Innovation Pédagogique et transition
Institut Mines-Telecom

Une initiative de l'Institut Mines-Télécom avec un réseau de partenaires

D’une discipline académique à l’autre, une approche contrastée de la diffusion et de l’appropriation des ressources éducatives libres au sein de l’enseignement supérieur

Un article repris de http://journals.openedition.org/dms/9611

Depuis le début des années 2000, la France a lancé plusieurs projets d’envergure visant notamment à financer l’hébergement, la conception et/ou la diffusion de ressources pédagogiques numériques pour l’enseignement supérieur. Parmi les plus connus figurent Canal-U, les Universités Numériques Thématiques (UNT), ou France Université Numérique (FUN). Si l’on retrouve régulièrement des communiqués portant sur les chiffres tirés des outils de mesure de la fréquentation des sites, il n’existe que peu de données sur la manière dont les enseignants s’approprient, dans leurs pratiques quotidiennes, les ressources numériques ainsi financées par le contribuable. Nous présentons dès lors dans cet article les résultats d’une enquête organisée suite à la pandémie de COVID-19, dans le cadre du consortium Hype 13. Ayant réuni 947 réponses complètes de la part d’enseignants d’universités françaises, elle porte d’une part sur les acteurs français comme les UNT, et d’autre part, plus largement, sur la conception, la diffusion et la réappropriation des différents types de ressources pédagogiques numériques. Nous mettons en évidence des différences significatives entre disciplines académiques, quant à la connaissance et à l’utilisation des ressources issues des plateformes institutionnelles, mais aussi en termes de partage de ressources pédagogiques. Nous interprétons ces différences en termes de cultures disciplinaires.

Mathieu Cisel, « D’une discipline académique à l’autre, une approche contrastée de la diffusion et de l’appropriation des ressources éducatives libres au sein de l’enseignement supérieur », Distances et médiations des savoirs [En ligne], 44 | 2023, mis en ligne le 18 décembre 2023, consulté le 19 décembre 2023. URL : http://journals.openedition.org/dms/9611

Nous tenons à remercier tous les acteurs du consortium HYPE 13 ayant aidé à diffuser l’enquête présentée ici au sein de leur institution, mais aussi au-delà de leur propre université, aux contacts qu’ils avaient établi au cours de leur vie professionnelle. Ce remerciement s’adresse tout particulièrement à [Anonymisé], qui a mobilisé ses contacts à cette fin.

Introduction : le contexte de la pandémie de COVID-19

Au cours des années 2020 et 2021, les confinements se succédèrent du fait de la pandémie de COVID 19, forçant l’enseignement supérieur français à se convertir au moins temporairement à la formation à distance (Catoire et al., 2022). Sur tous les continents, le milieu académique fut pris de court et mis en difficulté dès lors qu’il chercha à garantir une forme de continuité pédagogique dans de bonnes conditions (Lockee, 2021). Les confinements successifs ont forcé une majorité d’enseignants à adapter rapidement outils d’enseignement et matériel pédagogique aux contraintes imposées par les restrictions sanitaires (Baltà-Salvador et al., 2021), parfois sous la pression de leurs institutions de rattachement (Catoire et al., 2022).

Il n’est dès lors pas étonnant que la crise sanitaire ait remis au goût du jour les recherches sur les pratiques mobilisant des ressources éducatives libres, ou REL (Cronin et MacLaren, 2018 ; Massou, Papi et Pulker, 2020). On doit à Hylen (2006) une définition communément utilisée des ressources éducatives libre : « Les REL consistent en du matériel offert gratuitement et avec une licence libre aux éducateurs, étudiants et autodidactes afin qu’il soit utilisé et réutilisé pour l’enseignement, l’apprentissage et la recherche » (traduction libre). Une licence libre ou de libre diffusion permet de réutiliser la ressource sous certaines conditions sans demander l’autorisation à son ou ses concepteurs.

Comme le souligne Weller (2013), une bataille se joue autour du terme open, qui devient de plus en plus synonyme de gratuité. En témoigne l’acronyme MOOC, qui comprend le O de open, alors que la plupart de ces cours en ligne sont en licence propriétaire, si l’on fait exception de la plateforme française FUN MOOC (Auteurs, 2017 ; Jacqmin, 2018). Cependant, nous adopterons ici la définition des REL qui s’appuie sur les 5 R : Conserver, Réutiliser, Réviser, Remixer et Redistribuer. Ces politiques permettent aux enseignants d’aller au-delà de ce qui est communément appelé le « Fair Use », une doctrine qui couvre notamment l’utilisation limitée du matériel protégé par le droit d’auteur en classe (Leval, 1990). La diffusion de telles ressources favorise le développement d’une « pédagogie basée sur les REL » qui est définie « comme l’ensemble des pratiques d’enseignement et d’apprentissage qui ne sont possibles ou pratiques que dans le contexte des autorisations 5R caractéristiques des REL » (Wiley et Hilton, 2018, p. 134).

Alors que les confinements poussaient temporairement les institutions d’enseignement supérieur vers le distanciel (Catoire et al., 2022 ; Lockee, 2021), de nombreux acteurs de l’éducation en ligne élargissaient l’accès à leurs contenus. Par exemple, des plateformes telles que Coursera ou edX ont mis provisoirement à disposition gratuitement une proportion significative de leurs cours pour des centaines d’institutions, générant au passage des pics d’inscriptions (Impey et Formanek, 2021). En France, la plateforme FUN MOOC (Auteurs, 2019) a suivi une approche similaire en lançant FUN Ressources (Massou, 2021), ouvrant ainsi des ressources issues d’un sous-ensemble de leurs cours en ligne. L’objectif consistait à mutualiser autant que faire se peut du matériel pédagogique souvent en licence Creative Commons (CC) (Auteurs, 2017 ; Jacqmin, 2018).

C’est dans ce contexte de multiplication des initiatives qu’est né un consortium d’universités françaises nommé Hype 13 (Bournaveas et al., 2021) – pour HYbridation et Partage des Enseignements. Celui-ci visait à favoriser la collaboration entre une douzaine d’établissements d’enseignement supérieur sur la question de la circulation de ressources pédagogiques. Notre participation au consortium nous a amené à observer localement que, d’une discipline à l’autre, les départements d’enseignement réagissaient de manière distincte aux injonctions à mutualiser leur contenu. Si l’existence de « cultures académiques » (Becher, 1994) a été amplement documentée depuis les travaux séminaux de Biglan (1973), rares sont les chercheurs qui se sont penchés spécifiquement sur le rapport que les différentes disciplines entretiennent avec la mutualisation de ressources pédagogiques, entre autres sous la forme de REL. Il convient néanmoins de souligner que des travaux sur le sujet ont été initiés en France au cours de la décennie écoulée.

