncé d’une situation de travail a été faite en collaboration avec des professionnels expérimentés du métier. Il y a donc médiatisation de la situation de travail et les apprenants étaient en concurrence pour la rapidité de résolution des problèmes et l’obtention de l’attestation avant l’intégration au travail. La transmission était organisée par compétition entre aide-soignant candidats sur ordinateur, la productivité finale de l’Ehpad était préparée dans le sens où les savoir-faire, dont le savoir-faire-face-à-des-difficultés, étaient développés.
Les mises en situation, d’autant mieux imaginées par les apprenants qu’elles étaient présentées par des vidéos sur des actes du quotidien, ont aussi permis de transmettre des manières de penser. Émile Durkheim est contemporain du sociologue Maurice Halbwachs et l’on peut évoquer la mémoire collective des apprenants qui se transforme au fil de la formation numérique. Les valeurs, ou attracteurs du métier, sont mises en image et les identités individuelles et collectives se transforment à la vision des locaux, des futurs collègues en habits de travail, mais aussi des patients avec leurs situations de dépendance (selon leur infirmité, le plus souvent liée à la sénilité). Des modèles de récit de vie, avec des aides-soignantes interrogées à la caméra, permettent d’intégrer les discours types et de modifier son histoire personnelle pour la faire correspondre à la hiérarchie des réalités de référence (le soin, l’aide, la sollicitude, l’écoute, l’empathie, etc.). Les apprenants sont orientés sur des évolutions possibles (diplôme complémentaire jusqu’à la voie de la directrice de la maison de retraite) des souhaitables, des perceptions du probable... Cette conformation est assimilable à une Éducation socialisée en présence. Dans une formation numérique, cependant, le temps d’intégration et de transformation de soi, l’adaptation à la mémoire collective, est plus bref ; le média réduit sensoriellement l’expérience et son impact sur la personnalité. Ce que le média informatique condense en un temps très court perd de son épaisseur sensorielle.
On le voit, le Mooc professionnel ne questionne pas seulement le lien formation emploi (avec l’utilisation des savoirs en situation de travail dans une vision de la compétence donnée) ou les nouvelle formes de l’enseignement supérieur numérique : il inaugure un nouveau rapport aux autres dans ces formations, de nouvelles valorisations des socialisations, qui sont médiatisées et dont les interactions sont formatées par l’ordinateur, passant par des canaux de communication pré-établis.
Le rôle même de l’enseignant, ici la professeure titulaire de chaire, est redéfini comme celui d’un passeur pour introduire à un nouveau monde professionnel. Il a l’art d’accrocher les apprenants à partir de leurs situations diverses, pour les amener progressivement à entrer dans l’imaginaire et les valeurs d’un nouvel environnement de travail. La socialisation éducative, qui passe par l’imitation de professionnels filmés, n’est plus nécessairement dans son périmètre d’enseignant, la socialisation par le discours, le vocabulaire, les tenues, etc. est un ensemble de signes laissés à une équipe de professionnels de l’audiovisuel pour la mise à l’écran avec sa diégèse donnée. On peut ici se demander si le Mooc n’aurait pas gagné à faire appel à des centres de sociologie du travail, tel celui de Pierre Naville à Evry, pour augmenter l’instrumentation de l’audiovisuel à partir d’expériences déjà discutées en la matière.
De même, les mises en situation pour résolution de problèmes, qui ont été validées par les professionnels de haut rang, qui connaissent les moments clés déterminant la valeur d’un impétrant, n’ont pas fait l’objet de jeux de rôles. Ceux-ci, organisés à distance, auraient augmenté la compétence et la coopération entre les apprenants pour augmenter l’effet éducatif. Le « Mooc professionnel » pointait simplement vers un jeu sérieux informatique en ligne pour apprendre à évoluer en EHPAD : les candidats avaient une figurine qu’ils manipulaient entre les différentes salles fonctionnelles de l’établissement virtuel, mais ils ne rencontraient, à travers les autres figurines, que des programmes informatiques (des condensés de codes sur le comportement en EHPAD) et non des personnages représentants les autres apprenants de la formation.
