Un article de Jessyca Tretola repris de la revue Distances et Médiations des Savoirs, une publication sous licence CC by sa
Introduction
De nos jours, la formation des enseignants demeure au centre de nombreux questionnements notamment en matière d’innovation. L’innovation en éducation est, selon Cros (1997), spécifique, car « elle touche aussi bien à l’éducation et à la formation qui sont elles-mêmes porteuses par essence de transformation » (p. 150). En ce sens, Béchard et Pelletier (2001) la définissent comme « une activité délibérée qui tend à introduire de la nouveauté dans un contexte donné et elle est pédagogique parce qu’elle cherche à améliorer substantiellement les apprentissages des étudiants en situation d’interaction et d’interactivité » (p.133). Pour cette recherche, nous entendons par innovation aussi bien l’introduction et l’utilisation des nouvelles technologies que la mise en œuvre d’une pédagogie active lors d’une action de formation. Les nouvelles technologies sont, de plus, au cœur de débats actuels, en particulier dans l’enseignement supérieur où les pédagogies liées au numérique ne cessent d’évoluer. En France, depuis 2010, la formation initiale des futurs enseignants a été « mastérisée ». L’année de Master 1 correspond à l’année pendant laquelle les étudiants, se destinant à l’enseignement à l’école primaire, doivent passer le concours de recrutement de professeur des écoles (CRPE) tout en validant leur première année de master. Ce concours comporte deux épreuves d’admissibilité, une en français, une en mathématiques, et deux épreuves d’admission orales. Pour cette recherche, nous nous intéressons à la mise en œuvre d’un dispositif innovant contribuant à la préparation du concours d’admissibilité en français. En effet, plusieurs études précédentes concernant les dispositifs hybrides en formation continue des professeurs des écoles ont été réalisées. Cependant, aucune n’a été faite concernant la formation initiale des enseignants et la préparation au CRPE qui repose, la plupart du temps, sur des cours dits « classiques » ou davantage théoriques. Face à une grande hétérogénéité des étudiants provenant de divers cursus universitaires, l’innovation en matière de formation s’impose comme une nécessité. L’objectif est alors de les motiver, de les impliquer et de les préparer à l’épreuve du CRPE en français dans le temps restreint imparti prévu par la formation. Nous nous sommes donc interrogées sur l’efficacité d’un dispositif hybride (combinant présentiel et distanciel) concernant la formation en français des étudiants en Master 1 à l’ESPE. Notre problématique porte par conséquent sur l’utilisation et l’efficacité l’hybridation en formation des étudiants en première année de Master de l’enseignement, de l’éducation et de la formation (MEEF) premier degré en français. Les questions que nous nous posons sont les suivantes :
L’hybridation pendant les travaux dirigés (TD) de français en master MEEF permet-elle de mieux préparer les étudiants aux épreuves du concours ? Quelles sont les conditions et les contraintes rencontrées par les étudiants et le formateur dans le cadre d’un tel dispositif ?
Nous émettons les hypothèses suivantes : le dispositif hybride va permettre de gérer l’hétérogénéité des étudiants préparant le CRPE et de favoriser la mise en place d’une différenciation. Ce dispositif permettrait également de motiver et d’impliquer les étudiants dans leur préparation au concours et dans la validation de leur première année de master MEEF.
Dans une première partie, nous développerons l’ancrage institutionnel pour situer la demande réglementaire concernant les épreuves du CRPE. Dans le but de questionner et d’analyser les effets d’un dispositif hybride dans la formation initiale des enseignants, nous présenterons notre ancrage théorique reposant sur la Théorie anthropologique du didactique, sur la didactique du français et sur les typologies des dispositifs de formation hybrides définis par Lebrun, Peltier, Peraya, Burton et Mancuso (2014). Nous développerons ensuite notre méthodologie de la recherche reposant sur une étude qualitative. L’analyse des résultats qui suivra permettra de mettre en lumière l’efficacité et l’investissement des étudiants quant à la préparation de l’épreuve d’admissibilité du CRPE en français.
