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Du développement du pouvoir d’agir au développement des marges de manœuvre : un exemple d’intervention

Un article repris de http://journals.openedition.org/act...

Damien Cromer, Antoine Bonnemain et Fabien Coutarel, « Du développement du pouvoir d’agir au développement des marges de manœuvre : un exemple d’intervention », Activités [En ligne], 20-2 | 2023, mis en ligne le 15 octobre 2023, consulté le 06 novembre 2023. URL : http://journals.openedition.org/activites/8620 ; DOI : https://doi.org/10.4000/activites.8620

1. Introduction

Cet article cherche à rendre compte de réflexions qui résultent d’un travail collectif réalisé entre ses auteurs. Il ne vise pas à résoudre le problème des rapports entre marges de manœuvre et pouvoir d’agir, mais constitue davantage un moyen de contribuer aux échanges autour de ces questions.

En termes de prévention des troubles musculo-squelettiques (TMS), l’enjeu pour nos interventions de terrain réside dans la prise en compte des dimensions psychosociales du travail (Bao, Kapellush, Merryweather, Thies, Garg et al., 2015 ; Laing, Cole, Theberge, Wells, Kerr & Frazer, 2007 ; Roquelaure, 2016) dans lesquelles les concepts de pouvoir d’agir et de marges de manœuvre nous outillent. Si ces concepts désignent des processus distincts, la littérature en analyse du travail tente de mieux comprendre les rapports qu’ils entretiennent (Caroly, Simonet & Vézina, 2015 ; Clot & Simonet, 2015 ; Coutarel, Caroly, Vézina & Daniellou, 2015 ; Coutarel, Aublet-Cuvelier, Caroly, Vézina, Roquelaure et al., 2022). Le pouvoir d’agir peut être défini avec Clot (2020) comme effort pour « produire du milieu pour vivre » (p. 139). Cette vision du pouvoir d’agir s’appuie – entre autres – sur l’héritage d’A. Wisner qui définissait le développement comme « l’élargissement du champ des actions » (Wisner, 1997, p. 250). C’est cette perspective théorique reliée à la perspective développementale mobilisée en clinique de l’activité (Clot, 2006) que nous adopterons dans cet article. À la suite d’autres travaux dans ce champ de recherches (Clot, 2016), nous considérons que l’activité du sujet n’est pas seulement dirigée vers la réalisation de la tâche, elle est aussi dirigée vers lui-même et vers l’activité des autres portant sur cette même tâche. Le développement du pouvoir d’agir dans cette vision triadique et dialogique de l’activité vise à ce que les opérateurs puissent rester ou redevenir les protagonistes vivants de nouvelles liaisons possibles entre eux, les objets de leurs actions, leurs destinataires et les artefacts qui les médiatisent. D’autres conceptions du pouvoir d’agir coexistent et sont encore discutées dans la communauté scientifique (Brun, 2017 ; Gouédard & Rabardel, 2012 ; Pastré, 2011 ; Rabardel, 2005).

En ce qui concerne les marges de manœuvre, la littérature témoigne d’une confusion encore fréquente entre la marge de manœuvre (au singulier), et les marges de manœuvre (au pluriel). Pour St-Vincent, Vézina, Bellemare, Denis, Ledoux et al. (2011), la marge de manœuvre caractérise « l’espace de régulation de la personne en activité de travail » (p. 57). Coutarel et al. (2022) proposent une définition proche : la marge de manœuvre constitue le champ de la régulation en situation. Ces développements plus récents visent à distinguer cette marge de manœuvre, qui relève de l’activité située, des marges de manœuvre (au pluriel), qui relèvent des conditions antécédentes à l’activité. Fruits de l’activité antérieure d’autres acteurs – des concepteurs du travail, au sens large – les marges de manœuvre peuvent être de différentes natures : procédurales, organisationnelles, spatiales, temporelles, matérielles, etc. Elles constituent des conditions réputées favorables et un « déjà-là », avec lequel l’activité compose.

Ces marges de manœuvre constituent donc des conditions externes au sujet, préalables à son activité, et dont il peut disposer. Ces marges de manœuvre s’inscrivent dans une approche traditionnelle de l’ergonomie qui consiste à concevoir les conditions du travail : par exemple, les marges de manœuvre sont pour Weill-Fassina et Valot (1997, cités par Coutarel et al., 2015) « la zone d’initiative et la tolérance, dont dispose l’opérateur pour assurer la régulation du fonctionnement d’un système » (p. 14).

Le positionnement respectif des concepts de marge de manœuvre et de pouvoir d’agir reste en chantier. En effet, ces différentes conceptualisations et leurs rapports font débat au sein de la communauté scientifique (Clot & Simonet, 2015 ; Coutarel et al., 2015 ; Coutarel et al., 2022 ; Lémonie, 2019). Pour Coutarel et Petit (2013), « la marge de manœuvre constitue à la fois une condition et une conséquence du pouvoir d’agir » (p. 185). Même si le concept a pu évoluer depuis, la marge de manœuvre reste ici d’abord le résultat et la condition de l’agrandissement du champ des actions, surtout si l’on considère la marge de manœuvre comme une rencontre entre les caractéristiques d’un opérateur et les caractéristiques externes d’une situation réelle. Cette rencontre est qualifiée de « marge de manœuvre situationnelle » (ibid., p. 180). Pour l’opérateur en situation réelle, la possibilité de faire usage des marges disponibles dépend aussi de sa « capacité d’être affecté » (Coutarel & Daniellou, 2011, p. 66) par ces marges potentielles pour se les approprier de manière effective. On peut dire, pour cette raison précise, que le pouvoir d’agir des opérateurs n’est pas contenu en puissance dans les marges de manœuvre ainsi allouées de l’extérieur. Ce pouvoir d’être affecté, qui a été désigné momentanément comme « marge de manœuvre interne » (Coutarel & Petit, 2013, p. 178) dépend toujours de manière singulière de l’histoire des activités traversées par l’opérateur, elles-mêmes prises dans l’histoire des activités sociales avec les autres. Ces histoires entremêlées déterminent, pour chaque opérateur, sa disponibilité psychologique propre au service du développement possible ou contrarié de sa propre activité (Poussin, 2015). Elles développent ses possibilités de faire des marges de manœuvre disponibles un instrument effectif de son activité, au service de l’élargissement du champ de ses actions sur son propre travail, qui caractérise le pouvoir d’agir (Clot, 2008).

Dans ce contexte, nous chercherons plus particulièrement à discuter la relation entre les marges de manœuvre et le pouvoir d’agir. En prenant appui sur un exemple d’intervention, nous discuterons l’idée que ce ne sont pas les marges de manœuvre qui expliquent le pouvoir d’agir, mais ce dernier s’explique avec elles. L’appropriation des marges existantes ou la création de nouvelles marges en situation réelle requiert, de la part du sujet en activité, une mobilité entre les différents possibles. C’est grâce à cette mobilité, qui permet d’expérimenter par soi-même ou avec les autres de nouvelles voies d’action, que se modifient en retour les manières de faire avec les marges de manœuvre habituelles, qui sont aussi des instruments d’action (Bonnemain & Clot, 2022). Entendue ainsi, « la marge de manœuvre peut contribuer au développement du pouvoir d’agir », et inversement, « un développement du pouvoir d’agir […] favorise la création de nouvelles marges de manœuvre » (Coutarel & Petit, 2013, p. 181).

Nous analyserons ici une intervention fondée sur l’hypothèse que le développement du pouvoir d’agir, via un dispositif dialogique, favorise l’appropriation des marges de manœuvre existantes et/ou la construction de nouvelles marges de manœuvre.

2. L’intervention : partir des marges de manœuvre ou du pouvoir d’agir ?

Dans l’intervention, une question pratique se pose : faut-il engager les opérateurs et les décideurs dans le développement de leur pouvoir d’agir afin qu’ils puissent se créer à cette occasion de nouvelles marges de manœuvre ou faut-il, au contraire, développer avec ces acteurs des marges de manœuvre pour espérer ensuite un développement de leur pouvoir d’agir ?

Pour Clot et Simonet (2015), si les marges de manœuvre sont bien des conditions fonctionnelles du développement du champ des actions, si ce développement requiert bien l’existence de marges stabilisées dans le fonctionnement de l’activité de l’opérateur, au sein du collectif et dans l’organisation, l’augmentation du pouvoir d’agir ne peut pourtant pas se résumer à l’instauration externe de nouvelles marges de manœuvre. À plus forte raison, « il n’est pas le résultat direct de cette instauration » (ibid., p. 47). Et il ne suffira pas de préconiser de nouvelles marges de manœuvre pour qu’elles soient directement investies par les opérateurs concernés. On connaît nombre de ces situations où, par exemple, les « marges de manœuvre organisationnelles » (ibid., p. 47) n’entrent pas dans l’usage des opérateurs de première ligne et restent ainsi des ressources inexploitées dans leur activité.

Pour les auteurs (ibid.), « on peut donc difficilement augmenter les marges de manœuvre effectives directement » (p. 47). Cette augmentation doit passer, de manière indirecte, par le développement de l’action des sujets, « leur mobilisation psychologique et sociale ; autrement dit par le développement du pouvoir d’agir de ceux qui travaillent sur la situation et sur eux-mêmes » (ibid., p. 47). Ils sont en effet les seuls à même de transformer les potentialités offertes en instruments réels d’action, sans qu’aucune expertise externe ne puisse compenser ou remplacer cette activité d’appropriation nécessaire, pas plus que l’initiative propre des opérateurs qui s’y engagent. Car les marges de manœuvre sont toujours une conquête que les opérateurs réussissent ou échouent à transformer en instruments effectifs de leur activité pour être efficaces en situation.

