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Les croyances des étudiants sur la nature de leur intelligence : un facteur de participation dans des dispositifs d’aide à la réussite ?

Un article repris de http://journals.openedition.org/rip...

Depuis plusieurs années, les universités proposent de nombreux dispositifs d’aide à destination des primo-étudiants pour favoriser leur réussite. Ces dispositifs ne parviennent pas toujours à atteindre les étudiants qui éprouvent le plus de difficultés dans leur apprentissage. C’est le cas du dispositif d’aide à la réussite dont il est question dans cet article qui vise à remédier au manque de maitrise des prérequis des primo-arrivants à l’université alors que Vieillevoye et al. (2012) ont mis en évidence une corrélation entre la maitrise de ceux-ci et la réussite en fin d’année. La maitrise des prérequis est ici évaluée à l’aide de tests (appelés « Passeports pour le bac »). L’objectif de cet article est de tenter de comprendre pourquoi certains étudiants ne participent pas aux séances de renforcement des prérequis testés alors qu’ils ont reçu un feedback les informant du manque de maitrise de prérequis. Notre hypothèse est que les travaux de Dweck (2010) concernant les liens entre « l’état d’esprit » (croyances des individus qu’ils ont à propos de leur intelligence) et leur attitude face à l’échec en termes d’engagement dans des activités de remédiation pourraient apporter des éléments de compréhension à ce faible taux de participation des étudiants. Dès lors, la présente étude vise à investiguer d’abord l’état d’esprit des étudiants à l’entame de leurs études universitaires pour analyser ensuite une éventuelle relation entre cet état d’esprit et l’importance qu’ils accordent aux prérequis et à la nécessité (ainsi qu’à la possibilité) de combler d’éventuelles lacunes. Les résultats présentés sont issus d’un questionnaire soumis à une large population : 1 585 primo-étudiants issus de l’Université de Namur et de l’Université Saint-Louis de Bruxelles. Ces résultats sont complémentairement analysés à la lumière de quelques entretiens qualitatifs menés par la suite.

Xavier Massart, Aveline Mazy, Karine Dejean et Marc Romainville, « Les croyances des étudiants sur la nature de leur intelligence : un facteur de participation dans des dispositifs d’aide à la réussite ? », Revue internationale de pédagogie de l’enseignement supérieur [En ligne], 38(1) | 2022, mis en ligne le 10 juin 2022, consulté le 20 juin 2022. URL : http://journals.openedition.org/ripes/3904 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ripes.3904

1. Introduction

1La transition entre l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur reste une étape difficile pour les étudiants entrant à l’université. Pour s’en convaincre, il faut regarder notamment les taux d’échec et d’abandon en première année universitaire. En Belgique francophones, celui-ci est très élevé depuis plusieurs décennies (ARES, s.d. ; Romainville, 2000). Face à ce constat, les universités proposent de nombreux dispositifs d’aide à la réussite à destination des primo-étudiants.

Le présent article s’intéresse plus particulièrement à la question de la participation des étudiants à des activités de remédiation proposées dans le cadre d’un tel dispositif en Belgique francophone (« Passeports pour le Bac »). En effet, les équipes pédagogiques impliquées dans le projet « Passeports pour le Bac » déplorent régulièrement un faible taux de participation des étudiants aux activités de remédiation qui leur sont proposées. Ce projet propose des évaluations formatives (également appelées « Passeports » ou tests de prérequis dans la suite de cet article) aux primo-étudiants à l’entame de leurs études universitaires. Ces évaluations mesurent le niveau de maitrise des connaissances et des compétences (« prérequis ») attendu par leurs enseignants de première année. Les étudiants qui, sur la base de ces évaluations, présentent des lacunes sont invités à participer à des activités de remédiations portant sur ces prérequis. Il peut s’agir de séances collectives de correction des tests de prérequis, d’exercices complémentaires, de rappel de points de matières vus en secondaire ou encore d’entretiens individuels. Ces activités sont appelées séances de renforcement pour éviter le caractère stigmatisant du terme « remédiation » auprès des étudiants.

Dans le cadre de ce projet, diverses recherches ont été menées sur le rôle des prérequis comme facteur de réussite. Dans un premier temps, Vieillevoye et al. (2012) ont montré qu’il existe une corrélation non négligeable entre les résultats obtenus à ces évaluations formatives et la moyenne des notes obtenues en fin de première année. Par la suite, Wathelet et Vieillevoye (2013) ont mis en évidence que, à résultat identique aux évaluations formatives, les étudiants qui participent à des activités de renforcement obtiennent de meilleurs résultats dans les disciplines concernées et sont plus nombreux à réussir leur première année que les étudiants qui n’y participent pas. Enfin, une recherche de Wathelet et al. (2016) a montré que les étudiants réalisent, pour l’essentiel, une autoévaluation correcte de leur niveau de maîtrise des prérequis, quoique souvent optimiste. Cependant, cette même recherche a fait ressortir que, malgré cette autoévaluation majoritairement correcte, les étudiants se montrent peu enclins à participer à des activités de renforcement des prérequis.

Compte tenu des résultats de ces précédentes recherches (concernant le rôle joué par la maitrise des prérequis dans la réussite académique ; l’influence positive des activités de renforcement des prérequis dans la réussite ; des étudiants qui semblent peu disposés à participer à ces activités pourtant utiles pour leur réussite), une autre recherche portant sur les attributions causales des étudiants concernant le rôle des prérequis dans leur réussite a été menée pour comprendre les mécanismes qui influencent la participation des étudiants aux dispositifs proposés (Massart et Romainville, 2019). Les résultats montrent qu’à l’entame de leurs études universitaires, les étudiants accordent spontanément peu d’importance aux prérequis et expliquent plutôt leurs résultats par d’autres facteurs qui leur semblent davantage contrôlables (quantité de travail, méthode de travail, motivation). Ce n’est qu’après les tests de novembre, qui évaluent de manière formative la matière depuis le début de l’année, qu’un nombre plus important d’étudiants accordent une importance plus grande aux prérequis et les considèrent comme un facteur de réussite. Toutefois, cette même recherche a montré que la participation aux séances de renforcement des prérequis ne dépend globalement pas de l’importance que les étudiants leur accordent. Massart et Romainville (2019) rappellent que les étudiants les plus faibles participent le moins aux activités de renforcement. Face aux lacunes constatées, les auteurs suggèrent qu’« il est vraisemblable que ces derniers préfèrent identifier des causes externes à leur mauvais résultat, de manière à ménager leur estime d’eux-mêmes au lieu de se confronter encore plus à leurs faiblesses lors des séances de renforcement ».

