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Nadia Heddad et Alexandre Morais, « Penser le travail dans écologie humaine : quelle actualité de la proposition de Cazamian ? », Activités [En ligne], 19-2 | 2022, mis en ligne le 15 octobre 2022, consulté le 17 octobre 2022. URL : http://journals.openedition.org/activites/7900 ; DOI : https://doi.org/10.4000/activites.7900
La notion d’écologie humaine est une proposition de Pierre Cazamian qui très tôt, l’associe à l’ergonomie dans les années 60/70. Ce dossier se propose d’explorer cette notion au travers de communications orales et écrites réalisées à l’occasion d’un séminaire qui lui a été consacré en mai 2021.
Le mot écologie tire son origine du mot grec Oikos (Rey, 1998/1992). Il fait référence à la demeure, à la maison pour un groupe humain. Ses déclinaisons sont pour l’auteur, multiples, et peuvent se traduire par une façon de concevoir la manière de vivre des hommes (et non des machines), administrer, gouverner et entretenir les affaires de la maison. Elles touchent ainsi tout aussi bien les règles de la vie de la maison, au sens de l’économie, pour une maison vivante et promeut une manière de travailler, notamment la matière. Réy (Ibid.) rappelle que l’écologie est dans les années 1960 à 70, une science qui vise à étudier les milieux où vivent les êtres vivants. Elle évolue à partir de 68 pour devenir une doctrine, un courant politique, qui vise à une meilleure adaptation de l’homme à son environnement.
C’est dans ce contexte politique et historique que Pierre Cazamian fait la proposition d’accoler le mot écologie, prolongé de l’adjectif humain, au mot ergonomie.
Aujourd’hui, le mot écologie, l’Oikos, est d’actualité. Il interroge de façon générale, la manière dont les ressources sont exploitées. L’enjeu est sociétal. Il touche le monde du travail, mais sans pour autant se préoccuper du contenu et la nature de l’activité de travail des hommes et des femmes dans les entreprises. L’injonction reste extérieure au travail réel.
La proposition de Cazamian de s’intéresser tant au travail qu’à ce qu’il nomme l’écologie humaine, interpelle la discipline et la pratique du métier d’ergonome dans ce contexte plus contemporain. Ce dossier est l’occasion de renouer avec cette proposition originelle de Cazamian pour la discipline.
1. Une ergonomie ouverte sur une écologie humaine
1.1. L’écologie humaine, une perspective pour l’ergonomie
En associant les deux mots, ergonomie et écologie humaine, Cazamian met l’accent sur la porosité des frontières créées par les entreprises pour contenir le travail. Il anticipe la nécessité d’inscrire le travail humain dans une perspective qui déborde le périmètre spatial et temporel de l’organisation du travail. L’activité de travail réalisée au sein de l’entreprise est en lien avec les activités autres hors travail. Il propose de prolonger l’approche du travail proposée par l’ergonomie par une dimension écologique de l’activité de travail humain. Il défend l’idée de concevoir le travail comme une situation à vivre. Pour lui, le travail contribue à former Oikos et interpelle la façon de penser la manière de vivre. À partir de choses concrètes réalisées lors de l’activité de travail, Cazamian invite à penser la maison (Oikos) humaine.
L’écologie humaine étant pour lui une manière de considérer l’existence humaine à partir et au-delà de ce que les personnes font et réalisent en situation de travail. L’ergonomie, en mettant la lumière sur ce que font concrètement les personnes lors de la réalisation de l’activité de travail, valorise une manière d’écouter, de regarder des choses concrètes et par conséquent, invite à penser et organiser un autre regard sur le monde du travail, mais aussi d’agir sur la maison humaine. L’écologie humaine étant pour lui une façon de ne pas se limiter au travail, mais de fonder une manière de s’intéresser à l’humanité sur un rapport écologique sur la qualité de la maison.
Il refuse la proposition de l’approche taylorienne qui réduit le travail à l’exécution d’opérations. À partir de ce qui est réalisé concrètement dans l’activité de travail, au plus près de ce que font les hommes et les femmes dans les entreprises, Cazamian questionne la manière dont la société en général, les firmes en particulier, excluent ce que font, et pourraient faire, ces hommes et femmes lors de leurs activités au travail et hors travail.
