Rana Challah, « Jérôme Guérin, Stéphane Simonian et Joris Thievenaz (dir.), Vers une approche écologique de l’agir humain en éducation et formation », Distances et médiations des savoirs [En ligne], 49 | 2025, mis en ligne le 25 mars 2025, consulté le 26 mars 2025. URL : http://journals.openedition.org/dms/11190 ; DOI : https://doi.org/10.4000/13k02
L’analyse pluriréférencée des interrelations entre les sujets, leurs environnements et leurs transformations s’est imposée comme un paradigme important pour mener des recherches qui s’attaquent aux grands défis sociétaux. Elle exige une intégration profonde et articulée de plusieurs disciplines, cadres théoriques et méthodologiques pour une compréhension holistique de la complexité de ces défis.
L’ouvrage s’intitule « Vers une approche écologique de l’agir humain en éducation et formation » et est co-dirigé par trois chercheurs et Professeurs des Universités en Sciences de l’Éducation et de la Formation (SEF) : Jérôme Guérin, Université Rennes 2, membre du Centre de Recherche sur l’Éducation, les Apprentissages et la Didactique (CREAD), Stéphane Simonian, Université Lumière Lyon 2, unité de recherche Éducation, Cultures, Politiques (ECP), et Joris Thievenaz, Université Paris Est-Créteil, Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche sur les Transformations des pratiques Éducatives et des pratiques Sociales (LIRTES). Fruit d’un travail d’un collectif d’enseignants-chercheurs, cet ouvrage propose, en adoptant une approche écologique de l’agir humain en éducation et formation, une analyse pluriréférencée des interrelations entre les sujets et leurs environnements en s’appuyant sur une variété d’enquêtes issues de milieux professionnels variés.
Dans l’introduction générale, Jérôme Guérin, Stéphane Simonian et Joris Thievenaz présentent le contexte de l’ouvrage qui est le fruit d’une décennie d’expérimentations et de travaux centrés sur l’analyse de l’activité en SEF. Sur la base de plusieurs travaux, un programme de recherche visant à « articuler l’analyse du cours d’action (Theureau) et l’approche sociotechnique en SEF (Albero) dans une perspective pragmatiste (dans la filiation des travaux anglo-saxons : James, Mead, Peirce, Dewey). Plusieurs thèses, HDR, ouvrages et articles en rendent publics les résultats depuis 2012 » (introduction générale). Ces travaux ont contribué à l’émergence de concepts propres, des sémantiques, méthodes, modes de reconnaissance, de socialisation, de communications et de publications différents. Cette tendance a engendré une juxtaposition d’analyses accumulées, plutôt qu’une intégration cumulative ne permettant pas, par conséquent, d’examiner les convergences épistémiques et méthodologiques. Sur la base d’une approche écologique fédérative dans ce collectif d’enseignants-chercheurs, l’ouvrage propose un cadre d’analyse qui dépasse la simple articulation de cadres théoriques et des pratiques méthodologiques pour produire des conceptualisations pluridisciplinaires des interrelations entre les sujets et leurs environnements de formation et/ou de travail ainsi que leurs transformations dans des écosystèmes divers et variés.
Plusieurs questionnements orientent ce travail collectif :
Comment dépasser la juxtaposition d’études centrées sur les entités indépendamment des relations qu’elles co-produisent avec leur environnement ? Comment rendre compte des incidences d’un environnement tout à la fois extérieur et en relation avec le(s) sujet(s) ? Comment étudier à la fois les dynamiques de l’environnement sociopolitique et celles des acteurs ? Comment étudier ces contiguïtés, leurs relations et conséquences ? (p. 10).
L’étude de ces phénomènes prend appui sur une « dynamique située » (p. 10) dont la visée est d’étudier les processus d’interrelations et d’interdépendance entre humains et environnement, en vue de comprendre par quels processus se construisent et se transforment les habitus, les dispositions à agir ainsi que les conditions de leur activité (formation et/ou de travail).
Ces études sont fondées sur quatre principes structurants :
- Le premier principe porte sur l’analyse des conditions (physiques, sociales, matérielles, spatiales et temporelles) qui encadrent l’activité étudiée. Cette analyse vise à examiner et à décrire les caractéristiques pouvant favoriser des interactions entre un individu et une situation, avant même toute action intentionnelle de sa part. En fonction de ses intentions et de ses capacités, ces conditions offrent un éventail plus ou moins large de possibilités.