Ancrage institutionnel
La formation initiale des professeurs des écoles est régie par la loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République. Celle-ci introduit de nouvelles modalités d’épreuves du CRPE qui jusqu’alors (depuis 2010), et malgré la mastérisation de la formation, ne comptait pas d’épreuve didactique en français parmi les épreuves d’admissibilité. À présent, depuis cette date et la création des ESPE, les épreuves écrites du CRPE comportent, en français, trois épreuves distinctes : une partie consacrée à une analyse ou une synthèse de textes littéraires ou didactiques, une partie dite de langue ou linguistique et une partie d’analyse de situation(s) didactique(s). Selon l’arrêté du 19 avril 2013 fixant les modalités d’organisation du concours externe, du concours externe spécial, du second concours interne, du second concours interne spécial et du troisième concours de recrutement de professeur des écoles, cette épreuve vise à « évaluer la maîtrise de la langue française des candidats (correction syntaxique, morphologique et lexicale, niveau de langue et clarté d’expression) ainsi que leur connaissance de la langue. Elle doit aussi évaluer leur capacité à apprécier les intérêts et les limites didactiques de pratiques d’enseignement du français. »
6Si les deux premiers volets de l’épreuve sont assez classiques et accessibles à tous les étudiants ayant obtenu un baccalauréat et une licence (synthèse de documents et épreuve dite de langue), les principales difficultés résident dans les méthodologies de réalisation de ces épreuves et en particulier dans celle qui requiert une connaissance didactique que des étudiants issus de licences disciplinaires différentes ne maîtrisent pas à leur arrivée en master 1. De plus, nous constatons une grande hétérogénéité en ce qui concerne la maîtrise de la langue française parmi les étudiants de master 1, candidats au concours de recrutement de professeurs des écoles. La compétence « Maîtriser la langue française dans le cadre son enseignement » est l’une des compétences communes énoncées dans le référentiel de compétences des métiers du professorat et de l’éducation publié au bulletin officiel du 25 juillet 2013, commun à tous les enseignants du premier et du second degré. Ce qui représente un enjeu et une condition sine qua non au franchissement de la barrière des épreuves d’admissibilités. La connaissance de la didactique disciplinaire est également une compétence commune à tous les professeurs. Il s’agit de « maîtriser les savoirs disciplinaires et leur didactique ». Pour cela, nous nous basons également sur les programmes de l’Éducation nationale, programmes de l’école maternelle (cycle 1), bulletin spécial n° 2 du 26 mars 2015 et programmes de l’école élémentaire (cycle 2 et 3), bulletin spécial n° 11 du 26 novembre 2015. Ces programmes énoncent les compétences et les attendus de fins de cycles pour tous les niveaux de classe de l’école primaire (école maternelle et élémentaire) de manière progressive. En ce qui concerne l’enseignement du français, le cycle 1 favorise le langage oral, le cycle 2 est en particulier focalisé sur l’apprentissage de la lecture et sa compréhension, le cycle 3 réunit tous ces éléments ainsi que l’étude de la langue.
De plus, nous constatons que la maîtrise de la langue, malgré le niveau licence des étudiants, n’est pas forcément acquise puisque, jusqu’à maintenant, les étudiants étaient évalués sur des connaissances disciplinaires dans le cadre de leur cursus universitaire. En effet, si nous nous penchons sur les résultats concernant la maîtrise de la langue au concours blanc, pour l’année universitaire précédente, nous remarquons que les résultats sont moyens, 50 % des étudiants réussissent l’épreuve. Concernant cette recherche et afin de comprendre les attendus et les conditions de préparation et de réussite au CRPE en ce qui concerne le français, nous nous appuyons également sur les rapports de jury des cessions précédentes, qui permettent aux étudiants comme aux formateurs de connaître la demande institutionnelle. Les étudiants sont néanmoins confrontés à une autre contrainte, la validation de leur master 1 qui est une condition à leur accession au master 2 et à la titularisation s’ils réussissent le concours.
Les deux années de master sont régies par les maquettes de l’ESPE d’Aix-Marseille, pour cette étude, qui se base sur l’approche par compétences en ce qui concerne les évaluations. Les enseignements prodigués dans cet ESPE doivent donc permettre aux étudiants inscrits en Master de se préparer au concours d’enseignement, mais également d’acquérir des prémices de compétences professionnelles qu’ils continueront de développer en master 2. Il existe donc une double contrainte institutionnelle. Ces enseignements consistent en deux unités d’enseignement (UE), l’une consacrée à la synthèse de textes, à l’étude de la langue et à la didactique disciplinaire, l’autre, à la mise en œuvre de cette didactique au sein d’une classe à travers des situations à analyser. Les demandes et les prescriptions institutionnelles représentent par conséquent une contrainte quant à la mise en œuvre des enseignements du côté des formateurs, mais aussi du côté des étudiants qui doivent aussi bien valider leur master 1 pour la discipline du français et se préparer aux épreuves du CRPE. Malgré toutes ces prescriptions institutionnelles, le formateur comme le professeur des écoles bénéficient d’une liberté pédagogique concernant la mise en œuvre de ses enseignements. Malgré les contraintes rencontrées par les formateurs concernant le temps alloué à la préparation au concours et l’hétérogénéité concernant le niveau de maîtrise de la langue française et la situation de débutant en didactique des étudiants, le dispositif hybride peut apparaître comme une opportunité concernant la préparation au concours et la validation du master. L’épreuve du concours blanc représente l’évaluation de l’unité d’enseignement en question. Afin de comprendre et d’analyser ce qui contraint ou conditionne la mise en œuvre d’un dispositif hybride dans la formation des étudiants en master 1 MEEF, nous nous appuyons sur les concepts de la théorie anthropologique du didactique et sur la théorie de l’action conjointe didactique.
