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Pourquoi une grande majorité d’enseignants modifient/adaptent les ressources éducatives ? L’adaptation des ressources éducatives au cœur de la profession enseignante

Un article repris de http://journals.openedition.org/dms/9076

Le texte analyse les réponses ouvertes à un questionnaire destiné à des enseignants d’IUT, sur les raisons pour lesquelles ils modifient les ressources éducatives qu’ils utilisent dans leur enseignement. Confirmant les résultats d’une recherche précédente consacrée au travail des enseignants sur les ressources éducatives (sélection, création ou modification et partage), dans différents contextes et niveaux d’enseignement, cette étude atteste que ce travail est une composante essentielle de leur métier. Le cas des ressources dites clés en main et leur rejet par une très grande majorité d’entre eux atteste de l’importance de l’appropriation et l’adaptation des ressources éducatives dans les usages que peuvent en faire les enseignants. Déléguer une partie du travail de gestion des ressources éducatives à des plateformes numériques risque de conduire à des transformations radicales dans l’exercice de leur métier.

Éric Bruillard, « Pourquoi une grande majorité d’enseignants modifient/adaptent les ressources éducatives ? L’adaptation des ressources éducatives au cœur de la profession enseignante », Distances et médiations des savoirs [En ligne], 42 | 2023, mis en ligne le 19 juin 2023, consulté le 11 novembre 2023. URL : http://journals.openedition.org/dms/9076 ; DOI : https://doi.org/10.4000/dms.9076

Je remercie Béatrice Drot-Delange et Caroline Ladage, ainsi que les lecteurs de DMS, pour leur relecture attentive et leurs conseils avisés.

Introduction

La formation d’instructeur Zumba® Basic Level [1] (également connue sous le nom de Zumba® Basic) vous prépare avec les bases et la formule pour enseigner un cours de Zumba®. Vous apprendrez les pas de quatre rythmes de base (merengue, salsa, cumbia et reggaeton) ; comment les assembler dans une chanson ; et comment créer votre premier cours de Zumba®. Nous vous fournissons tous les outils et ressources dont vous avez besoin pour donner un cours de Zumba®. Il n’y a pas de prérequis. Le jour de la formation d’instructeur en personne et en ligne, ou lorsque vous aurez terminé votre B1 à la demande, vous recevrez les documents suivants :
– 4 Revue des rythmes de base
– La Zumba® Manuel numérique de l’instructeur de base 1
– Certificat d’achèvement Zumba® Basic 1
– Crédits de certification de remise en forme pour les formations d’instructeur (varie selon les pays)
– licence de 6 mois pour enseigner les bases Cours de Zumba®

La durée de la formation dépend du format que vous choisissez. Les formations en personne et en ligne Zumba® Basic 1 se font en une journée* (environ 9 heures). La formation d’instructeur Zumba® Basic 1 à la demande est en ligne et comprend 10 heures de contenu premium réparties en 16 modules que vous pouvez suivre à votre rythme.1

Devenir un instructeur de Zumba ne semble pas nécessiter un lourd investissement. Une formation d’une journée, en présence ou en ligne, permettrait de maîtriser les rudiments nécessaires, d’obtenir une certification et de commencer à enseigner. Toutes les ressources sont fournies et, connaissant les pas de base, il suffit de les assembler pour construire son propre cours. Ne serait-ce pas un bon modèle pour tous les enseignements ?

Cependant, dans le cas de la zumba, aucun apprentissage des participants n’est visé : l’exécution correcte des mouvements prescrits suffit à assurer les bénéfices souhaités. S’assurer de la correction des gestes est loin d’être une tâche simple et on n’attend certainement pas d’un instructeur de zumba le même registre de technicité que celui d’un entraîneur s’occupant d’athlètes visant une médaille aux Jeux Olympiques. La personne n’est pas conceptrice de son cours. Elle n’en est que l’exécutante. Tout au plus peut-elle faire un peu de Meccano en assemblant d’une façon particulière les éléments à sa disposition. En outre, rien n’est visé au-delà de la séance, censée se suffire à elle-même, nulle progression ne semble à mettre en place (« Vous viendrez pour faire de l’exercice, vous repartirez revitalisé et en pleine forme » [2]

Ainsi, on peut penser que l’instructeur zumba n’a que peu de choses en commun avec une personne dont l’enseignement est la profession. En effet, un enseignant est avant tout un concepteur et concernant les ressources éducatives, une sorte d’adaptateur en bout de chaîne. Selon le contexte et les apprenants dont il a la charge, il se doit d’aménager les ressources éducatives. Il doit les adapter à la situation, aux apprenants qu’il connaît et à sa propre façon d’organiser les choses, pas uniquement pour la séance, mais dans une visée plus large. C’est en grande partie le cœur de son travail.

Nous allons présenter les recherches menées sur cette question en commençant par les travaux liés au contrat ANR ReVEA, puis par l’analyse de deux questions ouvertes consacrées à la modification des ressources, dans un questionnaire à destination des enseignants et enseignants chercheurs des IUT (projet ANR RENOIR-IUT). Nous ferons ensuite une synthèse et discuterons quelques perspectives.

ReVEA et les ressources clés en main

Le projet ReVEA, acronyme de Ressources Vivantes pour l’Enseignement et l’Apprentissage, a été consacré au travail mené par les enseignants du secondaire sur les ressources éducatives [3]. La modification des ressources par les enseignants était vue comme une activité installée de fait : l’adjectif « vivantes » associé aux ressources étant directement lié aux enseignants, individuellement et collectivement, et aux actions menées sur les ressources (sélection, création, modification, échange…). Comme il était souligné dans le projet, ce ne sont pas les ressources qui sont vivantes mais bien les communautés qui les font vivre.

L’idée de considérer les enseignants comme des adaptateurs en bout de chaîne était l’un des points de départ du projet ReVEA et de premières investigations montraient l’ampleur et l’importance du travail sur les ressources. Ainsi, l’accès via Internet à de très nombreuses ressources aurait pu laisser penser à une simplification du travail de préparation des enseignants. Or, c’est plutôt le contraire qui s’est passé : une augmentation du temps de préparation. En effet, les attentes, voire les exigences, des élèves, des parents, de l’institution éducative et des enseignants eux-mêmes, se sont considérablement accrues : qualité, mise à jour, spécificité, multiplication des types d’activité des élèves, points de vue multiples…

ReVEA a interrogé la manière avec laquelle se constituait le rapport avec les ressources éducatives de chaque enseignant autour de quatre questions principales (Bruillard, 2020 ; Maitre et al., 2018 ; Loffreda, 2019 ; Ratompomalala et Bruillard, 2019 : Bruillard et Loffreda, 2020) [4] :

 Les caractéristiques personnelles et collectives des enseignants, leurs valeurs (hacker ou tuner), leurs expériences, croyances, connaissances, leurs intérêts personnels, leurs liens avec des collectifs locaux ou distribués.

 Les processus centraux : héritage (transmission) / Participation / Réseaux de confiance / Collections ; la transition du papier au numérique, notion de source, de catalogue, d’étagère ainsi que le PIM (personal information management, voir Drot-Delange, 2019).

 Les environnements et les infrastructures, en distinguant les niveaux individuel / établissement / régional ou national.

 Les temporalités, de la carrière (continue) aux temps de planification et de préparations d’une séance.

Des investigations complémentaires ont été menées, notamment sur l’analyse des photocopies faites dans les établissements à partir des données du CFC (Centre Français de la Copie), montrant l’augmentation du nombre de photocopies réalisées (hybridation papier et numérique) et le lien fort avec le rapport à l’écrit des élèves : faire écrire les élèves ou pallier leur manque de compétences d’écriture (Bolaert et Khaneboubi, 2016 ; Khaneboubi et Roux-Goupille, 2020).

Un premier résultat s’est rapidement imposé : les relations entre les enseignants et leurs ressources éducatives sont loin d’être uniquement techniques. Dans une enquête de type ethnographique dans un lycée, allant également interviewer les enseignants chez eux, dans leur intimité, Magali Loffreda (2021) montre l’importance de la gestion matérielle des ressources par les enseignants ; elle joue un rôle très important dans leur développement professionnel. Ses travaux mettent en évidence plusieurs dimensions dans la relation aux ressources éducatives : une dimension pratique ; une dimension créative ; une dimension affective, biographique et intime ; une dimension professionnelle et sociale. Ces quatre dimensions permettent à l’enseignant d’agir sur son environnement et de développer sa confiance en ses capacités à faire classe face aux élèves.