Jacqmin (2018) a notamment réalisé une étude sur le catalogue de FUN MOOC, contrastant selon les disciplines académiques la plus ou moins grande propension à ouvrir l’accès à son contenu pédagogique via l’attribution de licences de Creative Commons de différents types. La plupart des Ressources Éducatives Libres (REL) mises en ligne par FUN sont sous une licence relativement restrictive (BY-ND), qui nécessite une autorisation explicite des auteurs pour leur remixage ou leur réutilisation. L’auteur a montré sur la base d’une étude statistique du catalogue que les enseignants appartenant à des disciplines relevant du droit, des sciences sociales ou du management étaient nettement moins enclins que leurs collègues de sciences naturelles ou de mathématiques à attribuer des licences ouvertes. La conjonction de l’expérience vécue au sein de Hype 13 et de la lecture de tels résultats nous a amené à creuser davantage les différences entre disciplines en matière de partage et de réutilisation de REL, à travers le lancement d’une enquête quantitative au sein du consortium.

Revue de littérature et problématisation

Réutilisation de ressources pédagogiques et disciplines académiques

Au cours de la décennie écoulée, nombreux sont les chercheurs ayant analysé les usages des REL en mobilisant des enquêtes qualitatives à l’échelle d’un département d’université (Iii et al., 2013) ou d’un établissement (Rolfe, 2012), ou à travers d’études quantitatives à l’échelle d’un pays (Allen et Seaman, 2014 ; Shigeta et al., 2017). Un certain nombre de travaux ont notamment cherché à mieux comprendre les motivations des enseignants diffusant les ressources qu’ils concevaient (Arendt et Shelton, 2009). Selon une logique relativement proche de celle que nous avons adoptée dans le cadre de cet article, Shigeta et al. ont abordé ces questions à l’échelle du Japon, montrant entre autres que les universités techniques sont plus avancées en matière d’utilisation de REL que les autres institutions, tous indicateurs confondus. Nous nous sommes inspirés de cette logique – appréhender à l’échelle nationale les pratiques des enseignants en matière de réappropriation et de diffusion de ressources pédagogiques.

Comme l’ont montré des études de catalogues de cours en ligne, d’une discipline académique à l’autre, les enseignants font face à des inégalités conséquentes en matière de disponibilité de ressources gratuites ou payantes (Auteurs, 2019). Certains sujets comme la science des données semblent populaires sur Internet et suffisamment porteurs économiquement parlant pour disposer de plateformes dédiées – on peut notamment citer Datacamp pour la science des données (Baumer et al., 2020). L’analyse de catalogues de plateformes de cours généralistes comme Coursera, FUN MOOC ou edX montre également que certaines disciplines sont plus développées que d’autre du point de vue quantitatif, l’informatique et l’entrepreneuriat tenant généralement le haut du pavé (Auteurs, 2019). Ces contrastes d’une part résultent a priori de différences entre disciplines en matière d’investissement dans la conception de ressources, et se traduisent aussi vraisemblablement dans la manière de réutiliser des ressources existantes, ne serait-ce que du fait de leur plus ou moins grande disponibilité sur Internet.

Certaines publications (Romero Rodrigo, 2022) ont démontré sur des cas d’étude que les stratégies de recherche de ressources dépendaient effectivement, chez les étudiants, du domaine étudié. Néanmoins, l’analyse différenciée de la situation selon le champ académique gagnerait à être transposé au cas des enseignants, ce qui nous a amené à explorer la question de recherche suivante : Dans quelle mesure les universitaires se différencient-ils d’une discipline à l’autre d’une part en matière de connaissance et d’utilisation de ressources pédagogiques issues de plateformes institutionnelles, et d’autre part en matière de partage de leurs propres ressources ?

Si notre approche se voulait avant tout exploratoire, nous avons au moment de la conception du questionnaire mis l’hypothèse que l’informatique serait le plus engagé dans le partage, et donc la réutilisation de REL. Des auteurs clés dans le domaine des Ressources Éducatives Libres, tels que Wiley (2006), ont établi un parallèle entre le développement d’une culture de l’open source pour le code, et l’appétence pour les licences Creative Commons (CC), et plus généralement le partage de ressources. Les licences CC sont en effet étroitement liées aux licences de logiciels open source telles que la GPL (Lin et al., 2006). En d’autres termes, la connaissance que les informaticiens ont de l’open source constitue vraisemblablement une disposition qui peut renforcer leur adhésion à la logique des ressources éducatives libres.

En matière de réutilisation, la focale porte ici sur FUN MOOC, les UNT et Canal-U, acteurs institutionnels de premier plan en matière de diffusion des ressources pédagogiques en France dont nous faisons une brève présentation dans les paragraphes qui suivent. Canal-U est avant tout spécialisé dans l’archivage de contenus pédagogiques (Ardourel, 2010). Ce site est typiquement utilisé à la suite d’une captation de conférence universitaire, par les institutions qui souhaitent mutualiser les vidéos ainsi produites. Celles-ci couvrent dès lors des sujets variés, allant des sciences humaines et sociales (SHS) aux mathématiques ou à la biologie. FUN représente un groupement d’intérêt scientifique, responsable d’une plateforme de cours en ligne (FUN MOOC) limités dans le temps (Mongenet, 2016 ; Vrillon, 2017), ainsi que d’une plateforme de ressources mises volontairement à disposition par leurs institutions productrices au cours de la pandémie – FUN Ressources (Massou, 2021).

Sur le site de l’Université Numérique [1] centralisant les UNT (Boyer, 2011), on peut lire enfin que celles-ci « mettent à disposition et diffusent environ 30 000 ressources éducatives libres dont elles ont souvent financé en partie la production. Elles peuvent en accompagner les usages. Elles produisent également des MOOC, des tests de positionnement transversaux et disciplinaires, des ressources de remédiation associées, des dispositifs de découverte des disciplines universitaires, des parcours de formation (ressources structurées et scénarios de formation), etc. ». Elles sont approximativement subdivisées en disciplines académiques. Il existe par exemple une UNT dédiée au droit, UNJF [2], et une autre aux sciences de la santé, UNESS. L’IUT en ligne ne correspond pas néanmoins à une discipline.