- Le deuxième principe consiste à analyser les compatibilités entre le sujet et son environnement afin d’identifier les conditions susceptibles de faciliter ou d’entraver l’activité visée, qu’il s’agisse d’apprentissages, du développement de l’individu ou de l’organisation. L’ensemble des conditions propices est alors regroupé sous le concept de « niche écologique » (p. 11).
- Le troisième principe consiste à orienter l’étude sur l’intentionnalité des acteurs présents au sein de cette niche écologique, afin d’identifier la diversité des perceptions des conditions environnantes, les motifs et raisons qui les poussent à agir, ainsi que les éléments pris en compte dans leur prise de décision, notamment dans une perspective de co-développement. L’objectif est de comprendre la manière dont se forment les dynamiques interactives entre les sujets, pour identifier les effets des changements et transformations sur les environnements et les activités humaines.
- Le quatrième principe consiste à étudier la relation entre le sujet et certains aspects de son environnement comme autant d’unités indivisibles appelées « couplages » (p. 12). C’est-à-dire les interrelations sujet-environnement ou entre sujets. Ces interrelations qui peuvent varier en fonction des intentions des sujets et avoir des conséquences plus ou moins attendues. Cela permet de rendre compte de la manière dont un sujet mobilise des artefacts selon une intention en formant un écosystème particulier.
Structurées par ces principes, les études conduites nécessitent de combiner différentes échelles d’analyse. L’approche écologique n’est pas seulement holistique, elle implique également des « analyses micrologiques » (p. 12) qui pourraient dévoiler des détails, susceptibles de s’avérer significatifs de point de vue scientifique et/ou socioprofessionnel. Ces échelles permettent de rendre compte les processus qui sous-tendent les dynamiques relationnelles entre sujets, culture, langage, artefacts donnant lieu à la formation de nouveaux écosystèmes et à des transformations diverses. C’est pourquoi le concept d’activité est mobilisé pour étudier la nature et la fonction des relations qui émergent entre les sujets et les environnements dans lesquels ils évoluent. L’activité est considérée à travers le prisme des processus, entre autres, politiques, sociaux, qui engendrent une multitude de transformations.
L’objectif de l’ouvrage est donc de formaliser un « positionnement épistémo-théorique et des pratiques méthodologiques » permettant de rendre compte de l’articulation entre les dynamiques pré-citées dans les environnements de formation et/ou de travail pour rendre compte de leurs évolutions.
Aussi, l’articulation des différentes contributions qui sont issues de disciplines différentes permet d’inscrire ce travail dans une approche pluridisciplinaire. Outre la production des connaissances, cet ouvrage a une visée pragmatique dans la mesure où il apporte une intelligibilité et un soutien à la décision. S’ajoute aussi la visée éthique qui permet de mieux comprendre les conditions de la recevabilité des travaux auprès des populations enquêtées.
La première partie intitulée « Comprendre les interrelations entre sujet et environnement » consiste en trois chapitres qui portent sur la compréhension des interrelations entre le sujet et son environnement. L’objectif est « d’élaborer un appareillage conceptuel et une méthode visant à soutenir l’intention scientifique d’intelligibilité des couplages entre l’activité des sujets et leur environnement et leurs transformations respectives ».
Dans le premier chapitre intitulé « Articuler des cadres théoriques pour approcher l’expérience du sujet dans ses interrelations avec son environnement » co-rédigé par Jérôme Guérin, Stéphane Simonian et Joris Thievenaz. En vue de mieux appréhender la complexité de l’expérience du sujet adulte, les trois auteurs mobilisent une pluralité d’approches et cadres conceptuels d’ancrages ou de méthodes et s’appuient sur une même étude de cas pour analyser, à travers des prismes différents mais complémentaires, les divers types de transactions qui s’établissent entre un sujet et son environnement ainsi que des formes de transformations et de développement qui s’opèrent à cette occasion. Les chercheurs montrent aussi que les outils de la recherche peuvent devenir des ressources qui permettent aux participants de développer de nouvelles activités et de transformer leurs relations avec leur propre environnement. De son côté, le chercheur, par son activité sur le terrain, peut être amené à modifier son « rapport à la situation de l’enquête » (p. 39). Les auteurs citent Birgitte Albero et Stéphane Simonian (2020) qui considèrent que « l’enquête scientifique est une situation potentiellement transformatrice pour chaque instance engagée (chercheurs, informateurs, financeurs, décideurs, institutions, etc.) » (p. 10).
