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Le rôle du contexte socioéconomique local dans l’abandon des bachelier·ère·s professionnel·le·s en brevet de technicien supérieur en Guadeloupe

31 décembre 2020 par Elisabeth Odacre Veille 276 visites 0 commentaire

Un article repris de http://journals.openedition.org/eds...

Cette étude aborde les aspects contextuels du phénomène d’abandon dans l’enseignement supérieur en Guadeloupe, en relation avec la proportion importante de bachelier·ère·s professionnel·le·s dans cette région. La conduite de récits de vie auprès d’étudiant·e·s ayant abandonné le BTS assistant de manager permet de mieux comprendre les tensions qui ont pesé sur leur décision. Les étudiant·e·s sont confronté·e·s à des orientations contraintes car la carte locale de l’enseignement supérieur ne permet pas de satisfaire les besoins de formation et les aspirations des bachelier·ère s professionnel·le·s. Ainsi, les caractéristiques socioéconomiques et territoriales constituent en Guadeloupe des déterminants majeurs pour l’insertion des bachelier·ère s professionnel·le·s dans l’enseignement supérieur.

Un article repris de la revue Education et socllaisation, une publication sous licence CC by nc nd

Elisabeth Odacre, « Le rôle du contexte socioéconomique local dans l’abandon des bachelier·ère·s professionnel·le·s en brevet de technicien supérieur en Guadeloupe », Éducation et socialisation [En ligne], 58 | 2020, mis en ligne le 30 décembre 2020, consulté le 31 décembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/edso/13203 ; DOI : https://doi.org/10.4000/edso.13203

Introduction

Le Brevet de technicien supérieur (BTS), préparé en formation initiale dans une section de technicien supérieur (STS), est une formation courte et professionnalisante de l’enseignement supérieur français. Ces formations sont à la fois sélectives et de masse (Orange, 2013), caractéristiques accentuées dans les Outre-mer français. Par exemple, en Guadeloupe, le BTS est la première formation supérieure par ses effectifs (DEPP, 2017). Ce poids du BTS peut être partiellement rattaché à l’importance quantitative des bachelier·ère·s technologiques et professionnel·le·s dans ce territoire (DEPP, 2016), mais également à une situation socioéconomique régionale fragile qui rend les familles perplexes quant aux filières longues. Ainsi, dans un territoire où le diplôme est un déterminant de l’accès au marché du travail (Treyens, 2014), ces filières constituent une voie d’accès à l’enseignement supérieur privilégiée pour les bachelier·ère s technologiques et professionnel·le·s. En Guadeloupe, 59 % des diplômé·e·s dans les principales formations post-baccalauréat d’un niveau cinq ou six, sont titulaires d’un BTS, contre 33 % dans l’Hexagone (MENESR, 2017). Pourtant, ces filières connaissent des taux de sortie sans diplôme élevés comparables à ceux du premier cycle universitaire (Merlin, 2018).

Dans le cadre d’une recherche portant sur le fonctionnement du BTS en Guadeloupe, des professeur·e·s en économie et gestion de la cohorte du BTS assistant de manager (BTS AM) que nous étudions, ont regretté des abandons plus importants que les années antérieures (Odacre, 2018) dès la première année. Ces abandons sont le fait, en majorité, d’étudiant·e·s issu·e·s de baccalauréats professionnels que ces filières sont dans l’obligation d’accueillir selon les modalités prévues par la loi relative à l’orientation et à la réussite des étudiants (Loi « ORE ») [1]. En accord avec Grelet et al. (2010), qui s’interrogent sur « la pertinence d’une orientation vers ces filières de jeunes possédant un niveau scolaire peut-être trop modeste pour pouvoir s’y maintenir », ces professeur·e·s attribuent principalement ce phénomène au niveau scolaire insuffisant des bachelier·ère s professionnel·le·s pour affronter le BTS. Cependant, dans la lignée d’Orange (2013), qui constate les difficultés sociales des étudiant·e·s de STS, nous avons cherché à déterminer si des caractéristiques propres au contexte social, économique et territorial de la Guadeloupe pouvaient également être explicatifs de ces abandons. Notre étude, qui possède un caractère qualitatif et exploratoire, permet cependant de mieux cerner ce phénomène d’abandon, à notre connaissance, non encore étudié en Guadeloupe. Nous montrerons notamment comment se conjuguent les effets du dispositif d’admission dans l’enseignement supérieur (admission post bac, APB, au moment de l’étude), les facteurs économiques et sociaux dans les décisions d’abandon, tout en notant que les étudiant·e·s concerné·e·s savent remanier leur projet d’études et d’insertion.

Nous suivrons le plan suivant. Nous commencerons par développer le cadre général de notre étude. Ceci nous permet ensuite de présenter la problématique et la méthode de recherche avant d’exposer les résultats et de les discuter. En conclusion, nous soulignerons la nécessaire mise en place de travaux de recherche en éducation en Guadeloupe et dans les Outre-mer, afin de mieux cerner le phénomène du décrochage dans l’enseignement supérieur et le devenir des bachelier·ère s professionnel·le·s dans ces territoires.

Cadre général de l’étude

Nous exposerons d’abord les principales caractéristiques socioéconomiques et éducatives de la Guadeloupe. Puis, nous présenterons de façon synthétique la question de l’accès et de la réussite au diplôme de BTS des bachelier·ère·s professionnel·le·s. Enfin, nous aborderons les déterminants sociaux de l’abandon repérés dans l’enseignement supérieur.

