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Écocitoyenneté et sciences citoyennes

Un article repris de http://journals.openedition.org/ver...

Un article repris de Vertigo, la revue électronique en sciences de l’environnement, une publication sous licence CC by nc nd

Combien de mobilisations citoyennes au cours des dernières décennies auront permis aux sociétés d’échapper au pillage et à la dévastation des terres, des lacs, des rivières et de la biodiversité ou du moins, auront limité les agressions aux territoires et à la santé ?

L’indécision, voire l’inaction des décideurs publics ou leur complicité avec les promoteurs de projets parfois aussi discutables que peu discutés, soulèvent souvent l’indignation et la colère des populations locales impactées et des citoyens conscients de la gravité des menaces à l’intégrité des écosystèmes.

Ces citoyens questionnent alors le bien-fondé de projets peu justifiés, voire erratiques et tentent parfois de les stopper. Ils essaient aussi de modifier les cadres politiques, législatifs, évaluatifs et réglementaires pour éviter la mainmise d’intérêts privés sur le bien commun. Dans la foulée, nombre de mouvements citoyens inventent aussi d’autres façons de vivre pour habiter le territoire, ce dont témoigne le foisonnement des luttes citoyennes visant à protéger boisés et forêts, espaces nourriciers et espèces menacées pour assurer l’intégrité du vivant. Et on ne compte plus les initiatives créatives et conviviales de partage et de solidarité, dignes d’une liste sans fin à la Prévert, allant des jardins collectifs aux communautés bioalimentaires, des projets d’écotourisme, aux ateliers de réparation, de récupération et d’échanges jusqu’aux systèmes locaux de production d’énergie.

À travers cette mouvance, ponctuée de milliers d’initiatives d’éducation communautaire et environnementale, s’est peu à peu forgée une culture écologique nourrie d’apprentissages et d’expériences citoyennes, qui, au-delà de la transmission d’informations – si abondante, juste et convaincante soit-elle – permet un réel engagement dans l’action collective. Tout seul, le défi semble parfois trop grand alors que le partage des savoirs, des expériences et des ressources ainsi que l’analyse collective des projets, de leur portée et de leurs limites, donne l’élan pour les mener à bien. Cela dépasse alors largement l’écocivisme, ces gestes vertueux pour consommer moins et mieux (énergie, alimentation, transports, et cetera), autant de pas significatifs, exigeant cohérence et constance, mais demeurant néanmoins insuffisants face à l’ampleur des urgences écologiques.

L’approche écocitoyenne, quant à elle soucieuse de ces enjeux pressants et globaux et centrée sur la chose publique, entrevoit la cité comme l’ensemble du monde vivant pour en faire un lieu de délibération d’un monde partagé. Consciente des liens sociétés et natures, cette écocitoyenneté critique, créative et engagée, désireuse de participer à la transformation des politiques et des pratiques, invite à prendre part aux débats tout en exigeant le respect des droits d’accès à l’information, de justice environnementale et de participation publique au processus décisionnel (Sauvé, 2017).

On a vu ainsi, au fil des ans, se tisser « un incroyable réseau écocitoyen, aussi discret mais aussi solide qu’une toile d’araignée. Cette façon même de prendre à cœur, et à bras le corps, la protection des conditions de régénération des êtres et des milieux de vie, avec cette force de conviction de l’action quotidienne, donne ainsi à ces mouvements écocitoyens l’autorité d’exiger des pouvoirs publics qu’ils s’acquittent de leur responsabilité première : protéger le bien commun et assurer un monde viable et vivable pour chacun et pour tous ceux et celles qui suivront » (Vandelac, 2006, p. X).

Au cœur des projets et des territoires, l’action écocitoyenne adopte diverses stratégies où s’entrecroisent recherches, rencontres avec des élus-es, consultations publiques, voire manifestations. Dans plusieurs initiatives, ils s’imposent comme de véritables partenaires de la co-construction des savoirs, interrogeant certains projets de développement imposés ainsi que leurs présupposés. Refusant d’être considérés comme la dernière roue du carrosse, ces mouvements écocitoyens, parties prenantes d’un véritable chantier de mise en œuvre des conditions d’exercice de l’écodémocratie », ont largement contribué à imposer l’intégration de ces préoccupations et de ces savoirs aux différents paliers de recherche et de gouvernement, notamment en Europe et en Amérique du Nord.

Néanmoins, bien que des décennies de mobilisations citoyennes aient permis d’éviter plusieurs écueils et de réorienter certaines politiques, la plupart des pays sont encore loin de procéder à une évaluation stratégique et intégrée des plans, programmes et politiques, qui, en amont des projets, peuvent permettre de comparer les options et d’orienter alors les développements en fonction du bien commun. Et cela devient plus troublant encore, devant la dégradation accélérée du climat et de la biodiversité, et la faiblesse des dispositifs d’évaluation scientifique et des recours juridiques susceptibles de contribuer à préserver l’avenir collectif et la vitalité du lien social et de la démocratie. Quant aux sciences citoyennes, véritables creusets de production de savoirs centrés sur l’examen critique des développements technoscientifiques, elles demeurent encore balbutiantes.