Dès lors, pour mieux comprendre ce faible taux de participation des étudiants, il nous a semblé légitime et pertinent de se questionner davantage sur leur « boîte noire » au moment où ils entament leurs études universitaires : dans quel « état d’esprit » abordent-ils leurs études supérieures ? Plus précisément, quelles sont leurs croyances sur la nature de leur intelligence au sens de Dweck (2010) ? Pensent-ils que les connaissances et compétences acquises au préalable sont encore changeables ? Existe-t-il un lien entre leur état d’esprit et l’importance accordée à la maitrise des prérequis dans la réussite universitaire ? Existe-t-il un lien entre leur état d’esprit et leur participation à des activités de renforcement ?

Cet article comporte sept parties. La première (point 1) dresse le cadre conceptuel qui soutient notre problématique : la notion de prérequis, les croyances motivationnelles, la théorie des buts d’accomplissement et le concept d’état d’esprit proposé par Dweck (2010). Les objectifs et les questions de recherche (point 2), la méthodologie (point 3) et l’analyse des résultats (point 4) sont ensuite décrits. Enfin, les dernières parties présentent la discussion (point 5), les limites de la recherche (point 6) et la conclusion (point 7) qui inclura quelques implications pédagogiques et pistes de recherche.

2. Cadre théorique

La définition d’un « prérequis » retenue dans le cadre du projet « Passeports pour le Bac » est inspirée de celle proposée par Vieillevoye et al. (2012) : un prérequis correspond à toute connaissance ou compétence supposée connue et acquise préalablement à l’entrée à l’université, qui n’est pas (ou du moins pas systématiquement) revue dans les cours, mais qui est pourtant indispensable pour la compréhension et la réussite du cours. Bien que la majorité des étudiants n’en ait pas toujours conscience à l’entame de leurs études universitaires (Massart et Romainville, 2019), la maîtrise des prérequis constitue un facteur de réussite en partie contrôlable, c’est-à-dire sur lequel l’étudiant peut avoir prise. En effet, le degré de maîtrise des prérequis testés est modifiable, notamment par l’engagement actif des étudiants dans des actions de régulation telles que la participation à des dispositifs d’aide à la réussite visant le renforcement des prérequis (Wathelet et Vieillevoye, 2013).

Dans le cadre de ce projet, lors de la remise des résultats aux « Passeports », l’étudiant reçoit un feedback concernant son niveau de maîtrise par prérequis. Ce que l’étudiant fera de ce feedback va dépendre de l’interprétation qu’il va réaliser et du sens qu’il va lui donner (Romainville, 2013, p. 13). En effet, pour que ce message soit efficace en termes d’amélioration de l’apprentissage, il faut qu’il conduise à un engagement actif de la part de l’étudiant (Hernandez, 2012) qui pourrait, par exemple, se traduire par sa participation aux dispositifs de renforcement. Mais, quels sont les déterminants motivationnels qui soutiennent ce type d’engagement ? Les travaux concernant l’influence des croyances motivationnelles (Cosnefroy, 2004) apportent des éléments de réponse à cette question. Ainsi, une classe particulière de croyances motivationnelles a particulièrement retenu l’attention des chercheurs, à savoir les buts qui poussent les individus à s’engager dans l’action en vue d’améliorer leur apprentissage (Cosnefroy, 2004). Ces buts peuvent être de différents types et auront un impact différencié sur cet engagement (Darnon et Butera, 2005). Ainsi les auteurs, distinguent le but de maîtrise (aussi appelé but d’apprentissage) et le but de performance (Darnon et Butera, 2005 ; Dweck, 1986 ; Dweck et Legget, 1988 ; Elliot et Dweck, 1988). Les individus animés par des buts de maitrise s’engagent dans des situations d’apprentissage en étant principalement motivés par l’augmentation de leurs compétences, l’acquisition de nouvelles connaissances, le développement d’une plus grande maitrise de la tâche alors que les sujets orientés vers des buts de performance sont davantage centrés sur le désir de faire la démonstration de leurs compétences et d’obtenir un jugement favorable par rapport à celles-ci (Darnon et Butera, 2005).

Les travaux de Dweck (1986) ont montré que les personnes orientées vers des buts de maîtrise développeraient ce qu’elle appelle des patterns de conduites adaptatives (adaptative patterns) qui les amènent notamment à développer une perception positive de l’effort et à réaliser un traitement profond de l’information (Cosnefroy, 2004). Elles sont ainsi motivées à s’engager dans des activités pour développer leur apprentissage et progresser (Bouffard et al., 1995 ; Riveiro et al., 2001). Les résultats sont, cependant, plus contrastés en ce qui concerne les buts de performance, ce qui a conduit certains auteurs à nuancer la conception binaire des buts (Cosnefroy, 2004 ; Elliot et Harachkiewicz, 1996 ; Pintrich, 2000) et à proposer deux catégories distinctes de buts de performance, l’une orientée vers la démonstration de sa propre compétence et l’autre visant à éviter la démonstration de son incompétence. La poursuite de buts de performance pourrait avoir aussi des effets bénéfiques pour l’apprentissage si celle-ci est associée à une recherche de maitrise (conception additive des buts, Cosnefroy, 2004). Par contre, la poursuite de buts d’évitement de démonstration de son incompétence favorise l’adoption de comportements de fuite, de renoncement et de désinvestissement de l’effort pour acquérir les compétences non maitrisées.