On entend régulièrement des critiques proférées en France vis-à-vis des initiatives institutionnelles de financement et de promotion des REL leur succès généralement limité sur le plan quantitatif. Il est ainsi écrit dans un rapport de l’inspection générale de l’administration, de l’éducation et de la recherche (IGAENR, 2016, p. 6) : « La légitimité des UNT a été contestée par des critiques récurrentes sur leur mode de fonctionnement, leur peu de notoriété auprès des enseignants et élus et l’utilisation faible ou inadaptée de leurs productions ». Nous verrons que les résultats de notre enquête vont dans le sens de cette affirmation.

Des acteurs comme FUN publient régulièrement des métriques portant sur son succès auprès du grand public (Auteurs, 2017) ; néanmoins, la sous-catégorie des utilisateurs se fondant sur les ressources des formations en ligne pour préparer leurs propres cours n’est pas appréhendée dans de telles annonces. Or ces derniers constituent un relais essentiel pour comprendre le lien qui s’établit entre l’enseignement supérieur et les catalogues de cours en ligne. En d’autres termes, il manque dans le contexte français des travaux analogues à ceux que menèrent Seaton et al. (2014) de manière embryonnaire sur les MOOC du MIT. Ces auteurs avaient souligné la part importante qu’occupent les enseignants parmi les inscrits, mais ils ne s’étaient pas intéressés aux pratiques qu’ils développaient. Il convient maintenant de définir un cadre théorique permettant d’appréhender la question des échanges de REL entre enseignants.

Théorie de l’échange social et partage de ressources éducatives libres

Diverses disciplines, allant de la psychologie à la sociologie, ont contribué à l’étude du partage des connaissances, chacune avec ses propres traditions uniques. Cette diversité a conduit à des modèles et des théories divergents, aboutissant à un manque de consensus sur une définition standard du partage des connaissances. La théorie de l’échange social (Homans, 1958) ne représente qu’un seul des cadres conceptuels qui ont été utilisés dans ce domaine, aux côtés de la théorie du capital social, par exemple. Comme Wang et Noe (2010, p. 115) l’ont souligné dans leur revue de littérature, « la recherche a montré que le partage et la combinaison des connaissances sont positivement liés à la réduction des coûts de production, à l’achèvement plus rapide des projets de développement de nouveaux produits, à la performance des équipes, aux capacités d’innovation de l’entreprise et à la performance de l’entreprise ». On pourrait argumenter que cette observation s’applique également aux établissements d’enseignement supérieur, car les coûts de production de cours diminuent significativement lorsque les chercheurs collaborent pour mutualiser le matériel pédagogique.

Plusieurs recherches ont été menées pour étudier l’influence de facteurs intrinsèques (ibid), tels que la motivation, l’attitude et l’auto-efficacité, sur le comportement de partage des connaissances (Liao et al., 2013). Ils ont souligné que l’analyse du partage des connaissances posait des défis dans les organisations multinationales où les employés ont des origines culturelles diverses. Par exemple, Chow et al. (2000) ont découvert que les individus chinois étaient moins enclins à partager leurs expériences personnelles ou leurs « leçons » avec ceux qu’ils considéraient comme n’appartenant pas à leur groupe, par rapport à leurs homologues américains. On peut établir un parallèle entre ce travail et notre étude, car nous étudions le comportement de partage des connaissances au sein de différentes cultures académiques. Fondamentalement, la théorie de l’échange social tourne autour de l’idée qu’un comportement spécifique est significativement influencé par ses coûts potentiels et ses gains.

Dans cette théorie, il est important de faire la distinction entre les gains, qui ne se limitent pas aux récompenses tangibles ou aux incitations, mais s’étendent également aux stimuli sociaux tels que la reconnaissance, la réputation, voire le désintéressement (Weber, 2004). Le rôle de la confiance, un autre élément essentiel dans le modèle d’échange social, est de médier la relation entre les coûts, les avantages et le comportement résultant. Il est important de souligner le fait que, pour les chercheurs, le partage des Ressources Éducatives Libres en ligne signifie que des collègues qui ne font pas partie du cercle de confiance pourront juger leur travail.

En termes simples, la confiance joue un rôle central dans la manière dont les coûts et les avantages influencent les actions au sein d’une relation d’échange (Rusman et al., 2010). Lorsqu’il s’agit de partager des informations, que ce soit dans un environnement numérique ou au sein d’un lieu de travail, les individus peuvent être confrontés à certains coûts. Parmi ces coûts, il y a la crainte d’un jugement défavorable de la part des autres. Ainsi, l’appréhension de l’évaluation est un terme utilisé pour décrire l’inquiétude d’un individu à recevoir des évaluations ou des jugements négatifs (Rosenberg, 1969). Comme nous l’avons souligné précédemment, la théorie de l’échange social a été occasionnellement utilisée dans le domaine des Ressources Éducatives Libres (REL) et de l’apprentissage en ligne (Van Acker et al., 2013, 2014 ; Yilmaz, 2016).

Méthodologie

Hype 13, un terrain privilégié pour l’étude des pratiques enseignantes

La présente enquête, basée sur un questionnaire reposant sur la technologie Limesurvey, a émergé dans le cadre du projet HYPE 13 (Bournavéas et al., 2021), pour HYbridation et Partage des Enseignements. Ce consortium rassemblait à l’origine treize universités françaises souhaitant développer une réflexion commune sur la manière de répondre, via différentes approches de l’hybridation médiée par le numérique, aux défis posés par la pandémie de COVID19. Les Grandes Écoles étaient situées hors du périmètre de ce consortium, et, partant de là, de l’enquête.

Comme pour toute recherche quantitative relative aux pratiques enseignantes, nous avons fait face en premier lieu au défi qui consiste à réunir suffisamment de réponses pour obtenir un échantillon représentatif. La structuration de Hype 13 a été cruciale à cet égard. Dans chaque établissement du consortium, des correspondants nommés par la direction étaient susceptibles de relayer, via des listes de courriels, le questionnaire au sein de leurs institutions respectives. Ces relais ont permis de donner à l’enquête une ampleur qu’il eut été difficile d’atteindre dans le cadre d’initiatives isolées. Ces correspondants, souvent ingénieurs pédagogiques, avaient par ailleurs des contacts dans d’autres établissements universitaires, leur permettant de diffuser le questionnaire au-delà du seul consortium Hype 13. Dans les paragraphes qui suivent, nous donnons des précisions quant aux modalités de conception des items de l’enquête d’une part, et quant à sa diffusion au sein du milieu académique français d’autre part.