Le deuxième chapitre « Co-construction d’un écosystème pour une vie humaine “digne” : méta-analyse du projet HA TA TUKARI » qui signifie en langue wixdrika « Eau notre vie » (p. 44), Teresa Lobo et Teresa Yurèn exposent une méta-analyse d’un projet socioéducatif développé durant une dizaine d’années par un ensemble d’Organisations de la Société Civile (OSC) au Mexique. S’appuyant sur une stratégie la soutenabilité et l’autonomie communautaire, ce travail transdisciplinaire vise à explorer la complexité des interrelations et des effets réciproques qui évoluent entre les différents éléments d’un même environnement. Sur la base d’une approche éco-anthropologique, cette contribution rend compte d’une recherche-intervention qui décrit la manière selon laquelle « l’évolution d’une propriété de l’écosystème (l’accès à l’eau potable) a eu une incidence dans la reconfiguration de l’environnement et la transformation des activités humaines ainsi que dans la conformation d’un dispositif éducatif » (p. 65). Plus précisément, les auteures reconstruisent la manière dont les interrelations entre les membres des OSC et des communautés indigènes de la Sierra de Jalisco ont permis l’émergence d’activités ayant des incidences positives sur la transformation de leur vie personnelle et/ou familiale.
Dans le troisième chapitre « Une méthode pour outiller l’analyse des interrelations qui font dispositif en instrumentant l’activité », Gaëtan Le Corre et Catherine Archieri, rendent compte d’une méthode d’enquête élaborée dans le cours d’un programme de recherche collectif en SEF. Cette méthode, construite sur le terrain de l’enseignement de l’éducation physique et sportive, vise, à partir de l’articulation de différents points de vue, à produire une analyse compréhensive de la construction d’expériences de l’enseignant et des élèves couplée aux conditions environnementales. Plus précisément, les auteurs s’appuient sur une approche ternaire et trilogique proposée par l’approche socio-technique en SEF pour articuler plusieurs échelles d’observation : l’échelle macro-scopique (politique de formation européenne, nationale, etc.) ; l’échelle méso-scopique (offre de formation, etc.) et l’échelle micro-scopique (activité du sujet quelle que soit sa fonction, etc.). Le travail a permis un enrichissement mutuel pour le chercheur et pour l’enseignant. Selon les auteurs, la méthode proposée a permis « d’étayer théoriquement et empiriquement des propositions praxéologiques susceptibles de faire évoluer l’action de formation » (p. 88).
La deuxième partie de l’ouvrage « Percevoir les conditions favorisant l’apprentissage et le développement » consiste en trois chapitres dont la visée est de documenter ce qui constitue et produit les relations sujets-environnements. Aux yeux du sujet, ces relations peuvent dépendre des significations de l’environnement ou de certaines conditions externes. C’est ainsi que l’approche écologique est abordée.
Dans le premier chapitre « Penser les possibles en contexte d’injonction implicite : Le cas de jeunes adultes engagés dans un parcours d’insertion », Maël Loquais propose une étude des processus de renormalisation de l’activité au sein des Écoles de la deuxième chance (E2C) en mobilisant le modèle de l’affordance socioculturelle. Le concept d’affordance initialement proposé par Gibson (1977) étudie « les caractéristiques d’un possible offert par un environnement, potentiellement perçu par un être vivant, qui s’actualise en possibilité lorsque la relation sujet-environnement se produit du point de vue sensorimoteur (perception visuelle, auditive, spatiale, etc.) » (Simonian, 2022, p. 47-48). Il s’agit de « l’actualisation (ou non) d’une possibilité issue de l’unité sujet-environnement par des jeux relationnels perception-action qui font émerger des propriétés d’ordre supérieur » (p. 61). En d’autres termes, les dimensions culturelle et sociale peuvent avoir une influence sur cette dynamique. C’est pourquoi, l’affordance est socioculturelle dans la mesure où elle reflète le rapport entre les groupes humains et leur environnement qui évolue en fonction de quatre dimensions potentielles : intrinsèques, extrinsèques, adaptatives et transformatives (p. 68-69).