Un point intéressant est celui des ressources clés en main (turnkey resources), c’est-à-dire des ressources directement utilisables avec les élèves sans nécessiter d’adaptation. C’est le but de nombreux concepteurs. Ainsi, dans les appels d’offres nationaux de recherche en éducation (comme les PIA, programmes d’investissement d’avenir), il faut pouvoir « prouver » qu’un dispositif pédagogique, une ressource éducative fonctionne. Pour cela, il faut minimiser la part d’aléa et que l’enseignant ait le moins possible d’initiatives à prendre afin que le dispositif puisse automatiquement « passer à l’échelle », puisque c’est la représentation quasi-unique que les financeurs ont du rôle la recherche. Cela rejoint une vieille idée décrite par Alan Purves sur les manuels teacher-proof, qui résisteraient aux pires enseignants (Bruillard, 2005).

Or, les enquêtes montrent que l’idée de ressource clé en main ne correspond pas aux pratiques installées et qu’elle est rejetée par la majorité des enseignants (Bruillard, 2020). Pour eux, il y a une nécessité d’adaptation : (1) aux programmes, (2) aux élèves, à la classe (3) à leur progression (4) à leurs habitudes, préférences, à leur philosophie de l’éducation. En outre, les enseignants ont besoin de s’approprier et de se réapproprier régulièrement les ressources éducatives qu’ils utilisent, pour en avoir une connaissance approfondie, avoir la possibilité de répondre aux questions des élèves, de faire des liens… [5] Toutefois des ressources clés en main peuvent être utiles pour les débutants, lors de nouveaux programmes ou pour aborder des parties non encore maîtrisées, mais seulement provisoirement. De telles ressources sont également utiles, comme support d’une activité dans laquelle elles sont discutées, éventuellement critiquées (en partie détournées de leur objectif initial).

Dans le cadre d’une extension du projet ReVEA, Isabelle Quentin a effectué un travail spécifique sur les enseignants en BTS Banques Conseiller de clientèle (des personnes du secondaire enseignant en post-baccalauréat). Il s’agissait d’explorer des questions similaires sur les ressources, non plus au niveau collège ou lycée, mais en postbac, dans des formations en rapport avec des milieux professionnels. Elle a pu ainsi montrer l’opérationnalité des notions développées au sein du projet ReVEA dans un contexte différent mais relativement proche.

Les enseignants de BTS Banques interrogés modifient les ressources éducatives et, s’il leur arrive de ne pas le faire, ils trouvent des justifications. Ainsi, le commentaire de deux enseignantes, interviewées par Isabelle Quentin (2017), résume le rapport ambigu avec les ressources clés en main :

Parce qu’en fait on a besoin de digérer, cela m’est arrivé de prendre des choses telles quelles.

En fait souvent je suis bien contente parce que souvent cela m’enlève une épine du pied parce que je n’avais pas le temps de préparer mais au final je ne suis jamais satisfaite car il me manque toujours quelque chose ou il y a des choses qui sont en trop et donc finalement on a été obligé de les traiter alors que ce n’était pas indispensable dans la progression. (Enseignantes BTS Banques, Quentin, 2017)

Notons un positionnement différent s’agissant des documents venant des agences bancaires. En effet, ces documents ont un statut particulier et sont, en quelque sorte, dépositaires d’une certaine « réalité » professionnelle. Or, la plupart des enseignants n’ont pas d’expérience professionnelle dans le milieu de la banque. Ils demandent à leurs étudiants de collecter pendant leurs périodes de stage des documents utilisés en agence bancaire et de leur transmettre à leur retour dans l’établissement scolaire (documents publics ou documents internes en général anonymisés).

Isabelle Quentin (2017) explique que ces documents ne sont pas ou peu transformés, mais utilisés tels quels, plutôt comme illustration, afin de conserver leur authenticité professionnelle.

Ils restent bruts, je ne transforme pas les documents professionnels.

Je / euh / les transforme assez peu, je peux être amené s’ils sont très longs à en prendre des extraits mais sinon j’essaie de les garder les plus authentiques possibles. (Enseignantes BTS Banques, Quentin, 2017)

Le critère d’authenticité s’applique ici à des documents « en usage » dans le monde professionnel. Leur authenticité repose sur cet usage et disparaît quand l’utilisation se termine. L’enseignant s’en sert comme illustration (comme d’une référence au monde professionnel) qu’il n’est alors pas question de modifier. Le document pourrait aussi être un objectif d’apprentissage : c’est le cas par exemple dans les formations FLE (Français langues étrangères), notamment pour des migrants, la capacité à remplir un document administratif est un objectif de formation. Dans ce cas, on ne modifie pas le document, mais on peut ajouter des informations facilitant sa compréhension et son traitement.

Mais si le document intervient dans la progression pédagogique de l’enseignant, qu’il devient ainsi une ressource éducative, des transformations plus ou moins importantes peuvent être nécessaires.

La transformation a consisté à transformer le matériau professionnel en matériau pédagogique parce que j’avais une méthodologie qui était plus adaptée au référentiel. (Enseignante BTS Banques, Quentin, 2017)

Disons qu’il y a le regard du professionnel et le regard de l’enseignant et donc il y a toujours des petites adaptations. Moi, j’ai un regard de prof, je sais ce que je veux obtenir. Moi ce qui m’intéresse parce que je n’ai pas travaillé dans le domaine bancaire, c’est les documents de terrain, la réalité du terrain et après la forme pour l’utilisation, c’est ma sauce à moi. (Enseignantes BTS Banques, Quentin, 2017)

Le contexte des BTS se rapproche de celui des IUT : des formations postbac censées être professionnalisantes avec des programmes nationaux et des apports attendus du monde professionnel. Le projet RENOIR, consacré aux IUT, a permis notamment de réinterroger la question de l’adaptation des ressources éducatives par les enseignants.

RENOIR : les ressources dans les instituts universitaires de technologie (IUT)

Le projet ANR RENOIR-IUT élargit les questionnements sur les ressources éducatives en mettant en perspective trois objectifs. Le premier consiste à modéliser les interactions entre l’exigence de professionnalisation et la production de ressources pédagogiques. Le deuxième est d’analyser la structuration de l’offre de ressources, ses ressorts et ses évolutions, ainsi que ses implications en termes de médiation et de rapports aux savoirs. Le troisième est de modéliser les pratiques situées des enseignants avec et sur les ressources, en termes de sélection, de conception et de transformation des ressources, mais aussi en termes de gestion de l’information.

Derrière ses trois objectifs, des questionnements sur les ressources clés en main apparaissent : des liens possibles entre professionnalisation et ressources clés en main ; le poids de tels types de ressources dans l’offre ; leur mise en œuvre par les enseignants et leurs pratiques éventuelles de modification des ressources.

Une campagne d’entretiens a notamment été menée pour répondre à ces différentes questions (nous n’en rendons pas compte dans ce texte) et un questionnaire a été élaboré et distribué par l’équipe du laboratoire ADEF [6], à la question concernant la modification de supports, 96,4 % des enseignants de l’échantillon global déclarent « assez souvent » ou « très souvent » créer eux-mêmes leurs propres supports de cours et 84,5 % des enseignants de l’échantillon global déclarent ne « jamais » ou « rarement » utiliser tels quels des supports déjà existants.

Comme une question ouverte suivait la demande concernant la modification, le questionnaire a permis de recueillir un matériau important sur les raisons sous-jacentes à la mise en œuvre d’une adaptation. Nous allons analyser les différentes réponses obtenues.

« Si vous adaptez les contenus des ressources que vous utilisez, pourquoi ? »

La première question ouverte que nous allons étudier porte sur l’adaptation des ressources éducatives utilisées en formation et plus précisément leur contenu : « Si vous adaptez les contenus des ressources que vous utilisez, pourquoi ? » La question suivante a trait au « support », nous la verrons dans la section suivante.

