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À la croisée des chemins : le forum de Lille 3

Un article repris de https://ahl.hypotheses.org/801

Par Yannis Halhouli, M1 Métier d’Historien

Alors que nous devions réfléchir autour d’un lieu de savoir lillois, ma première rentrée à l’université me revint à l’esprit.

C’était en septembre 2016, sur le campus Pont-de-Bois. Le soleil, qui avait décidé de prolonger un peu l’été, inondait les bâtiments de ses rayons et allaient finir leur course sur les larges dalles blanches au sol. Pendant ce temps, la centaine de nouveaux venus attendait sagement que débutent les premières réunions. Pour moi, qui n’avait jusqu’à lors jamais mis les pieds dans une université, ce qui m’entourait était saisissant. J’observais ce lieu nouveau avec grande attention ; j’avais l’impression d’entrer dans autre monde. Je repense au forum, cet espace extérieur où nous étions, que je voyais déjà comme le cœur de l’université. J’étais sans doute trop rêvasseur, je le concède. Cependant, avec le recul de quelques années, j’aimerais m’y replonger à nouveau.

Pourquoi le forum ? Car il matérialise à lui seul les éléments qui font de l’université un endroit à part. Avancer une telle hypothèse n’a toutefois rien d’évident. En effet, ce lieu peut nous paraître a priori anodin, voire insignifiant. N’est-il pas qu’un lieu de passage et de transition, un espace qui ne subsiste que dans la mesure où il relie d’autres lieux entre-eux ? Pis, ne serait-il pas l’inverse de ce que l’on est censé étudier ici, une sorte de non-lieu  ? Évidemment, si j’ai choisi d’en discuter aujourd’hui c’est parce que je ne crois pas que l’on puisse répondre à ces questions par l’affirmative. À la place, j’aimerais aborder ce forum par deux aspects – que l’on retrouve peu ou prou dans la définition d’un lieu de savoir donnée par Christian Jacob1. D’un côté, le lieu dans sa spatialité, en tant qu’il occupe une part de l’espace. De l’autre, les manières dont le savoir peut s’y exprimer, par le biais des interactions entre les acteurs et les personnes qui s’y trouvent.

Prenons un peu de recul. Dans le sillage de loi Faure de 1968 sur l’Université française, les facultés de Lille furent réorganisées. Il a été décidé de les scinder en trois campus distincts – selon les enseignements proposés – dont deux qui allaient prendre place dans la « ville nouvelle » de Villeneuve d’Ascq. C’est ainsi que naquirent les universités de Lille-I (sciences et technologies), de Lille-II (droit et santé) et de Lille-III (sciences humaines et sociales). Pour la première d’entre-elles, l’inspiration fut celle des grandes universités américaines. Campus éparpillé, grande superficie avec de nombreux bâtiments et infrastructures nécessaires à la vie de l’université etc. C’est sur ce modèle que fut bâti la « Cité Scientifique ». Pour l’université de Lille-III, c’est à Pierre Vago, architecte français d’origine hongroise, qu’incomba la responsabilité de sa conception. Contrairement à ce qui a pu être fait pour sa consœur l’architecte imagina l’université comme un lieu davantage concentré ; propice aux échanges, aux interactions et aux rencontres2

Vue du forum de  l’université Lille 3, en août 2010 (photo Ch. Hugot)

Vue du forum de l’université Lille 3, en août 2010. Crédits : Ch. Hugot

Dans cette optique, le forum apparaît comme l’élément essentiel de l’élaboration du lieu-université. Par exemple, si l’on regarde un plan du campus de Pont-de-Bois on s’aperçoit bel et bien voir que le forum y figure au centre. Point de passage obligé, quiconque se rend sur ce campus, y promènera ses pieds. C’est avant tout un lieu-relais menant vers les autres bâtiments du complexe. Le mot de « forum » est toutefois différent de celui de « carrefour » ou « place ». Il évoque de manière assez explicite ces espaces gréco-romains où le peuple se rassemblait pour participer à la vie politique, économique ou religieuse de la cité. Quand bien même le cas qui nous importe aujourd’hui est difficilement transposable à son homologue antique, il n’en reste pas moins un lieu important pour la vie communautaire de l’université. En témoignent les divers rassemblements, manifestations et autres réunions y sont régulièrement organisées. N’est-ce que par commodité ? En partie, sans doute. Mais il y a là un peu plus qu’une simple surface plane et vide. Pour que celle-ci prenne du sens, encore faut-il qu’on lui donne vie, qu’on l’habite3.

Si le forum est un lieu à part entière, peut-on néanmoins le qualifier de « lieu de savoir » ? La force de la définition proposée par C. Jacob dans l’introduction de son livre Qu’est-ce qu’un lieu de savoir ? réside dans son approche. L’on ne trouve là ni dogme ni paradigme immuable. À la place, l’auteur nous invite à réfléchir autour de ce concept par nos propres yeux, nos réflexions et nos ressentis. De fait chacun d’entre-nous peut trouver dans un lieu de savoir ce qu’il avait envie d’y chercher. L’exercice d’aujourd’hui en est une preuve. Quant à moi, comme je l’ai dit plus haut, je perçois le forum comme le cœur même de l’université. D’un point de vue architectural, tout d’abord. Mais aussi, parce qu’il concrétise l’idée que je me fais de l’université. C’est avant tout un lieu d’élaboration et de transmission de savoirs. Or, cela ne peut pas se faire, je le crois, seulement de façon verticale. C’est de l’échange entre différents « niveaux » – élèves et professeurs de toutes disciplines, employés de l’université, personnes extérieures etc. – que chacun s’enrichit. Sur le forum, cela peut être à la sortie d’un cours, autour d’un café ou d’un sandwich, entre deux personnes qui ne se sont pas vue depuis longtemps ou qui viennent de sortir d’un séminaire, devant une représentation culturelle ou face à une manifestation politique.

Face au contexte si particulier du confinement qui est le nôtre aujourd’hui, où les interactions sociales les plus ordinaires sont menacées, l’importance d’un lieu comme le forum prend tout son sens. Une société saine ne peut que se construire qu’avec des échanges multiples et variés ; il me semble que le forum en est un espace dédié. Quand bien même ce qui y est partagé est souvent au-delà d’un savoir institutionnel et ne se résume qu’à quelques discussions banales, cela reste, je le crois, un maillon essentiel pour le partage et la transmission bienveillante de tous les savoirs.

 

  1. Christian Jacob, Qu’est-ce qu’un lieu de savoir  ?, OpenEdition Press, 2014. DOI : 10.4000/books.oep.423
  2. Christophe HUGOT, « Il y a cent ans naissait Pierre Vago… », Insula [En ligne], mis en ligne le 30 août 2010. URL : https://insula.univ-lille3.fr/2010/08/pierre-vago/
  3. La notion « d’habiter » est une notion importante chez les anthropologues, philosophes et géographes. En peu de mots, habiter renvoie aux divers rapports entre l’humain et son environnement, aux manières de le modeler et plus largement à notre expérience singulière vis-à-vis du monde qui nous entoure. Voir l’article « Habiter » de Olivier Lazzarotti sur le site Géoconfluences et le très joli livre de Jean-Marc Besse, Habiter. Un monde à mon image (Flammarion, 2013)

Licence : CC by-nc-nd

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