Instrument de recherche mobilisé

Nous avons maintenu un nombre restreint d’items pour limiter les risques de décrochage au milieu de questionnaire : quinze, dont deux étaient optionnels – ces derniers n’apparaissant qu’en cas de réponse positive à une question donnée. Notre instrument de recherche était focalisé en premier lieu sur les pratiques, les connaissances des répondants, leur perspective sur le partage de ressources, et terminait par des items portant sur leurs caractéristiques sociodémographiques et socioprofessionnelles (âge, genre, poste occupé, université de rattachement). Les deux première questions traitées dans cet article sont « Connaissez-vous les plateformes de ressources numériques suivantes ? » et « Avez-vous utilisé dans vos enseignements les plateformes de ressources numériques suivantes ? ». Était alors fournie une liste de plateformes institutionnels, allant de FUN MOOC à Canal-U en passant par les différentes UNT. Nous avons précisé sous la question qu’il fallait que la pratique (utilisation d’une ressource pour un cours) ait été mise en place au cours de l’année scolaire écoulée pour répondre par la positive, ce qui permet notamment de comparer l’expérience d’enseignants débutants comme celle d’individus ayant plusieurs décennies d’exercice.

Nous n’avons pas fait la distinction entre enseignement en présentiel et enseignement à distance dans les usages, dans la mesure où il aurait fallu dédoubler les questions pour contraster les différentes situations qu’un praticien pourrait rencontrer, ce qui aurait conduit à produire un questionnaire de trop grande taille. Il serait néanmoins à l’avenir intéressant de chercher à contraster les pratiques de mise à en place du distanciel selon les départements d’enseignement, et la manière dont cela affecte l’utilisation de ressources éducatives libres.

Un second type de questions traité dans le cadre de cet article portait sur le partage des ressources pédagogiques. Nous avons fait la distinction entre le partage effectif d’une part, et l’intention de partage. La question sur le partage effectif était formulée de la manière suivante : « Si vous produisez des ressources numériques dans le cadre de votre activité d’enseignement, les avez-vous partagées en dehors de votre équipe pédagogique au cours de l’année universitaire 2020-2021 ? ». L’analyse des résultats a montré par la suite que seuls 76 répondants avaient effectivement partagé des ressources au cours de l’année écoulée 2020-2021, toutes disciplines confondues, ce qui rend les comparaisons impossibles. Nous nous sommes dès lors concentrés sur la question suivante : « Seriez-vous prêt à partager les ressources numériques que vous produisez ? ».

Diffusion du questionnaire, caractérisation des répondants

Le questionnaire a été diffusé entre mars et novembre 2021 ; plusieurs vagues de relance ont été réalisées. Sur les 1237 réponses obtenues, 290 sont incomplètes et ont donc été exclues de l’analyse, ce qui a conduit à un total de 947 réponses prises en compte et que nous considérerons comme complètes, ce qui recouvre deux critères : les données sociodémographiques sont fournies, de même qu’une réponse aux items relatifs à la connaissance et à l’utilisation des plateformes institutionnelles, items présentés en premier. Une attrition a été constatée au fil des items, de sorte qu’il ne restait plus que 699 réponses sur la question du partage. Ce nombre de réponses permet néanmoins des comparaisons pertinentes.

Eu égard au type de poste occupé, nous avons distingué quatre groupes : Maître de Conférence, Professeur des Universités, PRAG/PRCE, et tous les autres (ATER, enseignants-chercheurs contractuels, etc.). S’agissant de la discipline d’appartenance, nous avons capitalisé sur le fait que le milieu académique français est subdivisé en sections académiques du Conseil National des Universités (CNU) (Picard, 2012) [3]. Tout universitaire en France appartient de manière préférentielle à une ou deux sections du CNU. Cette affiliation apparaît par exemple de manière obligatoire au moment du passage de la qualification nécessaire à la participation aux campagnes de recrutement. Il faut noter qu’un certain nombre d’enseignants-chercheurs n’appartiennent pas stricto sensu à ces sections du CNU, par exemple ceux qui officient dans le domaine de l’architecture ou de la recherche médicale. Plusieurs catégories ont ainsi été ajoutées à la liste des sections CNU pour prendre en compte cet état de fait. Les enseignants d’architecture ont été exclus de l’enquête dans la mesure où ils ne relèvent pas du CNU, de même que les représentants des sections 76 à 87, qui ne totalisaient que 21 réponses.

Nous avons invité les répondants à sélectionner parmi une liste reprenant l’ensemble des sections universitaires celles qui représentaient selon eux au mieux la discipline qu’ils enseignaient. Le traitement des réponses issues de cet item impose de faire des choix méthodologiques épineux. Au cours de l’étape de restitution des résultats, il nous a paru en effet peu pertinent de traiter les sections universitaires comme autant de disciplines. Le choix de se fonder sur les sections permet certes de lever un certain nombre d’ambiguïtés au moment de la réponse, mais celles-ci sont nombreuses, et des regroupements se sont avérés nécessaires pour voir se dégager des tendances générales.

Tableau 1. Disciplines d’appartenance des répondants. Entre parenthèses sont précisés les numéros de section CNU concernées par une catégorie donnée (N =947)

Plutôt que de décomposer les résultats par section universitaire, trop nombreuses pour être représentées dans leur intégralité, nous proposons ici un regroupement de sections en nous inspirant des groupes de sections fournies par le CNU. Ces groupes ne sont pas nommés par le CNU, et portent des numéros (I, II, etc.). Pour faciliter la compréhension, nous avons préféré attribuer un nom (Droit, etc.) et faire des regroupements légèrement différents de ceux du CNU (Tableau 1). Il est à noter que 94 répondants ont choisi l’option Ne s’applique pas et ont dès lors été exclus des analyses, étant considérées comme des données manquantes. Pour faciliter la lecture de l’article et ne pas utiliser de syntagmes comme ensembles de disciplines, nous avons utilisé le vocable discipline pour désigner ces regroupements. Le lecteur gardera néanmoins à l’esprit que les sciences humaines et sociales, pour ne citer qu’elles, représentent non pas une, mais de nombreuses disciplines avec leurs spécificités, y compris dans le domaine de l’utilisation et du partage de ressources pédagogiques.

Dans le Tableau 2, nous décomposons les réponses entre établissements du consortium, en définitive minoritaires dans l’enquête, et établissements hors consortium, dont trois – l’Université de Rennes 1, l’Université de Lorraine et l’Université de Bourgogne – correspondent collectivement à 563 réponses.