Lorsqu’une demande existe, l’intervention peut justement consister à soutenir cet effort d’appropriation en secondant les collectifs qui cherchent à être davantage à l’origine des choses en manœuvrant leurs marges, entre eux, et même avec leur hiérarchie quand cela est possible (Cromer, Pereire & Justafré, 2022). Si l’usage des marges de manœuvre ne peut se développer qu’avec le concours effectif des professionnels concernés, sans qu’on ne puisse le leur « imposer » ni même le leur « apprendre », seule l’élaboration de l’expérience du travail, des différentes manières de faire usage des marges stabilisées et de leurs limites au sein du collectif, peut permettre aux opérateurs de percevoir puis d’expérimenter de nouvelles marges potentielles en situation réelle. Certains auteurs ont ainsi soutenu, dans cette perspective, la subordination du développement des « marges de manœuvre » au développement du pouvoir d’agir dans l’intervention (Tomás & Fernandez, 2015).

Coutarel et Petit (2013) ont également envisagé cette option méthodologique dans l’intervention en proposant de concevoir l’action ergonomique comme l’organisation « du développement des acteurs à partir du développement de leurs activités professionnelles » (p. 183). Ainsi, en développant le « rapport actif de l’individu à son milieu » (ibid., p. 178), en développant son pouvoir d’agir sur l’activité, il pourrait bien s’équiper avec les autres – collègues ou hiérarchies – pour retrouver l’énergie des initiatives individuelles et collectives nécessaire à la création de nouvelles marges de manœuvre.

Mais il semble que le débat reste ouvert. Prendre le développement du pouvoir d’agir comme objet de l’intervention ergonomique modifie de fait l’adossement conceptuel et l’orientation méthodologique de l’intervention (Arnoud & Perez Toralla, 2017 ; Barcellini, 2017 ; Coutarel et al., 2015 ; Falzon, 2013a). Il faut d’abord, entre autres choses, envisager le développement à la fois comme objet et comme méthode d’intervention (Falzon, 2013b). Néanmoins Coutarel et al. (2015) semblent orienter davantage et en premier lieu l’action ergonomique sur le développement des marges de manœuvre : en trouvant des « petites solutions » (p. 23) autour de l’analyse des situations de travail conduite par l’ergonome, il deviendrait possible d’engager les salariés dans l’intervention. Cet engagement constituerait la condition d’une influence plus grande des « processus qui définissent la configuration des différentes situations de travail », engageant des débats sur le travail à l’occasion de l’analyse (ibid., p. 21). L’analyse et l’action ergonomique sur les marges de manœuvre deviennent le prétexte pour la construction d’un dialogue renouvelé autour du travail réel. Il semble donc que, si la question du pouvoir d’agir n’est pas absente des plus récentes contributions autour des marges de manœuvre, ce pouvoir d’agir reste avant tout appréhendé comme un effet secondaire d’activités organisées par l’ergonome autour de l’analyse et de la conception des conditions du travail. Ces développements ne font pas de proposition qui soit avant tout destinée à optimiser l’effet concernant le développement du pouvoir d’agir.

On conviendra que la question est complexe, et qu’il est sans doute nécessaire de poursuivre l’instruction théorique des rapports entre pouvoir d’agir et marges de manœuvre notamment en mobilisant des exemples concrets d’interventions réalisées. C’est ce que nous avons cherché à faire dans l’exemple qui suit, en réalisant une tentative de coopération entre deux intervenants ergonomes dont l’un est aussi clinicien de l’activité.

Dans l’intervention que nous présenterons ensuite plus en détail, nous avons cherché à travailler autour de l’hypothèse suivante : c’est en organisant le développement du pouvoir d’agir des opérateurs sur leur propre travail que leurs marges de manœuvre ont pu se travailler à deux niveaux. D’abord entre eux, à l’occasion des analyses qu’ils ont réalisées avec nous en autoconfrontation croisée. Ensuite, avec la hiérarchie, à l’occasion d’une reprise de ces analyses à un niveau décisionnel, en présence des professionnels de terrain. Dans ce cheminement méthodologique, ces professionnels ont développé leur pouvoir d’agir en remettant au travail entre eux leurs usages singuliers et souvent hétérogènes des marges de manœuvre. Ils ont pu y renouer avec les initiatives qu’ils doivent prendre pour agir sur leur propre travail, pour investir éventuellement à cette occasion des marges qu’ils n’avaient pas envisagées jusque-là. À l’issue de ce travail sur le travail (Miossec & Simonet, 2019), ils se sont trouvés un peu mieux équipés pour manœuvrer les marges dans le dialogue organisé avec leur hiérarchie.

On tentera donc de soutenir ci-dessous que l’organisation du développement du pouvoir d’agir des professionnels sur leurs situations de travail peut constituer une condition pratique d’intervention pour le développement de leurs marges de manœuvre.

3. L’exemple d’une intervention au sein d’une maison d’accueil pour personnes âgées

3.1. Contexte de l’intervention

L’intervention ci-après présentée (Cromer & Bonnemain, 2023) a été conduite au sein d’une structure d’accueil pour personnes âgées dans le cadre d’une activité de conseil en ergonomie. C’est une intervention relativement courte d’une durée de dix journées terrain.

L’établissement d’accueil pour personnes âgées est composé d’une vingtaine d’appartements. Il propose à des personnes âgées non dépendantes une offre de service, du logement aux repas en passant par l’entretien et l’animation. Sa création, sous forme associative, est récente et a moins de cinq ans au moment de l’intervention. Pour assurer l’ensemble de ces prestations, l’établissement compte six agents polyvalents et une responsable de maison. Un cuisinier, prestataire, renforce l’équipe pour une partie de la confection des repas. D’un point de vue hiérarchique, cette maison d’accueil est gérée par un conseil d’administration, et de façon opérationnelle par son président.

Si cette structure fait appel à nous, c’est parce qu’elle rencontre depuis plus d’un an une montée conséquente des TMS des membres supérieurs de ses agents et plus précisément au niveau des poignets. En effet, deux agents ont déclaré une maladie professionnelle du canal carpien reconnue et opérée et deux autres agents en contrat temporaire n’ont pas souhaité de reconduction pour cause d’apparition de symptômes sur cette même zone. Depuis l’apparition de ces problématiques, la structure et notamment la responsable de maison ont mis en place de nombreuses mesures pour tenter d’endiguer leur expansion (notamment en termes d’investissements matériels pour le nettoyage, la cuisine, le port de plateaux, etc.). L’intervention ergonomique commence dans ce contexte.

3.2. Bifurcation de l’intervention : du pré‑diagnostic à l’expérimentation du dialogue

Dans la première phase de l’intervention ayant comporté cinq jours terrain, nous avons mené un premier niveau d’analyse ergonomique du travail via des observations générales des situations de travail et des échanges répétés avec l’ensemble des agents et la hiérarchie (responsable de maison et président) visant à étayer et caractériser plus finement les problématiques en présence du point de vue du travail (Guérin, Laville, Daniellou, Duraffourg & Kerguelen, 2007 ; St-Vincent et al., 2011). Ce premier état des lieux nous a permis de comprendre que la situation était plus dégradée que ne le laissaient penser les premiers éléments dont nous disposions. En effet, lors de la restitution intermédiaire du pré-diagnostic ergonomique – au cinquième jour de l’intervention –, direction et agents font état d’un climat pesant, de défiance, avec une dégradation assez importante des rapports interpersonnels, que ce soit entre agents, avec la direction ou même avec les résidents et entre eux. Ces éléments n’étaient pas présents dans la demande initiale, ils résultent d’une première mise en discussion du pré-diagnostic [1]. Ce nouvel éclairage du point de vue du travail et la discussion qui l’a accompagné ont alors conduit l’ensemble des protagonistes à faire évoluer la demande d’intervention en la dirigeant également vers la nécessité de construire un dialogue entre les parties prenantes autour du travail réel. Et ce, dans ce contexte sous tension, afin de saisir l’occasion de cette intervention pour échanger davantage entre eux sur les situations problématiques, et notamment celles qui étaient source de TMS.

Tout en conservant les objectifs de la demande initiale, cette évolution a donc constitué une bifurcation importante du cadre méthodologique de l’action. Celle-ci a notamment conduit à faire évoluer le registre d’expertise porté par les intervenants (Dugué, Petit & Daniellou, 2010 ; Hubault, 2007), initialement orienté par une conduite participative de l’analyse ergonomique du travail portée par l’ergonome, au service de la réalisation d’un diagnostic. Avec l’évolution de la demande, ce registre d’expertise s’est davantage orienté autour de la construction des cadres nécessaires au développement du dialogue entre les acteurs pour expérimenter méthodiquement le développement de leur pouvoir d’agir (Clot, 2008 ; Cromer, Bonnemain & Folcher, 2022). Afin d’expérimenter le développement du pouvoir d’agir dans cette seconde phase de l’intervention, nous avons inscrit notre action dans une méthodologie d’intervention développementale en clinique de l’activité (Clot, Bonnefond, Bonnemain & Zittoun, 2021) que nous allons maintenant présenter.

3.3. Méthodologie d’intervention en clinique de l’activité : développer le pouvoir d’agir

À l’écart désormais incontournable en analyse du travail (Daniellou & Béguin, 2004 ; Daniellou, Laville & Teiger, 1983) entre travail prescrit et travail réel – dans lequel se déploie l’activité réalisée – la clinique de l’activité, dans une perspective développementale, propose de distinguer activité réalisée et réelle de l’activité : l’activité réalisée par un professionnel n’a pas le monopole du réel de l’activité (Clot, 1999). Précisons : l’activité réalisée n’est qu’une part du réel de l’activité. Ce qui ne se fait pas, ce que l’on ne fait plus, ce que l’on cherche à faire sans y parvenir, les activités empêchées, contrariées font également partie de l’activité. L’activité réalisée par un professionnel est donc le résultat d’un arbitrage, non forcément conscient, entre plusieurs actions possibles. Autrement dit, en reprenant les mots de Vygotski (2017) auteur à partir duquel la méthodologie en clinique de l’activité s’appuie en partie, on peut dire que « l’homme est plein à chaque minute de possibilités non réalisées » (p. 76).

