Le confinement que nous vivons est un contexte exceptionnel, qui nous a tous bousculés dans notre vie et notre organisation, aussi bien au niveau personnel que professionnel. Il nous a forcé à évoluer, à essayer de nouvelles pratiques, de nouveaux outils, en un mot à ‘apprendre’. Si l’on est bien convaincu qu’une formation peut nous permettre d’apprendre, on peut se demander comment un changement de contexte, aussi radical soit-il, nous offre aussi une possibilité d’apprentissage et quels mécanismes mettre en œuvre pour en tirer le meilleur parti.
1 – Comment une situation de travail peut-elle être apprenante ?
Marcel Lebrun modélise un dispositif de formation avec le schéma ci-dessous (cf. 5 facettes pour construire un dispositif hybride : du concret)
Si ce schéma est adapté pour une situation d’apprentissage, il peut aussi convenir à n’importe quelle situation de travail, professionnelle ou bénévole : la différence réside dans l’objectif poursuivi. Si l’objectif d’une formation est d’apprendre et développer des connaissances ou compétences, une situation de travail ‘classique’ vise la production d’une valeur ajoutée (cf. https://prodageo.wordpress.com/2013/11/29/situation-professionnelle-situation-dapprentissage/). Ainsi, de même que la production est un détour utile pour ancrer les apprentissages lors d’une formation, des apprentissages peuvent surgir d’une situation de travail.
2 – Quel est l’impact du contexte ?
Si l’on analyse l’impact du confinement sur la situation de travail, on peut constater que toutes les facettes sont affectées. En effet, les informations (ensemble des ressources mises à disposition) évoluent : de nouveaux outils et de nouvelles procédures apparaissent avec le télé-travail qui modifient largement l’activité quotidienne et les interactions humaines. L’isolement induit par ce confinement peut avoir un impact non-négligeable sur les interactions, l’engagement et la persévérance. Enfin, la production peut être radicalement différente, c’est le cas des enseignants qui découvrent que l’on ne peut pas faire un cours à distance de la même façon qu’on l’organise en classe.
Ce confinement chamboule donc tous les aspects de nos situations de travail, mais ça, vous vous en étiez déjà rendu compte …
3 – Quelles sont les phases de vie dans un tel confinement ?
Dans son article Lessons from a coronavirus refugee (synthèse en français) Sina Farzaneh nous présente les 5 étapes psychologiques d’un confiné.
- La phase de survie qui est réactive et correspond à la phase d’adaptation ;
- La phase de sécurité est celle de l’entrée dans l’entrée dans le temps long ;
- La phase d’appartenance permet de s’installer dans une nouvelle normalité ;
- La phase de l’importance doit être focalisée sur l’attention aux nouveautés : nouvelles idées, nouveaux centres d’intérêts, …
- La phase d’auto-actualisation demande de prendre du recul par rapport à son évolution.
Ces différentes phases de vie font apparaître deux cycles : un cycle court de l’adaptation dans l’action et un cycle plus long avec la prise de recul pour tirer les conclusions et acter les évolutions à conserver. Cela rejoint le modèle de la compétence (MADDEC) de Coulet, focalisé sur les processus sous-jacents mis en œuvre dans « l’organisation de l’activité mobilisée et régulée pour faire face à une tâche donnée dans une situation déterminée ».
On y retrouve les deux boucles avec la boucle courte qui régule les règles d’actions (dans la phase d’adaptation) et la boucle longue qui impacte les conceptualisations (changement ou renforcement). Il propose aussi un troisième niveau de régulation qui correspond à une réorganisation de l’activité elle-même (ce qu’il qualifie de changement de schème).
L’adaptation se fait ‘sous la contrainte’ pour répondre à l’urgence. Par contre, l’analyse réflexive (boucle longue) n’est pas urgente mais importante et nécessite un effort qui peut paraître conséquent par rapport au résultat envisagé à priori.
4 – Comparaison chronologique ‘formation / confinement’
Le tableau ci-dessous récapitule et compare un dispositif de formation et la situation de confinement, qui peut générer des apprentissages, en s’appuyant sur la place de l’enseignant dans une formation collaborative. Cette comparaison permet de mettre en avant les ressources disponibles ou à mobiliser pour palier l’absence d’enseignant.
Etape | Place de l’enseignant | Dans le cadre d’un confinement |
Conception de la mise en situation | A partir des objectifs visés, l’enseignant définit l’évaluation, les activités, la production finale attendue et met en place les ressources et le contexte adaptés pour atteindre l’objectif. | La mise en situation liée au confinement n’est choisie par personne, elle est plutôt subie par tout le monde. Elle ne vise aucun objectif d’apprentissage ou de production spécifique. Elle est là, c’est un fait. Chacun est bousculé et doit s’adapter … Personne ne s’est donc chargé de la ‘conception de la mise en situation’. |
Pendant la situation | Il suit et accompagne les élèves en s’assurant que chacun progresse et apprend (l’objectif n’est pas la production mais bien l’apprentissage). Il relève les éléments marquants qui touchent autant au contenu disciplinaire qu’aux méthodes de travail et seront exploités lors de la synthèse finale dans une démarche réflexive. | L’adaptation nécessaire passe par la recherche d’une méthodologie de travail dans ce nouveau contexte, de ressources pertinentes qui peuvent être des outils, leur guide de prise en main, des retours d’expérience, … Des personnes ressources existent dans l’Éducation Nationale pour aider et accompagner les enseignants dans cette adaptation :
Chacun, à son niveau, a fourni un travail pour répertorier et produire des ressources, accompagner à la prise en main des outils et soutenir les enseignants en proximité.