Près des trois quarts des répondants (71,6 %) ont déclaré adapter les contenus « assez souvent » ou « très souvent » d’une année sur l’autre. 668 personnes ont répondu à la question ouverte qui suivait, ce qui donne beaucoup de petits textes avec de très nombreuses similarités. Trier l’ensemble des réponses obtenues est apparu important pour essayer de comprendre l’éventail des raisons invoquées et déterminer les plus importantes. Il s’agit ici d’adaptation et non de sélection des ressources. Ces dernières sont censées répondre aux objectifs de formation (mais pas parfaitement), nécessitant ainsi une « adaptation en bout de chaîne ». Ce sont les raisons sous-jacentes à ces adaptations qui sont demandées. Nous avons alors élaboré un cadre d’analyse.

Cadre d’analyse : des raisons personnelles, pédagogiques ou techniques

Les raisons motivant l’adaptation des ressources ont été analysées dans ReVEA (voir plus haut). Elles peuvent se ranger en trois grandes catégories, correspondant à une nécessité personnelle, pédagogique ou technique.

Un enseignant adapte une ressource :

 pour lui-même, adaptation à son cours, sa propre logique et pour se l’approprier ;

 pour les étudiants, à leurs attentes et à leur « niveau » ;

 selon le contexte qui se décline en (1) programmes, objectifs, (2) évolutions ou actualité, (3) contexte local, matériel, entreprises…

Toutes les combinaisons de ces trois différentes raisons sont possibles. On peut repérer quelques réponses que l’on pourrait qualifier de complètes, c’est-à-dire reprenant les trois types de raisons.

Ainsi, la réponse « Pour me les approprier et les adapter aux circonstances et aux spécificités du public étudiant » fournit de manière lapidaire les trois raisons principales : l’appropriation personnelle, le lien avec le contexte (ici les circonstances) et la prise en compte des apprenants. Ou encore : « pour les connaitre, pour être dans le programme, pour correspondre aux attentes, pour être en adéquation avec mes étudiants, pour suivre l’actualité », montrant notamment la nécessité personnelle d’avoir une bonne connaissance des ressources et l’importance des mises à jour.

Cela conduit les enseignants à mettre en œuvre une triple adaptation : « Pour que ce soit cohérent avec ma logique de progression du cours, pour que celle-ci soit la plus compréhensible et fluide pour les étudiants. Pour montrer aux étudiants des prolongements du cours, pour leur montrer des exemples d’applications locales. »

Enfin, la nécessité des modifications à entreprendre est bien argumentée :

Les matières enseignées sont toujours en évolution (droit, économie, management). Pour rendre plus digestes certains contenus pour un public IUT, pour tenir un programme donné dans un volume horaire souvent faible pour un cours donné, ce qui oblige à synthétiser parfois et aller à l’essentiel

La citation suivante exprime les contraintes du contexte, les évolutions des étudiants, puis une phrase commençant par « je » pour exprimer un point de vue pour soi.

1. Les approches et outils informatiques évoluent continuellement

2. Les étudiants sont de moins en moins autonomes et ont de moins en moins de méthode de travail en sortie du secondaire : il faut donc s’adapter (et re-re-re-répéter)

3. J’essaie de changer la forme de quelques exercices fondamentaux : c’est surtout pour moi, pour m’éviter la monotonie

Nous allons passer en revue les trois catégories d’analyse que nous avons retenues pour l’expression des raisons invoquées pour adapter les ressources pédagogiques. Nous reviendrons dans la discussion sur ce qui peut fonder la catégorisation utilisée.

Auparavant, il nous semble utile de citer une dernière réponse : « C’est une question de pertinence et de sensibilité. » Cette formule lapidaire peut être diversement interprétée : la sensibilité, dans le rapport à soi-même ? la pertinence est un jugement d’adéquation entre deux choses : une ressource et des objectifs ou des attendus, également une ressource et un public ? Cela montre la difficulté du codage. Nous avons mis de côté cette réponse, en raison de son caractère trop allusif.

Nous décrivons en annexe 1 la méthode de codage que nous avons adoptée. Pour ce que nous exposons dans ce texte, une parfaite fiabilité du codage n’est pas requise (nous ne faisons aucun croisement). Mais nous allons le reprendre au sein du projet RENOIR, en utilisant des règles strictes et communes, dans l’optique de faire des croisements avec diverses caractéristiques des participants, notamment le genre, l’ancienneté et la discipline enseignée.

Pour repérer d’éventuels contrastes entre enseignants d’IUT et du secondaire, Magali Loffreda a recueilli quelques réactions d’enseignants de lycée à cette question de la modification des ressources (voir l’annexe 2). Bien qu’en IUT les élèves soient plus âgés et soient dans un cursus professionnalisant, il est difficile de repérer des différences entre les réponses des enseignants de lycée et ceux d’IUT. Les trois grandes catégories justifiant l’adaptation sont présentes, mais rarement ensemble dans une seule réponse.

Nous allons maintenant préciser et illustrer la manière avec laquelle les répondants argumentent la modification des ressources éducatives.

S’adapter « à moi » afin d’être mieux préparé, plus cohérent et éviter l’ennui ?

Comme le dit un répondant, « Difficile de “vendre” un cours, une ressource, préparé par quelqu’un d’autre ». Ainsi, l’adaptation assurée peut être d’abord pour soi : « Pour les faire “à ma sauce” (je n’arrive pas à utiliser telle quelle une ressource sans la modifier). » Les expressions utilisées s’appuient beaucoup sur des adjectifs personnels : mon, ma, mes, avec des noms qui suivent.

L’adaptation est ainsi nécessaire « parce que j’ai besoin de me les approprier, de les expérimenter et d’en être convaincue ». Cette maîtrise et cette appropriation des ressources pédagogiques correspondent à des expressions telles : me familiariser, me l’approprier, me faciliter le cours, se sentir à l’aise avec un contenu qui me correspond, maîtriser le contenu de A à Z, m’imprégner et vivre les ressources…

Pour se sentir à l’aise, pour les maîtriser et pour qu’ils répondent parfaitement aux objectifs pédagogiques fixés.

Cela me permet de mieux contrôler ma séquence pédagogique et de réagir rapidement à l’interaction avec le groupe

Le « niveau » personnel est également pris en compte : mes propres connaissances, mon expérience pédagogique, mes propres formulations…

Pour maîtriser mon cours, l’adapter à ma façon d’enseigner et utiliser des logiciels dont j’ai l’habitude

Ensuite les buts poursuivis ont un caractère personnel : mes problématiques, mon objectif, mes objectifs pédagogiques, ma demande, mes choix pédagogiques

La construction du cours (de mon cours) : mon propre raisonnement, ma propre logique, ma logique de cours, mon fil conducteur, ma pédagogie, faire à ma façon, mes façons de traiter les sujets/concepts, ma vision pédagogique…

Pour conserver la cohérence avec mon fil conducteur, insister sur certains points qui me semblent importants, prendre quelques libertés par rapport au PPN.

C’est mon cours. Les ressources me servent à rassembler des connaissances, du matériau, si besoin. Ensuite je bâtis mon propre cours.

Enfin des particularités et intérêts personnels : ma personnalité, mon style, ma façon d’enseigner, ma manière d’enseigner, ma vision des choses, mon goût… « Et je préfère ajouter ma patte dans la façon de dire les choses ».

Goût particulier pour la culture en général et pour le développement durable. J’ai tendance à adapter mes cours en fonction de ces goûts personnels.

Il y a très souvent une recherche de la meilleure adéquation (ou correspondance) possible : « je n’aime pas reprendre telle quelle une méthode qui ne me correspond pas forcément », « Parce qu’ils ne correspondent pas parfaitement à ma façon de voir », « Afin de faire apparaître ce que je juge important pour les étudiants ».

Certains préfèrent créer eux-mêmes leurs cours : « Je crée tous les contenus de mes ressources. » C’est bien évidemment le cas dans des disciplines dépourvues de ressources pédagogiques.

Le contenu des ressources étant très spécialisé (journalisme télévisuel), il n’y a quasiment aucun support universitaire sur lequel s’appuyer et je dois donc créer les contenus moi-même.

Le renouvellement annuel est jugé obligatoire, « pour des raisons pédagogiques et parce que je déteste le plagiat », mais aussi « pour le plaisir de varier les contenus d’une année à l’autre => modifications des applications et exemples ».

