Un article de Daniel Peraya repris de la revue Distances et médiations des savoirs, une publication sous licence CC by sa
Daniel Peraya, « Formation à distance dans les pays émergents. Perspectives et défis », Distances et médiations des savoirs [En ligne], 38 | 2022, mis en ligne le 22 juin 2022, consulté le 18 octobre 2022. URL : http://journals.openedition.org/dms/7959 ; DOI : https://doi.org/10.4000/dms.7959
Le titre de l’ouvrage codirigé par Ghislain Samson et France Lafleur, Formation à distance dans les pays émergents. Perspectives et défis, ne peut que susciter l’intérêt des collègues de notre domaine. Dans les pays francophones du Nord, en effet, nous connaissons généralement peu l’évolution de la formation à distance dans les « pays émergents ou en voie de développement »1 (p. IX) ainsi que les pratiques pédagogiques et les recherches que développent nos collègues de ces pays (Burkina Faso, Cameroun, Colombie, Ghana, Haïti, République du Congo, Sénégal, Tunisie). L’ouvrage vise à dresser un état des lieux de la situation de la Fad et propose le « récit » (notamment p. XIII, 37) d’expériences de mise à distance menées par les (co)auteurs et (co)autrices des différents chapitres2. À ce propos aussi, l’ouvrage mérite notre intérêt : vingt-neuf personnes ont collaboré à cet ouvrage, issues d’horizons nationaux, disciplinaires et statutaires différents. Elles constituent un collectif multidisciplinaire (informatique, technologie éducative, formation à distance, administration et politique de l’éducation, économie de l’éducation) et il y a parmi elles des étudiants à la maîtrise, des doctorants, des enseignants-chercheurs, des professeurs titulaires et des consultants. G. Samson et F. Lafleur donnent ainsi l’occasion à des collègues des pays en voie de développement ou émergents, mais aussi à de jeunes chercheurs, voire à des étudiants de partager leurs expériences, leurs préoccupations et leurs recherches avec un « lectorat international » (p. 4). C’est pour eux une opportunité à saisir, mais elle n’est pas sans risque.
Le préambule propose un état des lieux de l’enseignement supérieur et de la Fad à l’échelle continentale, sous-régionale et à celle de dix pays d’Afrique francophone. La présentation ne correspond donc pas exactement aux pays qui font l’objet des études de cas qui constituent le cœur de l’ouvrage, mais elle cherche à donner une information structurée et systématique à propos de chacun de ces pays : projet(s) phare(s), les ministères de tutelle concernés, les textes juridiques, les infrastructures technologiques, les plateformes nationales de Fad, la situation dans les universités. À ce titre, il s’agit d’une synthèse précieuse, une sorte de table d’orientation pour les chercheurs. Vient ensuite l’introduction que cosignent les directeurs de publication. Celle-ci est structurée en trois parties principales et une conclusion : a) l’expérience de la motivation et de la réussite dans la Fad ; b) l’adaptation aux défis technologiques en enseignement à distance ; c) les occasions de transmission des pratiques grâce à l’expérimentation des plateformes. La partie A se compose de trois chapitres dont le premier strictement informatif présente un historique et l’état des lieux de la Fad en Haïti. Le deuxième traite de la motivation et de l’encadrement des étudiants de l’Institut universitaire de formation des cadres de Port-au-Prince. En réalité, il s’agit d’une compilation de cadres théoriques existants, sans aucune analyse concrète. Le troisième chapitre, porte sur l’utilisation, au Congo-Brazzaville, de dispositifs médiatisés durant la crise de la Covid-19 afin d’assurer la continuité pédagogique. Le chapitre 4 étudie les conditions d’un développement durable de la FOAD au Congo-Brazzaville et au Cameroun. Ces deux chapitres sont des recherches de terrain, des analyses descriptives qui nous semblent cependant très, voire trop, générales.