Tableau 2. Répartition des réponses selon que l’université appartient ou non au consortium Hype 13 (N =947)

S’agissant du genre des répondants, 50.7 % sont des hommes, 45.1 % sont des femmes, le reste choisissant l’option « Autre ou ne veut pas se prononcer ». Environ la moitié occupent un poste de Maître de Conférences, 17,7 % un poste de Professeur.e des Universités, 18.9 % sont PRCE ou PRAG, des postes centrés sur l’enseignement, et le reste se répartissent entre enseignants-chercheurs contractuels, doctorants et vacataires (Tableau 3). Nous renvoyons à Chevaillier (2001) pour une présentation approfondie des différents types de poste occupés à l’université.

Tableau 3. Répartition des réponses par type de poste occupé dans le milieu académique (N =947)

Les données ont été analysées avec le logiciel de statistique R 4.0. Pour l’ensemble des graphiques, les différences que nous pointons entre disciplines sont systématiquement significatives sur le plan statistique pour les extrémités des gradients – nous avons utilisé la régression logistique dans le cadre de la question sur l’intention de partage de REL.

Résultats

Dans une première partie, nous nous intéressons à la diffusion des principaux sites institutionnels de ressources pédagogiques au sein de l’enseignement supérieur français, Canal-U, FUN et UNT. La focale porte sur les contrastes entre disciplines d’une part en ce qui concerne la connaissance des sites, et d’autre part en ce qui concerne l’utilisation de ces derniers comme sources de contenus pédagogiques. Dans un second temps nous nous intéressons au partage des REL et aux contrastes existant d’une discipline à l’autre.

Une plus ou moins grande connaissances des plateformes institutionnelles

La plateforme FUN MOOC constitue le site de ressource le plus connu au sein de la population étudiée, avec 38,2 % de réponses positives – son projet FUN Ressources lancé durant les restrictions sanitaires ne rassemble en revanche que 12,4 % de réponses positives (Figure 1). Canal-U semble également relativement méconnu des enseignants du supérieur – seuls 20,1 % répondent par l’affirmative. Parmi les Universités Numériques Thématiques, Unisciel et l’IUT en ligne semblent se distinguer, avec 17,3 % et 18 % de réponses positives, respectivement, là où les autres UNT oscillent autour de 5 %. Il faut néanmoins prendre en considération le fait que la composition de l’audience de ce questionnaire. En effet, en réunissant Mathématiques, Physique-Chimie et Sciences de la Vie et de la Terre, on dépasse 26 % des réponses, ce qui peut expliquer les scores obtenus par Unisciel, qui s’adresse typiquement aux praticiens de ces disciplines.

Figure 1. Pourcentage des répondants connaissant une plateforme institutionnelle donnée (N =947)

Cette considération nous a amenés à décomposer la connaissance des principaux projets par groupe de section CNU, selon la logique présentée dans le Tableau 1. Il faut noter que, plutôt que de représenter la connaissance des UNT une par une – démarche qui amène nécessairement à une explosion combinatoire, nous avons analysé l’indicateur « Connaît au moins une UNT », variable booléenne prenant la valeur 1 dès que le répondant connaît au moins une des UNT listées dans le questionnaire. Nous avons également fait le distinguo entre d’une part le fait de connaître le projet numérique (représenté par un disque rouge dans les figures), et d’autre part le fait l’avoir utilisé – au sens large – dans la conception de ressources pédagogiques au cours de l’année précédant la réponse au questionnaire (représenté par un disque bleu dans les figures). Sans surprise, il existe une corrélation élevée entre les deux.

Figure 2. Connaissance et utilisation du site d’archivage de ressources pédagogiques Canal-U, d’une discipline à l’autre (rouge : connaissance, bleu : utilisation) (N =947)

L’analyse des réponses suggère que les projets institutionnels considérés dans ses enquêtes ont rencontré un succès contrasté d’une discipline à l’autre. Canal-U est relativement bien connu des sciences humaines, qui se distinguent en la matière avec 41 % de répondants qui connaissent le site d’archivage, et environ 20 % qui l’ont utilisé récemment (Figure 3). Pour toutes les autres disciplines, ces chiffres sont divisés par deux, voire par trois dans le cas des mathématiques ou de la physique-chimie. Par contraste, ce sont les enseignants d’informatique qui connaissent (65 %) et utilisent (29 %) le plus la plateforme FUN MOOC (Figure 4). Ce sont à nouveau les mathématiques et la physique-chimie qui présentent les scores les plus bas – inférieurs à 10 % d’utilisation.

Figure 3. Connaissance et utilisation du site d’archivage de la plateforme FUN MOOC, d’une discipline à l’autre (rouge : connaissance, bleu : utilisation) (N =947)

L’ordre est à nouveau modifié lorsqu’il s’agit des UNT, le droit étant cette fois-ci en tête avec 57 % des répondants connaissant une UNT, et 39 % l’utilisant (Figure 4). Il existe naturellement une correspondance entre la connaissance d’une UNT et le public auquel elle s’adresse. Ainsi, 53 % des enseignants qui connaissent l’UNJF, centrée sur le droit, enseignent le droit eux-mêmes ; ces praticiens représentent 94 % des réponses lorsqu’il s’agit non plus de la connaissance mais de l’utilisation des ressources. Cette tendance est observée pour l’ensemble des UNT.

Figure 4. Connaissance et utilisation des Universités Numériques Thématiques, d’une discipline à l’autre (rouge : connaissance, bleu : utilisation) (N =947)

Les tests du chi2 révèlent entre Canal-U et FUN une certaine corrélation positive dans la connaissance (chi =74,3, p<0.001)>

Discussion

Nous avons montré dans le cadre de cet article, que, selon les disciplines, les enseignants de différentes disciplines académiques montrent un niveau inégal, mais relativement faible, de connaissance et d’utilisation des UNT (Boyer, 2011), de FUN MOOC (Vrillon, 2017) ou de Canal-U (Ardourel, 2008), ce qui peut être interprété d’une part à l’aune de l’offre de ressources de la part de ces acteurs, et d’autre part en termes de pratiques de partage et de réutilisation des ressources éducatives libres. S’agissant des disciplines les plus consommatrices de ces contenus institutionnels, nous observons globalement une tension intéressante entre utilisation de ressources externes et pratiques de partage. Eu égard au partage, nous avons obtenus des résultats cohérents avec ceux de Jacqmin (2018) : il est plus rare de partager ses ressources dans des disciplines comme le droit ou les sciences humaines et sociales que dans les sciences naturelles ou l’informatique. Néanmoins, un moindre partage ne signifie pas une moindre réutilisation, ce qui constitue le résultat sur lequel nous nous attarderons dans cette discussion, au prisme des différences culturelles entre disciplines.