Selon Dweck (1986, 2010), le type de buts poursuivis par un individu serait déterminé par l’ensemble des croyances qu’il a sur la nature de son intelligence (ce qu’elle appelle aussi son « état d’esprit ») et expliquerait la propension à éviter des situations qui pourraient conduire à l’échec. Selon l’état d’esprit dans lequel se trouve une personne, le rapport à la réussite, à l’échec et à l’effort diffère. Si un individu a la croyance que ses capacités sont gravées dans la pierre (état d’esprit fixe) (Dweck, 2010, p. 11), c’est-à-dire qu’il reçoit au départ une quantité fixe d’intelligence, alors il sera animé par la volonté de « faire ses preuves », de démontrer son intelligence. Dans ce cas, l’effort est perçu comme le témoignage d’un manque d’intelligence. Dès lors, l’individu renoncerait à cet effort selon la logique d’une poursuite de buts de performance orientés vers l’évitement d’une démonstration de son incompétence. Par contre, s’il partage la croyance que l’intelligence peut être développée, c’est-à-dire que chacun est doté d’une capacité qui peut être augmentée par l’effort (état d’esprit de développement), alors prouver sa capacité, faire la démonstration de son intelligence est moins important qu’apprendre. Dès lors, selon la logique des buts de maitrise, l’individu s’engagerait plus spontanément dans des activités pour développer son apprentissage et progresser.

Dweck (2010) souligne en effet que les individus qui conçoivent l’intelligence comme une entité fixe (état d’esprit fixe) ont besoin de se montrer intelligents, compétents et d’atteindre la perfection immédiatement. Ils préfèrent éviter les situations qui pourraient révéler leur incompétence. Ils ont tendance aussi à ignorer les critiques et craignent les défis qui risquent de les mettre face à un échec. Suite à un feedback négatif, ils développent une attitude plutôt résignée, manifestent peu de persévérance, voire abandonnent. Ils veillent à protéger leur estime d’eux-mêmes.

À l’inverse, les individus qui conçoivent l’intelligence comme une entité en développement (état d’esprit de développement), animés par une volonté d’apprendre, conçoivent les défis comme une opportunité d’apprentissage et une occasion d’évoluer. Ils ont conscience que l’apprentissage est souvent progressif et ne sont pas à la recherche d’une perfection immédiate. Ils perçoivent les critiques comme des occasions de s’améliorer. Face aux obstacles, difficultés ou feedback négatifs, ils montreront une plus grande persévérance car ils ne conçoivent pas l’effort comme une remise en question de leur capacité mais comme une occasion de développement (Dweck, 2010).

Bien évidemment, cette conceptualisation des croyances concernant la nature de l’intelligence n’est pas réductible à une différenciation entre deux états immuables et opposés dans une conception binaire mais plutôt à envisager sur un continuum entre ces deux pôles extrêmes qui permettent d’interpréter les réactions de chaque individu face à la réception d’un feedback indiquant un manque de maitrise de compétences (Dweck, 2010). L’intérêt de cette distinction n’en demeure pas moindre en ce qui concerne l’impact de ces croyances sur la signification de l’effort : celui-ci étant conçu comme un agent transformateur chez les personnes concevant l’intelligence comme une entité en développement et comme un indicateur de faiblesse chez les personnes concevant l’intelligence comme une entité fixe. Cette distinction pourrait donc nous donner des éléments pour expliquer pourquoi certains étudiants ayant reçu un feedback leur indiquant un manque de maitrise de prérequis importants pour leur future réussite ne participent pas aux activités de soutien qui leur sont proposées.

3.Objectif, hypothèse et questions de recherche

Selon le cadre théorique développé plus haut, l’objectif de la présente recherche est d’évaluer si l’état d’esprit des étudiants (Dweck, 2010) pourrait expliquer leur taux de participation aux activités de renforcement qui suivent la passation des tests de prérequis. L’hypothèse générale est que face à un feedback reçu à la suite de la passation d’un Passeport, indiquant une maitrise insuffisante d’un ou de plusieurs prérequis, les étudiants de première année avec un état d’esprit fixe s’engageraient moins spontanément dans des actions de régulation, en l’occurrence les activités de renforcement des prérequis proposées dans le cadre du projet, par rapport aux étudiants développant un état d’esprit de développement. Analyser la question de la participation des étudiants aux activités de renforcement à la lumière de la théorie de Dweck (2010) a également pour objectif de porter un regard critique sur le projet « Passeports pour le Bac ». Les questions de recherche sont au nombre de quatre.

Premièrement, au sein de leurs représentations de la notion de prérequis, les primo-étudiants perçoivent-ils le caractère changeable d’un prérequis ? Deuxièmement, quel est l’état d’esprit de ces étudiants au regard de la théorie de Dweck (2010) ? Troisièmement, existe-t-il un lien entre leur état d’esprit et l’importance accordée à la maîtrise des prérequis dans la réussite universitaire ? Enfin, quatrièmement, existe-t-il un lien entre leur état d’esprit et leur participation à des dispositifs de renforcement ?

4. Méthodologie

Pour répondre à ces questions, le recueil des données a été réalisé en trois temps. Dans un premier temps, un questionnaire a été soumis en septembre 2018 à une population de 1 585 primo-étudiants au sein des deux universités belges qui collaborent au projet. Les étudiants ont été invités à compléter ce questionnaire juste avant la passation d’un Passeport en auditoire et la présentation du projet, afin de ne pas guider leur représentation de la notion de prérequis. Les répondants sont des étudiants issus des facultés de sciences, de droit, de philosophie et lettres, d’informatique, de traduction et interprétation et de sciences économiques, sociales, politiques et de la communication. Ces derniers devaient se prononcer sur :

(1) leur représentation du caractère modifiable d’un prérequis à l’entrée à l’université (sur une échelle de Likert) via un item présenté ci-dessous ;

(2) leur état d’esprit (« fixe » ou « de développement ») à l’entrée à l’université. Cinq items, basés sur les travaux de Dweck (2010), étaient proposés. Trois d’entre eux étaient mesurés au moyen d’une échelle de Likert, deux autres reposaient sur un choix entre deux situations ;

(3) l’importance accordée à la maîtrise des prérequis comme facteur de réussite en fin d’année académique (sur une échelle de Likert) ;

(4) leur intention de participer à des dispositifs de renforcement (oui, non).

