Line Fischer et Marc Romainville, « Ma thèse en 7 émotions », Revue internationale de pédagogie de l’enseignement supérieur [En ligne], 41(1) | 2025, mis en ligne le 13 mars 2025, consulté le 14 mars 2025. URL : http://journals.openedition.org/ripes/6051 ; DOI : https://doi.org/10.4000/13gp4
1. Introduction : le doctorat, un long fleuve pas si tranquille…
La littérature sur les difficultés rencontrées au doctorat a mis en évidence qu’une partie non négligeable de ces difficultés relève d’un changement de posture épistémique : de consommateurs de savoirs, tels qu’ils l’ont été aux cycles précédents, ils doivent apprendre à devenir des producteurs de savoirs (Frenay et Romainville, 2013). C’est la raison pour laquelle de nombreux écrits décrivent le parcours doctoral comme un processus de socialisation, largement informelle, au métier de chercheur au sein d’une culture disciplinaire donnée (Frenay et Romainville, 2013 ; Skakni, 2011). Dans un tel contexte où l’apprenti-chercheur doit progressivement maîtriser les règles tacites de son nouveau métier, on comprend que la qualité de l’accompagnement prodigué par les directeurs de thèse constitue un des facteurs les plus déterminants de la réussite au doctorat (Chachkine, 2023).
Toutefois, la littérature ne s’intéresse que depuis récemment à la question spécifique du vécu émotionnel du doctorant. Par exemple, Niclasse (2022) aborde, dans un ouvrage récent, le rôle des émotions dans l’aventure doctorale en les liant au bien-être, au taux élevé d’abandon et à la mauvaise santé des doctorants. Elle montre également comment les émotions, qu’elles soient agréables ou désagréables, constituent des indices de mécanismes – et des difficultés qui les accompagnent – de transformation personnelle et professionnelle. Giudicelli et al. (2022) investiguent, quant à eux, des pistes pour favoriser un vécu positif du doctorat, en identifiant des expériences émotionnelles positives favorables aux activités cognitives mobilisées au cours d’une thèse. Une catégorie spécifique d’émotions « académiques » – les émotions épistémiques (Pekrun et Stephens, 2012) dites « de la connaissance » – semble avoir particulièrement peu attiré l’attention des chercheurs alors que le processus d’acquisition et surtout de création de nouveaux contenus est au cœur même de la démarche doctorale (apprentissages théoriques sur des champs disciplinaires ; apprentissages méthodologiques, épistémologiques et éthiques ; développement d’un projet personnel de recherche, etc.). C’est la raison pour laquelle la première question de recherche de la présente étude a pour but d’investiguer spécifiquement les émotions épistémiques ressenties par les doctorants durant leur parcours de thèse.
La seconde question de recherche s’attache, quant à elle, à répertorier les types de dispositifs d’accompagnement doctoral qui contribuent, ou non, à réguler ces émotions épistémiques, selon la perception des doctorants interrogés. Dans différents pays, une grande variété de dispositifs d’accompagnement ont vu le jour dans une perspective de soutien à la professionnalisation du doctorat. En effet, par la nécessité de développer une large gamme de compétences, le travail de thèse s’est complexifié et est devenu plus exigeant pour l’apprenti-chercheur. Par conséquent, baliser davantage ce processus et accompagner les épreuves qu’il comprend est désormais un des objectifs explicites de la formation doctorale (Cros et Bombaron, 2018). Dès lors que la réussite d’une thèse nécessite de savoir gérer les émotions épistémiques vécues au profit de l’atteinte des buts académiques fixés, nous tenterons d’évaluer si les dispositifs rapportés par les doctorants les ont aidés dans cette gestion.