La correction par les pairs, d’une prise de position par écrit par exemple, n’a, elle aussi, pas été mobilisée — ce alors qu’elle permet la gestion pédagogique des masses d’apprenants avec une grande efficience dans les Mooc. C’est une façon de mieux intégrer les valeurs du métier en évaluant les compétences des autres apprenants. Sans écarter totalement l’idée d’un Évaluateur expert, la multiplicité des évaluateurs non experts permet d’avoir plusieurs perspectives concurrentes sur son propre travail ; et le fait même d’évaluer renforce l’attention prêtée à l’exercice. Ce type de dispositif est mis en place dans des plates-formes de Moocs telles que Coursera ou EdX, il est techniquement possible et souhaitable pour les raisons précitées, mais n’a pas été intégré lors de l’expérimentation pour des raisons de prudence pragmatique en situation de travail (sensibilité dans l’expérimentation liée aux représentations traditionnelles de l’évaluation par les agents en présence).
La socialisation s’est aussi faite sur le forum, où chacun pouvait se présenter et discuter du cours ; mais on a observé relativement peu d’interactions longues sur un sujet précis. C’est pourtant là que se fabrique le sens commun d’une promotion et que les corrections des uns par les autres s’affinent. Le dispositif d’évaluation des interactions dans le forum pris en compte dans la délivrance de l’attestation, que nous n’avons pas actionné pour ce Mooc et qui existe sur Coursera, est critiquable en ce qu’il ne compte que le nombre d’interventions dans le forum (avec un seuil minimal) alors que c’est le nombre d’échanges sur un sujet précis qui devrait être compté — voire en tenant compte de la sémantique grâce à l’intelligence artificielle. C’est dans ces interactions-là que la socialisation est la plus efficace et qu’elle permet à la formation de se métamorphoser en Éducation au sens plein. Cela complète la professionnalisation comme processus social : les professionnels en devenir peuvent professer leur professionnalisme en cours de développement en verbalisant leurs activités sur le forum devant leurs futurs collègues, selon le vocabulaire du métier appris dans le Mooc.
Notre clinique de la socialisation dans le Mooc, qui insiste sur ses manques, sur ses défauts et sur ce qui aurait dû être mais n’a pas pu être parachevé, ne doit pas nous aveugler. Il faut certes vouloir soigner le travail, pour améliorer ce qui aurait pu être mieux fait. Mais ne minorons pas la dimension sociale de notre formation numérique, aussi incomplète soit-elle. Elle s’opère par l’encastrement de trois niveaux aux échelles différentes : d’abord la position sociétale du métier, qui donne sa place dans l’écosystème professionnel, pour la vision la plus large donnée par la chaire ; ensuite l’imitation sociale des acteurs, de leurs attitudes et phrasé, tels qu’on les voit à l’écran, qui est une présentation sociale de niveau médian permise par l’audiovisuel ; enfin, au niveau le plus fin et le plus précis, les interactions microsociales par correspondances et discussions sur le forum. La formation numérique, quoique mise en question critiques, est une éducation par socialisation. Le curriculum social s’affine dans le temps : depuis l’entrée dans le Mooc par l’introduction professée, puis l’imitation des vidéos et, enfin, les interactions entre apprenants pour développer la compétence et la coopération dans le forum.
Ceci corrobore le théorème d’Annie Jézégou d’un mode de présence social dans le paradigme de l’enseignement à distance : autrui a un rôle à jouer et tout n’est pas autorégulation, ou autonomie. Le formé apprend en se socialisant, en se comparant et imitant les autres dont la présence est médiatisée dans le dispositif, durcie par un artefact qui les matérialise. Cet acte d’orientation et de formation numériques à un métier se fait en rencontrant d’emblée d’autres candidats, des images animées de professionnels et des mises en situations sociales typiques. L’apprenant doit échanger sur le forum et essayer de répondre avec justesse à des cas : demande d’aide d’une personne âgée à laquelle il doit faire face, infraction à la répartition légale des rôles entre les professionnels, condition de prise de poste matinale, etc.
