J’ai été récemment sollicité pour accompagner la mise en place de la formation des CPC (conseillers pédagogiques de circonscription, dans le 1er degré) référents français dans le cadre du Plan français. Le défi que représente ce projet me semble intéressant et je me permets donc de vous en faire une présentation rapide et vous partager mes réflexions. L’objectif de cet article n’est pas de lancer un débat pour ou contre ce plan de formation mais plutôt de formaliser quelques éléments autour des questions pédagogiques et d’organisation.
1 – Le Plan français : un défi de taille !
Ce plan prévoit la formation de la totalité des enseignants du 1er degré sur 5 ans en s’appuyant sur une formation entre pairs en petits groupes (appelés constellations). Dit comme ça, cela semble assez simple ; cela devient un défi quand on parle chiffres ! En effet, au niveau national, il y a environ 400 000 enseignants dans le 1er degré : on envisage donc des promotions de 80 000 personnes, regroupées en 10 000 constellations (6 à 8 enseignants par constellation), animées par 1 700 conseillers pédagogiques (un CPC anime 6 constellations).
Ce plan démarre maintenant et il faut commencer par former les conseillers pédagogiques à cette nouvelle mission.
2 – L’organisation prévue pour ces formations
a) La formation des CPC référents
Cette formation est articulée entre des temps nationaux (sous formes de classes virtuelles) et d’autres locaux. Le guide de présentation de ce plan prévoit de former ces CPC « à de nouvelles modalités de travail avec les enseignants, horizontales, en groupe et en réseau. »
Il est aussi précisé que le CPC « doit attester une maîtrise assurée de l’ensemble des aspects scientifiques, didactiques et pédagogiques de l’enseignement du français dans ses différents domaines. La grande majorité des 24 journées de formation sont consacrées à développer cette expertise ». N’étant pas compétent sur cette partie disciplinaire, c’est un aspect de la formation que je n’aborderai pas.
b) La formations des enseignants participants
Le guide mentionne aussi la lesson study comme modalité d’organisation possible pour les constellations. Cette approche structurée et appuyée sur la recherche nécessite, à mon avis, de développer la maîtrise de la démarche scientifique (problématique, recherche documentaire, hypothèse, expérimentation, analyse et interprétation, conclusion, diffusion) par les CPC concernés.
Dans une logique de cohérence, il semble important de chercher à aligner les objectifs, les modalités de formation et l’évaluation. Cette évaluation ne peut pas être une évaluation sanction ou certificative mais bien un ensemble de rétroactions pour aider chacun à évoluer dans ses pratiques professionnelles pour accompagner ‘au mieux’ les enseignants (pour les CPC) et les élèves (pour les enseignants). Reste à définir les critères et indicateurs nécessaires.
Voici un tableau récapitulatif des 2 formations à mener en parallèle (les CPC d’une part, les enseignants d’autre part)
CPC référents français | Enseignants | |
Nombre de personnes concernées dans notre académie | 40 | 10 000 sur 5 ans, soit 2 000 par an. |
Durée de la formation | 24 jours sur 3 ans : 6 jours (formation nationale délocalisée) + 18 formation académique | 18h sur une année + 12h de visites individuelles (4 x 3h) |
Objectifs de la formation | Animer de petits groupes (constellations) Intégrer la démarche scientifique | Développer les compétences pédagogiques et didactiques pour l’enseignement du français |
Activités collectives prévues par le guide | « Partage de ressources et de pratiques, analyse des modalités d’accompagnement, mutualisation de productions, etc. [entre CPC de l’académie] » | « … de façon exceptionnelle en groupe complet [i.e. regroupant les 6 constellations du CPC] pour présenter le dispositif, réfléchir ensemble aux objets de travail prioritaires, ou faire un bilan du travail de l’année. » |
3 – Un cadre de réflexion
Nancy Dixon, dans son article Ten big ideas of knowledge management (en anglais) récapitule dix éléments fondamentaux sur la connaissance et l’apprentissage que je vous présente rapidement, avec une traduction libre (et perfectible), et une structuration personnelle.
a) La connaissance
- La connaissance se crée et se partage par des échanges.
- Elle se présente sous différentes formes :
- Les connaissances explicites peuvent être accessibles sous forme de documents ;
- Les connaissances tacites nécessitent un échange, une discussion ;
- Les connaissances tacites ne sont accessibles que par l’observation et/ou l’accompagnement.
- Le questionnement ouvre la porte de la connaissance.
b) Les conditions d’apprentissage
- Les petits groupes sont favorables aux échanges en profondeurs.
- Le cercle est une disposition favorable, où chacun a sa place, sans hiérarchie.
- On apprend en exposant et formalisant ses idées.
- L’expérience nécessite une analyse réflexive pour être source d’apprentissage.
c) La collaboration
- La confiance est un préalable nécessaire.
- Le grand groupe (ou la communauté) est utile pour une consolidation collective.
- La réciprocité est le moteur de l’apprentissage entre pairs.