2. Cadre théorique
2.1. Les émotions épistémiques
Les émotions qui trouvent leur source dans l’apprentissage sont appelées des « émotions académiques » (Pekrun et al., 2002). S’agissant du doctorat, elles correspondent à toute émotion vécue par le doctorant dont l’origine se situe dans les situations d’apprentissage qu’il rencontre au sein de son parcours doctoral. Pekrun et Perry (2014) ont proposé un découpage théorique de ces émotions académiques en quatre sous-catégories, selon leur source :
- Les émotions thématiques sont ressenties par le doctorant en fonction du sujet précis auquel il est confronté (par exemple, être anxieux face à un traitement statistique ou ressentir du plaisir à lire un article) ;
- Les émotions épistémiques sont, quant à elle, vécues par le doctorant en lien avec le processus d’acquisition et de création d’informations complexes (et parfois contradictoires, créant alors des problèmes d’ordre cognitif). Par exemple, le doctorant se sent confus lors de la lecture d’un article scientifique qui contredit ses premiers résultats ou il éprouve de l’anxiété en attendant les retours d’un premier article soumis ;
- Les émotions d’accomplissement sont expérimentées par le doctorant lorsqu’il doit rencontrer certains standards de compétence. Elles sont liées aux activités qui conduisent à la réussite ou à l’échec (par exemple, être fier d’avoir réussi son épreuve de confirmation) ;
- Enfin, les émotions sociales sont ressenties par le doctorant selon le contexte social de l’apprentissage et ses enjeux (par exemple, être découragé d’être comparé à un doctorant perçu comme plus organisé ou être honteux de se sentir incompris par son promoteur).
La présente étude s’intéresse spécifiquement aux émotions épistémiques, définies par Pekrun et Stephens (2012) comme des émotions qui émergent en fonction des caractéristiques cognitives des informations et du traitement de ces informations, expérimentées lors d’apprentissages complexes (traduction personnelle). Selon les classifications des chercheurs (D’Mello et Graesser, 2012 ; Muis et al., 2015 ; Pekrun et Stephens, 2012 ; Pekrun, Vogl, Muis et Sinatra, 2017), sept émotions épistémiques peuvent apparaitre dans le contexte de connaissances complexes et contradictoires. Ce sont ces sept émotions épistémiques qui seront investiguées : la surprise, la curiosité, la joie/le plaisir, la confusion, la frustration, l’anxiété et l’ennui.
Pekrun et Perry (2014) insistent sur l’importance du contexte pour catégoriser les émotions académiques. Ils différencient, par exemple, les émotions intrinsèquement épistémiques, fondamentalement orientées vers la connaissance, telles que la curiosité ou la confusion, des émotions pouvant être parfois épistémiques ou d’accomplissement selon la situation (frustration épistémique si le doctorant fait face à une information complexe qu’il ne peut intégrer à ses connaissances ou frustration d’accomplissement s’il est déçu que son article ait été refusé par une revue). En outre, Pekrun et al. (2002) notent que les émotions peuvent survenir en anticipation d’une situation d’apprentissage (émotions prospectives), pendant celle-ci (émotions concurrentes) ou à sa suite (émotions rétrospectives).
2.1.1. Émotion épistémique et parcours doctoral : importance de la régulation émotionnelle
Pekrun et son équipe (Pekrun et al., 2017) conçoivent les émotions académiques comme étroitement liées à la motivation dans l’apprentissage et donc cruciales à investiguer pour expliquer l’engagement et la performance académique. Étant donné que les émotions épistémiques réfèrent spécifiquement à la connaissance, il est aisé de comprendre en quoi elles sont directement liées au processus d’apprentissage (Valdesolo et al., 2017) et, par conséquent, intéressantes à étudier dans le cadre du parcours doctoral, visant précisément à la création de connaissance. Selon Pekrun et Linnenbrink-Garcia (2012), ces émotions émergent lorsque l’apprenant se focalise sur des connaissances à traiter mais aussi lorsqu’il analyse une information dans une tâche. Le traitement de nouvelles informations et l’analyse personnelle et critique de celles-ci nous semblent être au cœur de la démarche de tout doctorant, tentant d’approfondir un sujet, de structurer ses connaissances et de faire émerger de nouvelles idées.
8Selon Muis et al. (2015), les émotions épistémiques influencent les stratégies d’apprentissage de l’apprenant, son engagement dans la tâche (D’Mello et al., 2014) et la manière dont il recourt à ses connaissances préalables (D’Mello et al., 2014). Chevrier et al. (2019) mettent aussi en lumière que les émotions épistémiques de l’apprenant ont un impact sur les stratégies d’auto-régulation qu’il emploie (par exemple, la manière dont il se fixe des buts et régule son progrès envers ces buts). Ainsi, la curiosité naitrait d’un manque d’information ou d’un écart entre ce que le doctorant sait et ce qu’il cherche à savoir. Elle peut donc motiver l’apprenant à rechercher, obtenir et utiliser de nouvelles connaissances (Litman, 2005). Silvia (2010) suggère que la curiosité nait lorsque des informations divergentes sont perçues comme très nouvelles et complexes, mais compréhensibles. À l’inverse, lorsque de telles informations sont incompréhensibles, c’est la confusion qui survient (Silvia, 2010). D’Mello et Graesser (2012) affirment que la confusion est une émotion épistémique centrale dans des tâches d’apprentissage complexes telles que la production d’arguments cohérents. La confusion peut être bénéfique à l’apprentissage lorsqu’elle aide l’individu à concentrer son attention sur l’incohérence perçue, le motive à produire des efforts pour la résoudre ou encore le pousse à réaménager ses structures cognitives. Néanmoins, l’aspect bénéfique de la confusion dépend de ce que l’apprenant est capable d’en faire. Entre ici en jeu la compétence en régulation des émotions dans l’apprentissage (Fischer et al., 2020 ; Fischer, 2022 ; Harley et al., 2019).
