Innovation Pédagogique et transition
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Quelles postures pour les enseignants face à l’IA générative dans le supérieur ?

Un article repris de https://tipes.wordpress.com/2025/12...

Faut il utiliser l’IA générative en éducation ? Si oui, comment, avec quelle approche ? La majorité des étudiants l’utilisent par eux-mêmes, mais manquent de consignes et d’accompagnement. La communauté des enseignants ne s’exprime que trop peu, souvent de manière informelle. Dernièrement, 2 prises de positions tranchées et documentées pourraient lancer le débat. Je vous propose ici de les replacer dans une perspective plus large en proposant 6 approches ou postures permettant d’expliciter différents points de vue, et d’identifier leurs complémentarités.

Trois ans déjà que OpenAI a lancé ChatGPT qui a connu un succès sans précédent. En trois ans, ces outils ont beaucoup évolué. Les limites que chacun recherchait à l’époque ont pour beaucoup été dépassées, et le niveau des réponses (une intelligence de niveau doctorat ?), et des médias générés (Vous avez été bluffés par Nanobanana ?) est impressionnant.

Si les étudiants l’ont largement adoptée, de manière opportuniste mais pour certains en s’interrogeant sur les impacts potentiels, les institutions, en France du moins, ne proposent des chartes générales que depuis cette année pour leur majorité, et laissent la liberté pédagogique aux enseignants de s’en saisir, ou pas. Pour prolonger, des partenariats ont été noués avec notre champion européen Mistral.

Depuis, nous avons eu un déferlement de publications sur les dangers ou les opportunités de ces IA génératives, d’expérimentations indiquant un effet positif ou négatif sur l’engagement, sur la mémorisation long terme, sur la réussite, etc. En tout cas, il semble difficile d’en dégager des règles établies, sinon que les conditions de l’expérimentation : type d’outils, mais surtout consignes pédagogiques, font varier les résultats. Il faudra encore de nombreuses expérimentations et des méta analyses pour en dégager des règles.

Mais la question de l’adoption des outils d’IA génératives ne se limite pas à la question de l’efficacité pédagogique. De nombreuses questions d’ordre écologique, social, politique sont soulevées liées au développement de ces outils. Manque les éléments et les espaces d’échanges pour mener les nécessaires débats pour permettre aux enseignants de se positionner sur cette adoption. Plusieurs points de vue permettent d’initier les discussions, les deux premiers points issus de l’actualité récente.

Voici donc quelques postures qui permettent de proposer différentes positions de départ :

  • Le rejet ou L’objection de conscience face à l’IAg ;
  • L’approche techno-critique ou l’adoption critique, pour ne pas en laisser le contrôle au capitalisme ;
  • L’approche du numérique acceptable, visant à promouvoir un numérique soutenable, choisi et émancipateur ;
  • L’approche alternative, visant à proposer des solutions d’IA génératives plus respectueuses ;
  • L’approche techno-lucide, visant à placer les finalités avant tout pour définir si l’usage est pertinent, ou pas ;
  • L’approche de maîtrise des usages

L’objection de conscience : refuser pour affirmer sa responsabilité

L’ATECOPOL réalise un travail de fond sur les multiples aspects liés aux bouleversements écologique,et acte notamment de la responsabilité sociétale des observations scientifiques. Ce collectif a publié un manifeste appelant à l’objection de conscience face aux IA génératives, signé par un large panel d’acteurs de l’enseignement supérieur et l’éducation nationale. Leurs considérations démontrent le renforcement de logiques industrielles écocidaires et prédatrices, et le développement d’un futur dystopique renforçant le pouvoir démiurgiques de mégafirmes.

L’approche techno-critique : comprendre pour désarmer

Mais peut-on vraiment refuser une technologie déjà adoptée par plus de 80% des étudiants ? Une groupe de chercheurs en SHS a répondu par une tribune que « Refuser l’IA à l’université, c’est en abandonner le contrôle au capitalisme ». Ce collectif partage le constat de l’ATECOPOL, mais réfute le choix de refus, arguant que l’analyse critique par le milieu universitaire est indispensable pour « désarmer » ces technologies, et pour ne pas permettre une soumission des citoyens à ces technologies.