Dans ses travaux sur les rapports des enseignants de différentes disciplines avec le partage de ressources pédagogiques, Jacqmin (2018) s’était concentré sur le choix des différents types de licences Creative Commons, tandis que nous nous sommes concentrés ici uniquement sur le partage effectif de telles ressources. La question de la maîtrise des technologies digitales constitue une piste d’interprétation pour expliquer ces contrastes entre disciplines. Certains travaux ancrés empiriquement (Van Acker et al., 2013) désignent le sentiment d’auto-efficacité eu égard la maîtrise de ces technologies comme l’un des facteurs facilitant la logique de partage chez l’enseignant. C’est la notion de coût telle que développée dans la théorie de l’échange social de Homans (1958).

L’on pourrait défendre l’idée selon laquelle un manque de familiarité avec la technologie peut jouer sur la propension à diffuser ses ressources sur un site personnel – des résultats non relatés dans cet article montrent que les informaticiens se distinguent de ce point de vue. Nous mettons néanmoins en doute une telle interprétation pour des plateformes de REL institutionnelles. D’une part, les outils afférents sont généralement pensés pour être pris en charge facilement, sans formation particulière, et d’autre part les établissements d’enseignement supérieur mettent souvent à disposition des praticiens qui souhaitent partager leurs REL des ingénieurs pédagogiques et autres ressources pour faciliter la démarche.

C’est en d’autres termes qu’il faut selon nous penser la question des coûts associés au partage. Trois éléments ont été identifiés dans la littérature existante sur les REL (Hilton et al., 2013), et méritent ici notre attention. Le premier est l’adaptation des ressources pédagogiques aux lois sur la propriété intellectuelle, le second relève de l’appréhension de l’évaluation des pairs (Wang et Noe, 2010). Le dernier, contrepoint logique du second, a trait à la reconnaissance par les pairs des pratiques de partage, au-delà de la seule question des ressources pédagogiques. C’est ce que Jacqmin (2018) nomme les open practices, et qui s’étend notamment à l’open science, avec plus particulièrement la publication d’articles de recherche en libre accès.

Un contenu pédagogique comprenant des images en licence propriétaire peut être utilisé en cours sous le régime du Fair Use (Leval, 1990) ou exception pédagogique dans le droit français. Mais il doit être expurgé de toutes ces éléments problématiques avant de pouvoir être mis sur Internet ; or les disciplines se distinguent possiblement les unes des autres au regard de la quantité de travail à fournir pour rendre un contenu partageable, selon la quantité d’images issues de revues scientifiques par exemple. Nous ne disposons pas néanmoins de suffisamment d’éléments pour corroborer de manière empirique une telle ligne d’investigation, ni, à notre connaissance, de travaux publiés sur la question. Aussi préférerons-nous une piste plus documentée dans la littérature.

S’agissant de la reconnaissance par les pairs des pratiques de partage, c’est du côté des travaux sur l’open science que les différences entre disciplines sont les plus fournies. On constate par exemple dans les recherche de Zhu (2017) que, au sein de l’échantillon qu’il considère, les chercheurs en sciences naturelles ou en sciences de la vie ayant publié selon une logique d’open science est environ deux fois plus importante, en proportion, que chez leurs collègues des sciences humaines et sociales. L’auteur met ce résultat en perspective avec le plus faible développement des revues promouvant l’open science (Look et Pinter, 2010) dans le champ des sciences humaines et sociales, ou le droit. C’est sans doute néanmoins la piste d’investigation la plus prometteuse pour expliquer les différences entre disciplines en matière de partage de ressources.

Van Acker et al. (2013) ont constaté que la réputation d’un enseignant avait une influence minimale sur son intention de partager des REL. Les raisons plus convaincantes pour la volonté d’un chercheur de partager des REL semblaient être motivées par l’altruisme et la valeur supplémentaire perçue de leurs contributions. Ce parallèle, établi entre autres par Jacqmin (2018), entre culture de la publication dans des revues en libre accès et publication de ressources pédagogiques en licence Creative Commons, constitue à nos yeux la voie la plus prometteuse pour expliquer les résultats présentés dans le cadre de cet article. Il serait nécessaire pour explorer cette piste de proposer des questionnaires composites proposant d’une part des items sur la publication en libre accès de travaux scientifiques et partage de ressources pédagogiques.

Le dernier point que nous aborderons ici est celui de la décorrélation apparente entre logique de réutilisation et logique de partage des ressources. Les praticiens issus de disciplines qui partagent peu leurs ressources peuvent néanmoins être proportionnellement plus nombreux à intégrer des contenus issus de sites comme Canal-U ou les UNT. La théorie de l’échange social (Hoomans, 1958) semble appropriée pour appréhender ce résultat. Il n’y a a priori pas de raison particulière pour que les coûts associés au partage de ressources – par exemple réputationnels (Wang et Noe, 2010) – et les mécanismes incitatifs – les rétributions symboliques associées à la mutualisation (Van Acker, 2013) – soient les mêmes que ceux qui interviennent pour la réutilisation de REL issues d’une plateforme. Nous pensons notamment au fait que pour adapter de ces ressources aux spécificités des contextes locaux, dans la mesure où les enseignants sont généralement enclins à modifier le contenu de ce qu’ils trouvent sur Internet (Bruillard, 2023). Ce processus est en moyenne vraisemblablement plus ou moins coûteux selon les disciplines et les formes de ressources collectées, sans qu’un parallèle puisse être établi a priori avec les dynamiques de culture du partage au sein d’une discipline. Cela explique selon nous la relative absence de tendance commune entre partage et réutilisation.

Conclusion

La présente enquête souffre du biais d’auto-sélection (Bethlehem, 2010). En d’autres termes, les enseignants-chercheurs qui décident de répondre au questionnaire après en avoir découvert l’existence dans leurs courriels, ne sont pas nécessairement représentatifs du corps enseignant. L’on peut supposer que les répondants sont en moyenne plus familiers des technologies éducatives que le reste de leurs collègues du milieu académique, dans la mesure où ils sont disposés à consacrer du temps à une enquête sur ces technologies.

Dès lors, il faut prendre avec précaution toute tentative de généralisation des statistiques descriptives présentées dans le cadre de cet article. Une enquête avec sélection aléatoire d’enseignants – par contraste avec une démarche volontaire de réponse à un mail – permettrait d’obtenir des statistiques plus robustes, dont les valeurs seraient interprétables dans l’absolu, mais une telle démarche semble complexe à mettre en place. Il ne s’agirait pas ici d’avoir un échantillon représentatif en termes de disciplines, mais en termes d’usage des plateformes. Si cette précaution vaut pour les chiffres pris dans l’absolu, l’on peut en revanche considérer que les comparaisons entre disciplines constituent des résultats d’une plus grande robustesse. En effet, dans la mesure où le biais d’auto-sélection existe a priori dans tous les domaines, il s’annule en partie lorsque l’on compare entre elles les différentes disciplines académiques.