Ces questions d’écocitoyenneté servent de trame sous-jacente aux cinq articles réunis dans ce numéro sur les exigences de démocratisation des savoirs et de l’action. Ils abordent sous différents angles, le réseau des relations entre représentations, valeurs, savoirs et actions citoyennes en matière d’environnement.

Ainsi, le premier article intitulé La formation réciproque sur les questions de justice énergétique dans l’espace politique local : enjeux et possibilités, cosigné par Laurence Brière, Maude Prud’homme, Guillaume Moreau, Isabel Orellana, Marie-Ève Marleau et Martine Chatelain examine les modalités de prise en compte des savoirs citoyens et de l’action publique municipale dans les enjeux de transition énergétique. Soulignant que les pouvoirs des milieux municipaux au Québec disposent des outils qui, avec l’appui des savoirs citoyens, leur permettraient de jouer un rôle de premier plan dans la transition énergétique et écologique, ce texte met néanmoins en évidence que la méconnaissance des leviers politiques, légaux et réglementaires et le peu d’espaces de débats les empêchent d’impulser une telle transition vers la justice énergétique.

L’article de Justine Lalande La trajectoire des savoirs citoyens : le cas du développement d’un projet minier québécois, inspiré d’une démarche exploratoire d’ethnographie organisationnelle portant sur la contestation citoyenne d’un projet de développement minier dans une petite municipalité au Québec, constate qu’en dépit des mobilisations de différents types de savoirs par les citoyens, la vision réductrice du promoteur continue d’ancrer la démarche d’acceptabilité sociale dans un modèle de déversement du savoir, relativement hermétique à la réception et à l’intégration des savoirs citoyens, un modèle que l’article propose de dépasser.

L’article de Chantal Royer et d’Anaïs Py-Cayol, L’importance et la signification de l’environnement chez de jeunes adultes français, basé sur des entretiens qualitatifs réalisés en 2021 auprès de jeunes adultes français, témoigne de l’importance qu’ils accordent à l’environnement, à ses valeurs et à ses significations. Alors que les uns associent l’environnement à la protection de la nature, d’autres aux déchets et à la pollution, ou encore à la consommation, d’autres enfin considèrent l’environnement en tant que mouvement social et politique. Cette analyse ouvre certaines pistes de réflexion sur le développement des valeurs environnementales.

L’article de Véronique Van Tilbeurgh et d’Anne Atlan, Pluralité des valeurs attribuées à la nature : le rôle des instances de socialisation primaire, s’appuie sur une enquête menée dans les îles subantarctiques, un contexte non-utilitariste et non-marchand où la nature est valorisée. Les correspondances entre les formes de socialisation des individus à la nature et les valeurs qu’ils lui attribuent, échappant aux déterminants sociaux habituels, varient selon qu’elles aient été faites au sein de la famille, des groupes de pairs ou ailleurs. Le rôle des instances de socialisation primaire dans la pluralité des valeurs attribuées à la nature invite alors à examiner les possibles transformations des représentations de la nature et de l’environnement.

Quant à l’article Pensée design et Facebook. Un accompagnement prometteur de citoyennes dans la réduction des plastiques au Maroc, les auteurs-es Diane Pruneau, Abdellatif Khattabi, Zakia Rahmani, Zineb Chattou et Natacha Louis présentent trois outils, à savoir la pensée design et deux technologies d’information et de communication (TIC) visant à réduire, réutiliser ou recycler les quantités de plastique employées pour en limiter les menaces sur la santé et l’environnement. Dans le cadre du projet « Ressacs sans plastiques », la pensée design, centrée sur les besoins des usagers et les prototypes pour y répondre, ainsi que le recours aux groupes Facebook/WhatsApp ont permis aux artisanes visées d’atteindre des résultats nettement supérieurs en termes d’échelle, de vitesse, de qualité, d’exactitude et de coût pour réduire les plastiques dans le Parc national d’Al Hoceima.

Cette réflexion ici à peine ouverte sur l’écocitoyenneté, mérite d’être encore considérablement élargie et approfondie. D’autant plus que face à l’inqualifiable désinvolture des décideurs économiques et politiques devant les dépassements des limites planétaires et des redoutables risques de basculements qui y sont liés, les citoyens n’ont désormais guère d’autres choix que de se mêler de leurs affaires, afin d’intervenir sur les facteurs qui en sont largement responsables, dans l’espoir de préserver un peu plus encore les conditions mêmes d’habitabilité du système terre.

Bibliographie

Sauvé, L.,2017, L’éducation à l’écocitoyenneté, dans Barthes, A. et J.M. Lange (dir.) Dictionnaire critique des enjeux et concepts des sciences de l’Éducation, Paris, L’Harmattan, pp. 56-65

Vandelac, L. 2006, Préface Dans Baril, J. Le BAPE devant les citoyens : Pour une évaluation environnementale au service du développement durable, Québec, Presses de l’Université Laval, , pp. IX à XVI

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