Cadre théorique : La Théorie anthropologique du didactique et la théorie de l’action conjointe didactique
D’après Chevallard (2007), les savoirs sont le résultat de constructions humaines, leur place et leur fonction sont différentes selon les lieux, les sociétés et dans le temps. La théorie anthropologique du didactique (Chevallard, 2010-2011, p. 2) « étudie également les conditions et les contraintes de la diffusion sociale des entités praxéologiques c’est-à-dire de leur diffusion aux personnes et aux institutions. Ces conditions et contraintes sont repérées sur une échelle dite des niveaux de codétermination didactique ». Selon le même auteur (ibid.), il y a du didactique (qui est l’objet central de la science didactique) chaque fois qu’une personne ou une institution envisage de faire quelque chose ou fait quelque chose pour qu’une autre personne ou une autre institution apprenne quelque chose. L’échelle de codétermination didactique va nous permettre d’analyser ce qui conditionne ou ce qui contraint la mise en œuvre d’un dispositif hybride en TD de master première année consacré à l’enseignement du français.
L’échelle de codétermination est représentée de la manière suivante :
Figure 1 : L’échelle des niveaux de codétermination didactique (Chevallard, 2016, p. 10)
Chacun des échelons de l’échelle rappelle qu’il est la base des conditions et des contraintes spécifiques à ce niveau. Les conditions et les contraintes sont celles qui gouvernent l’économie et l’écologie du didactique. L’économie correspond alors à ce qu’effectuent les acteurs des situations sociales observées pour apprendre ou faire en sorte que quelqu’un apprenne quelque chose (gestes didactiques). Selon Yves Chevallard (2010-2011, p. 20) : « On pourra parler ainsi de l’économie didactique régnant en telle institution de formation, et cela en englobant les conditions se situant à quelque niveau que ce soit de l’échelle de codétermination didactique (niveau de l’œuvre étudiée, niveau de la pédagogie, niveau de l’école, etc.) ».
L’écologie du didactique quant à elle désigne le système de contraintes, « des lois qui pèsent sur le destin du didactique, rendant telle décision économique viable ou, au contraire, impossible (ou, du moins, difficilement viable). Pour l’enseignant, les règles qu’il fixe, c’est-à-dire les conditions qu’il entend créer, relèvent de l’économie didactique ; mais les contraintes auxquelles peut se heurter le bon fonctionnement de ces règles relèvent, elles, de l’écologie didactique : elles facilitent le libre jeu de ces règles ou, au contraire, l’empêchent » (Chevallard, 2010-2011, p. 20). Il convient de rappeler qu’au niveau supérieur de l’échelle (civilisation, société, école, pédagogie, discipline) la didactique ne figure pas à ces échelons. Ces échelons schématisent ce qui conditionne le didactique et non le didactique lui-même. En ce sens, nous nous appuyons également sur la théorie de l’action conjointe didactique (Sensevy, 2008). Cette théorie considère que toute activité humaine dans son ensemble et l’activité didactique sont des jeux ou des agencements de jeux (Sensevy, 2008). Selon Sensevy (2008), « un jeu didactique est un jeu dans lequel coopèrent deux joueurs, le professeur et l’élève », l’activité didactique est donc une coaction, une action conjointe. Cette théorie va donc nous permettre de nous placer aussi bien du côté de l’action du formateur que du côté de l’action des étudiants.