C’est à partir de l’intelligence du travail, qu’une perspective pour penser la vie humaine peut être esquissée. Il invite à soutenir l’activité de travail comme une forme d’expérience du monde où le sujet humain trouve à y vivre, par son agir sur celui-ci et par son propre développement. Pour lui, le travail a une valeur existentielle et c’est dans cette perspective que l’ergonomie est une écologie humaine.
1.2. Une approche globale, multifactorielle et contradictionnelle du travail
La proposition d’une ergonomie inscrite dans une approche écologique de l’humain s’inscrit dans une approche globale (Cazamian, 1973, 1987, 1996b) attentive aux risques des découpages opérés par les disciplines et les démarches qui cherchent à saisir le travail humain. Il invite à développer une approche qui évite les travers des délimitations disciplinaires pouvant conduire à séparer et réduire des réalités au travail et hors travail.
Dans un contexte de découpage des disciplines scientifiques qui conduit à séparer « les sciences de la nature et les sciences humaines » (Cazamian, 1996b, p. 256), notamment la séparation opérée par les sciences de la physiologie des sciences psychologiques distinguant le mental du psychique, il pointe l’écueil d’une réduction du réel. Il défend une approche globale, nécessairement pluridisciplinaire pour saisir le travail et ses effets sur les hommes et femmes. Il invite à une épistémologie multifactorielle pour résister aux failles qui existent entre la biologie et physiologie d’une côté, et physiologie et psychologie de l’autre. Il défend l’idée qu’il n’existe pas une science de l’homme, mais seulement des multi-disciplines (Heddad, & Cazamian, 2004). Pour Cazamian (1996b), le corps est le médiateur réunissant les différentes dimensions séparées par les sciences comme par exemple la physiologie ou le psychologique. Cette globalité de l’approche doit également considérer la question des rythmes biologiques, l’homme des 24 h (Laville, & Cazamian, 2006/2002). La vie des hommes et des femmes ne s’arrête en effet pas aux portes de l’entreprise.
Il évoque également la nécessité de prendre en compte la question des rythmes biologiques, psychologiques et sociaux dans une cohérence qui ne sépare pas les temps hors et au travail. Un temps long, à la fois multiple [1] et unitaire [2], dont dépend l’alternance entre des temps d’exercice et de dépense énergétique et des temps de récupération insérée dans des « rythmes et cycles biopsychologiques et sociaux » (Carpentier, & Cazamian, 1977, p. 71) propres à l’espèce humaine. Cette conscience de l’interdépendance des temps (au travail et hors travail) et leurs effets le plan du corps et de la santé, conforte l’idée d’une écologie humaine. Il prolonge ainsi sa proposition pour l’ergonomie avec une chrono-ergonomie (Cazamian, 1996c, p. 465) ouvrant à son tour sur une chrono-écologie humaine (ibid., p. 482).
Cette approche globale de la question de l’activité de travail humain est une caractéristique de l’ergonomie francophone (Heddad, & Cazamian, 2004).
Ce point de vue pluriel pour comprendre le travail est aussi une condition pour agir sur et par le travail. Pour Cazamian, l’approche est non seulement multidisciplinaire, elle est aussi à envisager de façon contradictionnelle afin d’engager une recherche des leviers d’action à partir de la mise en débat des différents points de vue. Pour lui, le conflit est « moteur de la créativité du travail de l’homme » (Cazamian, 1996b p. 265). Il n’est pas à supprimer dans les interventions en ergonomie. Il est à instruire et outiller dans une visée de dépassement des contradictions inhérentes à une considération séparée des questions et des leviers pour agir sur et par le travail dans les entreprises. Les femmes et les hommes qui réalisent le travail au quotidien sont tout aussi concernés que les décideurs ou les concepteurs par ce débat contradictionnel. D’une certaine marnière, il défend l’idée d’un contrepouvoir (sans se placer pour autant dans une relation de pouvoir) en valorisant le travail concret et en invitant ceux et celles qui réalisent l’activité de travail à penser la « maison » dans un rapport de « coopération antagoniste » (Cazamian, 1973) entre protagonistes (travailleurs / décideurs et concepteurs).