Pour le psychologue russe en effet, la compréhension du fonctionnement psychologique n’est possible que par les moyens détournés d’un développement « provoqué » (Vygotski, 1994). Si « c’est uniquement en mouvement qu’un corps montre ce qu’il est » (Vygotski, 1978, p. 64‑65), c’est seulement au travers d’une expérience de transformation que l’activité psychologique peut livrer ses secrets. Le développement ne peut ainsi devenir l’objet de la psychologie que s’il est aussi sa méthode [2] celle qui sert aux sujets à découvrir ce dont ils sont capables en comparant ce qu’ils font à ce qu’ils pourraient faire d’autre. Ainsi, cette voie méthodologique ne vise pas à décrire ce que sont les sujets, mais à éprouver avec eux ce qu’ils pourraient devenir. L’expérimentation vygotskienne cherche ainsi à trouver les conditions générales sous lesquelles se produit quelque chose de nouveau.

Cette recherche n’est possible que par un redoublement méthodiquement organisé de l’expérience vécue des sujets (Vygotski, 2017). En organisant expérimentalement la répétition et la variation de leur activité, Vygotski (2014) pose les bases pour l’étude du développement. Le fonctionnement n’est plus regardé comme une pierre angulaire pour l’étude séparée des fonctions psycho-physiologiques du comportement : pour étudier leur transformation, il est nécessaire de permettre au sujet de faire de son expérience vécue jusque-là le moyen de vivre des expériences sociales inédites (Vygotski, 2017). Mais, au-delà de l’enfance, pour l’adulte (Sévérac, 2022) et particulièrement au travail (Clot, 2020), l’effort visant à produire du milieu pour vivre devient central pour son développement et sa santé (Canguilhem, 2002).

Les méthodes dialogiques mobilisées en clinique de l’activité visent précisément à provoquer la répétition – presque au sens théâtral du terme – et le redoublement de l’expérience vécue dans des contextes successifs diversifiés, pour imaginer et expérimenter ensemble d’autres expériences possibles : dans l’activité pratique, dans l’activité de pensée, d’autres manières possibles de dire son activité pour la réaliser autrement, d’autres dialogues entre opérateurs et avec leurs hiérarchies, d’autres organisations du travail possibles tournées vers la qualité du travail et ses obstacles. En faisant varier les objets et les destinataires de leur activité, les sujets, dans le cours de l’intervention, peuvent la reprendre, la retoucher et, finalement, régénérer le rapport social à la tâche en développant au passage leur rayon d’action sur leur propre travail et même sur l’organisation de celui‑ci (Bonnemain, 2020, 2022).

3.4. La méthode de l’autoconfrontation croisée : quelques repères

Afin de mettre en œuvre une telle méthodologie, nous avons fait le choix d’une méthode : celle de l’autoconfrontation croisée (Bonnemain & Clot, 2017 ; Clot, Faïta, Fernandez & Scheller, 2000 ; Duboscq & Clot, 2010). Si cette méthode fait bien l’objet de plusieurs usages distincts en analyse du travail (Cahour, Licoppe & Créno, 2018 ; Rix-Lièvre, 2010) lorsqu’elle s’inscrit dans la méthodologie que nous venons de présenter, elle n’est pas d’abord mobilisée pour auto-informer le sujet sur son expérience, comme ce peut être le cas de l’entretien d’explicitation (Vermersch, 2019). Dans notre cas, elle est plutôt mobilisée pour que le sujet puisse faire une expérience nouvelle à partir de l’analyse individuelle et collective de son activité réalisée. Ce qui compte, c’est le développement possible qui sépare le professionnel qui parle ou agit de ses fonctionnements habituels.

La méthode de l’autoconfrontation croisée est ainsi une méthode qui vise à rendre effective la méthodologie décrite ci-dessus. Elle permet aux professionnels de dire quelque chose de ce qu’ils ont fait, afin qu’ils soient aussi en mesure de dire quelque chose sur ce qu’ils auraient pu faire d’autre. Et ce, pour qu’ils puissent finalement se saisir de ces « variations » pour agir éventuellement autrement une fois de retour en situation réelle de travail. En rendant visible l’activité réalisée comme une possibilité – parmi d’autres réalisations possibles – nous cherchons à favoriser chez les professionnels le développement de nouvelles possibilités d’agir. Le contexte de l’autoconfrontation est conçu pour permettre ce développement de l’expérience vécue. Chaque professionnel impliqué peut alors éventuellement faire de son expérience vécue le moyen de vivre d’autres expériences (Clot, 2017) dans l’échange avec ses collègues ou sa hiérarchie, ou bien une fois de retour en situation habituelle de travail. C’est bien le but de la méthode mobilisée ici : le processus dialogique qui se développe initialement dans le cadre situé de l’autoconfrontation laisse un « résidu » (Scheller, 2001, p. 74). Grâce à lui, le dialogue réalisé entre les uns et les autres face aux films de leur activité se poursuit alors éventuellement ensuite entre les professionnels et en chacun d’eux en dehors de ce cadre, en déployant des effets bien au-delà de la situation de co-analyse du travail. Car l’autoconfrontation – comme on l’a rappelé plus haut – ne mise pas sur le dialogue « réalisé » pour documenter l’activité, mais bien plutôt sur l’effet provoqué par cette réalisation – toujours incomplète – sur le « réel du dialogue » qui continue d’agir ensuite (Kostulski & Clot, 2007) : ce qu’on n’a pas dit, ce qu’on aurait pu dire de différent, ce qu’aurait dû dire le collègue et qu’il n’a pourtant pas dit, ce qu’il aurait fallu dire pour que l’intervenant puisse « comprendre » l’activité, ce qu’on s’est dit à soi-même à ce moment-là sans le dire aux autres, ce qu’il ne fallait surtout pas dire dans cette situation filmée qui pourrait se discuter ensuite ailleurs et avec d’autres. Lestée d’une nouvelle manière par cette élaboration qui « travaille » – par cette superposition des contextes de réalisation – l’activité habituelle et ses invariants ont du coup plus de mal à rester en l’état. Surtout lorsque la suite de l’intervention « équipe » et étaye ce processus développemental en train de se faire pour le « ravitailler en vol » (Hubault, 2010, p. 108). C’est « une telle expérience redoublée, qui permet à l’homme de développer des formes d’adaptation active » (Vygotski, 2017, p. 72) et c’est ce processus qui soutient le développement du pouvoir d’agir, entendu comme la reprise individuelle et collective de l’initiative pour agir sur son propre travail afin de le transformer. Cela ne va pas sans le développement concomitant du pouvoir d’être affecté des professionnels qui s’engagent dans ce genre de dispositif méthodique : car ils doivent pouvoir supporter – parfois avec beaucoup de difficulté – l’hétérogénéité des différentes manières de faire possibles, qui vient questionner leur efficacité propre dans cette « confrontation » organisée avec leurs collègues autour du travail réel.

La mise en œuvre de la méthode – déjà bien décrite par ailleurs (Bonnemain & Clot, 2017 ; Clot et al., 2000 ; Duboscq & Clot, 2010) – comporte trois phases principales : l’observation filmée du travail d’un collectif de professionnels volontaires, l’autoconfrontation simple, puis l’autoconfrontation croisée. Le matériel vidéo recueilli au cours de ces différentes étapes est ensuite remobilisé, sous la forme d’un montage filmique préparé avec le collectif, et destiné à être rediscuté en sa présence avec la ligne hiérarchique, pour envisager des moyens d’agir sur les situations jugées problématiques.

Dans l’intervention prise comme exemple, nous avons procédé de la manière suivante :

Nous avons d’abord présenté au cours d’une réunion ce que la suite de l’intervention engendrait du point de vue du cadre que nous souhaitions construire avec le collectif en termes de dialogue sur le travail. Cette réunion nous a permis de déterminer les professionnels volontaires pour nous engager dans la co-analyse de leurs activités en autoconfrontation.

-* Nous avons ensuite démarré les observations du travail de ces agents ; celles-ci ont directement pu être filmées, l’étape de pré-diagnostic nous ayant amenés à passer un temps sur le terrain qui a déjà permis d’engager un premier niveau de dialogue avec chaque agent. Ces observations visaient à la fois à recueillir les matériaux qui constitueraient ensuite un objet d’analyse entre les agents lors des autoconfrontations, et à initier un dialogue centré sur le travail réel.

  • À partir de là, nous avons pu organiser concrètement les co-analyses du travail et la confrontation des agents volontaires autour de leurs films d’activité, d’abord individuellement avec les intervenants puis dans l’échange avec un collègue de travail et les intervenants. Dans cet article, nous reviendrons sur deux séquences issues d’une même autoconfrontation croisée. Ces séquences sont significatives des mouvements provoqués par l’intervention à la fois dans l’activité des professionnels concernés, et au sein du collectif de travail. En tout, quatre séances d’une heure à une heure et demie ont été conduites dans cette perspective de co-analyse du travail, avec l’ensemble de l’équipe de professionnels. Ces temps ont été eux aussi filmés.

-* Enfin, nous avons organisé à partir de là la restitution des co-analyses produites auprès du collectif au complet, d’abord en l’absence de la hiérarchie. Cette réunion s’est appuyée sur une première version d’un montage vidéo d’abord construite par les intervenants et enrichie ensuite avec les agents (Bonnefond, 2019 ; Clot et al., 2000 ; Faïta, 2007), comprenant une alternance de séquences d’activité réelle et de séquences de dialogue sur ces activités en autoconfrontation croisée. D’une durée d’une trentaine de minutes environ, ce film a permis d’engager le dialogue autour d’une petite dizaine de problèmes concrets rencontrés en situation par les agents. Ce montage diffusé, discuté et amendé lors de cette réunion de restitution auprès du collectif, a été ensuite remobilisé lors d’une seconde réunion de restitution entre le collectif et la hiérarchie. Notre intervention s’est terminée à l’issue de cette dernière réunion, dans laquelle des décisions ont pu être prises pour organiser autrement la circulation de la parole au sein de la structure, et pour agir sur les situations problématiques pour la santé ou pour l’efficacité du travail.