La Guadeloupe, un territoire en tension face aux questions d’emploi et d’insertion professionnelle

La Guadeloupe connaît un taux de chômage structurellement plus élevé que la France prise dans son ensemble (Demougeot, 2017). Ainsi en 2018, le taux de chômage en moyenne annuelle s’élève à 23 % chez les 15 ans ou plus, soit plus de deux fois le taux observé dans l’Hexagone (9 %) (Audoux et Mallemanche, 2019). Si toutes les classes d’âge sont touchées par le chômage, la situation est plus grave pour les jeunes : plus d’un·e jeune sur deux est au chômage, soit le double de la moyenne nationale (Demougeot, 2016). En outre, pour mieux appréhender la réalité critique du marché de l’emploi local, il faut prendre en compte le halo du chômage, constitué par les situations intermédiaires de personnes qui gravitent entre inactivité et chômage : ainsi, le chômage et son halo touchent environ la moitié de la population potentiellement active de la Guadeloupe. Plus d’un tiers de la population (34 %) vit en dessous du seuil de pauvreté national, contre 14 % dans l’Hexagone (Demougeot et al., 2020).

Relativement à l’insertion professionnelle des jeunes diplômé·e·s des cycles courts de l’enseignement supérieur, l’IEDOM (2016) précise que le tissu productif du territoire se caractérise par la prédominance des petites et très petites structures, qui regroupent la majorité absolue de l’emploi. Ces micro-entreprises ne sont souvent pas en mesure d’accueillir des jeunes diplômé·e·s ou de leur proposer des emplois en adéquation avec le niveau de formation initiale, comme le fait remarquer Popotte-Barcot (2013) [2]. L’existence de ces microstructures provient aussi de la volonté importante de créer son propre emploi en Guadeloupe, pour échapper au salariat. Il s’agit ici d’une conséquence de relations patron·ne·s/salarié·e·s parfois peu épanouissantes, marquées par l’histoire coloniale du territoire (Alvarez, 2012). De ce fait, l’image de la fonction d’Assistant de Manager est parfois négative (Odacre, 2018) chez les étudiant·e·s par son positionnement incertain dans les petites entreprises entre le·la « patron·ne » d’un côté et les « employé·e·s » de l’autre.

La Guadeloupe, un territoire en tension face aux questions d’accès à l’enseignement supérieur

L’offre locale de formation de l’enseignement supérieur public se déploie sur les trois campus du Pôle universitaire régional de l’Université des Antilles et dans six lycées. Cette offre porte principalement sur des formations de licence, de master, de doctorat et du secteur de la santé, des classes préparatoires aux grandes écoles et des formations professionnelles courtes (BTS, DUT). À la rentrée 2018, la Région académique de Guadeloupe dénombre 9 400 étudiant·e·s, ce qui représente une hausse de 0,6 % par rapport à l’année précédente (DEPP, 2019).

Pour des familles marquées par le taux de chômage important des jeunes, l’entrée dans l’enseignement supérieur des bachelier·ère·s paraît être une chance d’insertion, le diplôme restant vu comme un atout pour accéder au marché du travail (Treyens, 2014). Or, en Guadeloupe, 57 % des élèves de terminale sont dans les filières technologiques ou professionnelles contre 46 % dans l’Hexagone (DEPP, 2016). Les STS constituent les voies d’accès favorites aux études supérieures des bachelier·ère·s issu·e·s de ces filières (Orange, 2013) et l’obtention d’un BTS « en attendant mieux » revêt une forme d’assurance pour le présent, une forme de sécurité que constitue ce premier diplôme (Orange, 2009). Ce phénomène est plus particulièrement marqué en Guadeloupe : à la rentrée 2018, 2191 étudiant·e·s y étaient inscrit·e·s en STS contre 245 en IUT (DEPP, 2019), soit un écart d’environ un à dix, quand il est d’un à trois pour la France entière.

Malgré cela, les STS n’absorbent pas en Guadeloupe l’ensemble des bachelier·ère·s professionnel·le·s, qui se tournent vers l’université où ils·elles représentent une proportion plus importante (22,3 %) que la moyenne nationale (8,6 %) des néo-entrant·e·s. Or, la voie universitaire les conduit souvent à l’échec : près de 50 % abandonnent le premier cycle dès la première année (Delcroix, 2014). Ainsi, dans l’état actuel des choses, l’enseignement supérieur ne garantit pas à l’ensemble des bachelier·ère·s technologiques et professionnel·le·s d’accéder à un diplôme de l’enseignement supérieur en Guadeloupe.

La question de l’accès et du parcours des bachelier·ère·s professionnel·le·s en STS

Sur le plan national, le décrochage en BTS est quantitativement important : 22 % des étudiant·e·s inscrit·e·s en STS décrochent (soit une proportion comparable à celle du premier cycle universitaire), alors que ce phénomène n’affecte que 12 % des étudiant·e·s inscrit·e·s en IUT (Grelet et al., 2010).