1.3. Le travail hétéronome
Cazamian conteste le travail industriel qui repose sur une normativité extérieure au travail réel. Il interpelle ce monde qui place au-devant une rationalité abstraite extérieure aux hommes et femmes qui réalisent le travail et qui discrédite, voire supprime, le savoir opératoire et les valeurs qui y sont rattachées. Il dénonce le travail hétéronome (Cazamian, 1987, 1996a, 1996b) qui sépare clairement celles et ceux qui pensent les systèmes de travail de ceux et celles qui ont pour tâche de réaliser le travail dans le monde réel. Il s’oppose clairement à la proposition taylorienne de réduire le travail à l’exécution d’opérations.
Les décisions s’opérant à partir de rationalités extérieures (économique ou à partir d’une certaine idée de l’ordre du progrès technique ou organisationnel par exemple), il dénonce le système décisionnel pour lequel le travail n’est pas considéré comme une base pour penser l’entreprise.
Ses références sont multiples, parmi elles :
- Les travaux de Leroi-Gourhan (1964, 1965, 1971) qui montrent la manière dont l’homme façonne un matériau.
- La pensée de Canguilhem (1967) qui met l’accent sur la créativité opératoire et l’originalité vitale irréductible à la rationalisation,
- Les conclusions de Simondon (1958) qui valorise le savoir opératoire comme « un savoir de participation profonde », « avec un aspect du monde valorisé et qualifié » et une « habilité manifestable seulement dans l’œuvre et non dans la conscience et le discours ».
- La proposition d’Ochanine (1966, 1971) qui met en évidence la distinction entre image opérative et image scientifique.
1.4. Le conflit opérativité / scientificité
Pour agir sur le monde, les hommes et les femmes ont recours selon Cazamian à deux stratégies qui se complètent, l’une est concrète et l’autre est abstraite.
La proposition Taylorienne valorise fortement une intelligence abstraite, en retrait et éloignée du lieu de production avec l’objectif de concevoir la technologie et les programmes de fabrication qui sont à « exécuter » par d’autres. Ce faisant, elle conduit à « substituer dans l’acte de produire l’intelligence abstraite et scientifique à l’intelligence concrète et opérative » (Cazamian, 1996a, p. 56). L’opérativité est pourtant « l’essence du travail humain » (Cazamian, 1996b, p. 269). Sa mise à l’écart, voire sa suppression, par les concepteurs des systèmes de travail conduit à une forme d’aliénation du travail proposé aux hommes et femmes réduits au statut d’opérateur en charge d’exécuter des opérations du système technico-organisationnel pensé par d’autres. Pour lui, les savoirs opérateurs partent de dimensions concrètes du travail. Ils peuvent se prolonger par un savoir symbolique, abstrait. Pour l’auteur, les deux font partie de l’action humaine. La difficulté dans les systèmes de travail provient de la division des formes de savoirs avec une survalorisation du savoir abstrait, produit de façon écartée du lieu même de production. C’est la dévalorisation du savoir opératif au profit exclusif du savoir abstrait ou scientifique qui pose difficulté pour le développement du travail humain.
1.5. La valeur existentielle du travail
Pour Cazamian, partir de l’intelligence du travail et le sens qu’il a pour celle ou celui qui le réalise permet d’esquisser une manière de penser la vie humaine. Il invite à soutenir l’activité de travail comme une forme d’expérience du monde où le sujet humain trouve à y vivre, par son agir sur celui-ci et par son propre développement. Pour lui, le travail a une valeur existentielle et c’est dans cette perspective que l’ergonomie ouvre sur une écologie humaine. Dans un monde où la déqualification du travail peut sembler permanente, défendre le travail comme une valeur d’une existence humaine est une posture politique. Pour lui, les humains se produisent et se développent en travaillant : être par ce que l’on fait, exister par ce l’on travaille.
De plus, cette valeur existentielle participe de la santé. En effet, la capacité à « organiser soi-même son travail pour y maintenir les équilibres et la créativité » (Czamian, 1996a, p. 57) est une attitude spontanée et existentielle découlant du caractère systémique et auto-organisationnel du travail humain. Le travail, régulé par les sensations intérieures (fatigue), ne peut être convenablement modulé que par celui ou celle qui dispose de cette information. De ce point de vue, l’activité de travail est un dialogue du sujet avec son milieu.