L’approche numérique acceptable, à savoir soutenable et émancipateur

Dans cette veine d’une approche techno-critique, Louis Derrac (et l’association Lattitudes) se positionne dans une logique d’éducation technocritique, politique, émancipatrice, populaire. Tout au long de la vie. C’est le défi d’éduquer à un numérique acceptable.

Son approche pédagogique repose sur 3 piliers d’un numérique acceptable : (i) choisi et non subi, (ii) soutenable, socialement et écologiquement, (iii) émancipateur et non aliénant. Dans une approche d’éducation populaire, il développe donc une pédagogie pratique et critique qui met en avant les alternatives plus éthiques. Son approche promeut des pratiques contributrices et émancipatrices. Il est dans une logique de compréhension des limites, de choix, de réinvention et d’émancipation.

Son approche à la fois pratique et politique est inspirante. Elle donne une grille pour aborder le numérique qui s’applique également à l’IA générative. La bataille de l’IA, activité pédagogique autour de l’IA générative, proposée par l’association Latitudes s’inscrit dans cette logique.

L’approche alternative, des outils basés sur des modèles plus respectueux

Sachant que certains s’inquiètent de la manière dont se développent les outils grands publics, une approche plus technique s’est attachée à proposer des alternatives opérationnelles. L’initiative de RAGaRenn a été pionnière en proposant une infrastructure locale et de confiance dans une logique de proposition de communs, et se prolonge au travers d’une logique de mutualisation au travers d’ILaaS.

La Suisse de son coté semble très active dans cette voie avec plusieurs initiatives : L’association AI Swiss promeut une IA responsable et un modèle de co-pensée humain-IA et propose depuis 6 mois un chatbot Rodin pour accompagner le développement de ce modèle ; l’EPFL et l’ETH Zürich proposent Apertus depuis cet été ; Infomaniak propose aussi Euria dans une logique de suite logicielle grand public, dans une logique souveraine, écologique et sociale.

Trois logiques différentes s’affirment au travers de ces initiatives : promotion d’un modèle, universitaire et grand public, mais avec dans tous les cas des éléments de réponse aux oppositions les plus récurrentes faites aux IA grand public : souveraineté des données, sobriété, et contrôle par des entreprises dont l’agenda n’est pas le bien public.

Cette approche est encore embryonnaire, car il sera nécessaire de maîtriser et de pouvoir progressivement apporter des alternatives aux différents maillons de la chaîne logicielle, en s’appuyant sur la communauté scientifique pour proposer des modèles permettant de répondre aux limites identifiées (par exemple, cet article propose des perspectives intéressantes).

L’approche techno-lucide, pour des usages positifs

Certaines associations s’emparent des outils d’IA comme outil de lutte, comme data for good qui plaide pour un numérique d’intérêt général contre une vision hégémonique de la tech. Des scientifiques plaident également pour l’usage de ces technologies pour aborder des questions qui ne trouvent des réponses qu’au travers de ces outils, par exemple en santé. L’idée est que les impacts positifs l’emportent sur les impacts négatifs.

L’approche de maîtrise des usages, pour comprendre et se positionner

Dans une logique de mise en pratique pour adopter et s’approprier ces nouveaux outils, il est intéressant de découvrir les usages pertinents qui peuvent en être faits. Les entreprises qui développent ces outils l’ont bien compris et proposent de tels points d’entrée, comme par exemple les cas d’usages proposés par OpenAI pour ChatGPT, avec des rubriques spécifiques pour les enseignants du supérieur, pour les étudiants, ou pour les scientifiques. Voir également les cas d’usages et le rapport sur les enseignants proposés par Anthropic.

C’est une première étape pour mieux saisir les opportunités de ces outils. Elle devrait se faire de manière distanciée des outils, et avec une analyse critique pour savoir si ces usages sont réellement utiles, éthiques, acceptables (soutenables, émancipateurs), etc.