Aussi, la lutte pour « faire reculer le décrochage étudiant » est-elle affirmée comme un défi national (Demuynck, 2011). Pour » accompagner chaque étudiant sur la voie de la réussite » (Vidal, 2018 [3]), la loi « ORE » prévoit l’obligation d’accueillir en priorité des bachelier·ère·s professionnel·le·s en STS et des bachelier·ère·s technologiques en IUT. Plus précisément, cette loi prévoit l’instauration « de manière contraignante » d’une série de quotas dans les effectifs de ces formations (Cour des Comptes, 2020). Leur fixation est laissée à l’appréciation de chaque recteur·rice, qui les détermine annuellement, après échange avec les chef·fe·s d’établissement concerné·e·s. Toutefois, Lerminiaux (2015) remarque que l’élargissement de l’accès des bachelier·ère·s professionnel·le·s en STS « n’a pas été préparée et ne s’est pas accompagnée d’une évolution suffisamment marquée des pratiques pédagogiques » et que le taux de réussite à l’examen de ce public reste sensiblement inférieur à celui des bachelier·ère·s des filières générales et technologiques.

Les déterminants sociaux et contextuels de l’abandon dans l’enseignement supérieur

L’abandon dans l’enseignement supérieur est un concept complexe (Tinto, 2005) et recouvre des réalités différentes (Bodin et Millet, 2011). Il est décrit comme une décision volontaire ou involontaire de l’étudiant·e par certain·e·s auteur·e·s (Grayson, 2003 ; Seidman, 2005 ; Staiculescu, 2011). D’autres, tout en reconnaissant cette classification, n’établissent pas une distinction aussi explicite (Aumond et Beaulieu, 1994 ; Ben-Yoseph, Ryan et Benjamin, 1999 ; DeRemer, 2002), en le justifiant par la difficulté de mise en œuvre opérationnelle dans les travaux de recherche (Roche, 2017).

Des études montrent qu’à l’entrée dans l’enseignement supérieur, les étudiant·e·s évoluent vers de nouveaux environnements (académique, institution, social, personnel) (Roche, 2017). Comme l’ont affirmé Sauvé et al. (2006), plusieurs modèles théoriques ont été développés pour étudier les facteurs de risque d’abandon dans l’enseignement supérieur et mettent, par exemple, en lumière une vision organisationnelle (Bean et Meatzer, 1985), ou encore une perspective interactionnelle (DeRemer, 2002 ; Liu, 2002 ; Tinto, 1975, 1993 ; Titus, 2003). La première approche vise à expliquer le phénomène d’abandon par « l’impact des dimensions organisationnelles de l’institution universitaire d’appartenance de l’étudiant » (Sauvé et al., 2006) tandis que la seconde approche relie les caractéristiques des étudiant·e·s (par exemple, le contexte familial, les résultats scolaires antérieurs, etc.), à leur environnement institutionnel (par exemple, la performance scolaire, les interactions avec les personnels). Dans cette lignée, c’est l’influence des déterminants sociaux et scolaires (Duru-Bellat, 1995 ; Morlaix et Suchaux, 2012 ; Orange, 2013), et culturels (Canisius et al., 2009) qui ont été constatés.

Notre recherche s’inscrit dans le prolongement des travaux référés ci-dessus, en mettant plus particulièrement l’accent sur la contribution des paramètres socioéconomiques et territoriaux du lieu de déroulement de la formation sur les décisions des étudiant·e·s (orientation initiale, abandon, réorientation…).

Problématique et objectifs

Comme évoqué dans l’introduction, l’équipe pédagogique du BTS AM étudié par Odacre, (2018) a indiqué le caractère inhabituel du phénomène d’abandon précoce constaté dans la promotion étudiée. Dans cette cohorte, les bachelier·ère·s proviennent en premier lieu de filières technologiques (11 étudiant·e·s sur 26, soit 42,31 %) puis des filières professionnelles (8 étudiant·e·s sur 26, soit 30,77 %). Seuls 7 étudiant·e·s sur 26 (soit 26,92 %) proviennent des filières générales. Tou·te·s les bachelier·ère·s professionnel·le·s et deux bachelier·ère·s technologiques ont abandonné en cours de première année.

Les professeur·e·s de ce BTS attribuent essentiellement ce phénomène d’abandon aux acquis scolaires insuffisants des bachelier·ère·s professionnel·le·s qu’il·elle·s sont pourtant dans l’obligation légale d’accueillir (Odacre, 2018). Cependant, nous pensons que ce constat doit être approfondi pour prendre en compte d’autres variables, notamment sociales dans la suite des travaux d’Orange (2009). En effet, la situation scolaire de la Guadeloupe, avec l’importance des sections techniques et professionnelles dans l’enseignement secondaire et sa situation socioéconomique (importance du chômage, difficulté d’insertion professionnelle) peuvent également constituer, selon nous, des éléments explicatifs des abandons constatés : si le BTS joue un rôle social en permettant aux lycéen·ne·s, lauréat·e·s d’un baccalauréat professionnel ou technologique, d’accéder à l’enseignement supérieur, c’est également une formation professionnelle courte dont la finalité est de fournir des technicien·ne·s directement employables, et plus précisément sur le lieu de déroulement de la formation (Lemistre, 2015).

Compte tenu, à notre connaissance, de l’absence d’études relatives à la Guadeloupe sur l’abandon des étudiant·e·s en STS, nous avons souhaité comprendre les déterminants sociaux et contextuels de leur décision et apporter des éléments de compréhension à leurs professeur·e·s. Pour ce faire, nous nous sommes intéressé·e·s au cheminement des étudiant·e·s en situation d’abandon, depuis leur choix de la filière BTS AM en terminale jusqu’à leur prise de décision de quitter la formation et, enfin, en les questionnant sur leurs projets d’avenir.