J’ai besoin de renouveler une partie selon l’actualité sociale et pour ne pas m’ennuyer à trop répéter

Si parfois les ressources sont prises telles quelles ou très peu adaptées, c’est pour « gagner du temps » ou parce que cela n’est pas jugé nécessaire :

Nous sommes transmetteurs de savoir pas créateurs : la science ne nous appartient pas. Si la ressource correspond au message que je souhaite faire passer pourquoi ne pas l’utiliser ?

En fait, l’adaptation est bien un processus de sélection partant d’un ensemble « source d’inspiration, recherche d’une certaine exhaustivité » suivi d’un processus de transformation, « pour affiner le contenu à mon besoin ».

Quelques réponses ont été codées ME, montrant que pour bien s’adapter aux étudiants, il est nécessaire de bien connaître et maîtriser ce que l’on souhaite leur transmettre « car un cours n’est jamais aussi efficace que quand l’enseignant·e se l’est approprié. Car un contenu doit être en permanence adapté aux étudiant·e·s et à leur progression ».

pour les adapter à mes objectifs et me les approprier. Je serais incapable de récupérer un doc sur Internet et le distribuer tel quel à mes étudiants : premièrement ce serait du vol intellectuel, deuxièmement un public ne vaut pas un autre, donc j’aurai l’impression de ne pas faire mon travail.

S’adapter aux étudiants, public toujours nouveau

Comme nous l’avons vu, beaucoup de répondants mettent en seule et unique raison l’adaptation aux étudiants pour modifier les ressources, notamment afin de les rendre « accessibles aux étudiants ». Il peut s’agir de simplifier, par exemple de choisir les informations les plus importantes, « afin d’éviter que l’étudiant ne se perde dans un trop grand nombre d’informations ». Mais parfois de complexifier :

Parce que les contenus sont soit trop compliqués soit trop simplifiés que ceux prévus dans le cadre d’une formation à l’iut. Donc j’essaie de créer un équilibre entre le trop simple (souvent provenant du secondaire) et le trop compliqué (souvent des sources provenant de l’université)

En effet, « question de public : les contenus ne sont pas universels (dans ma branche), et doivent toujours être réadaptés ».

Adapter les ressources pour les étudiants, c’est aussi « rendre plus pédagogique le contenu ». « Les rendre accessibles aux étudiants de manière intéressante d’un point de vue pédagogique, quasiment ludique (toute proportion gardée !) ». Comme les remarques sont courtes, difficile d’avoir une idée plus précise des modifications alors opérées (que l’on aura parfois avec la question suivante).

Des répondants affirment que leur public change. Une manière de s’adapter consiste à enquêter, voire plus simplement à discuter avec les étudiants, afin de mieux comprendre leurs éventuelles difficultés, également avec les tuteurs de stage ou des représentants des entreprises partenaires. D’autres évoquent la prise en compte des retours : « Évolution par rapport aux retours des étudiants, aux retours des professionnels. »

S’adapter au contexte : programmes, évolutions diverses, spécificités locales

La question du contexte concerne la partie la plus technique légitimant ou nécessitant la modification des ressources pédagogiques. Cela revient à la

Mise en adéquation avec les objectifs des programmes – Ajustement au temps disponible, au public – Séquençage de la pédagogie – Correction d’erreurs

Le problème des volumes horaires revient plusieurs fois, jugés insuffisants, à la fois de manière générale, en lien avec l’organisation des enseignements (« Plus efficace pour la cohérence entre les CM et les TD et pour correspondre au volume horaire nécessitant de faire des choix quant aux thèmes abordés ») ou du fait de réinterprétations locales : « Les volumes horaires affectés à la matière par la structure sont inférieurs à ce que le programme national prévoit officiellement », « Les volumes horaires ne sont pas les mêmes partout ».

La nécessité de tenir compte des évolutions multiples est souvent mentionnée. Il faut « être à jour avec l’état de l’art », « mettre à jour les informations », « suivre l’évolution des technologies ».

Le cas de la réglementation et de ses évolutions est cité plusieurs fois avec la « nécessité d’actualiser les informations juridiques d’année en année » et l’« évolution réglementaire » (« Évolution de la réglementation et utilisation de l’actualité pour les études de cas »).

Pour le local, il faut « tenir compte du tissu économique régional ainsi que des exigences locales » et pour « les TP, il est nécessaire de les adapter au matériel, aux équipements disponibles sur site ».

Quelques-uns signalent la correspondance partielle entre le contenu et la compétence visée par les professionnels locaux.

Changer pour éviter la tricherie, pas pour professionnaliser

Quelques enseignants considèrent que des modifications sont indispensables afin d’éviter que les étudiants reprennent ce qui a été fait l’année précédente : « Je change pour éviter que les élèves ne se transmettent les devoirs d’une promotion à l’autre et aussi car j’aime changer et apprendre de nouveau sujet avec les élèves », « nécessité d’actualiser les contenus pour éviter la transmission entre étudiants d’une promotion à l’autre ».

Au niveau du cours j’ai beaucoup adapté pour que cela colle aux attentes du BUT mais je change peu mon cours d’une année sur l’autre. Par contre je change systématiquement les exercices d’une année sur l’autre sinon les étudiants arrivent avec la correction de l’an dernier et donc ne cherchent pas à comprendre, ils ont déjà les réponses ce qui ne les encourage pas à réfléchir.

Mais l’adaptation des ressources n’est pas forcément le plus difficile :

Parce que l’angle d’attaque pédagogique est intéressant. Trouver des ressources, adapter, c’est facile. Choisir, en fonction de la ressource, quelle ingénierie d’approche des concepts, ou d’approche d’évaluation c’est plus difficile.

Notons que le travail collectif est très peu cité, comme s’il était quasiment inexistant (mais d’autres paries du questionnaire y faisaient référence). Certains signalent que des ressources viennent d’autres collègues, nécessitant leur adaptation, comme on l’a vu plus haut. Mais d’autres items du questionnaire ciblent le travail collectif.

Quand on fait le parallèle avec le discours des enseignants en BTS Banques, on note que dans les réponses au questionnaire, la notion d’authenticité des ressources n’apparaît pas. Personne ne la cite.

S’agissant de la professionnalisation, si elle est certainement centrale pour les IUT, elle n’intervient que de manière incidente dans la création et la modification des ressources éducatives. Ainsi, on n’observe que 18 occurrences de la racine « profession » dans les 668 commentaires. Elles correspondent pour l’essentiel à des références : « attente des professionnels », « exigences des professionnels du métier », « échanges avec les professionnels », « enjeux professionnels actuels », « besoins professionnels », ce qui est « visé par les professionnels locaux », « spécificités du monde professionnel local », « ressources et documents du milieu professionnel ». Avec une sorte d’injonction : Il faudrait « davantage “coller” à la pratique professionnelle », pour former le « futur professionnel », mais ce n’est pas directement le travail de conception et de modification des ressources pédagogiques. Il ne s’agit pas de « professionnaliser » les ressources, ou de les adapter au monde professionnel.

En fait, si le monde professionnel fournit des objectifs et des références, le processus de professionnalisation est sous le contrôle des personnels de l’IUT et l’adaptation des ressources est cohérente avec ce contrôle.

« Si vous adaptez les supports des ressources que vous utilisez, pourquoi ? »

Remarque : dans cette question, le « r » du mot pourquoi avait été oublié dans le libellé du questionnaire, certains répondants l’ont signalé, je l’ai remis ici.

Une seconde question concernait l’adaptation des ressources éducatives. La première mentionnait les contenus alors que cette question traitait des « supports » et comme on l’a vu, 84,5 % des enseignants de l’échantillon global ont déclaré ne « jamais » ou « rarement » utiliser tels quels des supports déjà existants, c’est-à-dire n’utilisant pas les ressources sans les modifier.

573 personnes ont répondu (un peu plus de la moitié) à la question ouverte qui suivait.

Cette question, faisant suite à la question sur l’adaptation liée au contenu, n’a pas été bien comprise. Toutefois, les réponses formulées recèlent un intérêt indéniable.
Une incompréhension intéressante

L’incompréhension du passage entre « contenu » et « support », attendue par les conceptrices du questionnaire, est attestée dans de nombreuses réponses. Ainsi, beaucoup ont choisi de répondre comme dans la question précédente. Le mot « idem » a été utilisé 32 fois, afin d’éviter de recopier la réponse. On trouve également plusieurs fois « même remarque », « même raison », « même chose », etc. (« Parce que la même réponse, ou alors je les ai pas comprises »). L’oubli de la lettre « r » renforce la confusion.