Nous soutenons donc que ce n’est pas le social qui manque à la formation numérique pour en faire une Éducation avec une majuscule, un enseignement supérieur complet, mais que c’est l’expérience elle-même qui fait défaut. Questionnons donc notre expérimentation dans les perspectives ouvertes par le concept d’expérience.
L’expérience remise en question
Le Mooc professionnel est une expérience : c’est une expérimentation. Nous avons vu qu’elle incluait une expérience sociale, socialisation médiatisée par de l’audiovisuel interactif. Mais c’est dans un autre sens ce que nous voulons remettre à la question le concept d’expérience, tel qu’il est travaillé actuellement en sciences de l’éducation et de la formation.
On peut commencer notre approche conceptuelle de l’expérience en évoquant une étymologie, soit : ce qui est appris à l’épreuve du réel. La question est alors de savoir ce qu’est le réel et quelles sont les apprentissages développés lorsqu’on s’y confronte — voire quelle est la nature et la difficulté de l’épreuve. Concentrons-nous sur la première question de définition du réel qui est fondamentale, à l’heure du numérique, et plus largement de la réalité virtuelle, augmentant les possibilités offertes.
Pour l’apprenant, le réel de référence est le métier visé, représenté par les professionnels impliqués grâce a l’intermédiaire de la formation. Mais le réel est aussi et peut-être avant tout la situation initiale de l’apprenant, son quotidien avant qu’il entre dans le métier. Évidemment, une troisième réalité de référence, qui est celle que nous décrivons ici scientifiquement, est celle de la formation numérique en elle-même, de l’artefact ou dispositif Mooc. Comment interagissent c’est trois réalités qui fondent notre expérience ?
Nous avons vu que le média fonctionne comme un intermédiaire pour amener les apprenants, dans un schéma en forme d’entonnoir, à passer de leurs réalités professionnelles diverses, se formater par le Mooc, pour être conformes aux attentes de la réalité professionnelle visée. La formation numérique est conformation, mise en forme, formatage à l’aide du média. Elle permet l’acquisition de savoirs dont il sera fait usage en situation de travail et en organisation. Cette vision première d’un formatage est par trop réductrice puisque, une fois recruté, chacun fera un usage différent de ses savoirs en organisation, tous portant le nom d’assistant social mais chacun exerçant différemment son métier.
Nous avons aussi critiqué l’appauvrissement sensoriel par les seules vision et audition, les deux sens nobles qui laissent de côté l’odorat, le goût, le toucher, voire la proprioception, qui ne sont pas impliqués par le média informatique. Celui-ci présente toutefois d’autres avantages comme d’être assez dur pour durer, traverser l’espace et le temps, pour atteindre des candidats éloignés de la réalité visée.
En sciences de l’éducation et de la formation, Jean Marie Barbier et ses différents disciples, ont travaillé la notion d’expérience. L’intégration de cette notion fondamentale à sa réflexion s’est faite par les axes du laboratoire qu’il a lui-même fondé dans les années 1980 et qui étudie la formation. Ainsi, il pense l’expérience dans une interaction entre deux axes du laboratoire : l’activité, dont il est spécialiste du vocabulaire d’analyse, et l’identité, avec ses valeurs et ses possibles transformations.