La méthode de recherche

L’étude doit nous permettre de recueillir le témoignage des étudiant·e·s concerné·e·s, afin de saisir les facteurs ayant conduit à leur abandon de la formation.

L’échantillon d’étudiants interrogés

L’équipe pédagogique nous a remis les courriels des étudiant·e·s en situation d’abandon. Sur dix étudiant·e·s concerné·e·s, six ont accepté de participer à un entretien.

L’échantillon est constitué de cinq femmes et d’un homme dont la moyenne d’âge est de 19 ans. Sur les six étudiant·e·s enquêté·e·s, cinq sont bachelier·ère·s professionnel·le·s tandis qu’une autre est bachelière technologique. Par ailleurs, une étudiante (E-A114) est originaire de la France Hexagonale et est retournée vivre « là-bas » au moment de la réalisation de l’entretien. Cette étudiante a réalisé son cursus scolaire à la fois dans l’Hexagone et en Guadeloupe, et possède ainsi un double regard sur certains aspects relatifs aux questions éducatives dans ces deux territoires. Enfin, la durée de scolarité en BTS des étudiant·e·s, avant les abandons, est comprise entre deux semaines et neuf mois.

Techniques de recueil de données

Un recueil de données par récit de vie (Bertaux, 2010) nous a semblé le plus adapté pour inciter les sujets à raconter leur expérience pendant l’année de BTS et, pour mieux cerner ce phénomène d’abandon. En effet, le récit de vie constitue notamment une occasion de mettre en exergue la manière dont chacun a réagi au fil des circonstances (Le Breton, 2004).

Le canevas retenu pour recueillir les récits comporte cinq entrées thématiques organisées selon un axe chronologique du parcours du sujet : 1) le choix de formation de l’étudiant·e ; 2) son expérience au sein de la formation ; 3) le fondement de sa décision ; 4) une analyse réflexive des fonctions de l’assistant de manager ; 5) la façon dont il·elle envisage l’avenir.

Les entretiens ont été enregistrés puis retranscrits intégralement.

Déroulement des entretiens

La durée des entretiens est hétérogène, avec d’un côté des étudiant·e·s qui se sont exprimé·e·s entre 36 et 40 minutes et d’un autre côté des étudiant·e·s qui se sont exprimé·e·s entre 11 et 16 minutes (tableau 1).

Étudiant·e·s Durée de l’entretien
E-A121 40 min
E-A113 13 min 58 s
E-A112 39 min
E-A000 11 min 28 s
E-A101 16 min 18 s
E-A114 36 min 36 s

Tableau 1 : durée des entretiens.

Les raisons qui justifient la courte durée de certains entretiens sont les suivantes : nous avons été confronté aux difficultés linguistiques de l’étudiante E-A113 limitant la récolte d’informations. L’étudiante E-A000 s’est réorientée vers une autre spécialité de BTS au cours des premières semaines de formation a tourné la page, tandis que l’étudiante E-A101 indique ses difficultés financières comme seul élément explicatif de son abandon. Enfin, sur les six entretiens réalisés, un seul (avec l’étudiante E-A114) a été réalisé par voie téléphonique et les les cinq autres ont été réalisés en présentiel.

Techniques d’analyse de données

Une analyse de contenu (Bardin, 2013) des verbatims a été effectuée. Tout d’abord, une lecture flottante a été réalisée pour tenter de saisir le message apparent (Savoie-Zajc, 2000 ; Wanlin, 2007). Puis, à partir des entrées thématiques du canevas de l’entretien, nous avons procédé aux opérations de codage en découpant le corpus pour isoler les énoncés en catégories. Les catégories choisies initialement ont été classifiées et raffinées (Bardin, 2013). Ensuite, nous avons identifié des unités d’enregistrement (Robert et Bouillaguet, 1997), et des unités de numération (par exemple, fréquence et ordre d’apparition). Selon le discours du sujet, les unités d’enregistrement ont aussi été classées selon une valence positive, ambivalente ou négative. Ce procédé nous a permis de mieux rendre compte d’épisodes significatifs de l’énoncé du locuteur et de sa position subjective (Bardin, 2013), dont les extraits les plus significatifs viennent illustrer ses idées.

Présentation des résultats

Les unités d’enregistrement les plus significatives sont en lien avec les trois principales entrées thématiques du canevas d’entretien (choix d’orientation, expérience vécue, l’avenir) et elles structurent la présentation des résultats. Les verbatims obtenus rendent-compte du mal-être éprouvé par les étudiant·e·s au fil de leur formation.

Le choix de la formation

Les étudiant·e·s justifient leur choix du BTS AM par un certain nombre de contraintes imposées par l’institution. En effet, les réponses livrées par les étudiant·e·s mettent en lien la procédure nationale de coordination des admissions dans l’enseignement supérieur en vigueur au moment de l’étude (APB) et ses caractéristiques (liste d’attente, vœu par défaut), le type de baccalauréat obtenu, la connexion entre le choix de formation et le projet professionnel et les caractéristiques de la formation ayant motivé le choix de formation (réalisation d’un stage professionnel à l’étranger). Ces contraintes sont vécues comme étant négatives (comme le dispositif APB) ou positives (le stage à l’étranger) ou plus ambivalentes (baccalauréat possédé).