Il manque un « r » dans la question. Je ne comprends pas la différence avec la question précédente. Je dirais, si j’ai bien compris, pour les mêmes raisons.

Il semble que certains ont essayé de deviner le sens que pouvait avoir la question et le mot « support ».

J’intègre dans des documents texte ou des powerpoint des liens ou des images de nature variée, j’imagine que c’est ce qu’on appelle une adaptation de support.

En tous cas, la notion de support n’est pas simple : surface d’inscription d’une écriture ? C’est justement la spécificité du numérique ou de l’informatique de passer quasi instantanément d’un support à l’autre : du disque dur à la clé USB, de la disquette à l’écran, d’un ordinateur à un autre, etc. (mais il faut toujours un support pour l’écriture informatique). On peut dire que le support est lié au mode de communication (oral, écriture, dessin…) mais pas à la langue utilisée et suggère une opposition entre la forme et le fond.

Pendant longtemps, des discours ont opposé le « support papier » au « support informatique », véhiculant une opposition souvent factice entre numérique et non numérique. En effet, le papier sorti de l’imprimante est bien un support d’inscription particulier.

La différence est liée aux traitements possibles de l’écriture : sur le papier, on peut surligner, barrer, annoter, etc. mais ces modifications restent sur le support et ne sont pas associées à l’écriture initiale. Sinon le support peut être un logiciel particulier, offrant justement des traitements spécifiques.

75S’agissant de l’adaptation des supports, on pourrait voir cette question comme étant celle du comment, instruments et processus qui concourent à cette adaptation, mais elle est mal posée.
Que veut-dire la notion de support pour les répondants ?

76Uniquement deux personnes reprennent l’idée du passage papier-numérique : « Passage papier cours en ligne (Moodle) », « Pour numériser d’anciennes ressources au format papier ». Mais, comme l’affirme un répondant : « je travaille exclusivement en numérique. Mes supports peuvent être imprimés comme consultés en ligne. »

Le passage à distance, lié au confinement (« pour m’adapter au cours à distance par exemple »), a bien évidemment des effets sur le format des ressources.

Pour les rendre plus vivants et attractifs pour les étudiants. Avec le covid je suis passé du tableau noir au tout numérique...

Faciliter les moyens de communication (montée en puissance des cours à distance)

Adaptation des supports principalement dans le contexte COVID : recours à des vidéos you tube, des cours enregistrés, des supports numériques partagés (tableaux partagés, etc.)

Cette dernière réponse évoque des formes de travail différentes (tableaux partagés) et des ressources utilisées de manière asynchrone (pas pendant le déroulement du cours).

La deuxième interprétation repose sur une distinction forme-fond, les idées seraient le fond et le support, la forme : « pour parfaitement maitriser le fond et la forme. »

En accord avec cette distinction fond-forme, des commentaires vont qualifier les modifications opérées sur les ressources : « Pour les rendre plus attractifs, et visuellement plus esthétiques. »

Le mot « esthétique » apparaît 3 fois dans ce corpus, jamais dans le précédent (consacré à la modification des contenus).

Ludique, animé et très numérique
Pour les rendre plus dynamiques, attractifs
Pour qu’ils soient plus communicants. Souvent il y a trop de texte, pas d’illustration

Au service d’une lisibilité accrue,

Pour aérer le contenu, augmenter la police, surligner les mots importants et verbes d’action.

Et d’une meilleure finition pour les apprenants

Pour plus de dynamisme et de concret,
reprises de schémas, figures, données existantes : pas refaire des documents existants

Mise en forme personnelle nécessaire. Format numérique (diaporama en général) mis à disposition des étudiants après le cours.

Avec la distance, la qualité du cours repose moins sur le discours de l’enseignant et l’interaction avec le groupe que sur l’attractivité offerte par les supports.

Pour les mêmes raisons et pour avoir une homogénéité graphique, « les supports sont adaptés pour créer un visuel propre à la formation dispensée, pour développer un sentiment d’adhésion / appartenance chez mon public étudiant ».

L’homogénéité, voire l’uniformisation, est recherchée afin de respecter des normes collectives

Car je souhaite les mettre aux standards de l’IUT en respectant les sources
Pour les calibrer selon la charte graphique IUT.

Aussi pour des raisons techniques :

Pour avoir le même type de supports (slides latex)

Pour les rendre chaîne éditoriale compatible de façon à pouvoir travailler en comodalité

Nécessité d’anonymiser les dénominations sociales, les noms de marque...

Cela permet de visualiser, de concrétiser le cours et l’institution dans lequel il est dispensé. On retrouve les adjectifs possessifs (mon, ma, mes) attestant d’une touche personnelle :

Mon visuel, uniforme sur tous mes cours

Pour les mettre dans une mise en forme commune à l’ensemble de mes documents.

Pour qu’ils aient une mise en forme conforme à ma personnalité

Pour uniformiser la forme avec mes standards

Pour rendre plus attrayant mon cours en variant les supports

Pour que la forme soit en adéquation avec mes pratiques (je passe souvent en diaporama)

La notion de cours conduit à justifier et nécessiter l’adaptation des ressources, afin qu’elles soient compatibles (« Pour l’englober dans un cours “global” »).

Les supports sont adaptés pour être enregistrés dans un support de cours unique envoyé aux étudiants (PDF du cours). Les articles distribués sont remis en forme sous Word pour assurer une homogénéité et en faciliter la lecture des articles distribués (ils ne sont jamais remis sous forme de simple photocopie).

On peut y voir des choix de « scénarisation » du cours. Ce dernier peut être un objet global, qui agence et homogénéise des ressources venant de différentes sources, vu comme le « support de cours » ou les séquences en salle en interaction avec les étudiants.

Sinon, pour en revenir à la notion de support, cela peut être un logiciel particulier. Mais reste une volonté de marque personnelle : « homogénéisation de la forme, adaptation au style personnel », « Intégration à mes supports de cours – Adaptation aux objectifs du cours ».

Il y a également des contraintes : formes d’utilisation (« pour les distribuer ou le projeter »), contraintes de temps (« pour les faire tenir dans le temps imparti »).

C’est une simple question technique : un logiciel privilégié avec un style particulier ou des valeurs par défaut (format comme logiciel).

La notion de support, sur le plan logiciel, devient un format (« parfois un pwpt plus adapté qu’un doc »).

Les supports sont rarement pratiques, PDF, ppt, html, ou formats fermés… Je présente tous mes supports en markdown avec hackmd.io. les avantages sont la souplesse, la facilité, la rapidité, la qualité de présentation, la portabilité… Tous les contenus sont donc réutilisables très facilement par d’autres

Pour résumer, une adaptation du support correspond à un besoin d’uniformisation (choix logiciel, présentation), d’entrer dans une chaîne, de prévoir certaines utilisations (projection, distribution), des effets recherchés (au-delà des contenus), ou l’adoption d’une forme pour des raisons de norme, d’affiliation (à une institution) et de vision personnelle.

Les supports : reprise des trois catégories

On retrouve largement les trois catégories utilisées pour analyser la question précédente.

D’abord, l’aspect personnel correspond à l’affirmation de ceux qui créent tout par eux-mêmes.

Je préfère utiliser mes propres supports car cela fait partie de la préparation du cours. Réaliser le support permet de réfléchir à la pédagogie utilisée

Non, je préfère ne pas adapter des supports (trop longs), je préfère les créer.

Ainsi, réaffirmant une volonté de maîtrise du contenu, un répondant précise : « Parce que je tiens à m’approprier le contenu et ça passe par un changement/modification du support. »

Je n’aime pas utiliser un support tiers, je préfère le réécrire pour mieux le connaitre, le maitriser, et être plus à l’aise lors de son utilisation
[…] ne me conviennent pas au niveau présentation, durée, longueur… et organisation.

Il arrive de plus en plus souvent de trouver des supports de ressources qui répondent à 80° % du besoin. Donc inutile de tout refaire mais juste l’adapter en gardant la référence d’origine.

Il s’agit également de s’adapter au public étudiant…

Certaines ressources sont bien faites mais leur accès n’est pas adapté aux étudiants actuels. Il est donc nécessaire d’améliorer l’appétence à ces ressources en les rendant dynamiques et animées.