Toutefois, il convient de souligner que certains étudiants n’ont pas répondu à tous les items du questionnaire. Dès lors, pour chacune des analyses ultérieures, le nombre d’étudiants concernés sera précisé. Le questionnaire détaillé est disponible à l’annexe 1.

Dans un deuxième temps, la participation effective aux séances de renforcement des répondants a été collectée par les enseignants en charge de celles-ci entre octobre et décembre 2018.

Dans un troisième temps, lors de la rentrée de septembre 2019, des entretiens individuels ont été menés dans le but d’affiner qualitativement la compréhension des données collectées lors de la rentrée 2018. En effet, les réponses des étudiants pour certains items du questionnaire soumis en 2018 semblaient contradictoires au regard de leur réponse pour d’autres items. Il semblait dès lors utile d’effectuer des entretiens d’explicitation des réponses des étudiants, afin de mieux comprendre leur interprétation de certaines questions du questionnaire. Tout d’abord, quelques étudiants aisément interrogeables ont été ciblés pour ce volet qualitatif complémentaire. Des adresses e-mail d’étudiants ont été collectées sur une base volontaire lors de la passation d’un Passeport en présentiel, au moyen d’une question ajoutée au test. Des invitations ont ensuite été envoyées à certains étudiants qui avaient marqué leur accord pour être recontactés. Ceux-ci étaient issus des filières de droit (5), d’informatique (1), de philosophie et lettres (3), de sciences économiques et de gestion (6) et de sciences politiques et de la communication (2). Sur les 17 invitations envoyées, quatre étudiants se sont montrés disponibles. Ceux-ci sont issus des facultés de droit (2), informatique (1) et philosophie et lettres (1). Les entretiens étaient enregistrés sur un support audio avec l’accord de l’étudiant. Chaque entretien a été retranscrit. Concernant son déroulement, l’objectif de l’entretiens était présenté à l’étudiant puis il lui était demandé s’il avait déjà entendu parler de prérequis afin d’obtenir sa représentation de la notion, sans être influencé par certains items du questionnaire. Ensuite, l’étudiant était invité à compléter le questionnaire tel que celui soumis à la rentrée 2018. Enfin, une étape de verbalisation et d’explicitation de ses réponses était réalisée avec l’étudiant pour chaque question. Pour plus de détails sur le déroulement des entretiens, le guide d’entretien est disponible à l’annexe 2.

5. Présentation et analyse des résultats

L’analyse des résultats issus des questionnaires administrés en 2018 est présentée ici en parallèle avec l’analyse des entretiens individuels menés en 2019.

5.1. Des étudiants mitigés à propos du caractère modifiable d’un prérequis

Le tableau 1 présente les résultats à l’item qui évaluait la représentation du caractère modifiable des prérequis par les primo-étudiants, en début d’année académique.

Tableau 1. Représentation du caractère modifiable d’un prérequis

Une courte majorité des étudiants (54 %) exprime son accord (47 % sont « partiellement d’accord » et 7 % sont « tout à fait d’accord ») avec cet item. Or, un des postulats du dispositif étudié est qu’un prérequis possède un caractère changeable et que des connaissances de base peuvent être réinstallées plus tard, notamment, par des séances de renforcement des prérequis, tel que démontré par les travaux de Wathelet et Vieillevoye (2013).

L’analyse des entretiens apporte un éclairage supplémentaire sur leur représentation du caractère modifiable d’un prérequis et permet d’affiner leur interprétation. Le terme « très difficilement » a posé problème à chacun des étudiants : « ça demandera peut-être un effort mais ici dans la question, ça parait comme si ça allait être un peu impossible » (E1) ; « Je suis d’accord avec la première partie mais pas la deuxième où il indique ‘très difficilement être acquise plus tard’. Pour moi, il est toujours possible de rattraper ce retard » (E2) ; « [...] j’ai pas été dans les extrêmes parce que je n’avais pas envie de dire que c’est impossible à rattraper ou vraiment très difficilement parce que je pense que même quelqu’un sans prérequis peut travailler un peu plus, peut faire des choses sur le côté et toujours rattraper son retard. Mais je pense pas que c’est très difficilement accessible par après. » (E3) ; « [...] mais je ne suis pas trop d’accord pour la partie que ça sera ‘très difficilement acquise plus tard’ parce qu’un prérequis va quand même être réutilisé dans d’autres parties du cours et ça va quand même nous forcer à retravailler cette partie […], et si on comprend pas on peut quand même en parler avec des amis ou avec les profs, et au final je pense pas que ça sera si compliqué que ça à acquérir [...] » (E4). Ces explications complémentaires permettent de comprendre pourquoi l’enquête ne débouche pas sur des positions tranchées chez les étudiants à cet item : ils peuvent être d’accord avec le début de la phrase mais pas avec la fin, ce qui nous incite à réviser cet item pour de prochaines enquêtes.

5.2. Des étudiants qui, majoritairement, semblent se représenter leur intelligence comme une entité en développement

Le tableau 2 présente les croyances des étudiants à propos de la nature de leur intelligence (état d’esprit fixe ou de développement) au regard de la théorie de Dweck (2010), qui ont été sondées au moyen de trois items.

Tableau 2. Croyances des étudiants à propos de la nature de leur intelligence

Les réponses aux trois items montrent que les étudiants interrogés semblent concevoir majoritairement l’intelligence comme une entité en développement (état d’esprit de développement). En effet, une majorité (86 %) des étudiants n’exprime pas son accord (46 % ne sont « pas du tout d’accord » et 40 % sont « plutôt en désaccord ») avec l’affirmation suivante : « Chacun·e d’entre nous dispose d’une quantité d’intelligence et peu de choses peuvent être faites pour la changer ». Ils sont 88 % à ne pas approuver la deuxième affirmation : « La non-maîtrise d’un prérequis signifie que je suis incompétent·e et que je risque de rater mon année ». Enfin, presque tous (97 %) estiment qu’ils vont « devoir travailler plus dur pour réussir leur année, en cas de non-maîtrise d’un prérequis ». Cette conception de la réussite est propre aux personnes avec un état d’esprit de développement, pour qui, « même les génies doivent travailler dur pour atteindre le succès » (Dweck, 2010, p.52). Il convient toutefois de noter une limite à l’item 2c, c’est l’usage du terme prérequis au singulier. Cette limite ressort d’ailleurs dans un des entretiens : « Alors pour moi […] il y a plus d’un prérequis nécessaire pour réussir une année donc en rater un ça, fin, ça veut pas dire qu’on est incompétent » (E4).