La manière dont la première orientation post-baccalauréat s’est effectuée permet d’identifier deux profils d’étudiant·e·s : ceux·celles qui ont fait leur choix d’orientation par conviction (E-A000, E-A101, E-A114), et ceux·celles qui ont fait leur choix d’orientation par défaut (E-A121, E-A113, E-A112).
Lorsque le choix d’orientation est réalisé par conviction

La proposition d’affectation provenant du dispositif d’orientation APB correspond à leur premier vœu d’orientation. Sur trois étudiantes concernées, deux d’entre elles estiment que le BTS AM est la suite logique par rapport au bac obtenu, une autre met en avant la cohérence avec son projet professionnel. Par ailleurs, si une étudiante a pu rapidement se réorienter après son départ du BTS AM vers une autre spécialité de BTS qu’elle avait également envisagée, les deux autres étudiantes envisagent de recommencer le BTS AM dans de meilleures conditions. Ainsi, les choix initiaux d’orientation ne sont pas remis en cause par ces trois étudiantes. L’abandon ne provoque pas un rejet du BTS, et du BTS AM en particulier, qui correspond à leurs attentes professionnelles.

Lorsque le choix d’orientation est réalisé sous contraintes

Pour les trois étudiant·e·s concerné·e·s, l’affectation initiale proposée par APB est en décalage par rapport au premier vœu d’orientation formulé, mais ces étudiant·e·s l’acceptent soit par crainte de n’être accepté ailleurs (E-A112, E-A121) soit en raison du stress lié à l’attente (E-A113). Ces étudiant·e·s vivent le baccalauréat professionnel comme une sorte de barrière à l’entrée dans ces formations sélectives de l’enseignement supérieur. Ainsi, il·elle·s acceptent la première proposition d’affectation, même si elle ne correspond pas au baccalauréat possédé et parfois sans se renseigner plus avant sur la formation qu’il·elle·s acceptent. Par exemple, l’étudiante E-A121, titulaire d’un baccalauréat professionnel commerce souhaitait intégrer le BTS Management des unités commerciales. En liste d’attente pour cette formation, elle préfère accepter le BTS assistant de manager sans savoir « tout à fait ce que ça voulait dire euh, le BTS AM ! Je n’étais pas plus informée que cela ! ». Ainsi, ces étudiant·e·s formulent des vœux sur APB sans vérifier (au-delà des tous premiers choix) les finalités du diplôme qu’il·elle·s découvrent alors en début de formation. Ces étudiant·e·s, au moment de la procédure, se sentent déjà pénalisé·e·s, parce qu’il·elle·s sont en terminale professionnelle et projettent ce ressenti sur leur formation future.

L’expérience vécue au sein de la formation : des premières difficultés ressenties à la prise de décision

Lorsqu’on interroge les étudiant·e·s sur leurs premières difficultés et sur les fondements de leur prise de décision, les réponses livrées sont en lien avec la sphère pédagogique de la formation et avec la sphère personnelle.

La rupture entre le BTS et le secondaire

Tous les étudiant·e·s reconnaissent avoir sous-estimé la quantité de travail exigée en STS et trois d’entre eux·elles admettent que ce décalage avec le secondaire est la première difficulté ressentie. Si le rythme de ce BTS est déjà soutenu pour une bachelière (E-A114) d’une filière professionnelle dont la spécialité du baccalauréat est proche des objectifs de la formation, ceux·celles qui se retrouvent dans la situation inverse évoquent leur pénible rencontre avec les nouveaux enseignements : « J’ai un baccalauréat professionnel Commerce […] je n’ai aucune notion de comptabilité […] Ils nous ont donné des logiciels que je n’ai jamais vu de ma vie, […] franchement c’était, c’était difficile » (E-A112). En étant bachelier professionnel dans une spécialité distincte du BTS auquel il se prépare, cet étudiant estime avoir entamé son année de formation avec un certain handicap. Pour rattraper ses lacunes dans les enseignements concernés, cet étudiant a dû fournir une charge de travail supplémentaire.

Ces premières difficultés scolaires ont impacté les résultats des étudiant·e·s et provoqué leur désarroi. Ainsi, pour quatre étudiant·e·s sur six au total (E-A121, E-A113, E-A112 et E-A114), la décision de mettre fin à l’année de BTS s’est construite au cours du premier semestre de la formation, avec comme élément déclenchant de la décision d’abandon, les résultats de ce semestre ce qu’exprime ainsi l’étudiante E-A113 :

« […] J’ai vu que j’avais 9 de moyenne alors que l’année dernière j’étais toujours dans les 14 de moyenne, je me suis dit que ce n’était pas possible quoi ! […] je me suis dit bon qu’il vaudrait mieux que j’aille faire quelque chose qui me plaise vraiment. »

Pourtant, ces étudiant·e·s déclarent avoir fait des efforts au cours du semestre, comme l’étudiante E-A121 qui indique qu’elle n’arrivait pas à « comprendre » et qu’« [elle] a essayé de faire des efforts » mais que « cela ne fonctionnait pas » et qu’elle s’est donc découragée. Sur les quatre étudiant·e·s concerné·e·s, trois d’entre eux·elles mentionnent donc des raisons scolaires et, également, une formation qui ne leur plait pas vraiment pour expliquer leur prise de décision d’abandon. Parmi ces quatre étudiant·e·s, seule l’étudiante E-A114 avait choisi le BTS AM avec conviction et adhère aux débouchés professionnels du diplôme. Cependant, cette étudiante souhaitait réaliser cette formation en alternance, ce qu’elle n’a pu réaliser car, comme elle le déclare « Il y a très peu de… d’entreprises qui nous prend [sic] » (E-A114). C’est donc un élément lié au contexte socioéconomique, à savoir l’étroitesse du bassin économique local, qui ne permet pas toujours de trouver un terrain de stage d’alternance, qui a conduit cette étudiante à renoncer de faire cette formation en Guadeloupe.