Ce chapitre explore la manière dont les jeunes adultes en parcours d’insertion construisent leurs possibilités d’avenir dans un contexte marqué par des injonctions implicites et les tensions qui émergent entre les attentes institutionnelles et les stratégies que les jeunes développent et qui varient en fonction de leurs ressources et identités professionnelle et sociale. Dans ce chapitre, Moquais présente les résultats d’une enquête qui permet de dégager les conditions nécessaires pour transformer le possible en possibilité et de passer du stade perceptif de ce qui est possible de faire aux actions effectives en termes d’engagement permettant de comprendre ce qui produit des transformations dans les relations de ces jeunes et du dispositif d’insertion. Ce chapitre illustre une des visées de l’ouvrage qui consiste en l’articulation de plusieurs approches pour analyser sous un autre angle un terrain spécifique pour « contribuer à spécifier certains aspects de l’approche écologique de l’activité et de l’environnement » (p. 99). L’approche écologique de l’affordance permet de rendre visibles « les degrés de liberté relatifs aux usages des artefacts dans un environnement de formation donné » (p. 116).
Le deuxième chapitre « Posture professionnelle et niche écologique : des constructions mutuelles et réciproques ? » est proposé par Geneviève Lameul. En adoptant une approche « phénoméno-praxéologique », l’auteure étudie la construction des postures professionnelles qui évoluent dans le cadre d’un processus de professionnalisation des maîtres de conférences stagiaires qui permet de rendre compte des processus de développement professionnel sur la base de ce qui constitue leur « niche écologique ». Il s’agit d’articuler l’intention des sujets et les conditions de l’environnement pour identifier les ressources pour les nouveaux maîtres de conférences stagiaires et de ce qui fait apprentissage. Plus précisément, l’auteure étudie « l’appropriation que chaque enseignant stagiaire fait de son environnement pour apprendre et se développer en contexte bienveillant et confortable » (p. 131). Ce chapitre apporte une contribution à la construction méthodologique de l’approche éco-anthropocentrée et permet « d’étayer le processus d’appropriation des ressources de l’environnement en lien avec une posture professionnelle singulière et contextualisée » (p. 138). Aussi, il interroge le processus de « construction des environnements capacitants » (Fernagu-Oudet, 2018) (p. 139).
Le troisième chapitre intitulé « Les communautés de développement professionnel enseignant : contribution à une approche écologique », Pascal Mompoint-Gaillard et Jacques Audran étudient le rôle des communautés d’apprentissage professionnel dans l’évolution de la pratique des enseignants et leur interaction avec leur environnement. Les auteurs mobilisent une approche écologique de l’apprentissage pour mettre l’accent sur les dynamiques interactives entre les individus et leurs environnements pour identifier ce qui permettrait le développement et le maintien d’une communauté professionnelle d’apprentissage pour rendre compte des co-intentionnalités des sujets et identifier les relations avec les entités signifiantes du contexte. Cela permet de comprendre les raisons et les conditions de transformation de l’apprentissage des sujets en situation d’interaction (p. 171). Il appert des résultats que le maintien d’une discussion collaborative en ligne se fait de manière adaptative et fragile. Ainsi, l’auteur constate qu’une « écologie de l’apprentissage peut survivre ou disparaître selon qu’elle se nourrit, ou non, des opportunités et des ressources offertes, des perspectives qui se dévoilent, d’un intérêt qui va croissant et de réalisations qui se concrétisent » (p. 171). Ces résultats offrent de nouvelles pistes de recherches et de nouvelles perspectives de recherche, de politiques publiques et en éducation et formation d’adultes.
La troisième partie « Apprendre de l’environnement » est une invitation « à sortir d’un point de vue anthropocentré pour mieux comprendre la manière dont les sujets et environnements interagissent, se co-déterminent et se co-transforment mutuellement » (Introduction n.p.). La finalité de cette approche est de se libérer des mots, des habitudes culturelles, paradigmatiques ou même scientifiques qui nous empêchent de penser.