28Afin de mieux cerner leurs croyances à propos de la nature de leur intelligence, deux questions supplémentaires leur ont été soumises les invitant à choisir entre deux situations, reprises de Dweck (2010, p. 33-34). Le tableau 3 présente les résultats pour ces deux items.

Tableau 3. Croyances des étudiants à propos de la nature de leur intelligence

Dweck (2010, p. 34) précise que pour les personnes dans un esprit de développement, lorsqu’elles se sentent intelligentes, « il n’est pas question de perfection immédiate. Il s’agit d’apprendre quelque chose au cours du temps : d’affronter un défi et de faire des progrès ». Dans le premier item (4a), 79 % des répondants choisit la deuxième situation, ce qui montre à nouveau qu’ils tendent à s’inscrire dans un état d’esprit pouvant être qualifié « de développement ». Pour le deuxième item (4b), une courte majorité d’étudiants (52 %) choisit la deuxième situation et semble également pencher, mais moins nettement, vers un état d’esprit de développement.

À la lecture des tableaux 2 et 3, on observe qu’une majorité des primo-étudiants présente apparemment une volonté de réaliser des progrès, selon le cadre théorique de cette recherche. Dès lors, on pourrait faire l’hypothèse que les étudiants qui présentent des lacunes dans leurs prérequis seraient plus enclins à les retravailler, en participant notamment à des activités de renforcement.

Les entretiens avec les étudiants mettent en évidence ces croyances qui caractérisent un état d’esprit de développement. En effet, les verbatim des étudiants montrent qu’ils envisagent les difficultés dans leurs apprentissages comme des opportunités de s’améliorer. Ceux ayant opté pour la deuxième situation à l’item 4a se justifient par les mots suivants : « ...si tu te rends compte qu’avant t’avais vraiment dur et que maintenant ça va mieux et tout, t’as l’impression d’avoir une évolution positive donc alors oui… » (E1) ; « C’est ça même si on n’arrive pas vraiment, on n’a pas réussi vraiment l’examen en fin d’année, juste le fait de se surpasser chaque jour un peu plus, [...] aujourd’hui je suis, par exemple, capable de lire une page par jour, si demain j’arrive à en lire trois, pour moi c’est déjà une réussite » (E2). Pour l’item 4b, les justifications apportées par deux étudiants pour leur choix de la deuxième situation sont : « il y a un sentiment de fierté aussi qui s’ajoute à ça » (E2) ; « on peut toujours s’améliorer je pense et du coup [...] quand on fait des choses difficiles et qu’on commence à bien comprendre comment ça marche, je trouve qu’on se sent quand même plus intelligent que quand quelque chose est facile » (E4). Quant aux deux étudiants ayant choisi la première situation à ce même item (4b), leurs justifications mettent en évidence des croyances qui caractérisent un état d’esprit fixe. Ils se sentent davantage intelligents lorsqu’ils mettent en avant leurs compétences en se comparant aux autres et qu’ils atteignent la perfection immédiate. C’est ce qu’illustrent les extraits suivants : « Oui j’ai choisi ça parce que oui quand tu te rends compte que pour les autres c’est vraiment dur et que pour toi ça va tout seul, forcément je trouve, t’as l’impression que tu es intelligent et puis l’autre, donc quand je travaille longtemps et puis je commence à y arriver, okay tu travailles longtemps mais donc c’est un peu signe que tu as dur quoi » (E1) ; « Quand j’étais dans cette situation-là je me sentais intelligent parce que je me disais j’ai ces connaissances que les autres n’ont pas et je me sentais bien quoi » (E3).

5.3. Les étudiants dans un esprit de développement accorderaient moins d’importance aux prérequis pour expliquer leur réussite

Contrairement aux travaux qui ont montré qu’il existe une corrélation non négligeable entre les résultats obtenus à des tests de prérequis et la moyenne des notes obtenues en fin de première année (Vieillevoye et al., 2012), le tableau 4 montre que plus de 6 étudiants sur 10 (62 %) estiment que leurs connaissances de base n’influencent pas leur réussite en fin d’année.

Tableau 4. Importance accordée par les étudiants aux prérequis comme facteur de réussite en fin d’année académique

Pour répondre à la troisième question de recherche, c’est-à-dire évaluer s’il existe un lien entre l’état d’esprit des primo-étudiants et l’importance qu’ils accordent aux prérequis comme facteur explicatif de leur réussite en fin d’année, les tableaux 5, 6 et 7 croisent les réponses des étudiants concernant leur état d’esprit et l’importance accordée à la maîtrise des prérequis comme facteur déterminant de la réussite.

Tableau 5. Répartition des étudiants en fonction de l’importance accordée aux prérequis comme facteur de réussite en fin d’année académique et de leur état d’esprit mesuré par l’item 2b (N=1 578)

Tableau 6. Répartition des étudiants en fonction de l’importance accordée aux prérequis comme facteur de réussite en fin d’année académique et de leur état d’esprit mesuré par l’item 2c (N=1 577)

Tableau 7. Répartition des étudiants en fonction de l’importance accordée aux prérequis comme facteur de réussite en fin d’année académique et de leur état d’esprit mesuré par l’item 2d (N=1 575)
La dépendance de la variable mesurant l’importance accordée aux prérequis comme facteur explicatif de la réussite et des trois items qui évaluent l’état d’esprit des étudiants a été mesurée au moyen d’un test de khi-carré. Il ressort de ces tests que les variables ne sont pas indépendantes : l’importance accordée aux prérequis comme facteur explicatif de la réussite dépend de l’état d’esprit des étudiants (tableau 5 : χ² de 31,109 avec une p-value de 0,000 ; tableau 6 : χ² de 80,771 avec une p-value de 0,000 ; tableau 7 : χ² de 32,281 avec une p-value de 0,000). Toutefois, ce test statistique ne nous permet pas de conclure quel est le sens de la relation entre ces deux variables : est-ce que ce sont les individus dans un état d’esprit fixe qui accordent le plus d’importance aux connaissances de base, ou bien ceux dans un état d’esprit de développement ?

