La période actuelle de confinement nous pousse à nous questionner par rapport à la transposition à distance de tout ou partie des enseignements. Il m’a semblé utile de préciser mon point de vue sur le sujet et de le formaliser. Voici donc quelques éléments pour débattre et avancer ensemble.
1 – Des notions à clarifier
Il me semble que l’activité d’enseignement apprentissage peut se caractériser selon deux dimensions structurelles :
- La dimension géographique : l’activité de l’élève peut se dérouler en classe ou hors classe. Cette notion de ‘hors classe’ peut être dans l’école ou l’établissement, lors des temps d’activité périscolaire, dans le cadre du dispositif Devoirs faits, ou en autonomie, au CDI ou en dalle d’étude, par exemple ;
- La dimension temporelle : l’activité de l’élève se déroule-t-elle avec l’enseignant (on parlera d’activité synchrone) ou en autonomie (activité asynchrone).
Ce découpage spatio-temporel de l’enseignement-apprentissage permet de caractériser 4 situations différentes :
- l’enseignement simultané (synchrone, en classe), avec ses modalités ‘classiques : cours et devoirs surveillés. Tous les élèves réalisent la même activité et l’enseignant cadence l’avancée du travail.
- l’enseignement a-simultané (asynchrone, en classe). Les élèves travaillent en relative autonomie autour de tâches complexes ou de travaux de groupes, ils peuvent suivre un plans de travail ou être dans un fonctionnement d’enseignement mutuel. C’est dans ce quadrant que peut se mettre en place la coopération comme décrite par S. Connac avec ses différentes modalités : aide, entraide, tutorat et travaux de groupe. Cette modalité fait surgir un besoin de régulation dans le quadrant au-dessus pour réguler les activités, de façon synchrone entre l’enseignant et les élèves. Cette régulation ne se fait pas forcément avec le groupe classe entier, elle peut ne concerner qu’un petit groupe spécifique d’élèves.
- l’enseignement à distance (asynchrone, hors classe), qui intègre toutes les activités hors classe : devoirs à la maison, révisions, lectures, …
- l’enseignement synchrone, hors classe, qui est maintenant accessible grâce aux outils de classes virtuelles. Il se limitait, avant le confinement à l’organisation mise en place pour les élèves empêchés. C’est autour de l’utilisation de ce quadrant que beaucoup de questions se posent actuellement.
Quelques éléments à noter
- Un enseignement classique alterne les deux quadrants simultané (cours et devoirs) et à distance (exercices d’application, révisions). La première approche des classes inversées consistait à intervertir des activités proposées dans ces deux quadrants en proposant les cours à la maison et les exercices d’application en classe.
- Le basculement d’un enseignement simultané à un enseignement a-simultané impose un ‘saut pédagogique’ lié à un changement de posture de l’enseignant. En effet, si l’on reprend les postures de Dominique Bucheton, l’enseignant est en mode ‘contrôle’ dans un enseignement simultané alors qu’il doit accepter un certain ‘lâcher prise’ dans une organisation a-simultanée. Cette évolution me paraît essentielle dans une logique d’enseignement hybride où l’on maîtrise encore moins ce que fait l’élève, puisqu’il est hors classe.
- Le quadrant synchrone à distance semble bien adapté pour les temps d’interaction synchrone, que ce soit pour des régulations entre l’enseignant et un groupe d’élèves ou des temps de travail synchrones pour des travaux de groupe entre élèves.
Ce point de vue est présenté dans la vidéo ci-dessous :
2 – La caractérisation des activités élèves
Si l’on veut transposer une partie des activités élèves à distance, il est important de bien caractériser celles-ci. Le modèle de Diana Laurillard me paraît efficace pour repérer ces différentes activités. Composé de 6 ‘familles’ d’activité : acquisition, investigation, application, production, discussion et collaboration, il est présenté ici et comparé à d’autres modèles.