3.5. Développer le pouvoir d’agir sur l’activité : dialoguer entre collègues

Ainsi, afin d’illustrer la manière dont l’intervention a pu équiper le développement du pouvoir d’agir des opérateurs concernés sur leur activité, nous rapatrions ci-dessous deux extraits de leurs échanges en autoconfrontation croisée, qui rendent compte, selon nous, du processus de développement du pouvoir d’agir de ces professionnels sur les problèmes quotidiens qu’ils rencontrent dans leur activité. Dans chaque cas, ils montrent que la conflictualité organisée entre collègues, autour des différentes manières de faire la même chose, permet de « rafraichir » la définition des problèmes à résoudre – en les instruisant à partir de la différence des points de vue – et d’investiguer des pistes de solutions auxquelles personne n’avait encore pensé jusque‑là.

Dialogue autour de l’activité de service du repas

Dans la première séquence ci-dessous, William et Raquel [3], deux agents polyvalents, ont accepté de rediscuter avec nous de leur activité réalisée à cette occasion. L’extrait porte sur l’activité de Raquel, alors qu’elle est en train d’effectuer le service de repas du soir.

Elle est seule dans cette situation, comme c’est souvent le cas, pour cuisiner et servir le repas des 15 résidents installés dans la salle commune, qui fait office de réfectoire. Sur les images, on la voit d’abord en train d’installer les résidents à leur table. La chose est complexe : certains veulent manger sur des tables spécifiques, avec d’autres résidents, tandis que d’autres ne veulent pas manger à la même table. Il faut gérer les « humeurs ». Simultanément, Raquel doit faire attention à la préparation du repas qui chauffe en cuisine et doit répondre aux demandes spécifiques des résidents, elle effectue donc des allers-retours multiples entre la salle et la cuisine. Elle est en double tâche, la situation est tendue : il faut penser à tout sans faire d’impair, au risque que l’ambiance se dégrade entre les résidents et avec elle.

À cinq minutes de l’heure du service, une fois les résidents finalement installés, un événement survient : une personne – la fille d’un résident – interpelle Raquel au milieu de la salle : « Vous vous souvenez que M. Po mange dans sa chambre ce soir ? ». Raquel semble surprise, elle n’est visiblement pas au courant du cas particulier de ce résident, pour lequel elle n’a rien préparé, alors même qu’elle est en plein « rush ». La fille de M. Po poursuit : « Non parce qu’on attend depuis 30 minutes dans sa chambre, alors on s’est demandé si vous nous aviez oubliés… ». « Non non d’accord [répond Raquel] M. Po je m’en occupe ! ».

À partir de ce moment, l’activité de Raquel change littéralement de « température », elle sait qu’elle n’a que peu de temps pour répondre à cette demande si elle veut respecter la ponctualité imposée par les résidents alors installés. Elle court vers la cuisine en s’adressant à nous : « Désolé, mais là, faut que je speed ». Elle prépare rapidement un plateau-repas afin de l’apporter jusqu’à la chambre de M. Po. Elle laisse les résidents dans la salle en attente du dîner et entame le trajet jusqu’à la chambre en portant le plateau. Sur la centaine de mètres qu’elle parcourt au pas de course, elle nous lance en riant : « Je n’ai pas pris de chariot hein ! c’est à cause de vous ! ». L’humour permet sans doute de mieux supporter le réel qui, en l’occurrence, se charge de pousser Raquel dans ses retranchements.

La situation est « rocambolesque », en particulier pour nous qui tentons, avec beaucoup de difficulté, de suivre Raquel avec notre caméra. L’instabilité des images filmées en conserve d’ailleurs la trace. Après avoir déposé le plateau en échangeant quelques mots avec M. Po et lui avoir proposé « un peu plus de vin », Raquel repart vers la salle. Elle se met à courir. Dans cette situation, nous sommes pris de court et, après quelques hésitations, nous courrons derrière elle jusqu’à la salle commune. Si Raquel a sans doute l’habitude de telles régulations, la situation reste inhabituelle pour tout le monde, y compris pour nous, qui observons son activité dans ce contexte singulier qui est source d’affectivité (Bonnemain, 2015, 2019).

Quelques semaines plus tard, lors de notre retour au sein de la structure, nous cherchons donc à mettre tout cela en discussion entre les deux agents au cours de l’autoconfrontation. Leurs échanges pourraient permettre de démêler nos étonnements, et ils pourraient peut-être en faire quelque chose pour évaluer d’autres alternatives possibles face à cette situation apparemment « impossible ».

Tableau 1 : Extrait de dialogue en autoconfrontation croisée autour de l’activité de service de repas.

1. William : Ça fait une trotte et c’est speed ! [Il se tourne vers nous] Ce qui est sûr, c’est qu’à la fin de la journée, elle est rincée ! Vous avez vu ? Il faut tout gérer en même temps.

2. Raquel : Observe bien William ! [Nous rediffusons la séquence] Tu ne trouves pas quelque chose de bizarre ? [Elle marque une pause] Pourquoi il demande à être servi dans sa chambre M. Po ?

3. William : Car il a la visite de l’infirmière… Elle n’était pas arrivée à cette heure ?

4. Raquel : Non, ce soir-là, elle n’est pas venue ! Et je pense qu’il y a un mal-être dans la salle… et c’est pour ça qu’il demande à manger chez lui.

5. William : [prend un temps de réflexion] Je comprends et je sais pourquoi, il me l’a déjà expliqué. Ce monsieur, il est pas âgé, tu sais, il est là suite à son accident [un AVC]. Il m’a dit que des fois il ne se sentait pas bien ici, ne supportait pas parfois d’être avec les autres résidents.

6. Raquel : Oui, et ça dure depuis longtemps tout ça. Il m’a déjà demandé plusieurs fois qu’on lui serve le plateau dans son appartement et moi je lui ai dit qu’on ne pourrait pas le faire tout le temps. En cas de maladie OK, mais sinon la règle pour moi le soir c’est que le repas soit pris dans la pièce de vie.

7. William : Pour moi, quand il [M. Po] demande à manger seul, on pourrait lui dire oui. Moi je comprends sa personne…

8. Raquel : [Elle regarde les images] Non non attends ! J’ai pas compris tout de suite ce que tu viens de dire… Tu ne peux pas laisser M. Po manger dans son appartement alors que les autres viennent en salle. C’est du favoritisme !

9. William : Ouais… mais franchement, M. Po c’est un cas spécial…

10. Raquel : [en coupant William] Non non ça on ne peut pas faire je suis désolée William… Moi je pense qu’on devrait à la limite lui mettre en place un planning lorsqu’il y a une raison médicale à ce qu’il mange en chambre, pour qu’on le sache et qu’on ait pas besoin de courir, mais sinon non.

11. William : Oui, d’ailleurs on n’a pas l’info de ça.

12. Intervenant : Ah, vous ne le savez pas avant le service ?

13. Raquel : Non, on n’a pas l’info. Donc là on peut dans ce cas-là lui apporter le repas en chambre. Mais si on ne sait pas, on lui apporte quand bon lui semble et c’est du favoritisme. Après les autres vont demander pareil et là t’as vu on court déjà assez !

14. William : Pour le planning des venues de l’infirmière, je suis d’accord. Mais pour le reste tu sais des fois moi je suis tombé sur des situations avec lui où il y a des conflits dans la salle. Moi j’ai déjà vécu des moments où ils ne se supportent pas, et là dans ces cas-là, je préfère qu’il mange dans son appartement. Moi, je le comprends, il a envie de couper, et je trouve que c’est mieux pour tout le monde.

15. Intervenant : [à William] Donc tu serais prêt toi à supporter les conflits que ça crée ?

16. William : Moi je préfère que si y m’dit « William, ce soir j’suis pas bien, tu peux m’amener le plateau ? », je préfère dire « pas de problème, j’y vais » plutôt que ça crée des conflits en salle.

17. Raquel : J’suis pas d’accord, j’ai pas la même vision.

Le désaccord est net. Pour tranquilliser les échanges, nous proposons d’en rester là pour le moment, en remettant la poursuite de la discussion à plus tard en présence de l’ensemble de leurs collègues. Pour Raquel, le fait de faire manger M. Po dans sa chambre sans raison médicale fait courir le risque de voir les autres résidents formuler le même type de demande. Ces demandes pourraient les déborder au moment du repas, il faut donc, selon elle, éviter le « favoritisme » (cf. Tableau 1, en 8). Elle se construit cette marge de manœuvre dans l’organisation de son travail pour éviter de dégrader une situation dont on a vu la complexité, mais qui pourrait être pire encore s’il fallait apporter des repas supplémentaires en chambre à d’autres résidents au même moment.

C’est pourtant ce que propose William, qui préfère accorder à M. Po ce « privilège » au vu de sa situation spécifique : c’est un résident relativement jeune, arrivé dans la maison à la suite d’un AVC, mais qui a encore « toute sa tête », et qui supporte difficilement sa condition au milieu des autres résidents plus âgés, lui qui était par ailleurs « un dirigeant d’entreprise épanoui et cultivé » [4]accéder à sa demande plutôt que de le forcer à prendre son repas avec les autres au risque de voir se développer les conflits. Ce qui est visiblement déjà arrivé.

Ce dialogue met ainsi en évidence les manières différentes avec lesquelles chacun de ces professionnels fait usage ou investit les marges de manœuvre disponibles pour être efficace en situation. Chacun a une façon bien à lui de faire usage de ces marges, en fonction de son point de vue sur la qualité du travail. Et l’échange permet de mettre en mouvement la latitude dont chacun dispose pour envisager éventuellement cet usage d’une autre manière. En confrontant leur usage propre des marges de manœuvre existantes, ils se rendent potentiellement davantage disponibles à l’irruption de quelque chose de neuf. C’est cette disponibilité personnelle – ce pouvoir d’être affecté, étayé par l’échange – qui permet éventuellement de changer de point de vue et de trouver d’autres moyens d’action en investissant autrement les marges de manœuvre fixées par les habitudes. Ils peuvent alors potentiellement, par la médiation de ces échanges, étendre un peu leur rayon d’action en situation, y poursuivre éventuellement de nouveaux buts découverts au passage et inimaginables au départ. Car ce dialogue réalisé, quoi qu’il arrive, contribue à préconfigurer et potentialiser une modification des usages qu’ils pourront faire des marges de manœuvre dans les situations de travail à venir.