La didactique du français et les unités d’enseignement prévues à l’ESPE d’Aix-Marseille Université
Nous avons développé précédemment que les enseignements de français incluant la didactique du français étaient soumis à une contrainte institutionnelle que représente le CRPE. L’objectif est alors d’adapter les enseignements et la didactique du français au besoin de la préparation des épreuves. L’analyse didactique, troisième partie de l’épreuve de français, est la partie mettant le plus en difficultés les étudiants. En effet, ils doivent avoir une réflexivité sur une pratique alors qu’ils ne connaissent pas le terrain (Tretola, 2018). Les domaines abordés sont nombreux en fonction de la nature des épreuves détaillées auparavant en passant par la linguistique, la phonologie et l’analyse d’erreurs d’élèves, de manuels destinés à l’enseignement, séance sous forme de verbatim. Garcia-Debanc (2007) estime que cette analyse est très importante « dans la perspective de développement des compétences professionnelles tout au long de son activité professionnelle » (p.70). La didactique du français étant récente, elle est ignorée en tant que discipline de recherche (Daunay et Reuter, 2008). Cette unité d’enseignement mêle alors des préconisations des programmes de l’éducation nationale avec la recherche scientifique, les savoirs enseignés à l’école, la didactique et la pédagogie et les savoir-faire du métier d’enseignant. Nous nous pencherons en particulier sur cette partie de l’épreuve qui est l’épreuve la plus difficile à réaliser par les étudiants. La question est alors de savoir si l’hybridation permet aux étudiants d’acquérir les compétences nécessaires à la réussite de l’épreuve et à la validation de la première année du master MEEF.
L’hybridation en enseignement supérieur et dans la formation initiale des futurs enseignants
Au cœur de nombreux questionnements au niveau des enseignements universitaires, le dispositif hybride se caractérise souvent par des cours en présentiel et en distanciel. Deschryver, Lameul, Peraya et Villiot-Leclercq (2011) énoncent trois éléments pour comprendre l’évolution des enseignements universitaires vers des dispositifs hybrides : le fort développement des plateformes permettant l’enseignement à distance, la nécessité de s’adresser à un public plus large d’apprenants et la croyance en un véritable potentiel des nouvelles technologies. Pour notre recherche, notre problématique, nous le rappelons, repose sur l’utilisation et l’efficacité d’un dispositif hybride en formation et en préparation au CRPE des M1 mention premier degré. Afin de déterminer l’efficacité du dispositif hybride, nous nous appuyons sur les travaux de recherche de Charlier, Deschryver et Peraya (2006), qui définissent, les caractéristiques du dispositif hybride de formation par « la présence d’un dispositif de formation de dimensions innovantes liées à la mise en distance » (p. 482). De plus, le dispositif hybride suppose, selon Peraya (2007) un environnement « technopédagogique » caractérisé par « des formes complexes de médiatisation » c’est-à-dire tout ce qui relève de l’ingénierie pédagogique et de « médiation » qui se base sur l’impact de cette plateforme sur l’activité et les comportements humains. Deschryver, Lameul, Peraya et Villiot-Leclercq (2011), en complément du cadre introduit par Charlier et al. (2006), définissent un cadre de référence pour décrire les dispositifs hybrides comprenant cinq dimensions : une dimension d’articulation de moment en présentiel et en distanciel, « la mise en œuvre d’un accompagnement humain spécifique » (p. 3), l’usage d’un environnement technopédagogique (médiation et médiatisation), le degré d’ouverture du dispositif en ce qui concerne le degré de liberté de l’apprenant. Burton et al. (2011), déclinent quatorze composantes qui déterminent les types de dispositifs hybrides. En ce sens, Lebrun et al. (2014) définissent une typologie des dispositifs hybrides de formation. Reprenant les cinq dimensions principales concernant ce type de dispositifs, ils distinguent 6 types de dispositifs hybrides. Ces dispositifs sont numérotés de 1 à 6. Ils comprennent les dispositifs de 1 à 3 centrés sur l’enseignement (dispositifs transmissifs) et de 4 à 6 centrés sur l’apprentissage. Afin d’analyser l’efficacité du dispositif hybride, nous nous basons sur le tableau récapitulatif suivant :
Tableau 1. Récapitulatif des caractéristiques des six types de dispositifs hybrides. (Lebrun et al., 2014, p. 71)
De plus, pour connaître l’implication des étudiants et leur motivation à entrer dans la tâche nous nous appuyons sur les trois approches définies par Deschryver et Lebrun (2014). « L’approche en profondeur » correspond à la motivation intrinsèque des étudiants à entrer dans la tâche, leur traitement de l’information en reliant les idées et en les analysant. « L’approche de surface » se rapporte aux stratégies de mémorisation. La dernière approche détaillée est l’approche stratégique qui varie « en fonction des exigences perçues du dispositif de formation passant de stratégies centrées sur la compréhension à la mémorisation en intégrant la gestion du temps et l’autorégulation relativement aux stratégies utilisées » (Deschryver et Lebrun, 2014, p. 80). L’accompagnement de l’enseignant ou du formateur en dispositif hybride rend l’étudiant acteur dans ses apprentissages, il se situe alors dans une pédagogie active (Lebrun, 2007) qui donne du sens aux apprentissages de l’apprenant et qui favorise son implication dans la tâche en mobilisant des compétences de haut niveau (Lebrun, 2009). L’évaluation est même envisagée par les pairs. Les étudiants évaluent alors « à la fois les savoirs récoltés (les informations) les activités déployées et les productions (peer evaluation, travail collaboratif) » (Lebrun, 2015, p. 75). Ce dispositif peut donc également se développer à travers l’approche par compétences préconisée par les maquettes de l’ESPE d’Aix-Marseille Université puisque l’étudiant se trouve alors en situation d’évaluation par compétences de la part de ses pairs ou du formateur et apprend à construire ses compétences également en collaboration avec ses pairs. Nous rappelons que les compétences professionnelles des professeurs sont énoncées dans un référentiel de compétences du professorat et de l’éducation (B.O. du 23 juillet 2013).