Pour terminer, l’expérience singulière et longue de Cazamian du travail minier dans les charbonnages de France (Heddad, & Cazamian, 2004 ; Laville, & Cazamian, 2006/2002), un travail autonome réalisé dans un milieu spécifique, celui de la vie des mineurs, est probablement un facteur ayant participé à sa prise de conscience précoce sur l’interdépendance des questions de travail et d’écologie humaine, au sens de milieu de vie.
2. Les objectifs du dossier
Ce dossier est issu de la réflexion engagée dans le cadre du séminaire annuel du pôle ergonomie de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, réalisé en mai 2021.
Le thème abordé est centré autour de la notion d’écologie humaine proposée par Cazamian dans un contexte qui a depuis, évolué. En 50 ans, le monde et le travail qui s’y développe ont fortement changé. Revisiter cette proposition originelle de la discipline est une opportunité pour interroger la notion d’écologie humaine de Cazamian face aux défis contemporains, dont la dimension écologique autour de la ressource est aujourd’hui particulièrement saillante.
Les frontières du temps et de l’espace du travail, le rapport à la société, au monde, à la nature, etc. interpellent en effet aujourd’hui la discipline. Face aux défis de notre époque, renouer avec cette proposition originelle est une occasion pour interpeller l’ergonomie en tant que discipline et métier.
Le séminaire s’est donné comme objectif d’instruire les interrogations suivantes :
- En quoi la notion d’écologie humaine permet de (re)penser l’action et dégager de nouveaux leviers d’intervention et de transformation pour l’ergonomie aujourd’hui ?
- Comment le développement durable et les actions qui s’y réfèrent se saisissent-ils de la question de l’écologie humaine ? Quelle est la place du travail dans ces approches face aux différents enjeux sociétaux, environnementaux et territoriaux ?
- Comment une approche ergonomique rapportée à une écologie humaine permet-elle de contribuer à un travail « durable » ?
3. Les contributeurs au dossier
Ce dossier est composé de cinq articles qui viennent enrichir les communications orales dont les enregistrements [3] sont disponibles en libre accès sur le site de la médiathèque de l’université.
La contribution écrite d’Olivier Landau apporte un point de vue sur la manière dont une interview de Pierre Cazamian, réalisée dans les années 1980 et accordée au journal Le Monde atour de la question de la fin du Taylorisme, fait écho avec les travaux développés par lui et Bernard Stiegler au sein de l’Institut de Recherche et d’Innovation (IRI). La focale est mise sur la question du développement généralisé du numérique dans la société contemporaine. À partir d’une perspective optimiste de Cazamian qui, à l’occasion de cette interview, propose de conférer aux avancées techniques la prise en charge des tâches inintéressantes et délétères pour le travail humain, ce papier interroge le mouvement de généralisation de l’automatisation numérique. Le point de vue développé par l’auteur illustre comment la généralisation de l’automatisation numérique peut contribuer à une forme de prolétarisation du travail si aucune précaution n’est prise. Il interroge la relation entre le savoir métier produit dans et par le travail et les langages symboliques sous-jacents à tout système technique numérique. L’ambition est ici d’instruire les conditions permettant aux usagers des nouvelles technologies de les adopter en développant des savoirs et non en les perdant en s’y adaptant en continu dans un mouvement de risque de prolétarisation du travail.
L’article d’Éric Hamraoui explore le recours par Pierre Cazamian à la phénoménologie comme philosophie permettant d’établir des passerelles entre des dimensions multiples et hétérogènes abordées dans les disciplines dispersées du travail. Selon l’auteur, Cazamian fait référence à la philosophie phénoménologique pour aborder la question de l’effort (Maine de Biran), la place du corps (Henry), la conscience (Husserl), la perception (Merlau-Ponty) et l’imagination (Bachelard). Il propose l’idée d’une écologie humaine qu’il fonde par sa profonde conviction de considérer le travail comme un milieu de vie. Dans son approche, la place du corps (unité temporelle et spatiale) et la dimension créatrice du travail sont centrales pour faire face à la résistance du réel. Il évoque la conflictualité dans l’organisation productive industrielle entre une organisation « informelle, mais réelle » du travail humain et une organisation du travail « officielle, mais fictive », pensée par celles et ceux qui décident et conçoivent, mais qui ne réalisent pas concrètement le travail. Une différence entre « le travail que l’on vit » et « le travail dont on parle ». Il met l’accent sur la différence entre une opérativité, nécessairement située sur le plan du vécu et une objectivation scientifique portée par la rationalité organisatrice de l’entreprise. Il défend une ergonomie associée à une écologie humaine dans une optique de promotion de la liberté créatrice et politique.
