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Information scientifique et diffusion des savoirs : entre fragmentations et intermédiaires

Un article repris de http://journals.openedition.org/rfs...

Un articlede Chérifa Boukacem-Zeghmouri et Hans Dillaerts revie de la revue Française des Sciences de l’information et de la communication, un site sous licence CC by sa nc

Introduction

Jamais sciences et technologies n’ont autant animé les cercles de débats scientifiques, économiques, politiques et culturels que depuis ces trente dernières années. Ces débats se cristallisent d’abord autour des transformations de l’Université et des organismes de recherche au prisme de leur globalisation (Whitley, 2010) et sous la pression d’injonctions libérales (Radder, 2010). Ils se prolongent subséquemment autour des politiques publiques de recherche et d’évaluation qui interviennent dans la définition des modèles de diffusion des savoirs scientifiques et de leurs modèles d’affaires associés. La question importante des infrastructures de recherche dédiées en regard des pratiques des communautés scientifiques qui favorisent l’entrée de nouvelles catégories d’acteurs émarge également à un débat qui relève d’une économie politique de la communication scientifique (Tyfield, 2017).

Ces questions qui retiennent aujourd’hui l’attention des sciences humaines et sociales, sont en réalité anciennes. De par leur accélération et de par leur exacerbation, ils caractérisent pour la science, telle qu’elle se gouverne, telle qu’elle se produit et se diffuse aujourd’hui, y compris dans la société. Sciences et technologies sont donc, comme le soulignait Yves Gingras récemment (http://www.prixduquebec.gouv.qc.ca/​ceremonie/​index.html) le reflet de notre époque, qu’elles dominent et marquent de leur empreinte.

3a Science Ouverte, ou Open Science pour sacrifier aux anglicismes, puise ses potentialités réalisatrices dans cet entrelacs des sciences et des technologies qui permet de porter un regard instruit sur ce qui fait et définit aujourd’hui le statut de l’information scientifique.

Alors même que nous écrivons ces lignes pour achever ce numéro thématique, deux évènements significatifs touchent directement l’actualité du sujet :

 La première édition des Journées Nationales pour la Science Ouverte (JNSO), organisées par le Comité pour la Science Ouverte, intitulées « De la stratégie à l’action » (https://jnso2018.sciencesconf.org), qui se sont tenues du 4 au 6 décembre, à Paris. Ces journées prolongent l’annonce du « Plan national de la science ouverte » lancé par la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, Mme Frédérique VIDAL, le 4 juillet 2018, pour déployer une politique consacrée à l’ouverture de la science dans l’ensemble de son cycle, de la production, à la diffusion. Ces journées ont permis de mesurer le chemin parcouru depuis les premières déclarations en faveur du Libre Accès. Elles ont également donné à voir la complexité des enjeux qui président à la réalisation de l’agenda d’une science ouverte.

 L’annonce – à l’automne 2018 – et l’implémentation du Plan S (Else, 2018) et surtout de la controverse qui l’accompagne, portée par bon nombre d’acteurs de la publication scientifique (éditeurs, auteurs, agences de moyens et de financement de la recherche, bibliothèques). Ce plan, coalition de quelques-unes des plus grandes agences de financement nationales européennes, incluant pour la France l’Agence Nationale pour la Recherche (ANR), préconise la publication d’articles dans des revues ou plateformes en Libre Accès. Outre le fait que son implémentation reste encore à définir, à l’heure où nous écrivons ces lignes, le Plan S contribue à renforcer l’ouverture de l’accès à l’information scientifique validée, mais nous questionne quant à l’articulation des plateformes et des modèles de diffusion. Le Libre Accès poursuit ainsi sa migration des sphères militantes aux sphères des agendas politiques et scientifiques (Dillaerts, 2017). Et surtout, l’Openness devient plus que jamais le credo autour duquel les stratégies des acteurs privés – notamment les éditeurs historiques et les éditeurs Open Access – se construisent (Schöpfel, 2015).

Dès lors, tout en prenant appui sur l’enjeu de l’ouverture de la diffusion de l’information scientifique, se pose plus clairement la question de la redéfinition de la sphère de la communication scientifique qui comprend désormais une audience plus large et des attentes sociétales et socio-économiques plus importantes. Les modalités de production de l’information scientifique, associées à d’autres normes de communication, se retrouvent ainsi redéfinies à l’aune des modalités de la diffusion ouverte.