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Après la situation | Il relit l’activité réalisée pour en extraire les éléments disciplinaires et méthodologiques à retenir, au regard des objectifs visés. Ce travail se mène en partenariat avec les apprenants. | Des temps de relecture sont à prévoir, aussi bien personnellement que de façon collective pour analyser ce qui s’est vécu et ce qui mérite d’être gardé (quitte à l’adapter).
Il pourrait être intéressant de travailler cette relecture en famille, en équipe pédagogique, en classe, … Cette démarche de « relire pour apprendre et progresser » est caractéristique d’une logique d’apprentissage tout au long de la vie, et il est très intéressant de l’initier avant la fin de la formation initiale. |
5 – Des outils pour soutenir l’analyse réflexive
Comme nous l’avons vu, l’analyse réflexive nécessite un effort important et il semble donc utile d’accompagner cette démarche. Deux directions sont possibles :
- faciliter la démarche par des outils ou des guides ;
- rendre la démarche plus désirable par l’attrait d’une production.
Plusieurs pistes sont envisageables, en voici quelques-unes…
a) Des badges pour apprendre en période de confinement
Un badge est une image au format numérique (jpeg, png, svg) dans laquelle sont encodées des méta-données : le nom du badge, de l’émetteur, du récipiendaire, la date de remise, la durée de validité, la preuve d’obtention, … Il permet de reconnaître et valoriser des réalisations, des apprentissages, des valeurs, des contributions, des engagements, … Ils se positionnent en complémentarité des diplômes et certifications.
Le projet BRAVO-BFC – porté par la région Bourgogne-Franche-Comté, les académies de Besançon et Dijon, la DRAAF et le SGAR – propose une série de 6 badges pour apprendre du confinement, chacun abordant un aspect spécifique de l’adaptation induite par le confinement. Le tableau ci-dessous présente chacun des 6 badges.
badge | aspect spécifiquement abordé |
Je planifie | Gestion du temps, que ce soit personnel, collectif, de mon équipe ou de mes enfants. |
J’organise l’espace | Gestion de l’espace pour mettre en place un nouveau cadre de travail. Là encore, pour soi, son équipe ou ses enfants. |
Je m’outille | Découverte et appropriation de nouveaux outils, numériques ou pas … |
Je reste en contact | Organisation mise en place pour entretenir et développer mes relation avec mes proches : famille, amis, collègues. |
Je pilote mon activité | Organisation mise en place pour réaliser votre activité ‘principale’ : méthode de travail, régulation, coordination d’équipe, … |
J’évolue | Évolution des priorités, des valeurs, des aspirations, … |
Il peut y avoir un chevauchement relatif entre les badges car les limites sont poreuses entre les différents domaines qui se recouvrent partiellement.
Ces 6 badges sont à votre disposition pour vous soutenir, individuellement ou collectivement dans ce temps d’analyse réflexive. ils peuvent être utilisable pour tous les publics : télétravailleur contraint, chef d’équipe géodistribuée, parent gérant un ‘espace de coworking familial’, élève ou étudiant …
Chaque badge propose une grille de questionnement pour faciliter la démarche et le badge est, en lui-même, un produit fini qui reconnaît et valorise les réalisations et progrès de chacun.
b) La métaphore du vélo
J’ai récemment croisé cette image, extraite du livre Des enseignants qui apprennent, ce sont des élèves qui réussissent de F. Muller qui me semble parlante et explicite. Elle peut aussi être utile pour questionner l’évolution de son activité en période de confinement.
c) Une approche par le portfolio
J’avais proposé, il y a quelques années, une représentation du portfolio d’apprentissage en m’appuyant sur le travail de Yves Morin.
Ce cadre général peut être étayé par cette série de questions pour soutenir l’analyse réflexive avec des élèves. Il me semble qu’elles sont toujours exploitables, quitte à les adapter à votre contexte.
La démarche de portfolio est contraignante mais la production finale qui capitalise l’ensemble des traces et réflexions est très riche. Ce blog peut être assimilé à un tel objet.
6 – Conclusion
Nous avons vu la différence entre une situation de formation qui vise spécifiquement des apprentissages et un contexte subi, comme le confinement que nous vivons actuellement, qui peut générer des apprentissages. Il en ressort le besoin d’un outillage et d’un accompagnement pour soutenir ces apprentissages, tout au long du confinement. Dans l’Éducation Nationale, des personnes sont en première ligne pour cet accompagnement : les ERUN et RUPN, les chefs d’établissement, les inspecteurs et les équipes des DANE et DRNE.
Des outils sont à disposition pour soutenir l’analyse réflexive et apprendre du confinement mais c’est une activité qui nécessite un travail personnel, et qui pourrait être avantageusement étayée par une dynamique collective (pilotée par le chef d’établissement pour l’équipe enseignante, le professeur principal pour une classe, les parents pour une famille, …).
Nous avons chacun déroulé la première boucle ‘courte’ de l’adaptation et avons ainsi parcouru la moitié du chemin. Il serait dommage de ne pas pousser un peu plus loin avec la boucle ‘longue’ en formalisant ces apprentissages pour en tirer le meilleur et progresser ensemble, non ?
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