Afin de sonder de manière purement exploratoire le sens possible du lien statistiquement avéré entre importance accordée au prérequis et état d’esprit, les entretiens individuels ont été analysés plus en détail. Ceux-ci ont permis d’identifier que les étudiants accordent de l’importance au facteur « travail » lorsqu’ils se positionnent sur les trois items proposés. En effet, pour l’item 2b, les étudiants semblent relativement d’accord avec la première partie de la question, mais ils se focalisent plus sur la deuxième partie « ...et peu de choses peuvent être faites pour la changer ». Ils déclarent notamment : « ...quelqu’un qui n’a pas forcément une bonne mémoire au départ peut travailler, peut s’entrainer à améliorer sa mémoire et ce n’est pas quelque chose de perdu » (E3) ou encore « il faut acquérir l’expérience pour être plus compétent sur la matière » (E4). Concernant l’item 2c, les étudiants rencontrés en entretien individuel expliquent notamment : « là pour moi ‘non’ parce que si tu travailles, si tu rattrapes ton retard, ça ne va pas, ça ne devrait pas poser tellement un grand problème » (E1) ; « non, ça sera plus difficile mais rien n’est impossible [...] ça va demander plus de travail forcément » (E2) ; « on peut toujours réussir à suivre n’importe quelle faculté. Par contre c’est sûr qu’il y aura plus de travail qui sera demandé de la part de quelqu’un qui aurait fait six années littéraires et qui veut se lancer dans des études de chimie par exemple » (E3) ; « on va pas forcément rater son année mais il faudra quand même essayer de corriger ce qu’on ne comprend pas pour maximiser ses chances » (E4). Dans ces verbatim, le fait de travailler permet, aux yeux des étudiants, de corriger la situation. Par conséquent, l’échec ne leur semble pas couru d’avance s’ils ne maîtrisent pas les prérequis de départ. Les justifications apportées par les étudiants rencontrés à leurs réponses pour l’item 2d confirment également que le facteur « travail » joue un rôle important à leurs yeux dans leur réussite en fin d’année : « ...forcément il faut rattraper son travail donc il va falloir travailler plus dur… » (E1) ; « oui, je dois travailler plus dur, je l’ai déjà dit, j’en ai déjà parlé dans les questions précédentes » (E3) ; « on va devoir forcément travailler plus dur » (E4).

Les réponses des étudiants rencontrés en 2019 aux items 2b, 2c et 2d, ainsi que les explications qu’ils apportent, font ressortir un état d’esprit de développement chez ceux-ci. A la lecture de ces différents verbatim, au début de l’année académique, ces étudiants semblent avoir tendance à minimiser l’importance du facteur prérequis au profit du facteur « travail » pour expliquer leurs futurs résultats en fin d’année. Ces étudiants dans un état d’esprit de développement accordent donc moins d’importance aux prérequis pour expliquer leur réussite. Par contre, les données disponibles ne permettent pas de conclure qu’à l’inverse, ceux dans un état d’esprit fixe accorderaient plus d’importance aux prérequis.

Par ailleurs, au regard du cadre théorique, les étudiants dans un état d’esprit fixe perçoivent l’intelligence comme une donnée figée. Ils veillent, notamment, à protéger leur estime d’eux-mêmes et à éviter les situations qui pourraient révéler leur incompétence. Tandis que ceux dans un état d’esprit de développement conçoivent l’intelligence comme une donnée non figée. Ils ne sont pas à la recherche d’une perfection immédiate et, face à un feedback négatif, ils voient une opportunité d’apprentissage. Dès lors, une hypothèse serait que lorsqu’un individu a un état d’esprit de développement, face au feedback qu’il reçoit sur ses forces ou ses faiblesses en matière de prérequis, il minimiserait l’importance de ceux-ci pour expliquer la réussite, étant convaincu qu’il s’améliorera toujours, qu’il dispose, ou pas, des connaissances de base. Tandis que lorsqu’un individu a un état d’esprit fixe, l’intelligence étant pour lui une donnée qui n’évolue pas, lorsqu’un test de prérequis identifie des forces, il accordera de l’importance à ce signal qui lui permet de confirmer son intelligence et la réussite future ; lorsqu’un test de prérequis identifie des lacunes, résigné, il accordera également de l’importance à ce signal qui confirme son incompétence et un possible échec futur et adoptera un comportement de désinvestissement dans l’effort.

5.4. La participation à des dispositifs de renforcement ne dépend pas de l’état d’esprit des primo-étudiants

Le tableau 8 montre que les primo-étudiants interrogés déclarent massivement à la rentrée (98 %) vouloir participer à des activités de renforcement des prérequis. Or, à peine un quart d’entre eux y sont effectivement présents.

Tableau 8. Participation des étudiants à des dispositifs destinés à améliorer les prérequis
La participation effective des étudiants (25 %) à ces activités est différente de l’intention (98 %). Or, une majorité d’étudiants sont en situation de non-maîtrise ou de maîtrise partielle d’un ou plusieurs prérequis.

Pour répondre à la dernière question de recherche et mesurer l’influence de leur état d’esprit sur leur participation effective aux activités de renforcement, un test de khi-carré a été réalisé pour chacun des items mesurant l’état d’esprit (pour plus de détails, voir annexe 3). Il en ressort qu’il n’y a pas de lien de dépendance statistiquement significatif entre l’état d’esprit et la participation effective aux activités destinées à améliorer les prérequis : celle-ci ne dépend pas de l’état d’esprit des étudiants. Les résultats présentés dans les tableaux 2 et 3 ont montré que la majorité des étudiants semblent présenter un état d’esprit de développement. Par conséquent, selon notre cadre théorique, ils devraient être désireux d’apprendre et face à une faible performance, ils devraient percevoir une opportunité de s’améliorer. C’est en effet ce que 98 % d’entre eux déclarent. De plus, il est ressorti des entretiens individuels que les étudiants accordent de l’importance au facteur « travail » pour expliquer la réussite en fin d’année (voir la section précédente).