Mais, bien sûr, ce processus ne peut être garanti d’avance. Cela dépend d’abord de ce qu’ils feront de leur propre initiative une fois de retour en situation réelle. Leur pouvoir d’être affecté vis-à-vis de cet objet analysé lors de l’autoconfrontation, jouera alors un rôle capital au sein de ce processus.

Dans la suite de l’intervention, nous n’avons pas pu avoir accès à l’histoire de ce développement potentiel. Remarquons juste qu’il est déjà à l’œuvre dans la proposition faite par exemple par Raquel de construire un « planning » (cf. Tableau 1, en 10) spécifique pour connaître à l’avance les besoins de M. Po, et ainsi faciliter le travail au moment du service. Il y a dans cette proposition de nouvelles marges de manœuvre potentielles, qui n’existaient pas avant cet échange et que ce dernier a fait émerger. Elle reste à expérimenter pour ces professionnels. Mais les processus d’élaboration et d’enquête autour de l’expérience du travail – marges de manœuvre comprises – sont, à ce stade, bien à l’œuvre entre les opérateurs et pas seulement entre les intervenants. Alors qu’ils s’étaient engagés avec nous dans un dialogue aux contours et aux objectifs un peu flous, sans savoir où tout cela allait bien pouvoir conduire, ils ont été rattrapés par l’intensité des questions pratiques auxquelles ils s’affrontent en situation réelle, et qui peuvent ensuite un peu moins rester en l’état. La place de l’intervenant peut alors évoluer pour laisser plus d’espace à la discussion devenue maintenant nécessaire et dans laquelle les opérateurs s’engagent de leur propre chef, et d’abord pour eux-mêmes. L’intervenant devient davantage le moyen d’étayer l’instruction du problème entre opérateurs, l’instrument de leurs dialogues, plutôt que le principal acteur de la conduite de l’analyse.

Dialogue autour de l’activité de plonge

Lors de cette même séance d’autoconfrontation, Raquel et William sont également revenus sur la manière de réaliser la plonge. La séquence sur laquelle ils s’arrêtent désormais a lieu lors de la même journée d’observation que précédemment. Il est vingt heures passées après une après-midi de travail, une demi-heure avant sa débauche, et Raquel doit terminer la plonge du diner avant de fermer et sécuriser la résidence. Cette vaisselle de fin de soirée s’effectue dans le même rush d’avant service. Elle est encore marquée par les différents aléas survenus lors de cette soirée, qui lui ont fait prendre du retard. C’est l’ensemble des couverts, plats et autres ustensiles utilisés pour le repas que Raquel doit nettoyer. Vu l’heure tardive, Raquel s’affaire pour réaliser rapidement la vaisselle. Après un pré-lavage et une installation au sein des casiers de lavage, la vaisselle est introduite au sein du lave-vaisselle, lavée et enfin rangée par Raquel dans le meuble du réfectoire. Alors que tous les résidents sont partis, la tension demeure pour Raquel qui doit se dépêcher pour terminer à l’heure. Elle réalise ces opérations à plusieurs reprises, alternant pré-lavages, remplissage des casiers, remplissage du lave-vaisselle, puis rangement jusqu’à être arrivée au bout. Raquel et William visionnent cette séquence au cours de l’autoconfrontation croisée. Raquel prend la parole.

Tableau 2 : Extrait de dialogue en autoconfrontation croisée autour de l’activité de plonge.

1. Raquel : Qu’est-ce que tu penses de l’emplacement du lave-vaisselle ? [Nous figeons l’image diffusée]

2. William : Moi, je travaille pas comme ça… Moi, j’inverse le placement des bacs [les casiers de lavage] de vaisselle. J’en place un à droite et l’autre à gauche, alors que toi tu les positionnes tous à ta droite. Ça me permet de glisser le bac directement dans le lave-vaisselle. Tu vois, je ne porte pas, je glisse le machin… Je referme, et quand c’est fini, j’ouvre à nouveau le lave-vaisselle, je mets le chariot à côté, je sors le bac et je le glisse dessus.

3. Raquel : C’est vrai qu’on peut faire comme ça et en plus j’étais à la bourre en plus ! Mais c’est vrai que c’est pratique. [Raquel marque une pause] Mais cette machine à laver pose quand même des problèmes d’accès notamment pour le tuyau de nettoyage [Il s’agit d’un tuyau sur enrouleur en inox permettant d’effectuer le nettoyage général de la cuisine une fois le service terminé. Il est actuellement positionné dans un coin, en hauteur et son accès est contraint par la desserte et par la position du lave-vaisselle]. Avant, tu te souviens, il était positionné ailleurs le lave-vaisselle, de l’autre côté [de la desserte], t’en pensais quoi ?

4. William : Moi, je préfère comme c’est maintenant, car avant ça bloquait du côté de l’ouverture de la porte [qui donne sur la salle à manger].

5. Intervenant : Ça bloquait ?

6. William : Ah ben ouais, à chaque fois le lave-vaisselle il bougeait, car ça prenait des coups de porte quand on l’ouvrait.

7. Raquel : Ben pour moi, tu vois avant, ça me permettait plus facilement de glisser mes bacs et en plus tu vois là ici [actuellement] c’est vachement étroit pour aller là derrière. C’est une catastrophe, faut faire du 34 pour y accéder [rires]. En plus le truc [l’enrouleur] coince, t’as vu, je tire, je tire, mais ça ne vient pas, j’ai dû me déplacer dedans [entre la desserte et le lave-vaisselle] et tirer.

8. Intervenant : C’est peut-être l’enrouleur qui gêne le plus plutôt alors ?

9. Raquel : Ben oui, peut-être… faudrait voir et en discuter aussi avec les autres, et le cuisto, car il y a d’autres contraintes.

Dans cette séquence, l’enquête engagée à l’initiative des deux opérateurs en début d’autoconfrontation se poursuit autour de l’emplacement du lave-vaisselle et de l’enrouleur qui sert à nettoyer la cuisine. Pour Raquel, changer la place du lave-vaisselle permettrait de faciliter le travail. Mais selon William, c’est plutôt la manière de réaliser la plonge qui doit visiblement être questionnée.

Si le désaccord n’est pas de même nature que celui sur le repas de M. Po, le dialogue les conduit à nouveau à comparer leurs différentes manières de faire usage des marges de manœuvre disponibles. L’échange se poursuit ainsi sur le même mode que dans l’extrait précédent, avec la volonté pour Raquel de penser une autre manière d’aménager la cuisine. Si William semble avoir trouvé la technique lui permettant de ne pas avoir à soulever les casiers de lavage, Raquel ne semble pas avoir trouvé quelque chose de pleinement satisfaisant, et ce d’autant plus lorsque la situation l’amène proche du débordement. Ainsi, après l’implantation du lave-vaisselle, c’est l’enrouleur du tuyau de nettoyage qui semble poser souci. C’est d’ailleurs ce que l’on peut voir sur la vidéo : Raquel prend littéralement de l’élan afin que le tuyau se déroule et qu’elle puisse l’utiliser pour assurer le nettoyage général de la cuisine. Elle force, à plusieurs reprises, commençant par s’immiscer dans le petit passage lui permettant d’atteindre le tuyau pour parvenir, enfin, à le dérouler. Raquel le sait, imaginer un autre choix d’implantation fait intervenir d’autres contraintes et d’abord celles du cuisinier, qui a peut-être lui aussi un usage propre des moyens de travail et des marges associées.

Ainsi, dans l’élaboration en cours entre les deux agents autour des solutions à trouver pour améliorer la situation et ses marges de manœuvre, le point de vue du cuisinier, pourtant absent dans cette autoconfrontation, est convoqué. Impossible, en effet, de repenser l’aménagement de la cuisine sans déployer l’échange au-delà de la situation d’analyse en autoconfrontation. Il faut nécessairement élargir le rayon des échanges au sein du collectif pour développer l’instruction des marges à concevoir ensemble. C’est une extension potentielle de l’enquête à conduire, qui est aussi un résultat de leur discussion au cours de l’autoconfrontation croisée. L’enquête initialement organisée au sein du « groupe métier » constitue une ressource pour le développement d’une enquête inter-métiers élargie. C’est un développement des destinataires de leurs dialogues à l’occasion du processus d’instruction que les deux agents se réapproprient progressivement dans le cadre dialogique proposé. En réinterrogeant les objets et les destinataires de leurs échanges, les opérateurs sont davantage à la manœuvre de leur propre activité. Ils renforcent leur engagement propre autour des objets à discuter et des personnes à mobiliser autour de ces échanges, pour trouver des solutions nouvelles. Leur pouvoir d’agir sur leur activité se développe en convoquant dans l’analyse une pluralité d’acteur autour du problème qu’il faudrait résoudre.

Ils sont donc, si l’on nous suit, davantage actifs vis-à-vis des problèmes qui se posent en situation réelle et des forces à mobiliser pour les prendre en charge : ils mènent l’enquête, d’abord pour eux-mêmes avant d’y associer ceux qui y sont indispensables. Ils reprennent progressivement la main autour de l’élaboration des réponses à donner, habituellement attendues du côté des experts-intervenants que nous sommes. Pour les opérateurs, l’expertise sur le travail se renverse, on y reviendra. Et ce, en développant au passage leur pouvoir d’agir sur les marges de manœuvre et leurs usages associés. C’est bien l’attendu de l’approche dialogique mobilisée : il n’est pas attendu d’eux qu’ils nous aident à construire de nouvelles marges de manœuvre, après notre diagnostic ou même pendant. Mais il est d’abord attendu d’eux qu’ils prennent la main – sans que nous soyons sûrs qu’ils y parviennent – sur l’élaboration à mener autour du travail réel et ses obstacles, pour penser et repenser les marges de manœuvre disponibles ou à construire. Cette reprise en main, qui qualifie le pouvoir d’agir – ou pour le dire à la manière de Coutarel et Petit (2013), qui développe « le rapport actif de l’individu à son milieu » (p. 178) – favorise de nouvelles formes d’appropriation possibles des marges de manœuvre stabilisées, ou même la création de nouvelles marges qui n’existaient pas au départ.