… avec ma manière de faire :

Je fais évoluer mes supports afin de tenter de maintenir l’attention des étudiants. Je vais varier le rythme du cours et j’essaie d’illustrer avec un maximum d’exemples actuels pour susciter l’intérêt du public.

En tenant compte des retours des années précédentes :

Parce que le support précédent n’avait pas été bien accueilli par les étudiants précédemment (trop long, vocabulaire complexe, pas assez varié).

Pour tenir compte du contexte :

Correspondance partielle entre le contenu et le matériel de pratique (TP).

Un dernier exemple illustre les limites des ressources clé en main. Des modifications minimales (selon l’auteur) sont nécessaires pour faire fonctionner dans une situation particulière, mais le produit obtenu ne « marcherait » pas dans les situations plus courantes.

Lorsqu’il m’est arrivé d’utiliser un support et sa ressource (rarissime), une fois l’an dernier, sous Covid et en distanciel, pour un cours introductif avec des logiques de « trous » : j’ai repris un support AFT, sur lequel j’ai laissé les alinéas ou des morceaux de phrase uniquement : objectif : « obliger » la prise de note pour soutenir l’attention à distance. (j’ai également enlevé les dessins « fanfans » pour les remplacer par des photos). C’était des supports basiques, pour des circonstances exceptionnelles. Cela a fonctionné avec cet usage, pour ce cours débutant et les a fait « rentrer » dans la matière ; en présentiel, je ne m’y serai pas retrouvée et vraisemblablement eux non plus.

Finalement, même si les répondants l’ont interprétée de différentes manières, la question a été productive en les conduisant à essayer de construire un discours, comme s’il s’agissait d’un entretien. En fait, ce qui émerge est la notion de cours (et pas de ressource) et dans un cours, le contenu est le plus souvent prescrit et la forme est personnelle. Parler de contenu de cours et de supports de cours est habituel et les difficultés d’interprétation montrent bien que l’on ne peut pas la transposer à la notion de ressource, qui est le plus souvent du contenu mis en forme sur un support.

Avec la réforme des IUT, les cours sont devenus des ressources, afin de changer les priorités et d’affirmer la préséance des SAÉ, les situations d’apprentissage et d’évaluation. Une telle transformation nécessiterait encore des discussions.

Discussion : mon cours, la notion intégratrice

La notion de cours est centrale. Elle articule plusieurs dimensions.

C’est d’abord une notion administrative, un découpage organisationnel. On confie à une personne (le cours de monsieur ou madame X ou Y) un enseignement d’une certaine durée, d’une certaine périodicité, souvent avec des objectifs prédéfinis et des attendus (programmes prescrits dans l’enseignement scolaire ou les PPN ou maintenant PN dans les IUT [7]).

C’est ensuite un document (ou un ensemble de documents, les ressources) qui présente, explicite les notions à acquérir, spécifie des activités, des exercices, des modalités d’évaluation… Il est notamment concrétisé par les manuels, scolaires ou universitaires, proposés aux enseignants et aux apprenants. C’est une base pour la mise en œuvre du cours qui sera vécu.

Enfin, il y a le cours vécu et ses différentes séances, dans les temps spécifiés et certaines conditions (co-présence ou distance, synchronicité…) mais intégrant des interactions plus ou moins importantes entre des enseignants et des apprenants. Du document de cours, on peut extraire un support de cours et un support ou des supports pour la séance. Les ressources sont des éléments du cours, qui ont déjà une forme et un support.

Un cours mis en place est en quelque sorte la propriété de l’enseignant, reflet d’une partie de sa professionnalité. Sa solidité est souvent liée à sa flexibilité (un roseau plus qu’un chêne), il se doit d’être périodiquement renouvelé et d’intégrer des éléments nouveaux. Le fait d’adapter des ressources externes est cohérent dans un tel contexte.

En début de carrière, les enseignants apprennent à créer et à rédiger un cours à partir d’éléments existants. Une difficulté est la double temporalité, celle longue de création et de développement du cours et celle, beaucoup plus courte, correspondant à la préparation d’une séquence (séance) (pour une description de différentes temporalités, voir Maitre et al. 2018). La manière de conduire ce processus se stabilise au cours du temps, devenant une sorte de routine.

Alors, moi j’utilise beaucoup de livres, de manuels très théoriques au départ, je commence toujours par çà […] Je pars toujours de contenus assez détaillés parce que j’aime bien connaître les choses dans le détail et puis après je vais utiliser des ressources plus abordables, plus pédagogiques. […] Cela me permet de transposer le contenu très théorique aux besoins du référentiel et à la capacité d’assimilation des étudiants. (Enseignante BTS Banques, Quentin, 2017)

Maîtriser le processus permet de satisfaire les besoins de l’enseignant. Il faut modifier les supports, « car ils ne me conviennent jamais, je fais toujours mieux, en croisant plusieurs sources ». Mais c’est toujours un travail qui se transforme au cours du temps

Corrections orthographiques. Révision de la charte graphique (couleur, logos) de la formation. Avec les années notre « œil » change sur le ressenti du graphisme de nos cours… on adapte la forme en fonction de notre ressenti actuel. (Questionnaire IUT, Ladage et Redondo, 2022)

Néanmoins, la conception demeure une activité artisanale, au cœur de la pratique enseignante, qui s’éprouve au contact des apprenants.

J’aimais beaucoup construire le support au fur et à mesure au tableau (tout en le structurant) mais j’ai constaté de grosses lacunes au niveau de la prise de notes et de la concentration. Je donne donc désormais un support lisible rédigé et je reprends chaque paragraphe en exposant des exemples au tableau avec des explications et des démonstrations à l’aide d’outils numériques lors des séances en présentiel. (Questionnaire IUT, Ladage et Redondo, 2022)

Ainsi, on peut considérer que la constitution, la mise à jour et l’enrichissement de leur cours, est une activité centrale des enseignants. Cette activité organise les autres activités menées par l’enseignant autour de la recherche de nouvelles ressources. Quand le cours n’est pas suffisamment établi, on va accepter les ressources clés en main (débutants, changements de programme, nouvel enseignement).

Ainsi, les choix opérés parmi l’offre de ressources sont orientés par les besoins de veille de l’enseignant et la potentialité qu’il juge de pouvoir intégrer au moins partiellement des ressources à son propre cours. Les formations suivies sont également une opportunité de récupérer de nouvelles ressources. Cela a d’ailleurs été bien repéré dans des études consacrées aux participants des MOOC (Massive Open Online Courses). Ainsi Chang et Dean (2016) rapportent que, dans une enquête sur les utilisateurs de la plateforme EdX (MIT et Harvard), 1/3 des répondants disent être ou avoir été enseignants et 20 % de ceux-ci enseignent le sujet même du cours. Cette enquête attestait une piste non traditionnelle d’effet positif des Mooc : fournir des ressources et des opportunités d’apprentissages aux enseignants.

Que se passe-t-il d’ailleurs quand les ressources proposées sont peu adaptables ? Une réponse intéressante peut être trouvée en remontant un siècle plus tôt : quelle place accorder à la projection cinématographique dans les classes ?

Taillibert (2016) raconte les résistances du corps enseignant face aux zélateurs d’une révolution pédagogique liée à l’image animée. Ainsi, citant G. Imhof, elle rappelle qu’au début des années 1920, « on rêvait d’une nouvelle méthode d’enseignement, d’une pédagogie du film qui, ayant ses lois propres et révolutionnaires, aurait dû se substituer au vieil enseignement oral et écrit ». Un film pourrait être projeté devant des élèves immobiles, comme dans une salle de spectacle, et « les connaissances circuleraient directement du film projeté vers l’élève, selon un modèle que les pédagogues qualifient aujourd’hui de transmissif, et qui exclut l’enseignant ». Les débats se sont largement orientés sur la place de l’enseignant dans le processus didactique.

En effet, les enseignants, de leur côté, défendaient une autre pratique : opérer des arrêts sur image afin de leur permettre de commenter les éléments significatifs du film. L’imagerie fixe « laissait toute latitude à l’expression de l’enseignant, sans jamais pouvoir être accusée de prendre le pouvoir dans le processus pédagogique » (Taillibert, 2016). Cet exemple ancien montre la difficulté d’intégrer dans les cours une technologie ne laissant pas de place à l’enseignant.