Se pose alors la question, selon Ladage (2016), concernant l’hybridation à l’université, « d’une articulation adéquate entre cours en présence et à distance, en fonction des enjeux didactiques sur les situations d’enseignement et d’apprentissage » (p. 5). Des résistances au changement peuvent même apparaître de la part de l’institution comme de la part des apprenants (Bédart et Raucent, 2015). Plusieurs conditions et contraintes apparaissent par conséquent concernant la mise en œuvre d’un dispositif hybride en formation.
Méthodologie de la recherche
Notre méthodologie s’appuie sur une recherche-action. À l’instar de Ladage (2016) nous utiliserons la définition de Wittorski (2012) selon laquelle « les catégories socio-professionnelles dont les contextes d’activités bougent et qui doivent rompre avec leurs pratiques habituelles pour produire de nouvelles façons de travailler » (Wittorski, cité par Ladage, 2016, p. 8) et sur Bruillard (2008) dans laquelle l’enseignant a une posture de chercheur dans son environnement professionnel dans une formation effective. De plus, selon Cartroux (2002), la recherche-action permet une plus grande marge de manœuvre, car elle est flexible et permet de faire évoluer aussi bien la pratique de terrain que la recherche. La recherche-action permet également de déterminer quelles sont les conditions et les contraintes rencontrées dans la mise en œuvre d’un tel dispositif par les étudiants et par le formateur et de rendre compte d’une différenciation et d’une meilleure implication des étudiants dans la préparation au CRPE et à la validation de leur première année de master MEEF. Pour ce faire, nous disposons de données recueillies à travers des questionnaires distribués aux étudiants et les résultats obtenus lors de concours blancs. Nous disposons de films de séances, d’observations et de capsules vidéo qui serviront à notre analyse. L’analyse qualitative va donc nous permettre d’interpréter les données et de donner du sens à nos observations (Paillé, 2007). Les étapes de notre recherche ont été les suivantes : dans un premier temps, il y a eu la mise en œuvre du dispositif avec les vidéos en ligne et l’attribution des thématiques aux trinômes d’étudiants. Observation et films de deux séances, distribution des questionnaires à la fin de l’année universitaire.
Le dispositif hybride de recherche
Le dispositif hybride mis en œuvre, allie des cours en présentiel réalisés par les étudiants en TD de français (préparation à l’épreuve didactique en particulier), propose des documents, des capsules vidéo mis à disposition des étudiants via une plateforme numérique et des échanges de courriels en ce qui concerne le distanciel.
Le terrain
L’étude a été réalisée sur deux groupes de master première année MEEF représentant au total 57 étudiants à l’ESPE de Marseille pour l’année universitaire 2017-2018. Les profils des étudiants des deux groupes étaient assez hétérogènes. En effet, le premier groupe (groupe 1) était composé de 29 étudiants comprenant deux russophones dont la langue maternelle n’était pas le français, une étudiante qui a suivi sa scolarité jusqu’au baccalauréat en Algérie, une étudiante qui était déjà enseignante à Mayotte. Le groupe était plutôt composé de personnes ayant des compétences dans les domaines artistiques.
Le deuxième groupe (groupe 2) était composé de 28 étudiants plutôt scientifiques et de licenciés de STAPS (sciences et techniques des activités physiques et sportives). Le niveau en français était très hétérogène.