Mais il faut aller plus loin pour comprendre comment ce pouvoir d’agir gagné sur l’activité peut produire ses effets jusqu’à questionner l’organisation du travail, qui, telle qu’elle est, n’encourage pas ces processus élaboratifs individuels et collectifs qui sont pourtant décisifs pour les marges de manœuvre. La « souplesse » collective et le rapport actif obtenus lors de la mise au travail des marges de manœuvre entre collègues étayent, comme on le verra ensuite, la possibilité de « manœuvrer les marges » (Clot & Fernandez, 2005, p. 75) avec la hiérarchie cette fois, en contribuant à concevoir avec elle certaines conditions de l’activité future. Dans les deux cas, un développement du pouvoir d’agir – c’est-à-dire un développement de cet effort actif pour retoucher le milieu à son initiative – s’opère : sur l’activité d’abord, grâce aux dialogues tenus entre collègues, on l’a vu ci-dessus. Mais aussi sur l’organisation, dans le dialogue avec la hiérarchie, comme on va le voir maintenant.

Au total, quatre séances d’autoconfrontations croisées ont été menées dans le temps court qui nous était imparti dans cette intervention. Comme nous l’avons évoqué précédemment, ces échanges filmés ont ensuite fait l’objet d’un montage que nous avons réalisé puis discuté avec l’ensemble des agents lors d’une réunion dédiée quelques semaines plus tard. Cette réunion nous a permis de revenir avec les agents sur les éléments de contenu, mais aussi sur les objectifs pour envisager la réunion de restitution de leurs analyses auprès de la direction de l’établissement qui allait avoir lieu quelques jours après. Malgré la défiance persistante, le collectif a accepté de porter son travail d’analyse à la connaissance de sa hiérarchie lors de la réunion de restitution prévue avec le président de l’association.

3.6. Développer le pouvoir d’agir dans l’organisation : dialoguer avec la hiérarchie

La réunion entre les agents et la hiérarchie s’est tenue un mois après le travail de co-analyse mené avec les agents. Entre-temps, la responsable de maison avait quitté la structure et le président de l’association a entamé des recrutements pour un·e nouveau·elle responsable de maison.

La réunion s’est donc déroulée avec l’ensemble des six agents et le président. Elle débute par la diffusion du montage filmé. S’ensuit une discussion entre les agents en présence de la direction et des intervenants. À l’issue du visionnage, les agents ont choisi de reprendre entre eux la discussion sur l’aménagement de la cuisine et la situation de travail lors de la plonge. L’extrait que nous avons choisi de présenter, issu de l’enregistrement filmé de cette réunion, intervient à ce moment‑là.

Tableau 3 : Extrait de dialogue entre le collectif et la hiérarchie lors de la réunion de restitution.

1. Véronique : En fin de compte, c’est le tuyau qui est mal placé. Faut pas que je prenne un kilo, car moi je ne rentre plus du tout [rires]. Je tends le bras, sinon je prends le coin !

2. Halima : Moi je me faufile. [dit-elle en mimant l’acte] [rires]

3. Raquel : Le plus gros problème c’est le tuyau et on se fait mal… Bon, mais on a parlé de tout ça entre nous et depuis nous sommes allés discuter avec Julien, le cuisinier. Lui il pense que l’on peut déplacer le tuyau vers l’économat ou la légumerie pour libérer totalement cet espace.

4. William : La légumerie ce serait mieux.

5. Intervenant A : Parce que ce tuyau vous en avez besoin dans tous les endroits de la cuisine ?

6. Véronique : Ah oui !

7. William : Faut laver et désinfecter toutes les pièces.

8. Véronique : Si la place se libère, on a imaginé aussi que l’on puisse avoir dans la cuisine un système en « U ». Faudrait encore déplacer l’armoire à balais qui est dans la pièce aussi.

9. Intervenant A : Système en « U », c’est-à-dire ?

10. Véronique : Ben, ce serait l’idée de rajouter une plaque en inox qui permettrait de faire la jonction entre les éléments de la cuisine et on glisserait tout !

11. Halima : On n’aurait pas besoin de soulever !

12. Intervenant B : On va demander son avis à Frédéric [le président]

13. Frédéric (Président) : Moi a priori, je ne vois pas de problème au déplacement ni de l’enrouleur ni du placard, surtout si vous en avez déjà discuté avec le cuisinier en plus. Faut qu’on voit du point de vue de la sécurité où on peut le déplacer avec les installations électriques. Je ne suis pas spécialiste, mais faut voir.

14. Raquel :C’est vrai, faut qu’on fasse attention à ça.

15. William : Oui, faut voir les branchements, voir ce qui est possible.

16. Frédéric (Président) : Moi, je ne vois pas de souci moi je peux demander à quelqu’un de regarder ce qui est faisable. Par contre après par rapport au placard à balais, si on le déplace, il faut trouver une place, mais pas dans la pièce de vie.

17. Intervenant A : Si on récapitule, il y aurait cette voie possible pour aménager différemment la cuisine, mais il y a plusieurs critères à prendre en compte et qui posent encore question : techniquement avec les arrivées de courant, le placement des placards, le déroulement du jet nettoyant… Donc tout ça faut voir encore…

18. Intervenant B : Est-ce que je peux dire un mot sur ce qu’on est en train de discuter là ? Vous voyez qu’en discutant comme vous le faites là, les choses s’éclaircissent… mais en même temps il y a plein de questions qui se posent encore. Ça manque encore d’instruction, juste sur cette question de la cuisine, sans parler des autres problématiques que l’on a identifiées ensemble.

19. Raquel : Nous on est prêts à pouvoir discuter de tout ça et poursuivre pour aller plus loin, mais le problème c’est le manque de temps, on fait que de se croiser, et que l’on nous écoute pas.

20. William : Oui, ce serait intéressant que l’on puisse discuter de tout ça, tout en nous permettant aussi d’avoir un éclairage d’un professionnel notamment pour les questions techniques si l’on veut trouver certaines solutions parfois.

21. Frédéric (Président) : On a discuté de 5‑6 hypothèses pour revoir les choses dans la cuisine et que ce soit mieux, mais peut-être qu’il faudrait que vous puissiez vous mettre d’accord sur une, en tout cas sur les problèmes que cela vous pose à tous et qu’à partir de là, on voit avec un professionnel la faisabilité pour y arriver.

22. Véronique : Ouais, c’est vrai. D’autant qu’on pourrait aussi le faire avec le cuisto, c’est la première fois qu’on allait lui parler là avant cette réunion et il était content lui aussi qu’on lui demande.

23. Frédéric (Président) : Faut que vous vous mettiez d’accord, et de mon côté, l’association s’engage, alors après avec la nouvelle responsable, à vous donner un temps de parole ensemble pour traiter ces sujets les uns après les autres. Il y avait plusieurs sujets, celui de la cuisine, c’est peut-être le premier à prendre. Puis ensuite sur les autres, et l’on en discute. Il y a des solutions à trouver, quand je vois Raquel courir moi ça me va pas, et vous connaissez mieux le travail que nous. Dans l’idée, vous en discutez entre vous, on en rediscute ensuite ensemble avec le bureau et vous, mais ce sera des allers-retours.

24. Intervenant B : Et c’est ça l’organisation qu’on préconise d’ailleurs, même si c’est pas simple et qu’on sait par ailleurs que ça crée plein de difficultés.

25. Frédéric (Président) : Pour rebondir là-dessus, l’idée au départ de l’ergonome quand on vous a sollicité, c’était que vous arriviez avec des solutions toutes faites, mais en fait c’est vrai qu’il vaut mieux que ce soit les agents qui trouvent eux-mêmes les solutions avec nous.

Au cours de la réunion en présence des opérateurs et du président, l’instruction des problèmes repérés lors de la co-analyse du travail se poursuit, avec la hiérarchie cette fois. Mais ici, l’objet à instruire est posé d’emblée à l’initiative du collectif qui a continué à travailler autour du problème d’aménagement de la cuisine entre temps, avec le cuisinier. Ce n’était en aucun cas prévu, mais dans le temps entre notre dernière réunion avec les agents et cette réunion avec la hiérarchie, ils se sont organisés en dehors de leurs horaires pour poursuivre la discussion sur la cuisine et avoir un premier niveau d’accord sur ce qui pose problème à tout le monde dans la configuration actuelle. Ils sont en cela plus actifs vis-à-vis du problème, ils le prennent davantage à leur charge, sans le renvoyer immédiatement vers une hiérarchie supposée trouver des réponses. Cela correspondrait pourtant à sa fonction de « concepteur » du travail. Mais c’est précisément cette fonction que le développement du pouvoir d’agir des opérateurs concernés vient « bousculer ». L’instruction et la résolution du problème ne sont plus laissées à la discrétion des responsables ou des « acteurs spécialisés » de la conception, elles sont maintenant conduites entre les opérateurs et à leur initiative au service d’une responsabilité qui se redistribue. Ce temps entre les deux réunions les a amenés à discuter avec le cuisinier, prestataire en régie de cette maison d’accueil, dans le but de tenir compte de son point de vue sur le problème. L’enquête se poursuit donc dans cette nouvelle configuration sociale, en affinant au passage la définition du problème du point de vue du travail réel.