Or, la participation effective aux activités de renforcement est faible (25 %). Pour essayer de comprendre ce comportement qui va à l’encontre de notre hypothèse, les entretiens peuvent apporter des pistes de réflexion. Une étudiante ayant participé à des séances de renforcement espérait surtout recevoir des explications sur la manière d’aborder des questions à choix multiples (QCM). Elle déclare : « J’ai vu que j’avais des lacunes dans le Passeport pour la lecture donc j’ai été au cours qui donnait, je ne sais pas si ça a été très efficace mais, j’ai fait la démarche d’y aller quoi. [...] C’était un cours vraiment très général sur comment lire un texte et moi j’avais l’impression que c’était des trucs que je savais déjà en humanité. [...] je pensais qu’on allait vraiment analyser parce que c’était des [QCM]. [...] Et donc je pensais qu’on allait un peu analyser comment faire avec ça et tout. [...] c’était un peu trop basique je trouve » (E1). Un autre étudiant dit être plus intéressé par les examens organisés par ses enseignants : « à l’université il n’y a pas de test, on n’est pas à la haute école donc on est dans le flou jusqu’aux examens où là on se dit ‘là j’ai des lacunes, là j’en n’ai pas’. [...] J’attends les examens blancs avec impatience pour voir déjà comment ça se passe mais surtout aussi pour enlever ce flou » (E3). Pour cet étudiant, la manière de répondre à des questions d’examens à l’université le préoccupe davantage que les prérequis : « Comment répondre aussi aux questions parce que pour moi c’est le plus grand dilemme, la plus grande barrière c’est le grand changement du secondaire à l’université c’est comment répondre » (E3). Un troisième étudiant, cherchant vraisemblablement à protéger son estime de soi, impute ses lacunes en mathématiques à des causes externes : « J’avais quelques prérequis que je devais améliorer mais ça je l’ai remarqué directement au niveau du test et je me suis dit que il y avait eu les grandes vacances avant et que forcément pendant les grandes vacances, il y a des propriétés qu’on oublie un peu, et je me suis dit que j’allais un peu retravailler et du coup je me suis dit que ça allait [...] J’ai retravaillé et surtout j’arrivais à suivre le cours, je comprenais et j’avais pas de problème à suivre le cours » (E4). Les deux premiers étudiants (E1 et E3) sont donc plus intéressés par des séances portant sur la manière d’aborder les questions d’un examen à l’université plutôt que par des séances visant à renforcer les prérequis. Tandis que le troisième (E4) attribue ses lacunes au manque de révision durant les grandes vacances entre la fin du secondaire et son entrée à l’université.

Ces résultats concordent avec ceux présentés dans une précédente étude (Massart et Romainville, 2019) ainsi qu’avec les données du tableau 4 : une majorité d’étudiants accorde peu d’importance, en début d’année, aux prérequis comme facteur explicatif de leur réussite. Cependant, là où les données quantitatives de la présente recherche (tableau 1) semblent confirmer la perception peu modifiable des prérequis par les étudiants (pour 54 % d’entre eux), telle que pointée par cette précédente étude, les analyses des entretiens réalisées (notamment à la section 5.1) ont pu montrer qu’ils ne les perçoivent pas forcément comme peu modifiables.

6. Discussion

L’objectif de cette recherche était d’évaluer, à la lumière des théories de Dweck (2010), si l’état d’esprit des étudiants explique leur participation à des séances de renforcement des prérequis à l’entrée de leurs études.

Les premiers résultats de la recherche, issus de l’enquête et prolongés par des entretiens individuels, montrent que les primo-étudiants ont une représentation des prérequis pas entièrement compatible avec celle sous-jacente au projet. En effet, un peu plus de la moitié des étudiants (54 %) semble se représenter les prérequis comme des connaissances ou des compétences peu modifiables.

Un deuxième résultat montre que 62 % des répondants ne considèrent pas les prérequis comme un facteur explicatif de la réussite. Par ailleurs, il existe une relation de dépendance entre l’état d’esprit des étudiants et l’importance qu’ils accordent aux prérequis pour expliquer la réussite en fin d’année. Concernant le sens de cette relation, les entretiens et le cadre théorique permettent d’avancer une piste de réflexion prudente. Les verbatim ont permis de mettre en évidence que les étudiants attribuent, au final, la réussite en fin d’année plus au facteur « travail » qu’au facteur « prérequis ». Parmi les étudiants interrogés, sur la base de leurs justifications aux items 2b, 2c et 2d, ceux-ci semblent présenter un état d’esprit de développement et accordent peu d’importance aux prérequis comme facteur explicatif de leur réussite. Le cadre théorique amène à conclure dans le même sens et à formuler l’hypothèse que les étudiants avec un état d’esprit fixe accorderaient plus d’importance aux prérequis pour expliquer leur résultat en fin d’année. L’importance accordée aux prérequis pour expliquer la réussite en fin de première année peut également être relativisée en fonction de l’importance réelle que les étudiants accordent à leur réussite en fin d’année, notamment au regard des taux importants de réorientation et d’échec en fin de première année à l’université. En effet, il est possible que certains étudiants entament des études universitaires avec une volonté de faire l’expérience de l’université sans réelle ambition de réussite en première année (Dal et Dejean, 2020).