L’article de Valérie Pueyo, s’inscrit dans la perspective de l’Anthropocène pour penser un devenir dans un monde incertain avec pour enjeu la fabrication d’un futur souhaitable. L’auteure propose d’explorer une prospective du travail qui vise à « contribuer à l’émergence, à la morphogénèse et à la vie au long cours de projets alternatifs par rapport à l’ordre existant ». À partir d’une intervention réalisée sous la forme d’un projet-chantier dans une unité expérimentale dédiée à la conception de systèmes de culture maraîchers innovants, l’article esquisse quelques repères pour une démarche de prospective reposant sur l’idée des utopies concrètes empruntée à Bloch. Pour l’auteure, il s’agit de « propositions d’action dans le champ politique et social qui prennent appui sur un refus de l’inacceptable et de l’inéluctable afin de ne pas en rester là, de ne pas se plier à l’ordre des faits ». La démarche proposée articule trois temporalités. Une première étape consiste à aller d’une alerte/critique informée à l’énonciation d’une volonté. Il s’agit tout d’abord (1) de clarifier ce qui fait problème, puis (2) aider à formuler qui on est et se placer dans le monde, (3) énoncer un souhait praticable et d’examiner le souhait à l’aune de la diversité et de la pluralité et enfin (4) passer du souhait à une volonté praticable. Une deuxième étape vise à instaurer un dialogue entre la volonté et les possibles. La troisième et dernière étape a pour objectif de concevoir un contrat de base pour tenir ensemble le quotidien praticable et l’ambition initiale autour d’une utopie concrète. Cette proposition a pour enjeu d’émanciper la démarche d’intervention en ergonomie des cadres existants habituels afin de ne plus seulement adapter le travail, mais de contribuer à des expérimentations alternatives pour des formes nouvelles d’écritures du travail et accompagner des projets qui recherchent un monde souhaitable.
Le texte proposé par Antoine Bonnemain, intitulé « Travail bien fait, pouvoir d’agir et écologie du travail », restitue une intervention en clinique de l’activité conduite dans le service de propreté de la Mairie de Lille. Dans un contexte, où les enjeux d’écologie se multiplient et s’imposent de l’extérieur de l’entreprise, l’auteur aborde la question de la qualité du travail et du pouvoir d’agir comme participant d’une écologie du travail. De la question de la santé au travail, un lien est réalisé avec celle de la santé publique. Dans une écologie des rapports entre l’intérieur et l’extérieur. L’auteur propose d’« organiser la délibération dans l’organisation, pour se prémunir des effets néfastes d’un travail “ni fait ni à faire” sur la société civile ». Il s’appuie sur Cazamian pour montrer comment dépasser les problèmes « conflit de méthodes » entre celles, formelles issues de la hiérarchie et celles informelles issues des opérateurs. La mise en œuvre d’une approche dialogique basée sur le résultat d’autoconfrontations a permis aux éboueurs d’agir sur les externalités du travail par la « coopération antagoniste » (Cazamian, 1973) avec leur hiérarchie. Pour cela, deux niveaux de dialogue ont été distingués dans l’intervention réalisée au sein du service de propreté : un premier niveau entre les éboueurs autour d’échanges par autoconfrontation sur leur activité pour préparer le second niveau de dialogue, celui effectué avec la hiérarchie et les parties prenantes du sujet. L’intérêt et l’apport de l’approche dialogique utilisée dans l’intervention ont été reconnus par l’entreprise qui a institué une nouvelle fonction des éboueurs, celui de référents métier en charge d’animer cette coopération antagoniste à partir de remontées du terrain, les éboueurs assurant ainsi un rôle de sentinelles au long court du résultat de leur travail. Il est intéressant de noter que le traitement des externalités par les éboueurs a permis de participer au traitement d’un problème de santé au travail ainsi que ses effets sur la santé publique.