L’extrait ci-dessus montre aussi autre chose. Si l’enquête conduite par les opérateurs eux-mêmes permet d’équiper la discussion avec la hiérarchie autour du réaménagement de la cuisine, l’échange rapporté met également en évidence la difficulté à fonctionner de cette manière dans une organisation qui sépare classiquement les fonctions de conception et d’exécution du travail. Raquel le dit à sa manière : « Nous on est prêts à pouvoir discuter de tout ça et poursuivre pour aller plus loin, mais le problème c’est le manque de temps, on fait que de se croiser, et que l’on nous écoute pas » (cf. Tableau 3, en 19). Difficile en effet, dans l’organisation telle qu’elle est (aucun temps officiel de réunion, des horaires décalés, etc.), de poursuivre l’instruction des dossiers ouverts en vue de leur mise en discussion avec la hiérarchie, pour y trouver de nouvelles réponses opérationnelles. Sauf, comme cela a été le cas ici, à prendre du temps en dehors des horaires de travail. Cette solution trouvée en cours de route par les opérateurs ne peut être que provisoire, et ne peut en tout cas pas constituer une réponse organisationnelle pérenne.

Au-delà de la cuisine, il faut donc retoucher aussi ces marges-là : celles qui permettraient de reconnaître dans l’organisation la contribution possible du collectif à la définition et à l’instruction des problèmes. Le premier niveau de recherche d’un nouveau matériel pour la cuisine appelle ainsi un second niveau de « manœuvre » – une action sur un déterminant des déterminants – plus organisationnel cette fois, qui permettrait aux opérateurs, au-delà du cadre de cette intervention, de pouvoir continuer à mener l’enquête collectivement et à leur initiative face aux problèmes qu’ils rencontrent quotidiennement. Pour ce faire, l’organisation doit du coup trouver les moyens de faire vivre la délibération entre opérateurs au service de la transformation des situations réelles de travail. Or, cette délibération n’est pas spontanée, elle requiert des conditions et des moyens spécifiques qui n’existent pas dans l’organisation habituelle du travail, mais que le dispositif d’intervention a fait exister de façon expérimentale. La seconde moitié de l’extrait rapporté montre le passage entre ces deux niveaux, soutenu par les intervenants : la mise au travail entre agents et direction pour manœuvrer les marges et trouver des solutions inédites à un problème qui jusqu’alors n’était pas évoqué de cette façon-là, au-delà de la défiance ; puis la mise au travail des marges organisationnelles dont il faudrait pouvoir disposer pour poursuivre l’instruction des problèmes concrets dans le temps.

4. Discussion

4.1. Du développement du pouvoir d’agir au développement des marges de manœuvre

Bien sûr, l’exemple rapporté ici ne résout pas tout. Et cet article n’a pas prétention à le faire. Nous n’avons pu assister, par exemple, à aucune transformation concrète mise en œuvre à l’issue des échanges entre les professionnels et leur hiérarchie, car l’intervention s’est terminée. Mais ces échanges, et l’histoire de leur développement au sein même du cadre temporel de l’intervention, nous permettent de réfléchir aux rapports possibles entre marges de manœuvre et pouvoir d’agir et nous semblent utiles pour instruire cette question.

Ici, c’est par la médiation du dispositif d’intervention que les opérateurs ont pu reprendre la main – ne serait-ce qu’en élaborant les problèmes entre eux puis en les soumettant à leur hiérarchie – sur les transformations potentielles de leur activité. S’ils y sont parvenus, c’est à travers un cheminement individuel et collectif qui s’enracine d’abord dans le développement de leur mobilisation psychologique et sociale autour des dilemmes et des difficultés de leur propre travail. Même en pensée, ils ont pu imaginer des alternatives à leurs manières de faire usage des marges disponibles pour être plus efficaces, dans le cadre d’intervention proposée. Ils ont ainsi progressivement retrouvé les moyens nécessaires pour conduire l’instruction collective des problèmes d’activité, en autoconfrontation d’abord, puis – à leur initiative – en dehors des séances de travail initialement prévues. Au sens propre du terme, leur rayon d’action s’élargit, leur enquête s’étend autour de nouveaux objets – l’aménagement de la cuisine ou la manière de faire avec Monsieur Po par exemple – elle fait intervenir de nouveaux destinataires – comme le cuisinier ou le président de la structure – et sollicite la prise de décisions, là où c’était plutôt l’inertie de la plainte qui organisait jusque-là les relations sociales. Leurs délibérations successives les ont conduits à poursuivre l’instruction des questions pour leur propre compte, et pas seulement à la demande des intervenants. Au total, ils se sont trouvés un peu mieux équipés pour « se déterminer » autour de ces problèmes en présence de la hiérarchie lors de la réunion dédiée en fin d’intervention. Ce processus prépare le collectif à manœuvrer les marges aux différents niveaux : dans l’activité concrète, en situation ordinaire, puis dans l’organisation, avec les décideurs.

La possibilité, pour les opérateurs, en interaction avec leurs collègues et les autres acteurs, « d’influencer davantage les processus qui définissent la configuration des différentes situations de travail » (Coutarel et al., 2015, p. 19) constitue donc selon nous le résultat d’une reconquête de leur activité par les opérateurs en cours d’intervention. Nous partageons les doutes d’autres auteurs sur la possibilité que cette « influence » puisse être le résultat d’une préconisation externe seule, ou même d’une formation qui fournirait aux acteurs les connaissances nécessaires (Miossec & Rouat, 2020 ; Miossec & Simonet, 2019). Au-delà d’une recommandation de ce type, notre postulat se fonde d’abord sur l’importance, pour les protagonistes concernés, de pouvoir faire l’expérience concrète de cette influence à l’occasion de l’intervention, en s’appuyant sur la force potentielle du collectif de travail (Scheller, 2022) : vivre cette influence au cours même de l’intervention semble favoriser son déploiement, surtout lorsqu’elle permet de mieux penser les problèmes, d’y « voir plus clair », pour envisager de nouvelles voies d’action. C’est pour cette raison que si le « pouvoir d’agir s’inscrit dans un rapport général à l’organisation » (Coutarel et al., 2015, p. 19) il ne se réduit sans doute pas à ce seul rapport général. Car c’est dans la « boîte noire » de l’activité la plus ordinaire que le pouvoir d’agir se développe ou s’atrophie (Clot, 2008, p. 14), au contact des dialogues entre collègues. Le pouvoir d’agir n’est pas seulement le pouvoir de contribuer à la décision. Il trouve aussi sa source dans le rapport des opérateurs à leur activité habituelle et à ses conflits (Bonnemain, 2020), qu’ils parviennent plus ou moins à « démêler » du fait des contradictions qui la composent.

Dans l’expérience rapportée ici, c’est justement lorsque le dirigeant a pu constater « sur pièce » la force insoupçonnée des initiatives des opérateurs pour « démêler » l’efficacité de leur travail, qu’il a pu alors envisager – au cours de la restitution – une coopération inédite avec ce collectif. En se sentant comptables de leur propre activité, les collectifs se donnent le crédit suffisant pour faire autorité auprès des hiérarchies à mettre au travail, sans complaisance, dans la boucle de décision. Cette responsabilité de l’acte, il faut qu’ils s’y préparent soigneusement et sans faux-fuyants, parfois contre les habitudes prises. Cette prise de risque ne s’improvise pas.

Le collectif peut devenir à cette occasion un nouveau moyen d’accès au réel qui équipe la décision, un moyen de se rapprocher du travail ordinaire habituellement si difficile d’accès, grâce au travail d’instruction collective des questions entre opérateurs. Si donc « développer le pouvoir d’agir de l’opérateur c’est transformer l’activité des concepteurs de l’organisation du travail » (Coutarel et al., 2015, p. 19), on comprendra que cette dernière transformation est, dans cet exemple, seulement « indirecte ». Elle passe d’abord par les voies incertaines du développement du pouvoir d’agir des opérateurs sur leur activité, expérimentées grâce aux méthodes mises en œuvre. Ce premier palier de développement constitue l’« impulsion » indispensable pour le développement de l’activité des concepteurs, qui cherchent alors des moyens organisationnels pour structurer l’enquête initiée au sein du collectif. C’est le cas du président de cette structure, lorsqu’il propose, au cours de la restitution, des temps et des moyens nouveaux pour que le collectif puisse poursuivre l’instruction des problèmes repérés.

L’exemple d’intervention mobilisé, malgré toutes ses limites, permet de grossir la focale : il n’y aurait pas d’un côté le développement du pouvoir d’agir entendu comme contribution des opérateurs aux décisions sur leur travail avec la hiérarchie, et de l’autre un développement de nouvelles marges de manœuvre « octroyées » en situation réelle. Il y a plutôt, de notre point de vue, un développement du pouvoir d’agir qui englobe ces deux processus : pour être en mesure de développer son pouvoir d’agir dans et sur l’organisation en contribuant à redéfinir les marges de manœuvre avec leur hiérarchie, il faut d’abord que les opérateurs de terrain parviennent à faire la démonstration de leur engagement collectif dans l’analyse « contradictoire » organisée autour de leur propre activité, pour la transformer à leur niveau lorsque c’est nécessaire. Ils doivent d’abord pouvoir retrouver les moyens d’agir sur leur travail entre eux, en supportant – comme c’est le cas ici – les désaccords à rediscuter pour mieux faire le tour du problème à résoudre. Pour la hiérarchie, c’est un changement d’habitude, car le collectif s’autorise davantage à instruire les problématiques pour les résoudre, là où la plainte prenait auparavant beaucoup de place. Cela vaut d’autant plus dans ce contexte de défiance réciproque.