Des difficultés de transport et de logement qui en révèlent d’autres

Deux étudiantes sur six mettent en relation la question de la charge de travail en BTS avec les difficultés de transport en Guadeloupe. En effet, des temps de transports élevés – pour une île de dimension réduite – sont une contrainte importante dans le quotidien des guadeloupéen·ne·s. Par exemple, le temps de trajet minimal en voiture – d’environ 45 minutes à une heure des extrémités de l’île au lycée où se déroule la formation de BTS AM étudiée – peut facilement être doublé aux heures de pointe. Les transports en commun, encore imparfaitement organisés en Guadeloupe, n’offrent pas nécessairement une alternative concurrentielle. Ces temps de transports sont estimés incompatibles avec la charge journalière de travail en BTS.

Ainsi, il paraît judicieux, pour les parents de loger leur enfant à proximité de l’établissement de formation. Les étudiantes elles-mêmes ressentent ce besoin. Par exemple, l’étudiante E-A101, qui vit sur la commune de Basse-Terre avec sa tante sans emploi, avait choisi cette formation avec conviction. Elle envisageait de louer un studio, ce qui s’est avéré impossible pour des raisons financières : « […] au niveau des finances, ce n’était pas trop ça, il fallait un studio et, comme moi je suis de Basse-Terre, à Petit-Bourg le studio c’est 450 €. […] Donc, c’était un peu… difficile surtout que je ne suis pas fille unique, il y a d’autres enfants. » (E-A101). Au fil de l’entretien, nous apprenons que la bourse constituait en effet l’une des seules sources de revenus sur laquelle l’étudiante pouvait compter couvrir les frais. Une autre étudiante (E-A113) réussit à s’installer à proximité du lycée, cependant avec quelques difficultés. Après avoir cherché puis trouvé l’appartement, « il fallait [le] meubler », ce qui fait que l’étudiante, a accumulé un retard important tout en se disant qu’elle allait « quand même continuer le BTS ». En décembre, elle estime ce retard insurmontable et renonce, en lien avec un résultat du semestre décevant, comme nous l’avons vu ci-dessus.

Une autre étudiante (E-A100) évoque directement les coûts imprévus qui ne lui permettent pas de continuer à suivre la formation jusqu’au bout. En effet, son frère qui l’accueillait à proximité du lycée à Petit-Bourg, a perdu sa maison : » D’ailleurs euh, l’anecdote c’est que je suis retournée à Basse-Terre [chez mes parents], ce jour que la maison [de mon frère] a brûlé. » (E-A000). Ainsi, les difficultés liées aux conditions de transport et de logement en Guadeloupe sont en fait également révélatrices de difficultés matérielles. Il faut noter que ces difficultés ne conduisent pas nécessairement à un renoncement définitif aux études supérieures. Ainsi, l’étudiante E-A101 indique qu’elle va dans un premier temps soulager sa tante (qui l’héberge) en essayant de « trouver un travail pour voir comment je m’en sors » et qu’après elle reprendra ses études.

D’une orientation imposée à une orientation réfléchie

Le dernier volet de notre récit de vie concernait les projets des étudiant·e·s à la suite de leur décision d’abandonner la formation.

Sur les six étudiant·e·s interrogé·e·s, une étudiante (E-A000), s’était déjà réorientée dans une autre spécialité de BTS dans un établissement proche de son domicile parental, limitant ainsi les coûts (transport ou hébergement) qui avaient motivé son abandon. Deux étudiant·e·s (E-A112, E-A113) envisagent de reprendre directement leurs études dans une STS dont la spécialité de formation correspond à leurs aspirations professionnelles. Ainsi, l’étudiant E-A112 souhaite s’orienter vers le « BTS négociation et relation clientèle, soit en alternance ou soit en continue » qui possède « un rapport avec ce qu’[il] connait », c’est-à-dire avec son parcours dans le secondaire professionnel. Cet étudiant manifeste une réelle détermination à poursuivre ses études dans une spécialité de BTS qui soit davantage liée à son cursus antérieur et ses projets futurs. Pour lui, comme pour E-A121, le fait d’être un·e bachelier·ère professionnel·le ne doit plus être vécu comme un handicap : « […] Je, je me suis dit, pendant toute l’année je me suis dit « je regrette » [le choix du BTS AM]. Je n’ai pas envie d’avoir des regrets, dans quelques années » (E-A121). Ainsi, les étudiant·e·s ayant choisi la spécialité du BTS AM par défaut (E-A112, EA113, E-A121) ont-il·elle·s pris·e·s le temps de répertorier l’éventail des possibles. Il·elle·s déclarent désormais posséder l’audace de tenter ce dont il·elle·s ont vraiment envie, mais qui leur avait été déconseillé en raison de la spécialité de leur baccalauréat professionnel.