Le présent numéro, avait pour objectif initial de constituer un espace de discussion scientifique et critique pour les logiques de fragmentation et de montée des intermédiaires qui caractérisent la généralisation de la libre diffusion des savoirs scientifiques (voir appel : https://journals.openedition.org/​rfsic/​3509). Ces deux logiques sont documentées séparément dans la littérature anglo-saxonne. La fragmentation est traitée avec une focale informationnelle propre à l’Information Science and Librarianship (Bawden, 2012) tandis que la montée des intermédiaires est traitée par une focale Medias (Kohl, 2012).

Or, pour bien saisir l’ampleur des interactions entre sciences et technologies, autour desquelles s’organise notre thématique, nous avons fait le choix d’une approche info-communicationnelle. Il ne s’agit pas de marquer une différence ou une opposition, mais plutôt de bénéficier de la fécondité des liens qui existent entre ces deux pôles thématiques, que les dispositifs numériques resserrent. L’approche info-communicationnelle présente en effet l’intérêt de prendre en compte « production » et « diffusion », amont et aval, dans une dynamique où la modification de l’un entraîne des effets, voire des modifications de l’autre. Cette approche permet également d’ouvrir la thématique à un nouveau type de questionnements auxquels l’information scientifique n’est pas toujours soumise. Enfin, cette approche propre à l’analyse des filières des industries culturelles au sein desquelles émargent nos questionnements (Boukacem-Zeghmouri, 2015), est d’autant plus opérante et a été entendue et prise en compte par les auteurs des travaux accueillis au sein de ce numéro thématique.

Ainsi, neuf textes ponctuent le cheminement de ce dossier, mobilisant des terrains originaux pour des problématiques d’information scientifique avec des appareillages méthodologiques construits, associant approches quantitatives et qualitatives. Le numéro a accueilli deux textes anglophones et un écrit professionnel du monde des bibliothèques académiques, acteurs de la première heure pour la libre diffusion des savoirs scientifiques.

Pour structurer l’introduction du dossier, nous avons choisi de la présenter selon trois grands axes qui dégagent ce que nous identifions comme des enjeux de la tension que produit l’Openness sur les formes de diffusion et de circulation des savoirs scientifiques : « Le risque et l’engagement pour le chercheur », « Le message, c’est le médium », « Légitimité et légitimation des fragments ». Le lecteur pourra appréhender ces axes autant comme des lignes directrices destinées à valoriser les contributions reçues, que des axes programmatiques. Ils ont donc pour fonction de canaliser et de structurer les recherches actuelles autour des mutations de la communication et de la publication de l’information scientifique dans des modèles ouverts.

Le découpage proposé n’empêche pas des résonances entre les trois volets qui se complètent ou se recouvrent sur des concepts ou des objets communs. C’est le fruit d’une formulation de problématiques qui ont tenté de prendre en compte à la fois, des analyses de stratégies d’acteur, d’offre de contenus, de discours, de pratiques ou bien de qualification d’unités documentaires.

Les relectures – en double aveugle – faites aux étapes successives du résumé et de l’article, par le comité de lecture expert réuni pour ce numéro – que nous avons ici l’occasion de remercier vivement pour l’important travail accompli – ont largement contribué à faire que ces résonances se manifestent en maillage. Cela a pour intérêt de confirmer qu’à l’heure de la science ouverte, l’analyse des formes actuelles de la diffusion des savoirs scientifiques ne peut se faire sans la prise en compte des mutations des modalités de la production.

Risque(s) et engagement

Trois textes couvrent ici la question trop peu documentée de ceux de qui dépend la transition vers une diffusion ouverte des savoirs scientifiques, les « petites mains » de la diffusion, les chercheurs. Dans la chaîne de la valeur de plus en plus complexe de la diffusion ouverte des savoirs scientifiques, le risque et l’engagement du chercheur à diffuser librement ses savoirs est une question fondamentale. Elle fait du chercheur un acteur à part entière, qui face aux politiques d’évaluation de la recherche, à une science globalisée et à des infrastructures transversales, développe ses propres stratégies. Elles visent à minimiser le risque et l’incertitude pour sa trajectoire professionnelle, tout en sacrifiant à des valeurs auxquelles il adhère.