4 – Des points de convergence
On constate que l’organisation proposée par le guide est globalement en phase avec les conseils de N. Dixon. De plus, ces conseils permettent de repérer quelques éléments qui sont de la responsabilité de l’animateur de constellation et donnent ainsi des pistes de critères d’évaluation pour leur formation :
- Le degré de confiance qui règne dans le groupe ;
- La dynamique et la qualité des échanges dans le groupe ;
- La position de l’animateur et sa faculté à questionner plutôt qu’à ‘enseigner’.
A cette liste, il faut aussi ajouter la démarche de recherche scientifique et l’accompagnement des participants dans ce cheminement (ce qui est cohérent avec la faculté de questionnement de l’animateur).
Ces éléments d’évaluations, qui mériteraient d’être précisés, me font penser à une organisation de la formation par la pratique, avec des temps d’observation de constellations pour l’évaluation et une pratique de la constellation, aussi pendant la formation. Des observations croisées pourraient ainsi être très riches pour donner à chaque CPC un peu de recul sur ce qui se passe dans une constellation et sa pratique personnelle.
5 – Un décalage subsiste
N. Dixon insiste sur l’importance du grand groupe qui est à la fois caisse de résonnance qui permet de consolider les apprentissages de façon collective et espace de ‘réciprocité généralisée’ qui soutient l’engagement des participants dans le partage de la connaissance. Cet aspect n’est que très légèrement mentionné dans le guide : « L’accompagnement des différents groupes par le référent français et leur travail collaboratif en réseau impliquent la maîtrise à minima d’outils numériques adaptés. Les référents sont formés ou sensibilisés à l’utilisation de ces outils numériques »
Il se pose ainsi la question de l’organisation du travail en réseau des différentes constellations : partages, échanges, mutualisation, … autant d’aspects qui ne sont abordés qu’entre CPC d’une même académie, mais pas entre enseignants.
Cette absence de collaboration en grand groupe est dommage, elle pourrait enrichir avantageusement le dispositif.
6 – Une proposition d’organisation
a) Pour la formation des CPC référents
Il semble important de former les CPC par la pratique en les mettant en situation de collaboration dans des constellations, afin qu’ils puissent vivre de l’intérieur ce qui s’y passe (confrontation, négociation, consensus, blocage/déblocage, partage, …). Chacune de ces constellations de CPC doit être animée par un formateur et un temps d’analyse doit être proposé pour relire ce qui s’est passé et formaliser des ‘principes’ pour l’animation de ces groupes.
b) Pour la formation des enseignants
Il paraît utile de mettre en place un espace de partage/mutualisation entre constellations. Un outil comme stackoverflow ou le forum apprenant (basé sur Question2Answer) pourrait répondre avantageusement au besoin :
- L’entrée se fait par une question : la problématique sur laquelle travaille la constellation.
- A la fin de chaque rencontre, les éléments co-construits sont capitalisés dans le fil de discussion, sous la question.
- Les contributeurs ne s’exposent pas trop : ils partagent le travail du groupe, qui a été construit et validé conjointement : cela donne une certaine légitimité et ôte l’aspect personnel de la contribution.
- Tout un chacun peut suivre les avancées de chaque constellation, voire apporter une contribution en partageant un lien, une ressource, un témoignage, … Cela peut intéresser les enseignants des différentes constellations de voir ce qui se passe ailleurs, mais aussi les enseignants qui ne sont pas impliqués dans ce plan cette année, les formateurs et cadres qui suivent cette formation, … Enfin, cela peut ouvrir des portes à des chercheurs en mettant à disposition du matériau brut et en ouvrant les classes vers la recherche.
- Avec 250 constellations dans l’académie, cela peut permettre de capitaliser rapidement un bon nombre de problématiques abordées et documentées.
Pour synthétiser l’organisation qui me semble pertinente, je reprends un schéma ‘historique’ de ce blog avec 4 cercles concentriques :
- Les enseignants participants sont au centre, dans leur constellation. Le CPC référent français est en charge de l’animation du groupe (partager, collaborer, communiquer) selon une démarche scientifique.
- Cette démarche se concrétise dans différentes activités (chercher, construire, concevoir, réaliser, créer, analyser).
- Un travail réflexif permet de repérer et formaliser les ‘invariants’ de la démarche mise en place (comprendre, structurer, conserver, archiver).
- Un espace de mutualisation entre les différentes constellations permet de mettre à disposition le travail accompli, au fil de l’eau, tout au long de l’année (partager, communiquer, exploiter).
7 – En conclusion
Le Plan français offre une opportunité intéressante de faire évoluer les pratiques de formation dans l’Éducation Nationale et il serait dommage de ne pas la saisir. Une partie de l’organisation est pilotée au niveau académique et offre donc une marge de manœuvre dans les modalités de déploiement et de mise en œuvre. Deux pistes semblent intéressantes à développer :
- Former les CPC référents à la démarche scientifique en s’appuyant sur des petits groupes (constellations de CPC) pour faire vivre la démarche et l’analyser ;
- Créer un espace d’échanges entre constellations, en ligne, pour assurer une capitalisation/mutualisation et un suivi des travaux.
N’hésitez pas à réagir pour apporter votre point de vue et votre contribution, les commentaires vous sont ouverts …
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