L’expérience, pour Jean-Marie Barbier reprenant les théories de John Dewey, est l’action que j’exerce sur le monde, et la réaction du monde sur moi-même. Je me transforme en transformant le monde, car il me résiste. On peut développer librement cette posture fondamentale sur l’expérience, ou épreuve du réel, en évoquant l’intention initiale qui incite à l’action et les résistances du monde. Au moment où je veux agir, par un premier acte prudent, qui entame une activité, je reçois la première réaction de l’environnement sur lequel je m’exerce : je veux découvrir un métier et m’inscris au Mooc professionnel, j’ai alors un retour de formation. Cette réaction peut être négative et je peux être amené à modifier mon intention pour l’adapter au réel, par exemple en me réorientant si le Mooc semble ne pas être adapté aux réalités professionnelles et aux exigences que je suis prêt à accepter. Mais la réaction numérique peut aussi être positive et encourager un second pas, un développement de l’action. Ainsi, si je me sens bien avec les réalités médiatisées, que je réussis les tests du Mooc, je peux m’engager dans un acte de candidature pour continuer ma formation dans l’emploi en EHPAD une fois recruté. Ici la réaction positive de l’environnement confirme mon intention et m’amène à la développer en renforçant mes propres valeurs pour poursuivre mon action de professionnalisation dans un monde accueillant.
Conformément à la tension entre activités et identité chez Jean Marie Barbier, on observe que, quel que soit le type de réaction du monde sur mes intentions, mon activité modifie mon identité : soit elle m’amène à rester identique à moi-même en changeant de monde car celui-ci m’est hostile, soit elle me conduit à prolonger mon identité, la développer et l’adapter dans un monde auquel je m’identifie. Les tensions entre identité psychique (rester identique à soi-même) et identité sociale (rester identique et adapté aux autres) sont modulées par les types de réactions du monde qui ne me laissent jamais, ni indemne, ni idem.
Ce débat sur l’expérience, qui fait actualité au Cnam, pour Jean Marie Barbier, comme dans plusieurs domaines des sciences de l’éducation et de la formation, trouve ses origines dans la philosophie pragmatique américaine du XXe siècle, dans l’œuvre de John Dewey. L’éducation doit passer par l’expérience, l’expérimentation du réel, pour se former soi-même, en reconstruisant en permanence la réalité. Il y a une action et une compréhension de cette action pour faire expérience pleine est totale. Cela consiste à faire sens de l’adéquation de mon intention au monde, cela permet de construire mon identité et de transformer mes actes, ou activités, en une action à la sémantique assumée.
En deçà de John Dewey, on peut remonter jusqu’à la philosophie éducative des Lumières, avec l’Émile de Jean-Jacques Rousseau, où l’expérience de l’apprenant se fait certes dans la nature, mais une nature artificielle, organisée par le gouverneur qui prépare le terrain d’expérimentation. Émile agit, s’endurcit et se forge une identité autonome au contact de la nature, il réfléchit avec peu de mots mais avec précision sur ses expériences. Cependant tout ceci est pensé par avance par le gouverneur chargé de l’éduquer : il a préparé la situation et prédisposé l’expérimentation.
C’est ce type d’expérience que l’on retrouve dans notre expérimentation puisque l’endroit numérique de la formation est artificiel et préparé par les professionnels pour donner lieu à une situation apprenante optimale. Les participants sont amenés à agir dans l’environnement informatique fabriqué de toutes pièces, à voir celui-ci réagir et à transformer leur identité en fonction des rétroactions. Ils font sens du Mooc et sentent s’ils peuvent y orienter leur propre professionnalisme. Ils reconstruisent leurs expériences selon les résultats aux tests d’évaluation, pour voir si le métier et le type d’emploi leur sont adaptés et sont en adéquation avec leurs valeurs.
Le Mooc professionnel est en ce sens une formation expérientielle. Certes l’expérience est réduite à de l’audiovisuel interactif, certes elle s’inscrit dans un temps court et la socialisation est programmée, mais c’est tout de même l’expérience d’un condensé de réalité du métier. La réflexivité possible sur ce condensé est ouverte dans le forum, où l’interactivité se fait pour la construction collective d’un sens commun sur le métier.