La régulation émotionnelle peut porter sur toute émotion académique, y compris les émotions épistémiques ressenties par le doctorant : il peut chercher à diminuer sa frustration, à augmenter sa curiosité, à se provoquer de la surprise, etc. Ces états émotionnels désirés sont des « buts émotionnels » (Millgram et al., 2019). La régulation concerne dès lors la modulation de l’émotion au sens large : chercher à l’augmenter, la diminuer, la maintenir, la générer font partie de cette compétence, que l’émotion visée soit agréable ou désagréable. Il parait ainsi primordial qu’un doctorant puisse diminuer la frustration qu’il ressent face à la difficulté de circonscrire sa question de recherche ou trouver des stratégies pour atténuer la confusion ressentie face à des informations contradictoires trouvées dans la littérature. En outre, il semble aussi crucial qu’il soit capable de nourrir sa curiosité pour sa thématique de recherche et de maintenir le plaisir à développer ses connaissances et compétences face aux défis de l’expérience doctorale.
Notons enfin qu’outre les buts émotionnels (l’état émotionnel souhaité par le doctorant), d’autres variables ont été mises en évidence par les chercheurs comme influençant la régulation émotionnelle dans l’apprentissage dont notamment les théories personnelles sur les émotions (Fischer, 2022). Dans notre cas, il s’agirait des théories construites par le doctorant sur le rôle de ses expériences émotionnelles dans son processus de thèse : cette émotion est-elle utile ou non à la thèse ? Pourquoi ? En quelle intensité ? Est-elle nécessaire à réguler ? Comment ? Les buts émotionnels rapportés par les doctorants en lien avec les sept émotions épistémiques explorées ainsi que leurs théories personnelles sur celles-ci dans le cadre du doctorat nourriront également notre analyse.
2.2. Les dispositifs d’accompagnement au doctorat
À la suite des exigences croissantes de professionnalisation des docteurs et de la prise de conscience de la nécessité d’accompagner de manière plus explicite la socialisation au métier d’apprenti-chercheur, de nombreux dispositifs d’accompagnement doctoral ont été mis en place ces dernières décennies (Chachkine, 2023 ; Frenay et Romainville, 2013).
Dans le cadre de notre recherche, nous distinguerons les dispositifs d’accompagnement formels et informels. Les premiers sont des dispositifs institutionnels, proposés à tout doctorant de la Belgique francophone dans le cadre de son inscription en thèse (cf. note de bas de page 1). Les dispositifs informels, quant à eux, dépendent davantage du contexte professionnel particulier du doctorant et de ses initiatives personnelles. Ils peuvent viser directement l’apprentissage ou d’autres buts tels que la socialisation informelle avec des collègues. Comme le notent Brougère et al. (2017), les pratiques d’apprentissage formelles et informelles sont davantage à placer sur un continuum que séparées par une frontière claire.
