Un article repris de la Revue internationale de pédagogie de l’enseignement supérieur, une publication sous licence par défaut CC by
Pratiques enseignantes et développement professionnel
La période pandémique a causé de nombreux changements dans les pratiques enseignantes et participé au développement de la compétence numérique, tout en favorisant l’émergence de certaines préoccupations jusque-là inexistantes pour plusieurs d’entre elles. C’est le cas, par exemple, pour les évaluations à distance qui suscitent, plus que jamais, de l’inquiétude et des doutes chez le personnel enseignant qui s’interroge notamment sur la manière de s’assurer de la véritable identité de l’étudiant ou de l’étudiante en ligne.
L’article de Gruslin, Roy et Poellhuber (Canada) présente les résultats d’une étude de cas longitudinale menée auprès de deux enseignants du milieu collégial québécois. À l’aune d’une perspective professionnalisante et de la théorie de l’autodétermination, l’autrice et les auteurs de cet article s’intéressent à la satisfaction des besoins fondamentaux dans le cadre du processus de développement professionnel (DP). En contexte pandémique, les changements de pratique ont précédé les formations du personnel enseignant, ce qui a permis de constater la capacité de ces changements à agir comme moteur du processus de DP. On y rappelle également l’importance du soutien des besoins fondamentaux en tant que vecteur de bien-être et de motivation autonome, deux facteurs déterminants du DP. Dans cette même perspective, Poellhuber et Michelot (Canada) ont étudié l’effet d’un programme de formation sur le sentiment d’efficacité personnelle (SEP) et les pratiques pédagogiques du personnel enseignant en formation à distance universitaire.
Ces formations mobilisant des stratégies de DP malléables permettent d’atteindre un grand nombre de personnes enseignantes et de favoriser une transformation vers des pratiques davantage centrées sur les étudiantes et étudiants. Enfin, le compte rendu d’expérience de Lison et Verchier (France) met en lumière l’importante distinction entre les aspects techniques et pédagogiques de l’utilisation d’outils numériques. En effet, après la mise en place de nouveaux modes d’enseignement et d’évaluation au sein d’un établissement d’enseignement supérieur de France, le personnel enseignant témoigne d’une certaine aisance technologique, mais évoque peu les considérations pédagogiques. Cela amène l’autrice et l’auteur à souligner l’important rôle de l’établissement en matière d’accompagnement du personnel enseignant.
Gouvernance et modalités de formation
La gouvernance des établissements d’enseignement est certainement au cœur des préoccupations liées à la perspective postpandémique. En effet, les décisions prises et les initiatives mises en œuvre ont eu un impact direct sur les communautés étudiantes et les personnels enseignants. La santé psychologique et le bien-être des personnes, par exemple, se sont rapidement imposés parmi les principaux enjeux avec lesquels les établissements ont dû composer. Ce phénomène se traduit dans la littérature scientifique par la présence de projets dont le but est d’offrir des données comparatives internationales relatives au statut socioéconomique, à la charge de travail et au niveau perçu de bien-être des personnes étudiantes en enseignement supérieur (voir Van de Velde et al., 2021). Les modalités de formation et les outils technologiques qui ont émergé, ou dont les usages se sont développés, représentent aussi un important enjeu inhérent à la gouvernance et ont des répercussions concrètes chez la communauté étudiante et le personnel enseignant.
Roy, Cuerrier et Poellhuber (Canada) soulèvent l’enjeu de la santé mentale des personnes étudiantes entre autres sous le prisme des modalités de formation : la nécessité d’une utilisation moins monolithique et mieux préparée de la formation à distance ainsi qu’un intérêt pour les formations en mode hybride en ressortent. L’importance pour les établissements d’arrimer les formations aux besoins et aux attentes de la communauté étudiante est mise en avant. La pertinence de la formation hybride est aussi soulevée par Tremblay (Canada) dans le contexte de la formation initiale à l’enseignement et à l’aune de la VAP, c’est-à-dire la valeur ajoutée pédagogique.