La vidéo ci-dessous en reprend les grands principe et caractérise, à grands traits, des pistes pour la transposition à distance.
Il est aussi intéressant de voir comment les outils numériques peuvent soutenir ces activités. Pour cela, le récent rapport du CNESCO, Numérique et apprentissages scolaires, coordonné par André Tricot est éclairant. Il y est présenté que les outils numériques ont un effet plutôt positif sur les activités suivantes (organisées selon les familles de D. Laurillard) :
- Acquisition : Présenter de l’information, représenter ce qu’on ne savait/pouvait pas représenter auparavant, enrichir les informations ;
- Investigation : rechercher de l’information ;
- Appliquer : résoudre des problèmes et calculer, s’entrainer, expérimenter, apprendre à faire sur simulateur ou en réalité virtuelle ;
- Produire : produire un texte ou un document seul ;
- Collaborer : produire un texte ou un document à plusieurs ;
Il est spécifiquement noté que les outils numériques ont un effet plutôt négatif pour l’apprentissage de la coopération. Cela n’est pas surprenant : c’est plus compliqué de coopérer via des outils numériques qu’en face à face, mais quand la situation impose un confinement, ces mêmes outils offrent quand même des possibilités intéressantes qu’il serait dommage de négliger. De plus, nous voyons bien qu’il devient important de maîtriser aussi les codes de collaboration à distance …
3 – La classe virtuelle
La classe virtuelle est l’outil qui permet d’envisager de travailler en mode synchrone hors classe. Il me paraît que son utilisation doit être bien spécifiée.Deux règles peuvent guider le choix :
- Le temps proposé aux élèves en classe virtuelle doit être limité (1h par 1/2 journée, par exemple) ;
- L’usage de la classe virtuel doit être réfléchi et centré sur de interactions ;
La question de la comodalité
L’université Laval est pionnière dans les formations comodales et a documenté son travail. Ainsi, les étudiants peuvent choisir comment ils souhaitent suivre certains cours : en classe, à distance synchrone ou à distance asynchrone. Cela est possible parce que les formations ont été pensées ainsi, dès leur conception : quelle que soit la modalité choisie, les élèves ont une ‘bonne’ expérience d’apprentissage et les différentes participations se complètent et s’enrichissent.
Cette 3ème vidéo présente les éléments essentiels sur les classes virtuelles, leur utilisation et les points de vigilance.
4 – Transposer : trois questions à se poser …
Si l’on veut transposer ses cours en mode hybride, il paraît important de se poser les 3 questions suivantes :
- Qu’est-ce qui est incontournable ? Quels sont les contenus que les élèves doivent à tout prix aborder ? En effet, il est compliqué de proposer à distance toutes les activités prévues en classe. Cela risque en effet de surcharger les élèves, comme cela s’est parfois passé lors du premier confinement.
- Quels sont les besoins d’interaction ? Ces interactions permettront de cadrer les temps synchrones, que ce soit en classe ou hors classe par le biais d’une classe virtuelle.
- Comment accompagner l’autonomie des élèves ? C’est en effet essentiel d’assister les élèves pour les aider à apprendre en autonomie. Deux aspects sont à considérer :
- la guidance qui regroupe l’ensemble des documents pour aider les élèves en commençant par des consignes les plus claires possibles. Voici quelques documents de guidance utiles : aide à la planification du travail, plan de travail, aide méthodologique, aides pour les travaux de groupe (répartition des tâches, planification, jalons, …).