Un troisième résultat montre que la quasi-totalité des étudiants interrogés (98 %) ont l’intention de participer à des dispositifs de renforcement le cas échéant mais, dans les faits, seulement un quart d’entre eux y participe. Wathelet et al. (2016) avaient déjà montré que, bien qu’une majorité des primo-étudiants s’autoévalue correctement, les étudiants qui présentent de nombreuses lacunes sont peu nombreux à participer aux activités de renforcement proposées suite aux tests de prérequis et, pour expliquer la faible mobilisation de ces derniers, ces auteurs avancent l’hypothèse d’une volonté de préserver leur estime de soi. D’autre part, Fishbein et Ajzen (1975) ont montré que pour qu’une intention se transforme en comportement il faut que les conditions matérielles le permettent. Peut-être que les conditions organisationnelles (horaires, charge de travail), librement définies au niveau de chaque faculté, n’ont pas permis à certains étudiants de suivre les séances de remédiations proposées. En outre, en réponse à l’objectif principal de cette recherche, les tests statistiques réalisés ont mis en avant qu’il n’y a pas de lien de dépendance entre l’état d’esprit et la participation aux séances de renforcement. Pour expliquer ce résultat, une première hypothèse serait que les primo-étudiants ne considèrent pas les prérequis comme un facteur de réussite, comme l’ont également montré Massart et Romainville (2019), quel que soit leur état d’esprit. Deuxièmement, comme susmentionné, le facteur « travail » semble être un élément davantage déterminant pour les étudiants par rapport à leur réussite, à la différence du facteur « prérequis » comme l’avaient également mis en avant Massart et Romainville (2019). Cette représentation du facteur « travail » est sans doute liée à leur état d’esprit de développement majoritaire. Toutefois, certains étudiants semblent préférer davantage axer leurs efforts sur des tâches et des contenus dans lesquels ils perçoivent plus directement un lien avec la réussite comme, par exemple, travailler sur la manière de répondre à des questions ouvertes d’examens à l’université ou encore s’exercer à la lecture de questions à choix multiples. Ces explications des étudiants pourraient faire l’objet d’une nouvelle hypothèse et expliquer pourquoi les étudiants avec un état d’esprit de développement ne s’engagent pas davantage dans des actions d’autorégulation comme les séances de renforcement de leurs prérequis.

7. Limites

Bien entendu, et comme expliqué précédemment dans cet article, les auteurs n’ont pas la prétention de dire que les croyances des étudiants sur la nature de leur intelligence pourront être entièrement cernées grâce au questionnaire utilisé dans cette recherche. En effet, le nombres d’items pour caractériser ces croyances est relativement limité, ce qui n’a pas permis de cerner suffisamment finement celles-ci. Toutefois, sur la base des travaux de Dweck (2010), nous souhaitons ouvrir des portes de réflexion sur l’amélioration des dispositifs d’aide à la réussite en première année universitaire.

Comme le montrent plusieurs résultats, le questionnaire devrait être élargi, affiné et stabilisé. La manière de répondre des étudiants rencontrés en entretien individuel a permis de montrer que certains mots du questionnaire retiennent leur attention de manière parfois très importante et un seul mot peut faire basculer leur accord en désaccord avec tout un item. Par ailleurs, l’état d’esprit fixe et l’état d’esprit de développement présentés dans la théorie de Dweck (2010) sont deux profils placés chacun aux extrémités d’un continuum. Dans les faits, les individus peuvent sans doute se situer à différents degrés de celui-ci. Rendre compte de cette nuance à travers les questions aurait aidé à apporter des résultats plus précis. De manière générale, l’état d’esprit de développement semble animer une grande majorité des étudiants. Toutefois, il faut garder à l’esprit que la théorie de Dweck (2010) a été l’aboutissement de nombreuses recherches menées au départ dans l’enseignement fondamental. Les étudiants entrant à l’université ont déjà derrière eux un parcours scolaire à travers lequel ils ont probablement pris conscience des opportunités d’apprentissage et/ou cerné les comportements attendus par le milieu scolaire, ayant vécu une acculturation progressive durant ce parcours secondaire avant d’accéder à l’université. Dès lors, en contexte universitaire, il est probable que la distinction entre état d’esprit fixe et de développement soit moins contrastée ou, du moins, cela peut expliquer qu’une majorité d’étudiants présente plus un état d’esprit de développement. Ensuite, nous pouvons nous demander si cet état d’esprit de développement, cette manière de percevoir, grâce au travail, la possibilité de combler ses lacunes ne cache pas en réalité la volonté de préserver une image de soi positive. Cette préservation de l’estime de soi ne serait donc, au final, peut-être pas forcément plus spécifique aux personnes présentant un état d’esprit fixe comme l’indique Dweck (2010). Enfin, ce résultat soulève également la question du biais d’auto-désirabilité souvent présent dans les résultats des questionnaires auto-rapportés, l’attitude des profils présentant un état d’esprit de développement étant socialement plus valorisée que ceux présentant un état d’esprit fixe.

8. Conclusion

Les analyses effectuées dans le cadre de cette recherche ont conclu à l’absence de relation entre les croyances des primo-étudiants sur la nature de leur intelligence et leur participation effective à des activités de renforcement. Toutefois, les entretiens individuels pour expliciter la lecture et la compréhension du questionnaire ont permis d’apporter des éléments de compréhension complémentaires sur les croyances des étudiants sur la nature de leur intelligence que n’a pas permis de mesurer le questionnaire utilisé pour la partie quantitative de cette recherche. Des items devront notamment faire l’objet d’une révision dans leur formulation pour une enquête quantitative future. En outre, bien qu’un peu plus de la moitié des primo-étudiants semblent percevoir les prérequis comme une donnée figée, les quelques entretiens ont pu mettre en évidence que ce n’est pas nécessairement le cas : les étudiants percevraient le caractère changeable d’un prérequis et considèreraient que l’acquisition des connaissances de base est toujours possible plus tard, notamment par le « travail ». Dès lors, pour expliquer leur réussite en fin d’année, ils auraient tendance à minimiser l’importance du facteur « prérequis » au profit du facteur « travail ». Plus précisément, les entretiens individuels ont montré que certains estiment que leur travail doit porter sur des tâches ou des activités qui leur semblent plus directement stratégiques dans un contexte universitaire : se préparer à des examens de type universitaire. Cette représentation pourrait expliquer pourquoi les activités de renforcement, dans leur forme actuelle, ne rencontrent pas le public-cible puisqu’ils attribuent une plus grande importance aux activités réalisées dans le cadre des cours qui les préparent directement aux examens à l’université. Dès lors, une des perspectives serait d’intégrer ces dispositifs d’aide à la réussite au sein des cours, ou de travailler lors des séances de renforcement sur des contenus de cours, pour que les étudiants perçoivent plus directement le sens, l’intérêt et l’utilité de ces dispositifs.

Bibliographie

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