Cette dernière appelle à la considération de trois facteurs lors du choix d’une
modalité d’enseignement, soit l’alignement pédagogique, l’accessibilité des études et l’intégration des étudiantes et étudiants à leur profession future. L’article de Naffi et al. (collectif international) s’inscrit dans ce même thème en proposant une perspective distincte. Dans un exercice international, collaboratif et concret, les autrices et auteurs identifient des pratiques pédagogiques et des stratégies d’évaluation favorisant l’offre de formations hybrides ou en ligne de qualité, empreintes des principes d’équité et d’inclusion. Les deux derniers articles que nous incluons dans ce volet sur la gouvernance et les modalités de formation s’intéressent particulièrement aux pratiques d’accompagnement et d’encadrement associées aux modes de formation. Ils corroborent la pertinence des formations hybrides évoquée par les premiers articles de ce volet. Daguet (France) souligne qu’une médiation humaine institutionnalisée doit être maintenue et qu’un accompagnement par les pairs entre les étudiantes et étudiants via les médias sociaux peut s’avérer une source de soutien non négligeable. Ledent et al. (Belgique), qui ont évalué l’efficacité d’un dispositif de formation du type classe inversée, constatent que la composante présentielle d’un mode de formation hybride contribue à pallier les inégalités numériques à distance et permet un accompagnement rapproché qui va bien au-delà du simple apport du « contact humain ».
Conception et usages d’outils numériques
Ce troisième et dernier volet regroupe des articles dont le sujet s’inscrit dans le champ de la conception ou des usages d’outils numériques en contexte de formation postsecondaire. Zhang et Galaup (France) proposent une réflexion pédagogique sur la conception de systèmes d’apprentissage adaptatif privilégiant l’inclusion, c’est-à-dire qui considèrent les besoins variés des personnes étudiantes et des autres parties prenantes. Cet exercice les amène à conclure que de tels systèmes, pour être jugés efficaces, devraient notamment proposer une variété de méthodes d’évaluation, convenir à l’ensemble de la communauté étudiante et tenir compte de l’adéquation entre les ressources nécessaires à l’implémentation et celles qui sont réellement accessibles (l’infrastructure technologique institutionnelle, les compétences du personnel, la formation offerte, etc.). Baillifard, Bonvin et Guiard (Suisse, France) signent un article qui permet de cheminer dans cette réflexion en insistant sur les conceptions anciennes et pérennes. En effet, leur présentation des constats issus du processus de développement des outils AMUQuiz et Kaïros témoigne de l’importance d’une stabilité des conceptions malgré les changements technologiques et pratiques causés par la pandémie : croire en chaque étudiante et étudiant et combattre l’illusion de savoir. Dans une perspective de continuité pédagogique, Fotsing, Njingang Mbadjoin et Talla Tankam (Cameroun) ont présenté le processus de conception du tuteur intelligent Tutin et les résultats d’une étude quasi expérimentale dont l’objectif était d’en vérifier l’efficacité pour l’apprentissage. Les auteurs témoignent d’une efficacité similaire entre Tutin et la « méthode traditionnelle d’apprentissage » : l’emploi de ce tuteur intelligent pourrait être une solution intéressante pour des formations à distance suivies à l’aide d’un téléphone intelligent, une pratique relativement fréquente dans certains pays africains, particulièrement en contexte (post)pandémique.