Le questionnaire
À l’issue des deux semestres de formation, un questionnaire a été distribué aux étudiants afin de déterminer leur ressenti et de récolter les informations nécessaires à l’analyse de la mise en œuvre de ce dispositif par rapport à notre problématique, qui, nous le rappelons porte sur l’hybridation de l’enseignement du français en master MEEF première année. Les questions posées aux étudiants alternaient entre questions ouvertes et questions fermées suivantes :
Dans le cadre de votre formation, vos TD, en cours de français sont construits sur des principes de la pédagogie inversée :
- Quels sont, selon vous les atouts de cette pédagogie dans votre formation en français ?
- Quels en sont les inconvénients ?
Dans le cadre de la préparation au CRPE, pensez-vous que le fait d’avoir construit et présenté des exposés pendant les TD vous aidera à envisager l’épreuve du concours dans de meilleures conditions ?
- Oui/non
- Pourquoi ?
Les capsules vidéo mises en ligne à votre disposition vous sont-elles utiles ?
-* Oui/non
_* Pourquoi ?
Analyse et interprétation des données
Notre analyse reprend les cinq dimensions détaillées par Deschryver et al. (2011) qui sont, nous le rappelons, l’articulation du dispositif présentiel et à distance, la mise en œuvre d’un accompagnement humain spécifique, la médiation et la médiatisation à travers un environnement technopédagogique et le degré d’ouverture du dispositif.
Articulation du dispositif présentiel et à distance en didactique du français en Master 1 mention premier degré
Dès le début du semestre, au sein de chaque groupe, des trinômes de travail ont été constitués pour prendre en charge la présentation d’un thème de didactique de français. Tous les étudiants étaient, dans un premier temps, outillés de capsules vidéo concernant la méthodologie de réalisation des parties de l’épreuve ou de définition de concept, de plusieurs articles scientifiques sur le thème choisi et des instructions officielles concernant la partie didactique au premier semestre, aucun document n’était fourni au second semestre.
L’analyse des questionnaires distribués révèle que par rapport à la réalisation de l’analyse didactique dans le cadre de la troisième partie de l’épreuve, les étudiants se sentent plus impliqués et investis dans leur apprentissage et leur préparation. Ils estiment avoir une meilleure compréhension des concepts et des notions abordées pendant le TD grâce aux vidéos de définitions de concepts et à leur investissement personnel dans la recherche de documents.
Ils considèrent également être actifs dans leurs apprentissages, construire et s’approprier le savoir disciplinaire et les savoir-faire et du métier d’enseignant condition nécessaire à l’analyse didactique se situant sur l’échelle de codétermination didactique (Chevallard, 2011) au niveau de l’École considérée ici comme l’institution. Le dispositif hybride leur a permis également la construction d’une certaine autonomie à distance pour la préparation et un enrichissement personnel pour la moitié d’entre eux. Ils deviennent donc concepteurs (Magneron et Merchan, 2017) se rapprochant de la réalité du métier d’enseignant. Cependant, des contraintes apparaissent concernant la collaboration et le travail de groupes qui n’est pas toujours facile à gérer, et la préparation des séances est chronophage. Ces dernières informations permettent de nous situer au niveau de la Société sur l’échelle de codétermination didactique.
En ce qui concerne la préparation aux épreuves de français du CRPE et en particulier l’analyse didactique, les étudiants estiment être bien préparés. Deux d’entre eux regrettent cependant de ne pas avoir plus de cours magistraux, ce qui laisse apparaître une certaine résistance au changement (Bédart et Raucent, 2015), ayant pour habitude de prendre des notes de la parole magistrale du professeur dans leur précédent cursus universitaire. Néanmoins, les copies du Concours blanc révèlent de bonnes analyses didactiques avec une réussite à plus de 75 %. 50 % d’entre eux pensent pouvoir réinvestir ce qui a été fait pendant la préparation des TD au sein de leur future classe, s’ils réussissent le CRPE.
Nous constatons également que la majorité des étudiants, bien que certains soient résistants au changement, pensent que le dispositif hybride a favorisé leur implication dans la tâche de préparation de séance, d’avoir une réflexion sur l’épreuve didactique en particulier et de se sentir impliqué dans leur apprentissage en y donnant du sens (Lebrun, 2007).
Dans l’analyse qui suit, nous donnerons des précisions quant à leur implication et à leur progression impliquant parfois l’intervention de la formatrice.