3. Méthodologie
3.1. Procédure
Afin de recruter les doctorants pour l’entretien, nous avons contacté les présidents de trois Instituts de recherche identifiés comme rassemblant des chercheurs de disciplines variées en Sciences Humaines et Sociales (SHS). Chaque président a marqué son accord pour l’envoi d’un courriel générique à tous les membres de son Institut stipulant les critères d’inclusion des participants de la recherche : être inscrit au doctorat en SHS ; être francophone (de manière à recueillir des verbalisation fines et nuancées sur le vécu émotionnel) ; occuper un poste de recherche depuis au moins un an ; accepter de réaliser un entretien confidentiel d’une heure sur la thématique du parcours doctoral ; être engagé plus spécifiquement sous un mandat d’assistant. En Belgique francophone, il s’agit d’un contrat de scientifique temporaire d’une durée de 72 mois (pour un équivalent temps plein) durant lequel l’assistant assume, pour la moitié de son temps, des tâches pédagogiques (travaux pratiques, travaux dirigés ou séances d’exercices) et poursuit une recherche doctorale, pour l’autre moitié. Ce dernier critère de sélection vise à mieux comprendre en quoi le fait d’assumer des tâches pédagogiques en parallèle à sa recherche peut constituer, en matière de régulation des émotions, un frein (par exemple, en empêchant un investissement massif dans sa recherche et en provoquant dès lors une anxiété grandissante par rapport aux échéances difficiles à concilier avec la charge pédagogique) ou un levier (par exemple, en permettant de s’évader de la frustration engendrée par une impasse rencontrée dans sa recherche). Les réponses reçues en retour de ce courriel ont permis de dresser une liste de doctorants volontaires, au sein de laquelle nous avons uniquement conservé celles et ceux qui répondaient effectivement à l’ensemble des critères de sélection, soit 8 doctorants sur les 12 qui ont répondu au courriel d’invitation (4 ont donc été écartés) sur un potentiel d’environ 80 personnes répondant a priori à ces critères. Ceux-ci ont été contactés via un courriel personnel et conviés à un entretien avec les chercheurs.
L’entretien se déroulait dans un local de l’université. Au début de chaque entretien, les chercheurs rappelaient le but général de l’étude, faisaient signer un consentement éclairé à participer à la recherche, présentaient les modalités pratiques de l’entretien et les considérations d’ordre éthique. Les entretiens se sont déroulés durant les mois d’octobre à décembre 2023. Ils étaient enregistrés, avec l’accord des participants. L’ensemble de l’étude avait préalablement été approuvé par les présidents des Instituts ciblés et par le Comité d’Éthique en Sciences humaines et sociales de l’université concernée (le numéro de protocole éthique est le 2023/5).
3.2. Échantillon
Les huit thésards interrogés étaient inscrits au doctorat dans l’un des trois instituts de recherche du domaine des Sciences humaines et sociales d’une université belge francophone. Deux doctorants étaient affiliés à l’Institut de Recherche en Didactiques et Education ; quatre autres appartenaient à un Institut traitant des thématiques de la transition (environnementale, démocratique ou professionnelle) et deux doctorants provenaient d’un Institut consacré aux questions de l’impact du digital sur la société. L’échantillon comprend trois hommes et cinq femmes. Leurs noms ont été anonymisés. Ces doctorants se trouvaient, au moment de l’entretien, à des stades différents de leur thèse : sept n’avaient pas encore passé l’épreuve de confirmation et étaient donc plutôt en début de thèse, un se trouvait en fin de thèse et avait déjà franchi cette étape cruciale. [1]
3.3. Recueil des données
Un canevas d’entretien semi-structuré a été élaboré sur la base de la littérature en psychologie des émotions. C’est grâce à cette littérature (présentée plus haut) que sept émotions épistémiques ont été retenues (pour rappel, surprise, curiosité, plaisir/joie, confusion, frustration, anxiété, ennui). Dans l’ordre, les thèmes suivants ont été abordés dans l’entretien :
– Institut d’appartenance ;
– Explication succincte de la thématique de thèse ;
– Étape du parcours doctoral (avant ou après l’épreuve de confirmation) ;
– Explication de ce qu’est une émotion épistémique et sa régulation (grâce aux définitions présentées ci-avant) ;
– Exploration des sept émotions épistémiques en questionnant pour chacune : si elle a été ressentie ou non, son origine (les situations qui la provoquent) et les dispositifs perçus comme contribuant à sa régulation.
Quatre entretiens ont été réalisés par la première auteure et les quatre autres par le second auteur. Aucun d’entre eux ne se trouvait en position hiérarchique avec les doctorants interrogés. Les entretiens ont, en moyenne, duré 45 minutes.
3.4. Analyse des données
Après retranscription intégrale des entretiens, une analyse de contenu a été menée sur les questions ouvertes selon une démarche qualitative s’inspirant de l’analyse de contenu thématique (Paillé et Mucchielli, 2005) et à l’aide du logiciel NVivo. Ce type d’analyse a été considéré comme particulièrement adapté à l’investigation de l’expérience du parcours doctoral, expérience certes commune à tous les doctorants mais qui ne se départit jamais d’une dimension émotionnelle éminemment personnelle. Dans cette perspective, différents verbatims illustratifs étayent notre analyse ; ils donnent à voir de manière qualitative les processus émotionnels en jeu face à l’acquisition et la création de savoir, au centre de l’expérience doctorale.