Le texte de Philippe Terral, de l’Université Paul Sabatier, intitulé « La recherche interventionnelle en santé : divers engagements dans la production collaborative de connaissances » investi le domaine interdisciplinaire des Recherches Interventionnelles en Santé des Populations (RISP), pour donner la parole à des acteurs s’exprimant sur des pratiques. Ils nous donnent ainsi leur perception de la nature de l’engagement dans la production collaborative et interdisciplinaire. La recherche est fondée sur de l’observation ethnographique, couplée à des entretiens semi-directifs. Les quatre catégories descriptives d’engagement dégagées par l’analyse de l’auteur sont des niveaux de collaboration interdisciplinaire. Elles sont à appréhender comme des étapes d’adhésion des acteurs aux injonctions des politiques publiques de recherche à collaborer par l’interdisciplinarité comme levier de la circulation des savoirs (Dillaerts, 2014). Cette contribution est particulièrement intéressante à partir du versant des ajustements de la conception des acteurs quant à leurs conceptions de la diffusion et de la circulation de l’information scientifique. Elle révèle les leviers et les motivations de la collaboration de la même façon qu’elle met la lumière sur les difficultés et les obstacles.

Le texte de David Nicholas, du groupe de recherche Ciber et ses co-auteurs, intitulé « Early career researchers : observing how the new wave of researchers is changing the scholarly communications market », rend compte des résultats intermédiaires d’une étude menée sur trois années auprès d’un panel de 116 jeunes chercheurs, issus de 7 pays (Chine, France, Espagne, États-Unis, Malaisie, Pologne, Royaume-Uni) qui cheminent dans un monde académique compétitif et globalisé, en vue de s’y établir. L’étude a constitué un observatoire inédit des pratiques de cette communauté que l’on peut qualifier tour à tour de jeune, précaire, compétitive et mobile. L’intérêt de l’étude réside dans le fait de donner à voir les stratégies déployées par ces jeunes chercheurs dans la course aux postes et à la titularisation, et plus particulièrement, la manière avec laquelle ils ont recours à l’offre élargie d’outils et de plateformes numériques pour participer – ou pas – à la libre diffusion de leur production scientifique. L’étude donne à voir les déterminants de la participation des jeunes chercheurs aux dynamiques « Open » de la diffusion des savoirs scientifiques, de leurs tensions avec les logiques d’évaluation des carrières des chercheurs, du rôle des cultures disciplinaires, ou bien encore des questions plus pragmatiques de formation et de compétences. L’un des apports majeurs de l’étude est qu’elle nous apprend que la libre diffusion des savoirs scientifiques, valeur partagée entre chercheurs, n’est mobilisée que si elle ne rentre pas en conflit de leurs intérêts de succès dans leur carrière.

Le texte de Joachim Schöpfel, d’Hélène Prost et d’Amel Fraisse de l’Université de Lille, s’est penché sur la place de la publication en Libre Accès dans les revues de référence pour les sciences de l’information et de la communication (SIC). Le texte émarge aux nombreux travaux qui analysent et documentent depuis quelques années la « transition Open » des revues scientifiques et de leur modèle éditorial (Chartron, 2017). Les résultats exposés sont intéressants au titre de la discipline à laquelle nous appartenons bien entendu, mais également au titre d’autres disciplines qui peuvent révéler les mêmes tendances : la marche – parfois forcée – vers une diffusion en Libre Accès (Chartron, 2018). Celle-ci mérite l’attention de nos analyses, car elle peut montrer le caractère instrumental de l’Openness dans des disciplines où les communautés ne montrent pas encore de normes sociales adaptées. En creux des tensions et des articulations entre les deux principales voies du Libre Accès (le vert et le doré), se dégagent les stratégies commerciales des éditeurs et les politiques d’évaluation de la recherche qui jouent de concert un rôle intégratif des modèles ouverts de diffusion. Enfin, un autre intérêt de cette recherche est de montrer les différents niveaux et nuances d’ouvertures des revues, en fonction de leur impact, orchestrés par les éditeurs, et qui n’est pas sans lien sur les pratiques et stratégies de publication des chercheurs.

« Le message, c’est le médium »

Au sein de cet axe, nous regroupons trois textes qui montrent le poids des intermédiaires dans les régulations actuelles de la publication scientifique, notamment le recours systématique à la plateforme comme stratégie d’intégration, dans les pratiques des chercheurs, et par là même dans la filière de la publication de l’information scientifique. Les textes réunis ici soulignent donc, à travers des terrains différents, le phénomène de « plateformisation » (Bouquillion, 2018) qui opère également dans ce secteur et qui participe à un niveau supplémentaire d’industrialisation de la filière (Mirowski, 2018). La plateforme devient « l’outil » par lequel une nouvelle catégorie d’acteurs devient éligible à investir le monde de la publication de l’information scientifique ouverte. Dans cette transition vers l’Openness, les pratiques ne font pas toujours la distinction entre des plateformes d’archives ouvertes, de médias sociaux ou d’éditeurs, pas plus qu’elles ne font la distinction entre le statut des contenus qui y sont archivés, téléchargés, stockés, diffusés. Ceci n’est pas sans rappeler la célèbre formule de Marshal McLuhan « The medium is the message » (McLuhan, 1977).

Le texte d’Évelyne Broudoux, de l’INTD CNAM, intitulé « Ecrilecture : la littératie informationnelle à la croisée de l’offre et des services des intermédiaires », montre comment les pratiques et modalités d’élaboration et de production des contenus scientifiques sont désormais assistés de plateformes développées par une nouvelle catégorie d’acteurs, issus pour la plupart du Web. Dans une approche de Data Reuse, l’auteure fait une réutilisation de données d’une enquête au profit d’une problématique ambitieuse : elle fait le pari de qualifier la nature des intermédiaires impliqués, de caractériser leur offre de services et leurs stratégies, tout en donnant à voir leur impact sur ce que l’auteur qualifie d’écrilecture. Le texte rejoint en cela une des thématiques de l’appel à articles du numéro et couvre ainsi une question encore peu exploitée dans la littérature francophone. Dans son analyse, Évelyne Broudoux montre que la montée des intermédiaires dans la filière de la publication scientifique, aux côtés des acteurs historiques, se fonde entre autres sur un agenda d’Openness. Cependant, celui-ci achoppe encore à des pratiques encore peu développées, notamment en matière d’« Open Peer reviewing ».

Le texte de Natália Martins Flores et de Priscila Muniz de Medeiros, respectivement de l’université de Pernambuco et de l’Université de Alagoas, au Brésil, intitulé « Science on YouTube : Legitimation Strategies of Brazilian Science YouTubers » nous montre depuis un terrain brésilien la place qu’occupe un acteur du Web, Youtube, dans les pratiques de diffusion des savoirs scientifique en direction du grand public. Cette recherche s’appuie sur un cadre théorique français pour analyser les stratégies de légitimation des YouTubers fondées sur des scénographies discursives variées (didactique, scientifique ou bien encore journalistique). La figure du Youtuber, qui repose et dépend de la plateforme Youtube, est à appréhender comme un nouvel acteur de la diffusion des savoirs, entre le spécialiste et le médiateur scientifique (Welbourne, 2016) (Bed-Deum, 2016). Ce que révèle aussi en creux cette étude, est l’enjeu fort de la compétition pour une audience large et réactive, qui fait la valeur d’un nouveau genre narratif de la communication de la science, et par là même de la plateforme elle-même. Notoriété et réputation des youtubers dépendent de métriques, comptabilisées par un algorithme opaque, instable et dont le maître mot est « Impact » (Boukacem-Zeghmouri, 2017).

Le texte de Lucie Delias et Mélanie Lallet, intitulé « La remédiation des savoirs en santé dans les communautés en ligne sur les transidentités » nous donne l’occasion d’observer la manière dont des communautés, constituées et déployées en ligne, qualifiées ici de communautés épistémiques, prennent elles-mêmes en charge la production et la diffusion de savoirs scientifiques. Cette remédiation dépathologisante de la santé des personnes trans nous montre comment en regard de l’expertise scientifique légitime, peut se constituer, grâce aux plateformes du Web, une l’expertise profane. Mais plus fondamentalement, à l’heure où la fraude scientifique jette l’opprobre sur l’intégrité de la démarche scientifique, l’article pose en filigrane, la question de l’amateur (Flichy, 2010) et des déterminants de la confiance que peuvent porter les profanes à la parole du scientifique (Nowotny, 2001) (Nicholas, 2014). La libre circulation et diffusion des savoirs scientifiques ouvre la voie à des stratégies communicationnelles, véritable levier de réappropriation politique et participative des savoirs par des amateurs « sachants ».

La légitimité des fragments

Les textes qui composent le dernier volet de ce numéro thématique convergent dans le fait d’investiguer la valeur de « contenus » peu visibles, peu valorisés, et dont la reconnaissance de leur double statut documentaire et scientifique est questionnée. ll s’agit par la même occasion de comprendre dans quelle mesure, ces pratiques de conception « fragmentée » participent – ou non – à des intentionnalités de recherches ouvertes et collaboratives (Cotte, 2017). De manière corollaire, il est question de rendre compte de la légitimité des fragments à travers leur lisibilité documentaire (Bachimont, 2004) dans les intentionnalités de production des chercheurs qui participent ainsi aux mutations du statut du document scientifique.

Le texte de Elsa Poupardin et Mélody Faury, de l’Université de Strasbourg, intitulé « Hypotheses.org : l’inscription d’une pratique de communication dans l’activité de recherche » nous conduit à considérer la légitimité des formes de production de l’information scientifique. Cette question est d’autant plus importante que l’ouverture de l’accès et l’élargissement de la diffusion nous engagent à repenser le statut des vecteurs établis de la communication scientifique, tel que l’article. De fait, peut-on envisager que le système de la communication scientifique puisse intégrer et donc légitimer de nouvelles formes de production ? La question n’est pas nouvelle (Guéret, 2013) (Shema, 2012), mais les auteurs y répondent par une approche originale qui donne la parole aux carnetières et carnetiers de la plateforme Hypothèses.org, tout en analysant leurs pratiques. L’analyse permet d’appréhender neuf logiques qui entrent en jeu dans la manière avec laquelle les carnetiers et les carnetières envisagent leur « travail ». Mais surtout elle permet de conclure que le blogging scientifique ne se substitue pas à la publication scientifique confirmant ainsi les résultats de travaux portés sur d’autres terrains. Un autre apport de cette contribution, réside dans sa discussion de l’appareillage méthodologique pour décrire, discuter et rendre compte de la circulation de ce type de production de connaissance.

Un véritable chantier de recherche pour les SIC s’entrouvre ici, et permet d’observer par un angle de vue inédit de quelle manière les mécanismes de l’évaluation de la recherche scientifique participent – et dans certains cas exacerbent – un processus de fragmentation amorcé par l’instrumentation technique (reprographie puis numérique). En découlent de manière directe les travaux actuels autour des nouvelles métriques de l’impact, scientifique et social, sur le Web (Boukacem-Zeghmouri, 2017) (Desrochers, 2018). Le champ même de la bibliométrie s’en trouve renouvelé et appelle à mobiliser de nouvelles méthodologies (Thelwall, 2016).

Nathalie Joubert, de l’Université de Toulouse III, dans son texte Du médiateur documentaire traditionnel au producteur de dispositifs info-communicationnels : application d’une méthode documentographique à des documents cartographiques dormants prolonge ce versant de l’axe avec une contribution qui nous engage à prendre en compte de nouvelle approches, notamment documentographiques, qui permettent de décrire et diffuser la valeur des connaissances des documents non-textuels. Ici, c’est l’objet documentaire « cartes » qui est investi, dans une double approche info-communicationnelle. Des gisements de documents sont revisités à l’aune d’usages, autres que ceux pour lesquels ils ont été destinés. Cette proposition montre la nature des nouvelles formes de médiations documentaires que proposent aujourd’hui les communautés des professionnels des bibliothèques et de l’information pour donner de la valeur à des contenus jusque-là peu explorés.

L’article d’Isabelle Gras et de Charles Zaremba, d’Aix-Marseille Université, intitulé « La coopération entre l’archive ouverte HAL AMU et les Presses universitaires de Provence : une dynamique au service de la science ouverte et de la bibliodiversité » vient prolonger cette thématique, en montrant comment des communautés de professionnels peuvent être amenées à collaborer ensemble pour réaliser un plus grand partage des connaissances scientifiques, par le biais d’une archive ouverte (HAL). Cette contribution, qui participe à un élargissement de la typologie des documents scientifiques, montre de manière concrète et particulièrement intéressante, comment cette démarche rejaillit sur la reconnaissance des métiers de la médiation documentaire et scientifique (Borrego, 2018). Les missions des établissements ne sont pas en reste et connaissent, elles aussi, des questionnements et des adaptations. Le partage des infrastructures, des compétences et la réflexion commune pour l’accès et la préservation des savoirs scientifiques devient donc un levier pour l’adaptation et l’ajustement aux nouveaux contextes « ouverts » dans lesquels ils se pratiquent. Ce retour d’expérience, focalisé sur l’évolution des pratiques professionnelles des deux communautés, n’est pas sans questionner, par réflexivité, la transformation des objets de l’information-documentation, de ses techniques et de ses enseignements (Finlay, 2015).

Pour conclure, nous rappellerons simplement que la question de la diffusion libre de l’information scientifique, est ancienne. Elle est abordée, dès 1942, par, Robert K. Merton (Merton, 1942), fondateur de la sociologie des sciences, dans une période où toutes les formes de démocraties ont été menacées. D’autres disciplines se sont emparées de cette question comme nous avons eu l’occasion de la rappeler, sans pour autant l’épuiser. Le rôle que jouent aujourd’hui les technologies numériques dans la concrétisation d’une diffusion ouverte des savoirs scientifiques inscrit cette thématique au sein de celles éligibles aux recherches en SIC. Pour traiter pleinement de cette question, qui se caractérise aujourd’hui par la complexité de ses enjeux et par la permanence de son évolution, l’approche info-communicationnelle est indispensable. Alors qu’elle s’inscrit dans l’identité des SIC en France, elle commence seulement à être formalisée à l’étranger, où elle est présentée comme un défi de recherche majeur pour appréhender les mutations de la diffusion des savoirs scientifiques (Altman, 2018). C’est cette approche que ce dossier a souhaité souligner, c’est à cette approche qu’il a tenté de contribuer.

Bibliographie
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Référence électronique

Chérifa Boukacem-Zeghmouri et Hans Dillaerts, « Information scientifique et diffusion des savoirs : entre fragmentations et intermédiaires », Revue française des sciences de l’information et de la communication [En ligne], 15 | 2018, mis en ligne le 01 janvier 2019, consulté le 09 février 2019. URL : http://journals.openedition.org/rfsic/5522

Auteurs

Chérifa Boukacem-Zeghmouri est Professeure en Sciences de l’Information et de la Communication à l’Université de Lyon, Lyon 1 (Département Informatique) et membre de l’Équipe Lyonnaise en Information Communication (ELICO 4147). Ses travaux de recherches analysent les mutations de la communication scientifique entre pairs, vers des modèles ouverts et collaboratifs. Les nouvelles formes de production, de circulation, d’évaluation et de légitimation de la recherche scientifique constituent depuis plusieurs années ses principales thématiques de recherches. Elle a, dans ce champ, employé des approches qualitatives et bibliométriques qu’elle mobilise de manière séparée ou articulée. Elle a publié dans des revues nationales et internationales, participé à des expertises européennes, organisé des évènements scientifiques nationaux et internationaux, dont une journée nationale dédiée à la science ouverte en juin 2018. Elle a porté et participé à plusieurs projets de recherches nationaux (dont une ANR JCJC) et internationaux (dont un projet européen et une étude financée par la CE) dont les thématiques relèvent de l’économie politique de la publication scientifique. Chérifa Boukacem-Zeghmouri est co-pilote (avec Didier Torny) du groupe de travail (GT) « Evaluation » du Comité pour la Science Ouverte (COSO).

Articles du même auteur

Early career researchers : observing how the new wave of researchers is changing the scholarly communications market. Paru dans Revue française des sciences de l’information et de la communication, 15 | 2018

Hans Dillaerts est Maître de Conférences en Sciences de l’Information et de la Communication à l’Université Paul-Valéry Montpellier 3 où il est responsable de la licence professionnelle Dispositifs de gestion et de diffusion de l’information numérique. Il est directeur du département Information Documentation – (ITIC) et membre de l’équipe de recherche LERASS-CERIC. Ses thématiques de recherche s’articulent, depuis sa thèse de doctorat, autour des modes de production, de médiatisation et de diffusion des savoirs scientifiques. Elles s’inscrivent dans une approche socio-économique de l’information scientifique et technique. Il anime deux sites web dédiés à ses thématiques, InfoDoc MicroVeille
 https://microblogging.infodocs.eu/ et le carnet de recherche collaboratif DLIS
 https://dlis.hypotheses.org/

Licence : CC by-nc-sa

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