La mise en œuvre d’un accompagnement humain spécifique
D’un semestre à l’autre, l’accompagnement de la formatrice s’est modifié pour laisser l’étudiant réaliser lui-même ses recherches sur le sujet proposé. Au début, il s’agissait de rassurer les étudiants dans un accompagnement métacognitif et affectif (Deschryver et al., 2011) pour ensuite laisser la tâche de recherche des documents aux étudiants, afin de leur donner la responsabilité de leurs enseignement et apprentissage. La consigne était de préparer une présentation de 20 minutes sur le thème en incluant la participation des autres étudiants, qui devaient également se renseigner et préparer le thème pour pouvoir évaluer cette même présentation. Une grille de critères d’évaluation a été construite au préalable par les étudiants eux-mêmes en collaboration avec la formatrice. Les critères étaient les suivants : pertinence des sources annoncées et utilisées par rapport au thème choisi y compris en lien avec les instructions officielles, respect du temps, activités incluant la participation des autres étudiants, aisance à l’oral. La formatrice avait un rôle d’accompagnatrice (afin d’aider les étudiants rencontrant des difficultés de préparations, de réalisation et de compréhension), de régulatrice sur les présentations des étudiants et de guide pendant et en dehors des TD. En effet, elle répondait aux questions des trinômes impliqués dans la préparation des cours via la plateforme numérique de l’Université.
Médiatisation et médiation
Le dépouillement des questionnaires montre que les capsules vidéo ont été utiles à la préparation au concours, leur permet de comprendre les concepts clés et de revenir sur la méthodologie autant de fois qu’ils le souhaitent. Les vidéos leur permettent aussi de gagner du temps dans la préparation de leur exposé de séance, cette vidéo leur sert alors de guide et leur donne des pistes dans la recherche de documents pertinents à leur exposé. Une autre contrainte apparaît : 10 étudiants estiment ne pas être à l’aise avec l’utilisation des technologies et ne sont pas réceptifs aux capsules vidéo qui sont pourtant de courte durée. La médiatisation de la formatrice, en ce qui concerne la gestion de la plateforme numérique et la mise à disposition des ressources, se situe sur une posture centrée sur l’enseignement de type 2, sur « l’écran » (Lebrun et al. 2014). Nous nous retrouvons une fois de plus au niveau de la Société sur l’échelle de codétermination didactique. En effet, même si les technologies se développent, il apparaît néanmoins que certains étudiants ne sont pas formés à l’utilisation de certaines fonctionnalités des plateformes numériques. De plus, les vidéos définissant des notions, des concepts et proposant des méthodologies sont plutôt transmissives, car elles constituent une ressource pour laquelle l’étudiant n’intervient pas. Il en est le spectateur.
Degré d’ouverture
Les observations des séances et les analyses vidéo révèlent que les étudiants sont effectivement plus impliqués dans la tâche suivant une évolution progressive. Au niveau de la maîtrise de l’oral et de la prise de parole devant un public, nous remarquons que les étudiants les moins engagés dans la prise de parole au premier semestre prennent davantage confiance en eux face à leurs pairs. L’évaluation des pairs révèle la bienveillance et l’objectivité des étudiants envers la production des autres. En effet, les étudiants évaluent tout en expliquant au groupe présentant un thème de didactique de français les raisons pour lesquels ils pensent que l’objectif a été atteint ou pas.
Nous relevons également, tout au long des deux semestres, une évolution de posture des étudiants et d’implication dans la tâche. En effet, les étudiants ont développé des stratégies de préparation et de collaboration qui permettent de prendre en charge les difficultés qu’ils rencontrent ce qui s’apparente à « l’approche stratégique » (Deschryver et al., 2011). Le fait que tout le monde prépare le thème annoncé à l’avance par la formatrice permet de cadrer et de donner des pistes de recherche de documents et de réflexion sur les pratiques enseignantes. Dans ce cas, nous retrouvons une posture d’enseignement de type 5 centrée sur l’apprentissage, « le métro » (Lebrun et al., 2014) :
Étudiant 1 : « la pédagogie mise en œuvre nous permet de construire nos propres savoirs, de nous mettre dans une démarche où nous devons chercher et s’investir. », « on ne s’ennuie pas en cours ». Ce témoignage d’étudiant révèle un sentiment d’efficacité face à la tâche à réaliser et une participation active en cours de TD.