Quant à l’étudiante E-A114, nous avons déjà signalé son souhait de reprendre, dans le cas d’une formation en alternance, le BTS AM ce qui correspond pour elle à de meilleures conditions lui permettant de « repartir sur de bonnes bases ».

En définitive, tous les étudiant·e·s enquêté·e·s ont profité de cette expérience pour mieux appréhender leur avenir, en préparant avec plus de soin leur réorientation qu’il·elle·s le firent pour leur orientation initiale. Les étudiant·e·s ont tempéré le sentiment d’échec en le vivant comme un tremplin qui leur a donné l’ambition d’essayer de réaliser ce qu’il·elle·s avaient vraiment envie de faire. Leur projet professionnel n’a pas fondamentalement évolué, mais chacun a envisagé son avenir avec une plus grande maturité et avec en tête un parcours d’études (comprenant plusieurs options) mieux défini.

Discussion

Nous ne méconnaissons pas les limites de notre enquête quant à la généralité des conclusions qui peuvent en être tirées, en raison du faible nombre de sujets interrogés. Néanmoins, notre étude montre trois principaux déterminants à la base de l’abandon de ces étudiant·e·s.

Premièrement, l’étude met en évidence la question de l’insertion des bachelier·ère s professionnel·le·s dans l’enseignement supérieur. Les étudiant·e·s rejoignent leurs professeur·e·s concernant les difficultés pédagogiques, en reconnaissant les difficultés imposées par le rythme en BTS auquel le lycée professionnel ne les a pas préparés : « […] C’était vraiment différent que mon lycée professionnel parce qu’en lycée professionnel, on ne faisait pas grand-chose » (E-A113). Mais les étudiant·e·s mettent aussi en cause le dispositif d’admission dans l’enseignement supérieur en vigueur au moment de la réalisation de l’enquête. Devant l’incertitude des listes d’attentes, il·elle·s préfèrent choisir la première formation dans laquelle il·elle·s sont accepté·e·s alors qu’elle ne correspond ni à leurs premiers vœux, ni à leur filière dans l’enseignement secondaire. Si, comme l’indique Chougrani-Nief (2017) « la première année est toujours une année difficile pour les étudiants qui sont souvent perdus face aux exigences de la formation », il s’y ajoute pour ces étudiant·e·s la découverte de disciplines nouvelles, liées au BTS AM, qui se combine à une démotivation liée au choix par défaut de la formation.

La réforme du dispositif APB était en partie motivée par des raisons de mise en conformité avec les recommandations de la CNIL (cour des comptes, 2020), mais le dispositif le remplaçant, prévu par loi « ORE » [4], devait surtout, d’une part, limiter les choix par défaut, notamment en favorisant l’information préalable des lycéen·ne·s et, d’autre part, diminuer l’impression d’arbitraire ressentie par les étudiant·e·s par la clarification des algorithmes d’affectation. Ce dispositif ne semble pas encore avoir répondu à ces objectifs, puisque la cour des comptes (2020), dans un rapport relatif à un premier bilan de ce nouveau dispositif, consacre quatre de ses recommandations à des propositions d’amélioration de l’information des lycéen·ne·s, huit à la procédure d’affectation sur un total de 15 recommandations.

Deuxièmement, l’étude montre l’importance de l’organisation des mobilités en Guadeloupe. Une observation de la répartition des sites universitaires et d’enseignement supérieur de la Guadeloupe (figure 1) montre un certain équilibre territorial.

Figure 1 : carte de l’enseignement supérieur en Guadeloupe

En vert : les composantes de l’Université des Antilles

En bleu : les principales sections de technicien supérieur du secteur tertiaire en formation initiale

Cependant, beaucoup de ces sites sont spécialisés. Il en est ainsi par exemple pour l’université, où l’IUT de Guadeloupe et le département en charge des lettres et des sciences humaines [5] se trouvent dans la commune de Saint-Claude, commune à l’accès routier délicat depuis la Grande-Terre. Pour ce qui est du BTS AM, il n’est offert que dans deux lycées (L.G.T. des droits de l’Homme et L.G.T. Gerville Réache), et le processus d’admission peut faire qu’un·e étudiant·e de Basse-Terre soit admis dans le lycée le plus éloigné (cas de l’étudiante E-A101). Cette question de l’organisation territoriale de la carte de l’enseignement supérieur possède une incidence sur la formation et l’emploi des jeunes guadeloupéen·ne·s et donc sur le taux de chômage des populations éloignées des bassins d’emplois :

« En Guadeloupe, la plupart des jeunes éloignés de l’emploi sont au chômage (70 % d’entre-eux). Plus ils vivent loin des poumons de l’activité économique, plus leur risque de se trouver éloignés de l’emploi est important. Ainsi, le risque est accru pour les jeunes résidant à Marie-Galante ou dans le sud de l’île de Basse Terre par rapport à ceux des autres communautés d’agglomération de Guadeloupe. L’éloignement géographique est souvent subi : 42 % des jeunes guadeloupéens éloignés de l’emploi vivent dans un ménage qui ne dispose d’aucun véhicule. L’offre de transport en commun, par ailleurs limitée, contribue à leur isolement » (Demougeot, 2016).

Il faut noter qu’aucun·e des étudiant·e·s enquêté·e·s n’était originaire de l’île de Marie-Galante ou de l’archipel des Saintes pour lesquels se posent, en termes de mobilités, la question de la « double-insularité », d’une part celle de la Guadeloupe par rapport à l’Hexagone et au continent américain et, d’autre part, celle de ces îles par rapport à la Guadeloupe proprement dite.