À partir de là, les dirigeants peuvent alors trouver dans ce processus de nouvelles possibilités d’agir avec ce collectif « en enquête », et pas contre lui, ni pour lui. C’est une reconfiguration de la responsabilité autour de l’instruction des problèmes de travail et des modalités de l’action à conduire, qui prend sa source dans la reprise en main par les professionnels eux-mêmes des échanges sur leur propre travail, des marges de manœuvre existantes et de leurs usages possibles en situations réelles. Ils redeviennent – par leurs délibérations – experts de leurs marges de manœuvre « pour leur hiérarchie » avant de pouvoir être autorisés par cette même hiérarchie à les redéfinir avec elle à d’autres niveaux. En ce sens, dans cette intervention, c’est donc le développement du pouvoir d’agir qui pousse les marges de manœuvre dans leur retranchement. Ces dernières sont réévaluées à mesure que les opérateurs étendent leur rayon d’action sur les problèmes concrets qui se posent dans leur travail quotidien, à mesure que leur mobilisation psychologique et sociale s’accroit individuellement et collectivement autour de leur propre travail.

4.2. La posture de l’intervenant dans la perspective d’un développement du pouvoir d’agir

Ces réflexions interrogent le rôle et la fonction de l’intervenant dans une perspective développementale (Arnoud, Barcellini, Cerf & Perez Toralla, 2022). Pour que l’intervention puisse viser le développement du pouvoir d’agir des acteurs et des collectifs, l’intervenant adopte une posture particulière qui mérite d’être mieux définie. D’autres travaux ont déjà contribué à le faire (Arnoud, 2022 ; Arnoud & Perez Toralla, 2017 ; Barcellini, 2017 ; Bonnefond, 2017, 2019 ; Hubault, 2007), et l’exemple mobilisé ici peut s’avérer utile pour contribuer à l’instruction de ce dossier.

En effet, dans l’intervention rapportée ici, la méthodologie mise en œuvre n’a pas eu pour but d’analyser les marges de manœuvre existantes pour les améliorer ou en créer de nouvelles. Elle a visé, au vu de l’évolution de la demande, à solliciter davantage la mobilisation des opérateurs autour de la réalisation de cette analyse. Mais, alors qu’ils se sont engagés progressivement dans l’analyse, les opérateurs ont bien souvent été décontenancés par l’absence apparente d’expertise des intervenants sur le problème posé : ils ne se placent pas en position de dire – comme les professionnels pourraient s’y attendre – ce qu’il faudrait changer pour réduire les atteintes à la santé et améliorer la performance du système. Dans ce cadre d’intervention, les intervenants cherchent davantage à se faire l’instrument d’une activité d’élaboration nécessaire entre les acteurs pour développer l’enquête individuelle et collective autour des incertitudes à éclaircir dans leur activité. Dans cette perspective, comme le souligne Arnoud (2022), l’ergonome peut devenir un moyen pour « faciliter […] les échanges et interactions entre les acteurs afin qu’ils puissent ensemble “s’organiser” et trouver des solutions concrètes » (p. 54). Ce travail de « facilitation » n’est bien sûr jamais acquis d’avance, et rencontre des obstacles pratiques reliés aux rapports déjà existants entre les forces en présence, comme par exemple les rapports de subordination qui prédéterminent les circuits d’instruction et de décision (Bonnemain, 2022). Mais l’intervention peut justement consister à rendre ces circuits plus « conducteurs », en favorisant les situations où un autre rapport est rendu possible entre ces forces, davantage recentré autour des problèmes concrets d’efficacité, instruits sans détour entre connaisseurs sur le terrain, au plus près du réel, de ses obstacles et de ses contradictions.

Dans cette intervention, s’est ainsi opérée une forme de « renversement » de la fonction de l’expertise des intervenants qui a eu des conséquences auprès des différents acteurs de cette structure. D’abord chez les opérateurs, qui, puisqu’ils ne trouvent pas chez l’intervenant les réponses « toutes faites » aux problèmes qu’ils rencontrent, sont contraints de s’engager dans une forme d’enquête, un dialogue au sens développé par Bakhtine (1984). Ensuite chez le dirigeant, qui peut finalement constater, non sans étonnement, qu’« il vaut mieux que ce soit les agents qui trouvent eux-mêmes les solutions avec nous » (cf. Tableau 3, en 25), comme nous l’avons vu plus haut. Opérateurs et hiérarchie sont alors pris dans un processus d’enquête dans lequel ils sont eux-mêmes, avec les intervenants, des enquêteurs et non des « enquêtés ». Dans cette configuration, l’ergonome devient un enquêteur qui intègre un collectif d’enquête plus large. Il oriente l’enquête ou la fait parfois bifurquer. À d’autres moments, il se laisse entraîner à enquêter avec les opérateurs autour des objets qui les préoccupent et qu’ils ont posés à leur initiative. Cette variation de la posture requiert une expertise spécifique : elle consiste, pour l’essentiel, à construire des cadres de dialogue aux différents niveaux – centrés sur les différentes manières de faire face aux difficultés habituelles de l’activité – et qui permet le déploiement d’une action clinique (Hubault, 2007) cherchant à faire de ces différences une ressource pour « attraper » les problèmes sous des angles différents, voire parfois opposés, afin de mieux en « faire le tour ».

Dans cette perspective, ce genre d’expertise ne consiste donc pas à agir sur les conditions dans lesquelles l’activité peut se déployer (Falzon, 2013a), mais sur le déploiement de cette activité elle-même, en faisant de l’intervenant un « enquêteur parmi les enquêteurs » (Arnoud, 2022, p. 61). Ses efforts se dirigent sur le déploiement de l’activité au moyen du dialogue au sein du collectif, afin que les opérateurs puissent étendre leur rayon d’action jusqu’à pouvoir intervenir par eux-mêmes sur les conditions du déploiement de leur activité (Clot & Simonet, 2015). Cela ne signifie pas, bien sûr, que ces opérateurs puissent se mettre à décider « à la place » de leur hiérarchie et qu’il ne leur soit pas utile de convoquer des compétences tierces nécessaires à la définition ou au traitement du problème soulevé. Mais cela signifie simplement qu’ils peuvent, dans cette configuration, avoir leur mot à dire – après délibération collective entre eux au sein du processus de décision – comme c’est le cas au cours de la réunion de restitution présentée plus haut.

5. Conclusion

Notre proposition de méthodologie dialogique constitue peut-être, avec toutes ses limites, une contribution possible pour préciser les objectifs possibles d’une intervention « développementale » (Arnoud et al., 2022) qui ambitionne d’agir sur l’organisation et pas seulement sur le dialogue au sein du collectif de travail. Mais il faut souligner l’extrême modestie des résultats obtenus à l’issue de l’intervention courte présentée ici, dont la contractualisation n’a pu excéder les quelques journées réalisées. Malgré les effets constatés du dispositif dialogique mis en place, il n’a pas été possible de suivre, ni d’équiper concrètement, le devenir de ces échanges dans le temps et leurs effets sur l’organisation formelle du travail, au-delà des résultats exposés dans cet article. Et il est possible que la complexité et l’importance des transformations à conduire à partir de là aient repris le pas sur l’action concrète et le niveau d’initiative nécessaire des différents acteurs. L’expérience originale faite ensemble n’a peut-être pas empêché le retour des habitudes au sein du collectif et avec la hiérarchie. Sur ces questions, d’autres expériences pionnières au long cours existent déjà (Bonnefond, 2019 ; Clot et al., 2021). Elles montrent que l’intervention pourrait permettre, à partir des premiers développements provoqués dans l’activité des professionnels, d’équiper le développement du pouvoir d’agir des opérateurs dans l’organisation cette fois, pour poursuivre la construction des marges de manœuvre nécessaires au déploiement de leur activité. Dans ces interventions plus longues, le rayon d’action des opérateurs de première ligne a pu s’étendre de manière concentrique dans la délibération, depuis l’activité de terrain la plus concrète, jusqu’aux processus de décisions impliquant un « dialogue social » spécifique et d’autres destinataires dans l’institution (Prot, Bonnefond & Clot, 2021 ; Sailly, Johansen, Tengblad & van Klaversen, 2022). Le collectif qui a développé son pouvoir d’agir sur son activité quotidienne devient alors davantage un moyen d’analyse et d’action sur les marges de manœuvre aux différents niveaux, y compris celles qui sont reliées à l’apparition potentielle de TMS, comme on l’a vu avec l’exemple de la cuisine ci-dessus. Il serait à ce titre intéressant, dans une perspective d’évaluation des interventions (Coutarel, 2022 ; Coutarel, Daniellou, Garrigou, Landry, Cuny-Guerrier, et al., 2019) et pour poursuivre l’échange scientifique, de discuter ces résultats avec le regard d’autres interventions ayant pris le développement des marges de manœuvre comme point de départ. Il serait également utile de mieux connaître les contextes dans lesquels les différents types d’intervention trouvent et construisent les conditions de potentialiser les résultats visés, et si, pour un même type d’intervention, dans un même type de contexte, des variations de démarches et de méthodes altèrent ou favorisent les résultats visés.

Quoi qu’il en soit, une ergonomie tournée vers une perspective « développementale », qui cherche « à développer par l’intervention les capacités des acteurs à transformer le milieu » (Coutarel & Petit, 2013, p. 182), pourra peut-être trouver dans notre exemple « discutable » matière à réflexion.

Bibliographie

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Notes

[1Ce pré-diagnostic comportait une formalisation intermédiaire des analyses globales des situations de travail effectuées, une mise en lien entre la demande et les symptômes TMS associés, de premiers éléments de l’activité des agents (notamment sur les situations de nettoyage, de préparation des repas, d’animation et d’accompagnement des résidents, etc.) et les déterminants à l’origine de la survenue de ces symptômes. Dans un souci de synthèse, nous ne présentons pas davantage ici ce pré-diagnostic, celui-ci ne constituant pas l’objet de cet article.

[2Ce pré-diagnostic compL’ergonomie de l’activité a récemment retrouvé aussi l’importance de ce double statut du développement dans l’action ergonomique, comme nous l’avons souligné plus haut (Falzon, 2013b)

[3Afin de garantir l’anonymat des professionnels et des résidents, les noms et prénoms ont été modifiés.

[4D’après les échanges que nous avons pu avoir avec William et avec M. Po lui-même.. Et pour William, il vaut mieux

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