Contrairement aux précédents, les derniers articles de ce volet portent davantage sur les usages d’outils numériques, tant chez les personnes étudiantes que chez le personnel enseignant. Duguet, Corbin et Morlaix (France) se sont intéressées aux représentations étudiantes vis-à-vis l’utilisation de plateformes comme Microsoft Teams et Moodle, de même qu’aux effets de ces plateformes sur l’engagement cognitif étudiant. Elles en arrivent à la conclusion que les représentations n’expliquent que faiblement l’engagement cognitif. Dans la contribution de Pluton et Stattner (France), il est plutôt question de l’effet de la réalité virtuelle (RV) en tant que dispositif de formation à distance sur l’engagement cognitif. Tout en permettant de jumeler les avantages de la formation en présence et de la formation à distance, la RV semble contribuer à l’engagement en rendant possible une communication plus naturelle. L’autrice et l’auteur rappellent toutefois la nécessité de prévoir des formations destinées aux personnes étudiantes et au personnel enseignant pour faciliter l’usage efficace de la RV. L’analyse de matériel pédagogique effectuée par Maclure et al. (Canada) permet de comprendre comment un alignement pédagogique cohérent favorise le développement de compétences dans le contexte de formations cliniques à l’extérieur des milieux cliniques (tiers-lieux). Des outils numériques comme les documents collaboratifs et la captation vidéonumérique de situations cliniques réelles permettent de pérenniser ce type de formation en contexte postpandémique.
Les perceptions du personnel enseignant sont au cœur d’une étude de cas menée par Michelot (Canada) à l’Université de Moncton, campus de Shippagan. L’auteur rappelle qu’il est indispensable d’offrir un soutien pédagogique en vue d’une utilisation de la technologie en formation à distance et, de façon plus théorique, d’aborder conjointement les perceptions relatives à la facilité d’utilisation et à l’utilité afin de mieux comprendre l’intention qui motive le recours aux outils numériques. Enfin, Black et al. (Canada) présentent les résultats d’une étude indiquant que, malgré les formations suivies et l’utilisation de fonctions et d’applications variées, le personnel enseignant ne semble pas percevoir une maitrise accrue, ce qui s’avère un défi considérable dans le cadre du réinvestissement des compétences acquises lors de la période pandémique.
En résumé, ce numéro thématique a pour ambition de contribuer à la réflexion portant sur les répercussions temporaires et pérennes de la période pandémique sur la formation à distance et l’apprentissage à l’aide du numérique. Cette démarche, à laquelle ont déjà participé des chercheuses et chercheurs éminents à l’échelle planétaire, se poursuivra et évoluera certainement au cours des prochaines années, voire décennies.
En effet, alors que de nombreuses recherches empiriques illustrent des transformations pédagogiques, technologiques et éducatives, il nous reste encore à voir quelles en seront les incidences à moyen et long termes. Dans une étude menée à partir de données d’évaluation de plus de deux millions d’élèves de 10 000 écoles étatsuniennes, des constats préoccupants sont formulés : la réussite des élèves au sein d’écoles passées à un enseignement entièrement à distance pendant la pandémie serait moins élevée, et cela, de façon encore plus marquée dans les milieux défavorisés (Goldhaber et al., 2022, p. 21).
Comment la période pandémique affectera-t-elle le parcours scolaire de ces étudiantes et étudiants lorsqu’ils seront à l’université ? Plusieurs innovations technologiques, actuelles et futures, auront tôt fait d’induire de nouvelles pratiques et de nouveaux objets d’étude dans le champ de l’apprentissage numérique. L’exemple polémique de l’intelligence artificielle générative avec ses nombreuses potentialités – et ses nombreux écueils – en témoigne de façon particulièrement éloquente. Nous espérons que les articles de ce numéro feront partie du corpus scientifique qui orientera les réflexions scientifiques, pédagogiques et politiques qui s’imposeront dans un futur proche.
Références
Goldhaber, D., Kane, T. J., McEachin, A., Morton, E., Patterson, T. et Staiger, D. O. (2022). The consequences of remote and hybrid instruction during the pandemic [rapport de recherche]. Harvard University, Center for Education Policy Research. https://cepr.harvard.edu/
Van de Velde, S., Buffel, V., Bracke, P., Van Hal, G., Somogyi, N. M., Willems, B. et Wouters, E. (2021). The COVID-19 International Student Well-being Study. Scandinavian Journal of Public Health, 49(1), 114-122. https://doi.org/gm34dq
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