Troisièmement, en lien avec la carte de l’enseignement supérieur de Guadeloupe et des mobilités qu’elle impose, les étudiantes dont la situation économique est difficile (E-A000, E-A101, E-A113) n’ont pas les moyens de se loger à proximité de l’établissement de formation. Comme solution palliative, la solidarité familiale joue encore beaucoup en Guadeloupe. Ainsi, l’étudiante E-A000, qui n’éprouvait pas de difficulté scolaire particulière, a pu être hébergée chez un membre de sa famille, jusqu’à ce qu’un incendie détruise la maison. Faute de cet hébergement gracieux, elle a dû se résoudre à quitter la formation : « […] j’étais censée retourner à l’école mais finalement, je suis retournée chez moi ». Cependant, elle a pu se réinscrire dans un établissement proche de la résidence de ses parents, mais dans un autre BTS. En raison d’une situation personnelle difficile, l’étudiante E-A101 abandonne la formation pour chercher du travail.

En accord avec la littérature, ces situations individuelles illustrent l’influence de déterminants scolaires et sociaux dans la prise de décision des étudiant·e·s. Dans le cadre de notre étude, ces déterminants renvoient plus particulièrement aux difficultés engendrées par la situation socioéconomique de la Guadeloupe. Les étudiant·e·s interrogé·e·s sont contraint·e·s d’abandonner la formation dans lequel il·elle·s sont inscrit·e·s, soit pour trouver une formation moins coûteuse (en limitant les frais de logement ou de transport) soit en interrompant (parfois provisoirement) leur parcours dans l’enseignement supérieur. À ces déterminants, s’ajoute l’organisation territoriale (transport, logement étudiant, carte locale de l’enseignement supérieur) qui est un facteur contributif important aux décisions qu’il·elle·s prennent.

Conclusion

Notre étude permet de mieux comprendre les raisons déclarées de l’abandon d’étudiant·e·s du BTS AM pendant leur première année de formation. Tout d’abord, les bachelier·ère·s professionnel·le·s choisissent la première formation dans laquelle il·elle·s sont accepté·e·s (parfois éloignée de leurs aspirations) par crainte de ne pas avoir d’autres alternatives. Ensuite, s’enclenche un cercle de l’échec : ce choix parfois prématuré est dû (ou ressenti comme dû) à une offre de formation insuffisante pour accueillir les bachelier·ère·s professionnel·le·s dans une filière proche de leurs études secondaires ; de plus, la carte de formation les éloigne souvent de leur domicile ; enfin, les difficultés socioéconomiques viennent s’ajouter. Ainsi, en Guadeloupe, l’institution peine à prendre en charge l’insertion des bachelier·ère·s professionnel·le·s dans l’enseignement supérieur. Compte-tenu du nombre d’étudiant·e·s interrogé·e·s, nous restons cependant prudents sur nos conclusions. Cependant, d’autres territoires de la République française ressentent ces constats parfois de manière plus forte comme en Polynésie Française où l’enseignement supérieur accueille quatre fois plus de bachelier·ère·s professionnel·le·s et technologiques que la moyenne nationale [6]. Nous envisageons donc d’étendre cette étude exploratoire afin de mieux cerner d’une part, le phénomène de décrochage et d’abandon dans l’enseignement supérieur en Guadeloupe et dans les Outre-mer et, d’autre part, le devenir des bachelier·ère·s professionnel·le·s dans ces territoires. Par ailleurs, le nouveau dispositif d’admission dans l’enseignement supérieur (« Parcoursup ») ne semble pas avoir produit tous les effets attendus (cour des comptes, 2020) et nous envisageons d’étudier, sur l’exemple de certains territoires d’Outre-mer, s’il a contribué à sécuriser les parcours des bachelier·ère·s professionnel·le·s et technologiques, en favorisant pour les premier·ère·s (par l’établissement de quotas) un accès prioritaire en BTS et, pour les deuxièmes, un accès prioritaire en DUT. Enfin, nous nous proposons de suivre l’expérimentation de classes passerelles destinées à préparer l’entrée en BTS après la terminale professionnelle (Onisep, 2019). Il s’agit notamment d’observer, si ce dispositif contribue effectivement à la réussite au diplôme de BTS des populations de bachelier·ère·s socialement défavorisé·e·s qui prédominent dans ces territoires.

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Licence : CC by-nc-nd

Notes

[1Loi n° 2018-166 du 8 mars 2018, voir : http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/dossiers/orientation_reussite_etudiants, consulté le 29 juin 2020.

[22 Mme Popotte-Barcot est, à l’époque, conseillère municipale de la ville des Abymes et interrogée dans un article du Nouvel Observateur. Cette étude réalisée, par Arnaud Gonzague, est partiellement reprise en ligne : http://tempsreel.nouvelobs.com/regions/20130314.OBS1957/avoir-20-ans-en-guadeloupe-partir-ou-rester.html, consulté le 18 juillet 2013.

[44 La loi du 8 mars 2018 relative à l’orientation et à la réussite des étudiants, dite loi ORE, est la traduction du Plan Etudiants que Frédérique Vidal a souhaité construire avec toutes les parties prenantes de l’enseignement supérieur en France.

[55 Département pluridisciplinaire de Lettres et Sciences Humaines (DPLSH) localisé au Camp Jacob..

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