Le chapitre 5, qui ouvre la partie B, rend compte de l’adaptation de l’enseignement à distance en période de crise sanitaire dans le contexte tunisien. Le chapitre analyse d’assez près le terrain et apporte des éléments qui mériteraient d’être développés ultérieurement. Par exemple, le fait que le taux d’absentéisme observé lors des séances présentielles et des regroupements à distance est identique. Le sixième chapitre s’intéresse aux caractéristiques culturelles des publics cibles. Les auteurs cherchent à articuler didactique et culture. Enfin ils montrent comment l’ingénierie devrait tenir compte d’une articulation entre culture et pédagogie lors de la conception des dispositifs de formation afin d’accroître leur qualité. Le septième chapitre présente, dans les contextes congolais et burkinabé, un espace numérique de dépôt et de partage de ressources pédagogiques co-construit par les enseignants et les étudiants. Le chapitre 8 est consacré à la description du processus de passage de l’enseignement présentiel à la formation à distance au Ghana.
La partie C regroupe deux chapitres. Le premier relate la transformation, en Colombie, d’un programme doctoral interinstitutionnel : initialement organisée selon les principes, de la comodalité (formation présentielle et en ligne synchrones), la formation a été réorganisée comme une formation entièrement à distance. La recherche analyse les opinions des acteurs concernés, étudiants, enseignants et gestionnaires. Le dernier chapitre analyse la transition forcée des langues vers la Fad suite à la crise sanitaire au Ghana. L’étude, qui se base sur la théorie unifiée de l’acceptation et de l’utilisation des technologies, cherche à identifier les perceptions qu’ont des enseignants de langues à l’université de leurs propres compétences relatives aux TIC à propos de TIC et quelles sont leurs expériences en matière d’apprentissage à distance.
Vient ensuite la conclusion générale rédigée par les deux co-directeurs de l’ouvrage. Cette partie conclusive déçoit un peu, car il s’agit principalement d’une « récapitulation » (p. 253), certes commentée, de chacun des dix chapitres, mais elle ne présente aucune synthèse générale, aucune mise en regard de ces différents textes, aucune vision, aucune perspective d’avenir comme on aurait pu l’attendre d’une conclusion d’ouvrage collectif.
L’ouvrage et ses différents chapitres suscitent des commentaires relatifs à des aspects aussi bien formels que méthodologiques et scientifiques. Il reste dans le texte des coquilles que l’on ne s’attend pas à trouver dans une version publiée. Dans un paragraphe consacré à la description de l’enseignement supérieur en Haïti (p. 53), c’est la République démocratique du Congo (RDC) qui est explicitement mentionnée. Les résultats de recherche (chapitre 4) sont présentés et commentés en se référant à des histogrammes (Figures 4.1 à 4.12) sans rapport avec les questions traitées engendrant ainsi confusion et incompréhension. Ces deux exemples mériteraient un erratum d’autant plus facilement réalisable que l’ouvrage est disponible dans les trois formats, papier, ePub et .pdf. Il y a d’autres imperfections formelles, par exemple les figures placées après les commentaires et dès lors souvent rejetées à la page suivante, ce qui, du point de vue de l’ergonome de la lecture, n’est pas idéal. Enfin, il manque parfois des informations sur des figures et des graphiques qui seraient utiles à leur compréhension.
Sur le fond, la diversité des pays étudiés rend difficile une appellation commune. Le choix de G. Samson et F. Lafleur, d’une part, d’avoir conservé la désignation « pays en voie de développement » sans définir pour autant celle de pays « émergents » et, d’autre part, d’associer ces deux termes par une conjonction de coordination dans une seule et même expression devrait être explicité, car il pourrait aussi être discuté.
Si l’on considère les différents chapitres, l’ouvrage apparaît de qualité inégale. Le lectorat international, public cible du livre, ainsi que les chercheurs ne manqueront pas de regretter la faiblesse méthodologique de la plupart des textes : problématiques peu ou pas formalisées, questions de recherches très générales débouchant sur des études exclusivement descriptives menées sur la base de données soumises à un traitement statistique élémentaire (distribution de fréquences). Notons que, lorsque les analyses se basent sur des données représentationnelles, elles apportent alors une certaine complexité et plus de profondeur aux descriptions. Il est dommage aussi, quand les recherches portent sur des terrains, des institutions et sur des pays différents, ne de pas développer une approche comparative.
En conclusion, on regrettera que l’ouvrage ne tienne pas toutes ses promesses. Restent cependant les très nombreuses informations de première main sur des terrains, des institutions de formation, enfin des contextes qui nous conduiront certainement à reconsidérer nos points de vue, souvent européo-centrés, sur le développement de la Fad dans les pays en développement d’Afrique subsaharienne et centrale, d’Haïti et de Colombie.
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