Des guides d’usages intégrant cette dimension critique et s’appuyant sur des cadres existants (charte, ou autres lignes directrices) peuvent être des sources bienvenues dans cette perspective. Nous travaillons ainsi à une collection de guides qui ont vocation à permettre d’initier la discussion collectivement.

Des dimensions d’action complémentaires ?

De ces différents points de vue ou postures, se dégagent des différences, mais également des points communs, avec des focus différents.

La question politique est prégnante et documentée, à laquelle s’associe la question financière qui défraie également la chronique. Associée à la question politique, la logique de désinformation (et autres deepfake) est associée aux réseaux sociaux, mais démultipliée par les mésusages de l’IA générative. Les impacts écologiques, d’accès aux ressources et sociétaux sont également connus.

La question d’éducation aux médias et de développement de l’esprit critique sont des réponses minimales. La question de contrôle, d’objection de conscience, ou d’interdiction ne se joue sans doute pas au niveau du supérieur, mais bien au niveau politique de la société entière, et nécessite bien d’analyser et de documenter toutes les dimensions liées à ces outils.

La traduction politique d’acteurs « du logiciel » est plus de promouvoir des communs, ou des outils conviviaux (au sens de Illich) sont partagés par les promoteurs d’approches acceptables, alternatives ou techno-lucides, et permettent de proposer des alternatives et d’apporter des choix qui doivent viser à répondre aux questions soulevées.

L’identification d’usages pertinents est également une question partagée, que ce soit dans une logique d’approche critique, de promotion, ou de développement d’outils (conviviaux) pour les supporter.

Être conscient de notre environnement

La communauté universitaire, face à ces transformations, a évidemment une responsabilité particulière. Elle se doit d’alimenter la réflexion commune avec un travail spécifique de fond. Elle doit également être exemplaire, et donc développer à son usage propre des préconisations, des usages, des outils, qui pourront constituer des communs à cultiver et à partager.

La question des usages du numérique s’appuie sur des outils, et deux limites s’imposent à la communauté universitaire :

  • En matière éducative, Les alternatives éthiques suffiront-elles face aux géants du numérique ? Les outils proposés au grand public sont vecteurs de changements profonds dans nos pratique d’apprentissage (outils de recherche, outils collaboratifs, réseaux sociaux, sources d’informations variées …). Il est extrêmement rare que ces outils soient issus des universités, et nos étudiants préfèrent généralement les outils proposés par les grandes entreprises du numérique. Et ce d’autant plus que la comparaison entre outils universitaires et outils d’entreprises tourne à l’avantage de ces dernières (les versions proposées par les initiatives « alternatives » sont suffisantes pour de nombreux usages mais loin derrière des outils qui sortent actuellement). La nouveauté sera peut être que la popularité et l’acceptabilité des grandes entreprises du numérique change.
  • Autre vecteur de pénétration d’outils issues de l’industrie du numérique, la question de la professionnalisation. L’usage d’outils s’impose souvent pour mieux préparer nos étudiants à leur futur professionnel. Le soutien au logiciel libre est un élément pour lutter contre cet état de fait.

En conclusion

Au travers de ces différentes postures ou points de vue, sont mis en avant différents risques, ou menaces. Pour les aborder dans leur ensemble, et donc répondre aux enjeux, il est indispensable de développer une approche interdisciplinaire.

La réponse sera collective pour apporter à la fois des réponses sur les enjeux, mais aussi sur les usages éducatifs. Chacun devrait pouvoir essayer ces outils pour se forger une première opinion. Des temps de débat devraient être organisées dans les établissements. Des collectifs inter-établissements devraient permettre de faire circuler les différentes conclusions.

Et vous, quelle posture mettez-vous en avant ? Vous sentez vous en phase avec d’autres ?

Crédit photo : https://pxhere.com/fr/photo/1637021 par Mohamed Hassan – licence CC0 domaine public

Licence : Pas de licence spécifique (droits par défaut)

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