Nous proposons en guise de perspective à cette recherche d’explorer le lien entre richesse de l’offre des plateformes et niveau de connaissance que les enseignants en ont. Il convient en particulier de s’interroger sur les mécanismes expliquant qu’une majorité des enseignants enquêtés ignorent l’existence des UNT ou de Canal-U après plusieurs décennies d’existence. La richesse de l’offre constitue une première piste d’investigation. L’on constate que les informaticiens sont parmi les praticiens qui connaissent le mieux la plateforme FUN, or cette discipline y est bien représentée (Auteurs, 2019). La richesse de l’offre de REL en SHS sur Canal-U pourrait partiellement expliquer son succès en sciences humaines et sociales ; un raisonnement analogue pourrait être appliqué pour le droit et les UNT.

Par ailleurs, les UNT développent des politiques distinctes les unes des autres, notamment en termes de partenariats avec les institutions du supérieur. Il conviendrait dès lors de mieux connaître les liens que ces UNT ont tissé avec les institutions d’enseignement supérieur, notamment en termes d’actions de communication auprès des universités, et des relais en place localement susceptibles de faire mieux connaître leur existence. Cette double approche, centrée d’une part sur l’offre et d’autre part sur les pratiques de partenariat et de communication, permettrait de mieux comprendre les tenants de l’influence qu’ils exercent, même de manière limitée, sur les pratiques pédagogiques des enseignants des différentes disciplines académiques.

Bibliographie

Allen, I.E. et Seaman, J. (2014). Opening the Curriculum : Open Educational Resources in U.S. Higher Education, 2014. Dans Babson Survey Research Group. Babson Survey Research Group. https://eric.ed.gov/ ?id =ED572730. Consulté le 11 décembre 2023.

Ardourel, Y. (2010). Canal-U. Les Cahiers du numerique, 6(2), 123-146. https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-du-numerique-2010-2-page-123.htm. Consulté le 11 décembre 2023.

Arendt, A.M., et Shelton, B.E. (2009). Incentives and Disincentives for the Use of OpenCourseWare. International Review of Research in Open and Distributed Learning, 10(5). https://doi.org/10.19173/irrodl.v10i5.746.

Auteurs (2017).

Auteurs (2019).

Baltà-Salvador, R., Olmedo-Torre, N., Peña, M. et Renta-Davids, A.-I. (2021). Academic and emotional effects of online learning during the COVID-19 pandemic on engineering students. Education and Information Technologies, 26(6), 7407-7434. https://doi.org/10.1007/s10639-021-10593-1.

Baumer, B. S., Bray, A. P., Çetinkaya-Rundel, M., et Hardin, J. S. (2020). Teaching introductory statistics with Datacamp. Journal of Statistics Education, 28(1), 89-97. https://www.tandfonline.com/doi/pdf/10.1080/10691898.2020.1730734. Consulté le 11 décembre 2023.

Bethlehem, J. (2010). Selection bias in web surveys. International statistical review, 78(2), 161-188. https://www.jstor.org/stable/27919830. Consulté le 11 décembre 2023.

Becher, T. (1994). The significance of disciplinary differences. Studies in Higher Education, 19(2), 151-161. https://doi.org/10.1080/03075079412331382007.

Biglan, A. (1973). Relationships between subject matter characteristics and the structure and output of university departments. Journal of Applied Psychology, 57(3), 204-213. https://doi.org/10.1037/h0034699.

Bournaveas, V., Gueye, M., Cimpan, S. et Expósito, E. (2021, Janvier). Penser l’hybridation avec l’appui des Learning Analytics : l’approche HyPE 13 pour la formation des enseignants. Conférence QPES, La Rochelle, France. https://u-bordeaux-montaigne.hal.science/hal-03659104. Consulté le 11 décembre 2023.

Boyer, A. (2011). Les universités numériques thématiques : Bilan. STICEF, 18(1), 39-52. https://www.persee.fr/doc/stice_1952-8302_2011_num_18_1_1014. Consulté le 11 décembre 2023.

Bruillard, É. (2023). Pourquoi une grande majorité d’enseignants modifient/adaptent les ressources éducatives ? L’adaptation des ressources éducatives au cœur de la profession enseignante. Distances et Médiations des Savoirs, 42. https://doi.org/10.4000/dms.9076.

Catoire, P., Schneewele, M., Tesson, S. et Tricard, E. (2022). Pratiques pédagogiques en confinement : évolutions et usages des outils numériques en fonction du niveau d’enseignement. Sticef, 29(1). http://sticef.univ-lemans.fr/num/vol2022/29.1.2.catoire/29.1.2.catoire.htm. Consulté le 11 décembre 2023.

Chow, C.W., Deng, F.J. et Ho, J.L. (2000). The openness of knowledge sharing within organizations : A comparative study of the United States and the People’s Republic of China. Journal of Management Accounting Research, 12(1), 65-95. https://doi.org/10.2308/jmar.2000.12.1.65.

Cronin, C. et MacLaren, I. (2018). Conceptualising OEP : A review of theoretical and empirical literature in Open Educational Practices. Open praxis, 10(2), 127-143. https://search.informit.org/doi/abs/10.3316/INFORMIT.559671315718016. Consulté le 11 décembre 2023.

Hilton III, J., Bliss, T.J., Robinson, T.J. et Wiley, D.A. (2013). An OER COUP : College teacher and student perceptions of open educational resources. JIME https://jime.open.ac.uk/articles/10.5334/2013-04. Consulté le 11 décembre 2023.

Homans, G. C. (1958). Social behavior as exchange. American Journal of Sociology, 63(6), 597-606. https://doi.org/10.1086/222355.

Hylén, J. (2006). Open Educational Resources : Opportunities and Challenges. Paris : OECD’s Center for Educational Research and Innovation. http://www.oecd.org/edu/ceri/37351085.pdf. Consulté le 11 décembre 2023.

IGAENR (2016). Les universités numériques thématiques. https://www.duenes.fr/wp-content/uploads/sites/55/2016/12/rapport_unt_mai_2016-1.pdf. Consulté le 11 décembre 2023.

Iii, J.L.H., Gaudet, D., Clark, P., Robinson, J. et Wiley, D. (2013). The adoption of open educational resources by one community college math department. The International Review of Research in Open and Distributed Learning, 14(4). https://doi.org/10.19173/irrodl.v14i4.1523.