Notre expérimentation présente une expérience qui amène les apprenants à poursuivre, ou non, pour se professionnaliser sur le terrain une fois embauchés. Nous pensons qu’elle serait plus complète si elle permettait d’alterner régulièrement entre le numérique et le professionnel (stage, apprentissage, outil de VAE…), dans un temps plus long. Les apprenants seraient amenés à suivre plusieurs formations numériques professionnelles tout en travaillant en permanence et en laissant la place à des écrits professionnels longs pour construire une réflexivité en interaction avec d’autres théories importantes, distantes géographiquement ou historiquement.
Le nouvel objet « Mooc professionnel » est une innovation pédagogique qui permet de redéfinir l’hybride, la mixture, voire, étymologiquement, ce qui est un métissage et fait le lien entre la formation à distance par cours en ligne et l’expérience en situation de travail. Cette alternance est souple et facilitatrice quand l’apprenant habite loin de son lieu d’études ou que les temps de travail sont contraignants. Elle permet, par exemple, de se former avec le Cnam numérique à Paris, tout en commençant un emploi dans un EHPAD dans le sud de la France, qui se trouve loin de son lieu d’habitation et qui interdit donc, faute d’ubiquité, la multiplication des présences pour suivre les différents éléments de sa formation.
En résumé, l’expérience nous paraît primordiale pour lier le numérique aux réalités professionnelles. Ceci est valable, aussi bien pour les apprenants en ligne et au travail, que pour le statut de notre expérimentation ouvrant le paradigme de l’enseignement à distance à celui de l’enseignement professionnel.
Nous encourageons les collègues à reproduire l’expérience en question pour éventuellement falsifier nos résultats, tester de nouveaux modèles et généraliser ces micro-actes éducatifs. Ceci devrait transformer les politiques éducatives sur le temps long : le rôle et les formes de l’université qui devient un centre de savoirs numériques, la valorisation d’un nouvel élitisme connecté, voire la proposition de diplômes d’établissement et nationaux par Mooc. Auquel cas, peut-être faudrait-il adapter l’exercice du mémoire, pour donner sens et lier les socialisations, les livres et les cours en ligne avec les projets de vie (famille, loisirs, emploi). Ce serait le rôle de l’écrit long propre à l’université (doctorat, mémoire), ici professionnel.
Au demeurant, plusieurs questions restent ouvertes à controverses. Est-ce l’avenir que de se former par « Mooc professionnel » ? Qu’est qu’une expérience formative ? Comment connecter la socialisation réelle à celle numérique pour une Éducation complète ? Quelle y est la place de la documentation de l’expérience ?
Est-ce que cela remet en cause la dimension matérielle des universités et répond à la question des masses venant se professionnaliser ? Voire l’existence des institutions éducatives au sens large, car nombre de grandes écoles ont une dimension professionnelle ? Le numérique remplacerait-il le livre, simple ressource éducative libre ? Quel est le rôle des bibliothèques devenues médiathèques dans cette transformation ? Quelle ingénierie de formation cela implique-t-il et quels seront les métiers de demain en découlant ?
Si cette innovation nous semble aller dans le sens de l’histoire, comment s’orienter en permanence dans une offre morcelée de Moocs, selon ses propres valeurs et engagements territoriaux, professionnels, disciplinaires ? Est-ce que cela remet en cause le découpage disciplinaire en amplifiant le phénomène des multi-cursus ? Allons-nous vers des micro-formation en juste à temps où 1 ECTS avec attestation, en quelques semaines, permet d’accéder à un emploi donné ? Est-ce valable pour tous les emplois en tension ? Faut-il laisser à l’apprenant le soin d’agréger ses propres cours pour individualiser son parcours de formation tout au long de la vie ? Ou alors inventer de nouvelles formes d’accompagnement numérique, ce qui revient, in fine, à réinventer la relation éducative ?
Bibliographie
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