Dans le premier chapitre intitulé « Analyser et apprendre des sémioses de l’environnement de travail », Eric Saillot mobilise la notion de sémiose pour éclairer des situations professionnelles pour appréhender la question des compétences professionnelles et améliorer la formation. L’objectif est d’identifier les systèmes d’interdépendances entre sujets et environnements dans les situations d’apprentissage et de formation. Selon l’auteur, la notion de sémiose « ne figure pas dans le cadrage conceptuel originel de la didactique professionnelle ». Toutefois, elle « s’inscrit dans une perspective récente d’analyse des invariants des activités d’ajustement » (p. 188). Ainsi, « l’articulation entre activités d’ajustement, conceptualisation, interprétation, problématisation et expérience peut être approchée par une approche écologique des différentes sémioses professionnelles » (p. 202) qui reflète les différents « niveaux de compatibilité des sujets avec leur environnement » et leur permet d’agir en adoptant des « stratégies d’anticipation » qui constituent des formes d’ajustement reflétant la réflexivité des sujets (p. 202). La documentation de ces processus constitue une ressource précieuse pour la formation et le développement professionnel des sujets qui leur permet d’apprendre à lire leur environnement pour bien décoder leurs situations de travail.
Le deuxième chapitre « Configurations pédagogiques et développement humain dans l’enseignement supérieur » proposé par Denis Lemaître adopte une approche écologique des situations de formation dans l’enseignement supérieur, en mobilisant la notion de configuration qui permet d’analyser les configurations pédagogiques en tant qu’agencements singuliers des espaces, des humains, des outils et des savoirs à disposition. Selon l’auteur, l’identification des « formes d’activité sociocognitive que génèrent les configurations pédagogiques et les formes d’éthos produites par le discours régulateur (et réappropriées à leur manière par les étudiants) est un moyen d’analyser concrètement les conditions d’apprentissage » (p. 224). La finalité qui est celle du développement humain suppose d’inscrire les pratiques pédagogiques dans une logique d’émancipation du sujet apprenant capable de « problématiser les défis mondiaux dans leur domaine de spécialité » et de « concevoir des solutions nouvelles, selon une approche éco-anthropocentrée » (p. 224).
Le troisième chapitre « Le monde vivant, un environnement oublié » proposé par Géraldine Marquet et Patrick Mayen propose un élargissement du propos de l’ouvrage en proposant des pistes pour sortir du point de vue anthropocentré en éducation et formation.
Dans leur conclusion générale intitulée « Un programme de recherche pluri-référencé, ouvert et exigeant », Jérôme Guérin, Stéphane Simonian et Joris Thievenaz considèrent cet ouvrage comme étant une « mise en dialogue de recherches produites à propos de l’activité humaine » considérée sous le prisme d’une multitude de concepts et de méthodes qui permettent de comprendre l’interaction sujet-environnement. La compréhension de la dynamique du vivant, selon les auteurs, suppose « d’aller au-delà des significations et connaissances que le sujet peut communiquer au chercheur en considérant que les entités de son environnement ont des propriétés nécessaires et importantes pour son action qui ne sont pas conscientisables par le sujet » (p. 249). C’est pourquoi il ne suffit pas de se focaliser sur ce que l’acteur fait ou exprime mais plutôt comprendre « de manière substantielle les raisons et les conditions pour lesquelles le développement humain est possible » (p. 250).
L’ouvrage est une ressource précieuse à plusieurs égards. Tout d’abord, il rend compte de la complexité de l’évolution des dynamiques interactives entre les sujets et leurs environnements, des tensions, et des freins auxquels peuvent être confrontés tous les acteurs engagés dans des processus de transformation.
Par ailleurs, l’ouvrage propose un nouveau paradigme écosystémique et écologique qui articule plusieurs approches épistémologiques, théoriques, méthodologiques et praxéologiques qui permettent d’envisager l’apprentissage comme un processus situé, qui évolue dans un écosystème qui favorise la transformation des apprenants. Cette évolution émerge grâce aux dynamiques interactives entre les sujets/apprenants, les enseignants, les instituts et l’environnement.
Aussi, l’ouvrage offre une vision systémique dans laquelle l’éducation et la formation sont considérées comme des systèmes dynamiques situés, articulés, adaptatifs et transformateurs. L’inscription de ces systèmes dans une approche écologique et écosystémique permet de prendre en compte le contexte global dans lequel les apprenants évoluent et les considère comme acteurs de leurs apprentissages dont l’évolution dépend de divers contextes et facteurs conjoncturels. Ces facteurs peuvent être sociaux, environnementaux, culturels voire politiques.