Impey, C., et Formanek, M. (2021). MOOCS and 100 Days of COVID : Enrollment surges in massive open online astronomy classes during the coronavirus pandemic. Social sciences & Humanities Open, 4(1), 100177. https://doi.org/10.1016/j.ssaho.2021.100177.

Jacqmin, J. (2018). Why are some online courses more open than others ? Available at SSRN 3289602. https://mpra.ub.uni-muenchen.de/89929/1/MPRA_paper_89929.pdf. Consulté le 11 décembre 2023.

Leval, P.N. (1990). Toward a fair use standard. Harvard law review, 103(5), 1105-1136. https://www.jstor.org/stable/pdf/1341457.pdf. Consulté le 11 décembre 2023.

Liao, C., To, P. L., et Hsu, F. C. (2013). Exploring knowledge sharing in virtual communities. Online Information Review, 37(6), 891-909. https://doi.org/10.1108/OIR-11-2012-0196.

Lin, Y.H., Ko, T.M., Chuang, T.R. et Lin, K.J. (2006). Open source licenses and the creative commons framework : License selection and comparison. Journal of information science and engineering, 22(1), 1-17.

Lockee, B.B. (2021). Online education in the post-COVID era. Nature Electronics, 4(1), Art. 1. https://doi.org/10.1038/s41928-020-00534-0.

Look, H. et Pinter, F. (2010). Open access and humanities and social science monograph publishing. New Review of Academic Librarianship, 16(S1), 90-97.

Massou, L. (2021). Usage pédagogique des ressources éducatives libres : quelles tensions entre ouverture et didactisation des ressources numériques ? Alsic. Apprentissage des Langues et Systèmes d’Information et de Communication. 24(2). https://doi.org/10.4000/alsic.5670

Massou, L., Papi, C., et Pulker, H. (2020). Des ressources aux pratiques éducatives libres : quelle réappropriation dans la formation ouverte et à distance ? Distances et Médiations des Savoirs, 31. https://doi.org/10.4000/dms.5251.

Mongenet, C. (2016). FUN, une plate-forme de MOOCs au service des établissements d’enseignement supérieur. Annales des Mines - Réalités industrielles, 2016, 42-47. https://doi.org/10.3917/rindu1.162.0042.

Picard, E. (2012). Les enseignants-chercheurs : Une évaluation centralisée. Du comité consultatif de l’enseignement supérieur au CNU (1873-1992). Spirales, 49, 69-82. https://www.persee.fr/doc/spira_0994-3722_2012_num_49_1_1109. Consulté le 11 décembre 2023.

Rolfe, V. (2012). Open educational resources : Staff attitudes and awareness. Research in Learning Technology, 20. https://doi.org/10.3402/rlt.v20i0.14395.

Romero Rodrigo, M. (2022). University students’ learning strategies depending on knowledge fields in online education. Educatio Siglo XXI, 147-167.

Rosenberg, M.J. (2009). The Conditions and Consequences of Evaluation Apprehension. Artifacts in Behavioral Research, 211-263. https://doi.org/10.1093/acprof:oso/9780195385540.003.0007

Seaton, D., Coleman, C., Daries, J. et Chuang, I. (2014). Teacher enrollment in MITx MOOCs : Are we educating educators ? Available at SSRN 2515385. https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm ?abstract_id =2515385

Shigeta, K., Koizumi, M., Sakai, H., Tsuji, Y., Inaba, R. et Hiraoka, N. (2017). A survey of the awareness, offering, and adoption of OERs and MOOCs in Japan. Open Praxis, 9(2), Art. 2. https://doi.org/10.5944/openpraxis.9.2.568.

Van Acker, F., Van Buuren, H., Kreijns, K. et Vermeulen, M. (2013). Why teachers share educational resources : A social exchange perspective. Dans Open educational resources : Innovation, research and practice (p. 177-191). Commonwealth of Learning and Athabasca University. https://research.ou.nl/ws/portalfiles/portal/940707/Van+Acker+et+al++-+2013.pdf. Consulté le 11 décembre 2023.

Van Acker, F., Vermeulen, M., Kreijns, K., Lutgerink, J. et Van Buuren, H. (2014). The role of knowledge sharing self-efficacy in sharing Open Educational Resources. Computers in Human Behavior, 39, 136-144. https://doi.org/10.1016/j.chb.2014.07.006.

Vrillon, É. (2017). Une typologie de MOOC de France Université Numérique (FUN). STICEF, 24(2), 1. https://www.persee.fr/doc/stice_1764-7223_2017_num_24_2_1741. Consulté le 11 décembre 2023.

Wang, S. et Noe, R.A. (2010). Knowledge sharing : A review and directions for future research. Human Resource Management Review, 20(2), 115-131. https://doi.org/10.1016/j.hrmr.2009.10.001.

Weber, S. (2004). The success of open source. Cambridge Mass : Harvard University Press.

Weller, M. (2013). The Battle for Open—A perspective. Journal of Interactive Media in Education, 15(3). https://doi.org/10.5334/2013-15.

Wiley, D. (2006). Open source, openness, and higher education. Innovate : Journal of Online Education, 3(1). https://www.learntechlib.org/p/104321/. Consulté le 11 décembre 2023.

Wiley, D., et Hilton III, J.L. (2018). Defining OER-enabled pedagogy. IRRODL, 19(4). https://doi.org/10.19173/irrodl.v19i4.3601.

Yilmaz, R. (2016). Knowledge sharing behaviors in e-learning community : Exploring the role of academic self-efficacy and sense of community. Computers in Human Behavior, 63, 373-382. https://doi.org/10.1016/j.chb.2016.05.055.

Zhu, Y. (2017). Who support open access publishing ? Gender, discipline, seniority and other factors associated with academics’ OA practice. Scientometrics, 111, 557-579.

Licence : CC by-sa

Notes

[1https://luniversitenumerique.fr/. Consulté le 11 décembre 2023.

[2On notera qu’UNJF n’existe plus en tant qu’UNT depuis janvier 2022, elle a quitté l’association des UNT et ses activités sont maintenant prises en charge par la Fondation Ius & Politi.

[3La liste de la grande majorité de ces sections (à l’exception du secteur de la santé), est disponible à cette adresse ; elles sont regroupées également en groupes de section, selon une approche que nous avons suivi pour la restitution des résultats https://www.galaxie.enseignementsup-recherche.gouv.fr/ensup/pdf/qualification/sections.pdf. Consulté le 11 décembre 2023.

Répondre à cet article

Qui êtes-vous ?
[Se connecter]
Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom