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Des postcasts pour un cours de mathématiques : analyse d’une première expérience

Des postcasts pour un cours de mathématiques : analyse d’une première expérience.

Première analyse du projet "Pod-En-Math".


Martine De Vleeschouwer 1, Marie-Ange Remiche 2

mdv@math.unamur.be

1Université de Namur, Faculté d’informatique, Namur, Belgique
2Université de Namur, Département de math, Namur, Belgique


Résumé :

Nous présentons ici une première partie d’une expérience d’enseignement proposée à l’Université de Namur (Belgique) qui propose des podcasts téléchargeables par les étudiants. L’objectif est, entre autres, d’illustrer ce qui est attendu en matière de rigueur dans un cours de mathématique.


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Un article publié au VIIIe Colloque des Questions de Pédagogie dans l’Enseignement Supérieur, Brest, 17, 18 et 19 Juin 2015.

I. INTRODUCTION

Cet article présente l’analyse d’une expérience menée à l’université de Namur dans le cadre de cours de mathématiques donnés à des étudiants inscrits en début de parcours universitaire en informatique ou en sciences économique, option management de l’information. Nous présentons dans un premier temps le contexte et la problématique dans lesquels s’inscrit l’expérience menée. Nous décrivons ensuite le dispositif pédagogique mis en place avant d’en faire un bilan critique. Nous concluons en proposant des perspectives au projet existant.

II. CONTEXTE ET PROBLEMATIQUE

Nous nous plaçons dans le contexte général de transition lycée-université et des difficultés diverses qui peuvent en résulter auprès des étudiants [Artigue, 2004][De Guzman et al, 1998]. Cette problématique n’est pas neuve et a déjà été étudiée selon différentes approches [Gueudet, 2008][Bloch et Durand-Guerrier, 2008]. Nous choisissons ici de questionner des pratiques mathématiques. Pour ce faire, nous nous appuyons sur une description d’organisations mathématiques (OM) proposée par Chevallard [2007]. Une OM est constituée d’un bloc "pratique", appellé practico-technique, et d’un bloc "théorique", nommé technologico-théorique. Selon que l’on se place d’un côté ou de l’autre de la frontière secondaire-université, on constate des différences dans les manières dont sont travaillées les OM. [Bosch et al, 2004][Winsløw, 2008]. En effet, l’enseignement secondaire n’insiste généralement pas sur la théorie dans le travail d’une OM. L’accent est davantage porté sur le bloc "pratique". Dans ce bloc, nous notons bien entendu l’importance du travail de la technique pour résoudre des types de tâches proposés aux élèves dans l’enseignement secondaire. Mais dans l’enseignement traditionnel des mathéma-tiques au niveau universitaire pour des sections telles l’informatique ou la physique, le bloc pratique et le bloc théorique des OM ont une importance quasi équivalente. En témoigne la répartition généralement équivalente classiquement proposée dans les programmes universitaires entre le cours théorique et les travaux dirigés (TD). Il n’est alors pas évident pour les élèves devenus étudiants de comprendre l’articulation entre les blocs pratique et théorique des OM proposées à l’université.
C’est cette problématique que nous avons choisi de travailler en nous posant la question suivante :
Peut-on proposer aux étudiants un dispositif d’enseignement qui les aide dans l’articulation entre les parties pratique et théorique des organisations mathématiques à l’université ?
Nous nous sommes penchées sur cette problématique dans le contexte de l’université de Namur (Belgique). Notre attention se porte sur un cours de "Mathématiques pour l’informatique". Ce cours est donné, par un même titulaire, en deux parties : une première partie "Mathématiques pour l’informatique I" (MpI_1) ; une deuxième partie "Mathématiques pour l’informatique II" (MpI_2).
Le cours MpI_1 est un cours de mathématiques à destination des étudiants de première année de bachelor en informatique et des étudiants de première année de bachelor en ingénieur de gestion, option management de l’information. Il se donne au premier quadrimestre de l’année à raison de 15h de théorie et de 15h de travaux dirigés (T.D.). Remarquons que le cours MpI_1 vient en complément d’un cours de "Mathématiques générales" (45h + 22,5h TD ; 2 ECTS) qui revoit et approfondit les techniques calculatoires en mathématiques (polynômes, dérivées, intégrales, …). Le cours de "Mathématiques pour l’informatique I" présente quant à lui les concepts propres à la logique du premier ordre, au calcul booléen, aux fonctions de codage (en particulier le codage linéaire systématique) et à la représentation des nombres entiers et réels.
Le cours MpI_2 (30h + 30h de TD ; 5 ECTS) est à destination des étudiants de deuxième année de bachelor en informatique, de deuxième année de bachelor en ingénieur de gestion, option management de l’information, ainsi qu’aux étudiants inscrits en année préparatoire au Master en informatique.
Le cours MpI_2 peut être considéré comme la suite logique du cours MpI_1. En effet, après un rappel de la logique du premier ordre, il met en évidence différentes techniques de démonstration. Ensuite, il reprend quelques fondements mathématiques (théorie des ensembles, théorie des relations, ensembles ordonnés, analyse combinatoire). Enfin, des mathématiques discrètes sont proposées (arithmétique et cryptographie, équations de récurrence).
Nous présentons maintenant le dispositif mis en place dans le but d’aider les étudiants concernés par les cours MpI_1 et MpI_2 à travailler des OM complètes, et comprendre ainsi la rigueur attendue d’un cours de mathématiques.

III. ORIGINES ET PRESENTATION DU DISPOSITIF

En 2013, l’Université de Namur (Belgique) lançait un appel à projets pédagogiques innovants, baptisé "Pédagogie Universitaire Namuroise en Changement" (PUNCH). C’est dans ce contexte que le dispositif "Pod-en-Math" a vu le jour. Le titulaire du cours "Mathématiques pour l’informatique", parties I et II, y a vu une opportunité de pouvoir répondre à la question posée à la section précédente et ainsi améliorer l’enseignement proposé dans le contexte de ses deux cours.
Le projet se décompose en deux phases. Dans un premier temps, Pod-en-Math propose la création et mise à disposition de capsules vidéo (podcasts) pour les étudiants des deux cours décrits dans la section précédente (cette phase a été lancée en septembre 2013). Le point de départ de ces vidéos est toujours la proposition d’une tâche à résoudre. Au cours de la vidéo, des rappels théoriques apparaissent régulièrement pour justifier les choix des techniques qui sont utilisées lors de la résolution de la tâche proposée, marquant ainsi de manière explicite le lien entre les deux blocs des organisations mathématiques travaillées. Ainsi, l’importance n’est pas tant portée sur la technique de résolution et la solution finale de l’exercice que sur le discours qui permet de justifier la technique utilisée, ce discours étant avalisé par la théorie rappelée dans la vidéo. Deux types de podcasts sont prévus :
1. Des podcasts reprenant des exercices relativement simples à résoudre. Il est recommandé aux étudiants d’écouter le contenu de ces capsules après le cours théorique, avant de se rendre aux TD, de manière à ce qu’ils puissent voir et entendre ce qui est attendu lors de la résolution d’un exercice. En effet, lors de la réalisation de ces capsules, une attention particulière est apportée à l’articulation entre les blocs pratique et théorique des organisations mathématiques proposées.
2. Des podcasts proposant la résolution d’exercices plus complexes, comme ceux qui peuvent être proposés lors d’un examen. Le même principe de présentation des deux blocs pratique et théorique y est bien entendu toujours d’application.
La volonté d’intégrer le podcast dans l’enseignement supérieur n’est pas neuve (voir par exemple [Roland et Emplit, 2015]). Cependant, un certain nombre de ces solutions sont pour la plupart celles d’une diffusion de cours enregistrés en direct dans l’auditoire. Nous désirons ici nous concentrer sur des podcasts courts, dont l’objectif est de mettre en évidence le raisonnement mathématique et une utilisation à bon escient du langage mathématique. A ce titre, nos podcasts sont comparables à ceux proposés sur le site Exo7 (http://exo7.emath.fr). Nos exercices s’inscrivent par contre dans un parcours pédagogique propre à un enseignement particulier.
Dans la phase 2 (mise en application à partir de septembre 2014), le projet Pod-en-Math propose, uniquement aux étudiants du cours MpI_2 (qui ont donc déjà visionné des podcasts), de réaliser leur propre vidéo pour présenter la résolution d’un exercice qui leur a été donné. Pour les inciter à prendre sérieusement en compte cette création de vidéo, le titulaire du cours a décidé d’y consacrer 15% de la note finale de l’examen.
Dans la suite de cet article, nous ne présenterons que la première phase du projet Pod-en-Math, car la phase 2 est seulement en cours de réalisation.

IV. ANALYSE

Pour analyser la phase 1 du dispositif Pod-en-Math, nous nous baserons sur une analyse critique de la coordinatrice du projet et titulaire des cours "Mathématiques pour l’informatique I et II" ; mais également sur des statistiques de téléchargement des capsules ainsi que sur une enquête d’opinion menée auprès des étudiants ayant été confrontés à la première phase du projet. L’enquête a été lancée après la première évaluation certificative du cours MpI_1 (janvier 2014) auprès des étudiants ayant été confrontés à la première phase du projet. Soixante-et-un étudiants, soit près de 50% des inscrits au cours MpI_1, y ont répondu complètement.
Lors de la mise en œuvre de la première phase du projet, des difficultés pratiques ont tout d’abord été rencontrées, comme par exemple la difficulté de trouver un outil informatique adapté, ainsi que la sous-évaluation du temps nécessaire à la création d’une vidéo. Cette dernière opération est effectivement chronophage, mais n’oublions pas qu’il s’agit d’un investissement à long terme. En ce qui concerne l’outil de diffusion des podcasts, c’est la plate-forme de cours de l’université, WebCampus, qui a finalement été sélectionnée, avec l’avantage de ne pas devoir développer une plateforme de diffusion, mais le désavantage de ne pas pouvoir être accessible en ligne en dehors d’une connexion avec le site de l’université. Remarquons que les versions .avi des vidéos disponibles sur Webcampus peuvent être visionnées hors ligne, à condition d’avoir été précédemment téléchargées. Précisons que seuls les étudiants inscrits aux cours concernés ont accès à ces vidéos.
Une fois les podcasts créés et mis à disposition des étudiants sur la plate-forme de cours de l’université, les statistiques de téléchargement et les réponses à l’enquête d’opinion ont montré qu’une grande majorité des étudiants n’a pas utilisé les podcasts pour faire le lien entre le cours théorique et les TD pendant le quadrimestre d’enseignement. Les vidéos ont par contre été appréciées par les étudiants lors de la préparation de l’examen. Les étudiants ont particulièrement apprécié avoir à leur disposition un ensemble d’exercices complexes (de type exercice d’examen) dont la résolution était détaillée. Ils sont d’ailleurs demandeurs de plus de vidéos de ce type.
Il semble donc que les étudiants aient davantage considéré les podcasts comme des outils leur permettant d’accéder à la résolution d’exercices, avec un focus sur les techniques de résolution et la solution obtenue, sans percevoir directement l’utilité de la théorie présentée, ni l’exigence de rigueur mathématique qui y est illustrée. Nous pouvons interpréter cette constatation comme un phénomène typique de transition secondaire-université : l’ancien contrat didactique est encore d’application pour une majorité des étudiants lors du premier quadrimestre de cours à l’université. L’importance de la partie théorique des organisations mathématiques n’est pas encore pleinement perçue. Des rencontres individuelles sont alors organisées pour mettre en lumière cette faiblesse dans leur apprentissage propre, faiblesse souvent responsable de leur échec.
Le peu d’utilisation des podcasts de la part des étudiants durant le quadrimestre d’enseignement peut aussi s’expliquer par le faible nombre de crédits associé au cours MpI_1 (2 ECTS), ainsi que par le manque d’incitant explicite reliant l’utilisation des podcasts à la note certificative du cours. Le nombre d’ECTS a été revu à la hausse pour les années suivantes.
Les étudiants qui ont manifesté un intérêt tout particulier pour le système, nous ont indiqué avoir grandement bénéficié de ces vidéos. Non seulement, elles leur ont permis de se rassurer avant l’évaluation certificative, mais pour ceux qui ont dû présenter l’examen en seconde session, elles constituaient un rappel précis des notions de base de concepts vus parfois dix mois plus tôt dans l’année. Sur base de leurs expériences, on peut dire que le projet a contribué à la diminution de leur anxiété [Lyons et Beilock, 2012].