L’organisation des chapitres prend la forme d’une quête de sens qui se construit via la création d’un dialogue et d’une articulation de plusieurs cadres théoriques et méthodologiques pour faire émerger une intelligibilité commune qui permet d’aller au-delà des frontières disciplinaires, conceptuelles et épistémologiques. Sans une compréhension commune, il n’est guère possible d’appréhender la complexité des situations et des processus de transformation étudiés. Dans leurs travaux, Star et Griesemer (1989) suggèrent que les « objets frontières » permettent aux collaborateurs de produire une compréhension partagée. Ce faisant, les objets frontières sont des moyens essentiels qui aident les collaborateurs à poursuivre leur travail commun, même lorsqu’ils sont confrontés à des modes de communication et d’interprétation divergents, voire contradictoires. La volonté des auteurs d’articuler et de faire dialoguer une multiplicité d’approches théoriques et méthodologiques transforme les préoccupations en lien avec l’éducation et la formation en « objets-frontières » pour favoriser et expliciter l’émergence d’une intelligibilité commune des enjeux et défis de l’éducation et de formation. Les objets-frontières sont définis comme des artefacts, des concepts qui permettent de faire dialoguer différents acteurs ou communautés. C’est une sorte « d’arrangement qui permet à différents groupes de travailler ensemble sans consensus préalable » (Star 2010, p. 19). Ils constituent « les exigences en matière d’information et de travail, telles qu’elles sont perçues au niveau local et par les groupes qui souhaitent coopérer » (p. 19). Ainsi, l’objet-frontière « établit une syntaxe ou un langage commun permettant aux individus de représenter leurs connaissances au-delà des frontières » (Carlile 2002, p. 651) et d’amorcer un travail collaboratif sans consensus préalable (Star et Griesemer 1989).
S’appuyant sur une approche écologique, l’ouvrage offre une contribution significative à travers une analyse approfondie de différents contextes de formation et des interactions diverses qui influencent l’agir humain qui évolue en traversant des moments de transition. Ces transitions rappellent le concept de liminalité, un concept polysémique qui illustre une phase d’« entre-deux », impliquant incertitude et ambiguïté lorsque les personnes quittent un contexte social et se réintègrent dans un nouveau (Tomlinson, 2023). Selon Turner (1969), la liminalité présente trois caractéristiques : une transformation de l’état, un changement de statut, une oscillation entre d’anciennes, de nouvelles compréhensions et de nouveaux savoirs. Ainsi, l’éducation et la formation sont pensées à travers le prisme de liminalité qui leur permet de redéfinir leur posture, leur rôle et leur manière d’agir dans un environnement en perpétuelle évolution.
Dans cet ouvrage, l’éducation est pensée comme un processus liminal permanent, constitué de plusieurs moments d’incertitude, de doute, de déconstruction et de reconstruction. Dans un contexte de formation, l’émergence de l’agentivité du sujet dépend de la qualité de ses interactions avec l’écosystème qui façonne les possibilités de son agir. Aussi, le soutien ou l’étayage apporté par l’environnement (institution, pairs, outils) peut renforcer ou freiner la capacité d’agir des personnes. Ainsi, la compréhension de l’agir humain passe par l’identification des conditions et les dynamiques interactives qui rendent possible ou pas le renforcement de son agentivité.
Cet ouvrage constitue une ressource précieuse et une grille de lecture pour les universitaires et tous les acteurs engagés dans l’évolution de leurs institutions et leurs formations qui rend indispensable le renforcement de l’agentivité humaine pour imaginer des solutions pour faire face aux transformations et transitions diverses.
Bibliographie
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Carlile, P. R. (2002). A pragmatic view of knowledge and boundaries : Boundary objects in new product development. Organization Science, 13(4), 442-455.
Gibson, J. J. (1977). The theory of affordances. Dans R. E. Shaw et J. Bransford (dir.), Perceiving, acting, and knowing : Toward an ecological psychology (p. 67-82). Hillsdale (NJ), Lawrence Erlbaum Associates.
Simonian, S. (2022). L’Affordance socioculturelle des objets techniques. Mont-Saint-Aignan, Presses universitaires de Rouen et du Havre, coll. Numérique en éducation.
Tomlinson, M. (2023). Conceptualising transitions from higher education to employment : navigating liminal spaces, Journal of Youth Studies. www.doi.org/10.1080/13676261.2023.2199148.
DOI : 10.1080/13676261.2023.2199148
Turner, V. (1969). Liminality and communitas. Dans The ritual process : Structure and anti-structure (p. 94-113). Chicago, Alline Publishing.
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