Nous nous positionnons alors au niveau de la pédagogie sur l’échelle de codétermination didactique. En ce sens, nous observons également, une évolution des présentations qui deviennent de plus en plus participatives (Bédart et Raucent, 2015). Les films de séances, réalisées au deuxième semestre révèlent que les étudiants prévoient des jeux coopératifs en petits groupes. Le trinôme du groupe 1 filmé présentant une séance sur la grammaire en cycle 3, propose un « jeu de Memory » pour faire comprendre et retenir des concepts didactiques, alors que le trinôme du groupe 2 propose une activité avec des étiquettes mots, des constructions et des manipulations de phrases utilisables en classe de cycle 3. L’évaluation par les pairs permet aux étudiantes en difficulté, notamment les étudiantes non francophones, de développer des stratégies d’écoute et de prise d’information afin de donner la meilleure évaluation possible aux groupes chargés de présenter la séance. Nous notons également que les étudiants les moins impliqués dans la tâche de préparation, malgré l’effet groupe, n’ont pas réellement progressé, étant peut-être déstabilisés par le manque de cours magistral même si, tout au long de l’année universitaire, la formatrice a encadré et accompagné les étudiants à travers ses régulations. Néanmoins, plusieurs étudiants considèrent que le fait de préparer la séance permet de se mettre en situation d’enseignement en ce qui concerne leur future fonction comme en rendent compte les témoignages suivants :
Étudiant 2 : « Cette pédagogie est très constructive, elle permet de préparer le concours dans de bonnes conditions. Cela permet de nous entraîner à notre futur métier. »
Étudiant 3 : « Cette pédagogie nous permet de nous mettre dans la peau de l’enseignant et d’anticiper les difficultés des élèves. »
Ils considèrent par conséquent être actifs dans leurs apprentissages, construire et s’approprier le savoir disciplinaire et les savoir-faire et du métier d’enseignant condition nécessaire à l’analyse didactique se situant sur l’échelle de codétermination didactique (Chevallard, 2011) au niveau de l’École considérée ici comme l’institution. Le dispositif hybride leur a permis également la construction d’une certaine autonomie pour la préparation et un enrichissement personnel pour la moitié d’entre eux. Ils deviennent donc concepteurs (Magneron et Merchan, 2017) se rapprochant de la réalité du métier d’enseignant. Cependant des contraintes apparaissent concernant la collaboration et le travail de groupes qui n’est pas toujours facile à gérer, et la préparation des séances est chronophage. Ces dernières informations permettent de nous situer au niveau de la Société sur l’échelle de codétermination didactique.
Conclusion et perspectives
Cette étude comprend des limites, car elle a été réalisée sur deux groupes de TD, elle n’est donc pas généralisable à l’ensemble des ESPE de France.
Nous constatons donc, après analyse du corpus et pour répondre aux questions que nous nous posons concernant la préparation au concours, que lorsque les étudiants s’impliquent dans la tâche de préparation de séance, leurs copies de concours blanc reflètent une réflexion didactique poussée et une meilleure réussite de l’épreuve. Nous remarquons également que la condition de réussite de l’épreuve consiste en une bonne compréhension et appropriation des programmes de l’école maternelle et élémentaire. Les instructions officielles représentent, en effet, le point de départ de la conception d’un enseignement. Nous nous positionnons par conséquent, comme nous l’avons détaillé dans l’analyse, au niveau École de l’échelle de codétermination didactique.
Le fait de préparer les séances a rendu les étudiants acteurs dans leurs apprentissages et leur travail de groupe a permis de réduire les écarts de niveaux tout en favorisant leur collaboration. Les conditions sont donc d’ordre collaboratif, la motivation correspondant à leur réussite au concours ainsi que la validation de leur première année de master. Ce qui nous amène à valider les deux hypothèses que nous avons formulées en introduction. La mise en place de la différenciation s’effectue par les pairs et par les préparations de groupe qui permettent aussi d’impliquer et de motiver les étudiants à s’impliquer dans leurs propres apprentissages.
Nous pouvons donc conclure, en fonction de la typologie définie par Lebrun et al. (2014), que le dispositif mis en œuvre a été efficace.
Cette recherche pourrait s’étendre à la formation des enseignants stagiaires en deuxième année de master. Ayant des objectifs différents de prise en main de la classe tout en travaillant sur la validation de leur master et leur titularisation, l’hybridation pourrait leur donner des pistes de travail et leur permettre de faire des liens entre le terrain, la recherche, la formation et l’influence qu’un tel dispositif pourrait avoir sur leur pratique.
Bibliographie
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Référence électronique
Jessyca Tretola, « L’hybridation en formation des étudiants de master des Métiers de l’Enseignement, de l’Éducation et de la Formation première année, mention professeur des écoles, en français », Distances et médiations des savoirs [En ligne], 26 | 2019, mis en ligne le 10 juin 2019, consulté le 30 septembre 2019. URL : http://journals.openedition.org/dms/3674 ; DOI : 10.4000/dms.3674
Auteur
Jessyca Tretola
Université Aix-Marseille, EA 4671 ADEF
jessyca.tretola@univ-amu.fr
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