V. CONCLUSION ET PERSPECTIVES

En conclusion, nous pouvons dire que si l’évaluation de la phase 1 du projet Pod-en-Math ne permet pas d’affirmer que ce dispositif rend plus explicite, pour les étudiants, le lien entre la partie pratique et la partie théorique des organisations mathématiques travaillées dans le cours de "Mathématiques pour l’informatique", nous restons cependant optimistes et confiantes pour la suite du projet. En effet, nous savons que la transition entre le secondaire et l’université est un processus qui n’est pas terminé après un quadrimestre de cours à l’université. L’analyse de l’expérience menée l’année académique 2013-2014 et présentée dans cet article nous permet d’améliorer le dispositif pour l’année académique 2014-2015 en étant par exemple plus explicite dans le discours tenu auprès des étudiants pour la motivation à l’utilisation des podcasts. De plus, rappelons que ce que nous avons présenté dans cet article ne concerne que la phase 1 du projet Pod-en-Math.
La phase 2, qui prévoit la réalisation par les étudiants de leur propre vidéo, est actuellement en cours (à l’heure d’écrire ces lignes). Cette phase peut difficilement être réussie avec succès si les étudiants n’ont pas déjà visionné au préalable différentes capsules vidéo illustrant ce qui est attendu d’eux dans la phase 2. De plus, pour les aider dans cette création de vidéo, les étudiants ont l’occasion de prendre contact avec un assistant qui pourra les renseigner, entre autres, sur la qualité du contenu mathématique de leur vidéo. Sur base de ces conseils, gageons que l’importance du discours justifiant les techniques de résolution ne peut que se révéler aux étudiants lors de la réalisation de leur propre vidéo. Le processus de transition secondaire-université, regardé sous l’angle de la complétude d’organisations mathématiques, est un processus tellement lent…

REFERENCES

Artigue M.  (2004). Le défi de la transition secondaire-supérieur. Que peuvent nous apporter les recherches en didactique des mathématiques ? Actes du premier "Congrès Canada-France des sciences mathématiques", Toulouse, 12-15 juillet 2004. Toulouse, France.

Bloch, I., Durand-Guerrier, V. (2008). "Etude d’une question ouverte : les transitions entre l’enseignement secondaire et les filières post-secondaire". In Rouchier A. et Bloch I. (dir). Perspectives en didactique des mathématiques : Cours de la XIIIème école d’été de didactique des mathématiques. Grenoble : La Pensée Sauvage, pp. 153-158.

Bosch M., Fonseca C. et Gascón J. (2004) "Incompletitud de las Organizaciones Matemáticas Locales en las instituciones escolares". Recherches en Didactique des Mathématiques, 24, nº 2-3, pp. 205-250. (Original en espagnol, et en français, traduction de Susana Murillo, de l’Université de Toulouse)

Chevallard, Y. (2007). Passé et présent de la théorie anthropologique du didactique. "Premier congrès de la théorie anthropologique du didactique", Universidad de Jaén, 27-30 octobre 2005. Baeza, Espagne : L. Ruiz-Higueras, A. Estepa, & F. Javier García (Éd.).

De Guzman M., Hodgson B.R., Robert A., Villani V. (1998). Difficulties in the passage from secondary to tertiary education, Documenta mathematica, extra volume ICM 1998. http://www.mat.ucm.es/catedramdeguzman/old/ 05edumat/icm98berlin/ICM98.htm (page visitée en novembre 2014)

Gueudet, G. (2008). "Investigating the secondary-tertiary transition". Educational Studies in Mathematics, 67 n°3, pp. 237-254.

Lyons, I.M., Beilock, S.L. (2012). When Math Hurts : Math Anxiety Predicts Pain Network Activation in Anticipation of Doing Math. PLoS ONE 7(10), e48076.doi:10.1371/journal.pone.0048076 (page visitée en décembre 2014)

Roland, N., Emplit, Ph. (2015). Enseignement transmissif, apprentissage actif : usages du podcasting par les étudiants universitaires. Revue internationale de pédagogie de l’enseignement supérieur [En ligne], 31-1, http://ripes.revues.org/932 (page visitée en mars 2015)

Winsløw, C. (2008). Transformer la théorie en tâches : la transition du concret à l’abstrait en analyse réelle, in Rouchier A. et Bloch, I. (dir.) Perspectives en didactique des mathématiques. Cours de la XIIIe école d’été de didactique des mathématiques, CD-Rom. La Pensée Sauvage, Grenoble.

Licence : CC by-sa

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