- l’accompagnement qui correspond aux échanges entre l’enseignant et l’élève. Des temps synchrones de régulation sont indispensables pour expliciter tout ce qui le nécessite et soutenir l’engagement dans la durée. Il semble raisonnable de proposer au moins un tel temps d’accompagnement/régulation par semaine (que ce soit en classe ou à distance avec une classe virtuelle). Il se peut que des élèves n’en aient pas besoin mais la possibilité devrait toujours être offerte…
5 – La question de l’évaluation
S’il paraît compliqué pour bon nombre d’enseignants de réaliser des évaluations sommatives à distance, peut-être qu’il faut envisager une autre forme d’évaluation dans cette situation. Une solution pourrait être de travailler spécifiquement l’auto-évaluation et d’accompagner les élèves dans cet apprentissage complexe et pourtant essentiel pour entrer dans une logique d’apprentissage tout au long de la vie. Plusieurs pistes sont envisageables :
- Les grilles graduées qui permettent à l’élève de repérer le niveau d’achèvement ou de maîtrise d’une compétence grâce aux indicateurs clairement identifiés. L’usage d’une telle grille peut être complexe, il est important de prendre du temps pour la leur expliquer. L’explication peut même se prolonger par l’évaluation d’une production selon cette grille, pour s’assurer qu’ils ont bien compris les différents critères et indicateurs. Polytechnique Montréal propose une grille intéressante pour comprendre la logique de la démarche.
- Le portfolio offre la possibilité de consolider les différentes production de l’élève dans un espace unique et personnel. Ces productions peuvent être enrichies de commentaires ou réflexions personnelles. Ainsi groupées et accessibles, l’élève peut les parcourir à sa guise et identifier ses progrès et les stratégies développées.
- Le questionnaire d’attribution causale. Développé par Julie Roberge, cette démarche consiste à poser 3 questions à l’élève autour d’un devoir :
- juste avant le devoir : te sens-tu prêt pour le devoir ?
- juste après le devoir : penses-tu avoir réussi ce devoir ?
- après le retour du devoir corrigé : comment peux-tu utiliser les rétroactions pour progresser ?
Il existe sûrement d’autres démarche d’accompagnement vers l’auto-évaluation mais celles-ci me semblent particulièrement pertinentes.
Ces réflexions sont toujours en évolution et vos retours seront précieux. N’hésitez pas à réagir, cela nous enrichira tous !
Vos commentaires
# Le 11 décembre 2020 à 08:55, par jean-louis schaff En réponse à : Réflexions autour de l’hybridation
Merci. Il y avait longtemps que je n’avais pas lu quelque chose d’aussi clair.
C’était important de montrer qu’hybridation il y a déjà , que présence et distance sont deux mots piège.
J’aurais peut-être ajouté, en plus des références aux travaux d’André Tricot l’importance d’un écosystème numérique simple mais puissant sans lequel la mise en oeuvre sera très compliquée (notamment les pratiques coopératives). Attention par exemple, quand vous parlez de supports sur pdf. Les élèves (les étudiants moins) vont prioriser le smartphone et là, le pdf n’est pas adapté. Les solutions de bureautique coopératives couplées à des "chats" permettent aussi de mettre en place des activités coopératives asynchrones et hors classe.
Peut-être aussi un mot sur la confiance sans laquelle le "lâcher prise" des uns et la prise d’autonomie, l’engagement des autres sera difficile.
Enfin, je suis assez sensible à l’idée de proposer aux étudiants/élèves d’intégrer des groupes d’apprentissage afin qu’ils ne soient pas seuls et puissent bénéficier du soutien de leurs pairs. Vous en parlez en citant le travail de Sylvain Connac.
Ces groupes s’ils sont "fixes", sont aussi facilitant pour la mise en place d’activité de groupes par les différents enseignants. Ces groupes peuvent être activés en "temps normal". Ils seront opérationnels en temps de crise.
Merci en tout cas.
# Le 11 décembre 2020 à 10:29, par jackdub En réponse à : Réflexions autour de l’hybridation
Merci pour ce retour,
Je prends note de vos remarques avec lesquelles je suis bien d’accord. Il est difficile de tout dire, simplement, du premier coup ... Et les commentaires et échanges qui prolongent un tel article permettent de rattraper les manques.
Bonne continuation,
Jacques
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