Hybridation, le retour ! une nouvelle forme scolaire ?
Avec l’annonce de nouvelles mesures sanitaires en lycée, en réponse aux manifestations des élèves et des enseignants, il faut reprendre tout ce qui s’est dit sur l’hybridation et sur la scénarisation pédagogique dans un contexte distanciel. Or nombre de productions ont été mises en ligne sur le sujet, mais il semble que la mise en oeuvre reste difficile. Rappelons ici que le maintien des gestes barrières est important, et que les lycéens sont considérés par les chercheurs comme des adultes pour ce qui est de la contagiosité. Or le ministère a voulu que tous les élèves reprennent le chemin de la classe en septembre 2020. Or il s’avère que cela n’est pas tenable sans un aménagement des locaux, des temps et des lieux de travail. Nous pensions pendant ce temps de vacances et au vu de l’aggravation de la pandémie, que le ministère saurait distinguer dans les mesures, ce qui relèverait des réalités observées et connues et non pas de choix politiques incertains. Or c’est la dimension politique qui a prévalu : d’une part, une inégalité entre le supérieur scolaire et le supérieur universitaire et, d’autre part, une ignorance des conditions sanitaires réelles des établissements.
En revenant à un pragmatisme local, le ministre tente de montrer qu’il entend les collectivités territoriales (si présentes dans les EGN), renommés judicieusement les territoires pour ne pas laisser toute la main au local. Les établissements ont donc la possibilité d’aménager pour les lycéens l’organisation du travail pour respecter les règles de distanciation sociale. Ce retour en arrière aurait pourtant pu être anticipé de deux manières : d’une part en analysant les situations réelles, et d’autre part en profitant des deux premiers mois de l’année scolaire pour amener enseignants, élèves, familles, bref la communauté éducative à évoluer dans leurs manières de faire école et surtout en développant des compétences pour l’hybridation qui soient basées sur un socle technique solide d’un côté, mais aussi sur des conceptions de scénarisation pédagogiques adaptées. Pour le dire autrement en préparant d’abord les enseignants puis en les invitant à préparer leurs élèves, on aurait gagné en temps et en capacité à transformer le paysage scolaire.
Il faut bien l’accepter, l’hybridation risque de devenir une nouvelle « forme scolaire » souple et adaptable. Or la transposition du simple présentiel en distanciel n’est pas autre chose qu’un remède symptomatique alors qu’on a besoin d’une chirurgie de fond. En écoutant plusieurs collègues enseignants du supérieur mis devant le fait de devoir faire leurs cours à distance (dont des enseignants d’Inspe), tout comme en lisant les analyses sur le vécu des enseignants du « à distance » du printemps, on entend les difficultés rencontrées et l’absence de préparation. Il en est de même dans l’enseignement scolaire et en particulier dans les lycées. Il faut analyser cette situation plus avant si l’on veut tenter de développer de nouvelles manières de faire.
Une première hypothèse émerge : le passage de l’implicite du présentiel à l’explicite du distanciel est un révélateur de la forme enseignement. Face à la situation imposée du « à distance », l’enseignant se rend compte que lorsqu’il est en classe avec les élèves, il mène de nombreuses interventions régulatrices de différentes natures autour des contenus travaillés. Pour voir ces interventions, il faudrait filmer la classe (j’ai eu l’occasion de le faire et ainsi de l’analyser). Mais à distance, il se passe autre chose, surtout lorsque le « à distance » n’est pas uniquement synchrone (en direct). D’une part, il y a l’amont du cours qui suppose d’imaginer la situation de l’autre, celui qui apprend. En présentiel on a une telle habitude qu’on n’a pas besoin de construire cette représentation, tant elle est implicite. D’autre part, il y a la conduite de l’activité qui permet d’apprendre. A distance, celle-ci ne tient pas dans le temps contraint de l’horaire du présentiel puisque l’on associe le temps de classe et le travail personnel. Enfin, la scénarisation de l’activité à distance est assez différente de celle en présentiel : on a besoin de prévoir toutes les ressources, on ne pourra pas ajuster en temps réel, les consignes doivent être rigoureuses et l’accompagnement anticipé de manière à ne pas laisser les élèves face à un problème sans pouvoir être aidés… pour progresser. Ainsi, quand on a l’habitude d’enseigner, le passage à la distance est d’abord une remise en question de soi. Nous l’avons travaillé avec des enseignants qui, justement, enseignaient à distance entre 2000 et 2008.
Une deuxième hypothèse peut aussi être explorée : L’autonomie et l’autoformation des élèves est antinomique avec l’enseignement en présentiel, avec l’institution scolaire et son organisation. Les travaux de recherche sur le sujet l’ont bien montré, le monde enseignant ne semble pas en mesure de l’envisager (cf. La thèse d’Héloïse Durler). En effet, l’institution scolaire est une organisation qui doit « contrôler » ce qui se fait afin de répondre aux missions qu’elle reçoit. Or ce contrôle s’exerce de nombreuses manières, d’abord auprès des enseignants et par rebond des élèves. On s’aperçoit aussi que le système de contrôle est très centralisé en France, ce qui renforce, au nom de l’égalité, les cadres de contraintes. Y a-t-il un paradoxe entre l’émancipation et l’autonomie ? Ce qui ne semble pas être le cas, on pourrait même dire que l’un construit l’autre. Et, pourtant l’école prétend être émancipatrice et en même temps elle limite l’autonomie à l’après. Car c’est ce qui surprend quand on regarde l’école de l’extérieur, c’est que l’autonomie se construit à la porte de l’établissement. Avec l’enseignement à distance, l’élève reprend une certaine autonomie qui fait écho à la fameuse boite noir des « devoirs à la maison ». Mais se limiter à reproduire cela dans un contexte d’hybridation, c’est faire de cette partie à distance un objet de contrôle supplémentaire.
La chance du retour de l’hybridation, c’est qu’elle pourrait permettre d’augmenter les démarches de projet, d’investigation, de recherche, de problématisation… toutes ces démarches qui impliquent une autonomie de l’élève et une auto-direction de leur activité. Oui, cela suppose de réorganiser les temps de travail des enseignants comme ceux des élèves. Mais cela invite aussi à concevoir des activités qui font davantage sens, c’est à dire dont les élèves peuvent s’emparer pour se diriger dans le chemin de l’apprendre. Avec ou sans numérique, là n’est pas la question. Il s’agit surtout que les élèves aient accès à des ressources pertinentes et riches, qu’ils en trouvent par eux-mêmes, qu’ils les partagent et qu’ils s’inscrivent dans des dynamiques au moins collectives pour construire leurs connaissances… C’est alors que les moyens numériques sont une ressource supplémentaire dont on peut largement utiliser la souplesse et la proximité pour enrichir les activités des élèves.
A suivre et à débattre
BD
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