Ce problème se retrouve en partie avec les ressources clés en main. Quelle place est laissée aux enseignants ? Quel rôle sont-ils en capacité d’assumer ?
Un cadre théorique plus large autour de la notion de métier

Le choix des trois catégories (technique, pédagogique, personnel) relève d’une analyse générale des activités à caractère professionnel concernant du public, ou plus exactement des activités de concepteurs au sein d’institutions.

Plus généralement, cela rejoint les dimensions d’un métier, tel que le propose Yves Clot, « à la fois irréductiblement personnel, interpersonnel, transpersonnel et impersonnel » (Clot, 2007).

Selon la clinique de l’activité, le métier repose sur un premier pilier, la dimension impersonnelle (la tâche en ergonomie), c’est ce qui est prescrit, attendu par l’organisation.

Comme il n’y a pas d’activité sans destinataire, qu’un métier ne se fait pas seul, il y a également une dimension interpersonnelle, les collègues, les pairs, la hiérarchie, les clients ou bénéficiaires des services rendus…

La dimension transpersonnelle est celle qui contient l’histoire du métier, les règles construites par les professionnels eux-mêmes, pour faire face au réel.

La dimension personnelle correspond à ce que développe chaque personne, sa propre manière de faire, sa patte, son inventivité, son « style ».

Notre codage reprend trois de ces quatre dimensions. Si la dimension transpersonnelle n’apparaît pas, ce n’est pas en raison d’un oubli de notre part. En fait, ce qui est visé, la modification des ressources, est une action proche de la préparation de séances, qui est majoritairement personnelle selon la manière dont le métier est vécu actuellement. Elle se justifie selon des contraintes contemporaines, pas par l’histoire. Mais si l’histoire ou des règles partagées ne sont pas convoquées, c’est un indice qu’enseignant, dans le système éducatif français, n’est peut-être pas un « vrai » métier, trop marqué et contrôlé par la hiérarchie et l’institution. En effet, c’est cette dimension qui permet aux professionnels de savoir « ce qui se fait », « ce qu’on peut faire », et si « on est du métier » [8]. Consulté le 6 juin 2023.. Ce n’est pas confié à un ensemble d’inspecteurs, comme en France pour le primaire et le secondaire. En fait, aucun répertoire partagé n’est constitué autour du métier d’enseignant. Insistant sur la dimension collective du métier d’enseignant, un travail avait été entrepris au ministère de l’enseignement supérieur pour la conception d’un référentiel de compétences intitulé CoMUN (Compétences Métier utilisant le numérique), intégrant justement une base de références communes pour le métier d’enseignant. Malheureusement, le travail n’a pas été mené à terme (Boissière et Bruillard, 2021, p. 321).

127Nous nous sommes beaucoup intéressés aux collectifs, notamment ceux qui produisent de ressources, avec un travail récent coordonné par Aurélie Beauné (Beauné et al., 2019), qui pourrait porter cette histoire du métier. Or, dans l’histoire des collectifs enseignants, un changement important a été repéré, depuis des mouvements orientés vers les valeurs vers des mouvements orientés vers les normes, des ambitions de changement social qui disparaissent au profit de visions plus techniques, en phase avec l’institution. Une autre remarque, correspondant à une « permanence paradoxale » a été relevée :

celle de l’absence de collection partagée de ressources, alors même qu’une part importante de l’activité des collectifs consiste justement à produire des ressources. Ce paradoxe peut s’expliquer de la manière suivante : des espaces de mutualisation peuvent être aménagés et des principes de collection [9] peuvent être partagés mais le travail enseignant renvoie un travail d’auteur-compositeur-interprète face auquel toute tentative d’industrialisation reste vaine (Beauné et al., 2019, p. 301)

La dimension collective, transpersonnelle, peut se retrouver dans qui est appelé le « genre professionnel », pouvant être aussi une autre forme de prescription, à la fois contrainte et ressource, une diversité de manières de faire et de dire, qui permet aux professionnels de pouvoir « se reconnaître » dans leur métier.

Goigoux (2007) utilise la notion de genre et qualifie l’activité de l’enseignant comme étant multifinalisée, c’est-à-dire dirigée simultanément dans plusieurs directions. Il propose un modèle d’analyse de l’activité de l’enseignant reposant sur trois entrées qui représentent les principaux déterminants du travail enseignant et trois sorties qui figurent les effets de ce travail. Selon lui, ce que met en œuvre un enseignant, pour réaliser la tâche qu’il se donne (les trois entrées), dépend « de ses propres caractéristiques, de celles de ses élèves et de celles de l’institution scolaire ». Il retient trois orientations principales (les trois sorties) : vers les élèves / vers les autres acteurs de la scène scolaire / vers l’enseignant lui-même.

Cette catégorisation est très similaire aux trois plans de mobilisation des compétences que propose Jean-Claude Coulet (2011) : orientation vers la tâche, orientation vers autrui, orientation vers soi.

Ciblant la question du travail sur les ressources éducatives, on peut penser que l’action de l’enseignant est située, adressée, à la fois très personnelle et toujours interpersonnelle et, en un sens, non réitérable.

Il est intéressant de constater que les exemples traités sont très différents : une conception générale d’un métier pour Clot, des enseignants en général pour Coulet, des enseignants du primaire pour Goigoux, du secondaire dans le projet ReVEA et en IUT dans le projet Renoir. Pourtant des caractéristiques semblent se retrouver et on peut constater des similarités fortes entre des enseignants de maternelle et d’IUT, bien qu’exerçant dans des contextes très éloignés. Le fait d’avoir la responsabilité d’un groupe sur une durée longue et d’avoir à leur apprendre quelque chose, de mettre en place des activités et d’utiliser des ressources qu’il faut adapter.

Pour revenir aux réponses aux questions ouvertes du questionnaire concernant la modification des ressources, dans le choix des répondants, il y a sans doute des caractéristiques disciplinaires qui peuvent jouer, qui devraient transparaître dans la description des genres professionnels, également orientant plus ou moins la réflexivité sur soi-même (plus attendu en sciences humaines qu’en sciences dites exactes), mais surtout des caractéristiques personnelles correspondant à une vision de la profession. Cette vision s’est forgée dans les premières années d’exercice, via des rencontres qui ont pu être déterminantes, des contextes qui se sont avérés marquants. Que chacun, dans sa réponse, privilégie une catégorie (soi, les étudiants, l’institution), plus rarement deux, semble lié aux valeurs mises en avant : question identitaire pour les enseignants. Comme cette identité doit être assumée dans les établissements dans lesquels ils enseignent, il y a sans doute une obligation sociale d’assumer un rôle vis-à-vis des collègues, ce qui pourrait expliquer cette équirépartition un peu surprenante, dans l’ensemble des choix. Il semble que cela peut rentrer dans une sorte d’équilibre collectif. Toutefois, la question des ressources est vivante et engage profondément les personnes.

¨Parmi les enseignants et enseignantes contactés par Magali Loffreda (voir annexe 2), une d’entre elles a répondu plus tardivement. Ayant pris un peu de temps pour y réfléchir, elle croise toutes les catégories avec des précisions intéressantes. Elle termine sa liste en en soulignant le côté subjectif et un peu instable de ces choix. Faire les adaptations est un gros travail, mais semble un engagement nécessaire pour continuer ce métier exigeant :

Comme tu vois, les motivations sont nombreuses et pas forcément hiérarchisées, cela dépend de mes besoins du moment et de mon humeur.

J’avoue que cette adaptation permanente est chronophage mais je pense que cela m’a permis de ne pas me lasser de ce métier d’enseignante… sauf ces dernières années pour être honnête (Femme, prof. de lycée)

Des perspectives en demi-teinte

Reprenons l’exemple initial de d’instructeur Zumba. Il serait certainement très intéressant de conduire une enquête pour savoir comment ces instructeurs procèdent pour mettre en place leurs séances. Cela semble correspondre à une utilisation de ressources clés en mains, mais il est possible que les personnes suivent des processus d’appropriation un peu plus complexes [10].