L’article de Fabien Coutarel et Michel Récopé traite de la pratique de l’intervention en ergonomie et de la question de son évaluation. Dans cet article, les auteurs s’appuient sur le constat que dans la littérature internationale, l’évaluation des interventions en ergonomie pour agir sur les TMS, s’appuie sur des interventions simples, souvent monofactorielles et sans participation des opérateurs. L’idée défendue est que ces études en ergonomie sont des résultats positifs faibles ou absents et peu pérennes. Pour les auteurs, les résultats des études sélectionnées sont prédictibles. Ils considèrent que les interventions en ergonomie « relèvent d’une ontologie relationnelle, où la relation est première et irréductible à ses entités ». Ils opposent l’ontologie relationnelle à une ontologie substantialiste, où les relations sont secondaires aux entités, et où les entités peuvent être étudiées pour elles-mêmes, toutes choses postulées égales par ailleurs, caractéristiques des études simples évaluées dans la littérature internationale. Ils montrent l’importance de considérer l’expérience et le processus d’intervention, notamment la construction collective (avec les opérateurs) nécessaire pour réussir les interventions en prévention des TMS. Pour les auteurs, l’intervention de l’ergonomie qui a pour objectif la transformation des process doit s’appuyer sur les expériences de l’opérateur avec l’environnement. Ces interventions étant situées, se pose alors la question de comment répondre à l’exigence scientifique de la généralisation.
Bibliographie
Canguilhem, G. (1967). La connaissance de la vie. Paris : Vrin.
Carpentier, J. & Cazamian, P. (1977). Le travail de nuit. Genève : Bureau international du travail.
Cazamian, P. (1973). Leçons d’ergonomie industrielle. Une approche globale. Paris : Éditions Cujas.
Cazamian, P. (1987). Traité d’ergonomie. Marseille : Octarès.
Cazamian, P. (1996a). Première partie. Le concept de travail et les principes de l’intervention ergonomique. Section 3. Le travail autonome. Opérativité et scientificté. Principes de l’intervention ergonomique In P. Cazamian, F. Hubault, & M. Noulin. (Eds.), Traité d’ergonomie. Nouvelle édition actualisée (pp. 41-63). Toulouse : Octarès.
Cazamian, P. (1996b). Troisième partie. De la méthode ergonomie. Section 1. Chapitre 1. À la recherche d’une science « globale » de l’homme » In P. Cazamian, F. Hubault, & M. Noulin. (Eds.), Traité d’ergonomie. Nouvelle édition actualisée (pp. 253-274). Toulouse : Octarès.
Cazamian, P. (1996c). Quatrième partie. Temps et espace en ergonomie. Section 2. La chrono-ergonomie. In P. Cazamian, F. Hubault, & M. Noulin. (Eds.), Traité d’ergonomie. Nouvelle édition actualisée (pp. 465-486). Toulouse : Octarès.
Heddad, N., & Cazamian, P. (2004). « Entretien avec Pierre Cazamian » (DVD).
Laville, A., & Cazamian, P. (2006/2002). Pierre Cazamian. Entretien avec Antoine Laville en 2000. Entretien réalisé le 22 novembre 2002 par Antoine Laville, réactualisé le 11 décembre 2006, pour la Commission histoire de la SELF. https://ergonomie-self.org/wp-content/uploads/2016/06/Pierre-Cazamian.pdf
Leroi-Gourhan, A. (1964). Le geste et la parole. Technique et langage. Paris : Albin Michel.
Leroi-Gourhan, A. (1965). Le geste et la parole. La mémoire et les rythmes. Technique et langage. Paris : Albin Michel.
Leroi-Gourhan, A. (1971). Évolution et technique. Milieu et technique. Paris : Albin Michel.
Ochanine, D. (1966). L’image opérative d’un objet commandé dans les systèmes Homme-Machine automatiques. WVIII Congrès international de Psychologie, Symposium 27 (Moscou), pp. 48‑56.
Ochanine, D. (1971). L’homme dans les systèmes automatisés. Paris : Dunod.
Simondon, G. (1958). Du mode d’existence des objets techniques. Paris : Aubier.
Rey, A. (1998). Dictionnaire historique de la langue française. Le Robert.
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