Certaines formes d’enseignement à distance, conduisant à la séparation de différents métiers, peuvent rendre obsolète cette idée d’adaptation des ressources. Avec le découplage de la conception du cours et de sa mise en œuvre, avec des temporalités plus longues de changements du cours sous la responsabilité d’un concepteur et un animateur face aux apprenants, la question de l’appropriation se pose différemment.

Sachant que le temps consacré par les enseignants à la préparation des cours est important, des entreprises proposent des offres pour le diminuer. Il leur faut alors montrer que tout devient simple et direct, sans grande technicité. exemple, Poplab [11]. se présente comme « le couteau-suisse du savoir numérique », avec une mise en œuvre « simple : sélectionnez, commentez, agencez… et c’est tout ! ».

Le côté personnel de la préparation est encouragé, avec l’idée d’éviter à l’enseignant les tâches de classement.

Créer vos documents à votre façon ! Organisez-les en séquences, séances et leçons… ou suivant votre propre méthode. Inutile de classer, retrouvez tout grâce aux tags et au moteur de recherche.

De même, de nombreuses plateformes d’éditeurs scolaires (telle educadhoc [12]), proposent d’aider les enseignants à développer leurs propres ressources éducatives et leur fournissent des services (par exemple le suivi des élèves, la proposition de parcours et la gestion de leurs ressources).

N’y a-t-il pas ici un risque d’appâter les enseignants par des services utiles, en réponse à l’injonction des autorités éducatives, pour mieux les emprisonner ensuite ? En effet, s’ils développent beaucoup de ressources avec une plateforme, mélangeant leur travail avec des éléments issus des éditeurs scolaires, ils pourront difficilement y renoncer lorsqu’il faudra financer le service utilisé. Allant plus loin, on peut déceler le rêve de certains tenants de l’usage de l’intelligence artificielle en éducation : faire des enseignants de simples animateurs ou instructeurs au service de machines utilisant des algorithmes pour analyser et prescrire.

Une idée fortement martelée est celle d’individualisation. À public hétérogène, réponses différenciées. Les plateformes de ressources et les services qu’elles procurent peuvent apporter des réponses aux exigences des enseignants d’adapter les outils pédagogiques pour les élèves et le contexte général de leur enseignement. Mais aussi que dire d’une différenciation considérablement accrue, allant jusqu’à offrir à chaque élève les ressources qui lui sont totalement adaptées ?

Ce sont les promesses d’entreprises invoquant neuroscience et intelligence artificielle. Une étude récente en France consacrée à la collecte et au traitement de données d’apprentissage montre la grande rareté des utilisations actuelles de l’intelligence artificielle dans les ressources éducatives (Zablot et al., 2021). Certains acteurs suggèrent qu’un recours plus important à l’exploitation des données nécessiterait un changement des règles traditionnelles du métier, ce qui pose des questions délicates et ne peut s’accomplir que dans la durée. La question de la place et du rôle des enseignants demeure essentielle.

Si le modèle des services offerts au sein des plateformes de ressources se développe, jusqu’à quel point les enseignants seront-ils dépendants de ces plateformes ? Quel contrôle vont-ils pouvoir exercer ? La déqualification du métier d’enseignant risque d’être considérablement accrue avec les plateformes de services de ressources.

Une possibilité est que les enseignants s’organisent en réseaux pour produire et partager leurs propres ressources et discuter des pratiques d’enseignement qu’ils jugent efficaces (voir Beauné et al., 2019). Étroitement liée à la notion de liberté pédagogique, la production de manuels scolaires (ou d’autres ressources) par des réseaux d’enseignants peut être facilitée par Internet.

Consommateurs de ressources produites par d’autres, simples adaptateurs locaux, producteurs dans des communautés ou initiateurs de changements plus profonds sur le plan régional ou national, quel rôle joueront-ils dans une école où l’informatisation dans ses diverses formes a pris une place centrale ? Question essentielle encore largement ouverte.

Bibliographie

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Khaneboubi, M. et Roux-Goupille, C. (2020). Les documents polycopiés, un instrument au service des pratiques enseignantes pour ajuster les compétences scripturales des élèves et les contenus enseignés, Schweizerische Zeitschrift für Bildungswissenschaften, 42(1), 168-186. https://www.pedocs.de/volltexte/2020/20593/pdf/SZBW_2020_1_Khaneboubi_RouxGoupille_Les_documents_polycopiCos.pdf. Consulté le 12 juin 2023.

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Ladage, C., Khaneboubi, M. et Redondo, C. (mai 2022). Les rapports aux ressources éducatives des enseignants en informatique dans les IUT en France. Colloque Didapro 9 – DiadaSTIC « L’informatique, objets d’enseignement et d’apprentissage. Quelles nouvelles perspectives pour la recherche ? », Le Mans. https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03697904/document. Consulté le 12 juin 2023.

Loffreda, M. (2021). L’activité d’organisation des ressources éducatives par les enseignants [Thèse de doctorat], 12 janvier 2021, Université Paris-Saclay. http://www.theses.fr/2021UPASK003. Consulté le 12 juin 2023.

Loffreda, M. (Conçu et illustré par Solène Voegel) (2019). Dis-moi, comment tu ranges ? ! L’organisation matérielle des ressources par les enseignants, Livret, 75 p. http://eda.recherche.parisdescartes.fr/wp-content/uploads/sites/6/2020/09/Livret-final-1corrigé.pdf. Consulté le 12 juin 2023.

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Maitre, J.-P., Huchette, M. et Bruillard, É. (2018). Comment analyser ce que font les enseignants dans la préparation de leurs cours ? Ébauche d’un cadre conceptuel, Recherches en Éducation, 33. DOI : 10.4000/ree.2128.
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Quentin, I. (2017). Sélection, transformation et archivage des ressources éducatives. Analyses d’entretiens réalisés avec des enseignants en section de BTS Banque. Sous la direction d’Éric Bruillard, ENS Paris-Saclay, juillet 2017. http://eda.recherche.parisdescartes.fr/wp-content/uploads/sites/6/2019/03/QUENTIN_2017_entretiensBTSbanque.pdf. Consulté le 12 juin 2023.

Ratompomalala, H. et Bruillard, É. (2019). Quelle gestion des ressources éducatives par les enseignants de sciences ?, Questions Vives, 32. DOI : 10.4000/questionsvives.4467.
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Taillibert, C. (2016). Débats inhérents à l’introduction de l’image animée dans les méthodes d’enseignement. Dans A. Quillien (dir.). Lumineuses projections ! La projection fixe éducative. Canopé Éditions (pp. 77-85). https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-02177487/document. Consulté le 12 juin 2023.

Zablot, S., Ghabara, K. et Bruillard, É. (2021). Collecte et traitement de données d’apprentissage : quelles pratiques des fournisseurs de ressources ? Rapport interne EDA et ARIPEF. https://hal.science/hal-03838899/document. Consulté le 6 juin 2023.

Annexes voir l’article de DMS
 Annexe 1 : Codage des réponses ouvertes
 Annexe 2 : Réactions d’enseignants de lycée sur le pourquoi de la modification des ressources

Licence : CC by-sa

Notes

[2https://www.zumba.com/fr-FR/pages/class. Consulté le 6 juin 2023.).

[3Voir https://anr.fr/Projet-ANR-13-APPR-0006 et le site du projet https://www.anr-revea.fr/. Sites consultés le 6 juin 2023.

[4Nous revoyons le lecteur aux publications citées pour des développements sur les différents concepts que nous allons juste évoquer.

[5Notons que ce n’est pas une question de présence ou de distance, mais de synchronicité : il faut pouvoir échanger directement et dans l’instant avec les apprenants.

[6, sous la responsabilité de Caroline Ladage (Ladage et Redondo, 2022 ; Ladage, Khaneboubi et Redondo, 2022). Après quelques relances, 1033 réponses ont été obtenues. Une partie de ce questionnaire a trait aux ressources éducatives et quatre questions sont centrées sur la modification des ressources.

En Apprentissage, Didactique, Évaluation, Formation, http://adef.univ-amu.fr/. Consulté le 6 juin 2023

[7PPN : Programme Pédagogique National ; PN : Programme National.

[9https://helenabusson.pro/ressources/concepts/. Consulté le 6 juin 2023.

[11https://poplab.education/. Consulté le 6 juin 2023

[12https://educadhoc.fr/ « Éducadhoc, une application pleine de ressources ! ». Consulté le 6 juin 2023.

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