Les retranscriptions des huit entretiens ont d’abord été lues par les deux chercheurs de manière indépendante une première fois, sous la forme d’une lecture flottante permettant de s’immerger dans les données. Une seconde lecture de la totalité des données a eu pour but de faire émerger et d’identifier les réponses des doctorants à considérer en regard des deux questions de recherche ; ces passages ont été surlignés.
Ensuite, l’étape de codage a été réalisée par les deux chercheurs de manière indépendante. Ce codage a permis l’identification des thèmes principaux émergeant des données, en transformant ces données brutes en des codes thématiques de niveaux conceptuels supérieurs (Yin, 2015) portant, d’une part, sur les émotions épistémiques (source, intensité, fréquence, perception par les doctorants, etc.) et, d’autre part, sur les dispositifs d’accompagnement au doctorat perçus comme aidant (ou non) à leur régulation. Les chercheurs ont chacun généré une grille de codage, émotion par émotion, pour chacun des participants sur ces deux points, qu’ils ont ensuite comparées. Les points de désaccord ont fait l’objet d’une discussion pour aboutir à la création de grilles de codage finales, comprenant également des verbatims illustratifs.
4. Présentation des résultats
4.1. Émotions épistémiques vécues par le doctorants
4.1.1. La curiosité
Les doctorants sont unanimes à rapporter vivre fréquemment de la curiosité dans leur travail de recherche, avec une intensité le plus souvent très forte, même si cette émotion épistémique ne se manifeste pas en continu ni avec la même intensité selon l’étape du doctorat. Pour certains, l’explication de leur souhait de s’engager dans une telle aventure réside d’ailleurs dans leur volonté de vivre cette émotion : c’est parce qu’ils sont curieux qu’ils se sont dirigés vers un troisième cycle.
Tout au long du processus de thèse, la curiosité est d’ailleurs jugée utile, voire indispensable à la persévérance et donc à l’atteinte de leur but, finaliser leur thèse : « Un des enjeux justement du bien-être du doctorant, je crois, c’est que c’est dans sa nature d’être curieux, sinon, il ne serait pas dans le métier qu’il exerce » (Emeline).
La curiosité épistémique porte, selon les doctorants interrogés, sur plusieurs aspects. Elle peut concerner le sujet lui-même de la thèse (pour la détermination duquel les doctorants disposent d’une marge de liberté relativement importante en SHS), la discipline dans laquelle il s’insère, la diversité des aspects qu’il recèle ou la découverte de champs, de théories, d’auteurs nouveaux, voire d’autres systèmes de pensée. La curiosité peut également avoir trait, de manière plus générale, au processus de recherche lui-même, souvent mis en relation avec le rapport particulier qu’a développé le doctorant à la connaissance ; il s’agit alors d’un état d’esprit d’ouverture et de recherche de compréhension de phénomènes : « dès le début, j’ai aimé la recherche justement parce qu’il y a cet aspect curiosité de compréhension un peu du monde économique » (Jill).
S’agissant de ses origines et cette émotion étant par essence anticipatrice, les états de curiosité rapportés sont essentiellement prospectifs ; certains sont également décrits comme concomitants aux découvertes réalisées.
Si la curiosité est globalement jugée très positive et agréable, encore doit-elle être maîtrisée et donc régulée. Tous les doctorants soulignent que leur importante curiosité doit être progressivement structurée, canalisée et focalisée sur leur sujet d’étude, au fur et à mesure qu’ils se précise.
Dans ce sens, la curiosité est souvent reliée à la confusion : « j’ai vraiment envie d’aller voir ce qui se passe ailleurs pour voir quels liens je peux faire avec ma thématique. Ce qui peut même s’avérer être problématique, parce que j’ai parfois du mal à rester focalisé sur un sujet et plutôt que de rester focalisé, je vais aller dans plein d’autres disciplines pour aller voir quels sont les liens à réaliser. Donc j’ai une espèce de boulimie » (Gaël). Plusieurs doctorants évoquent d’ailleurs une évolution de leur curiosité au cours du temps. Ainsi, une certaine curiosité exploratoire, tous azimuts, est observable en début de thèse ; elle est liée à de très nombreuses découvertes. Trop large, cette forme de curiosité se révèle déstabilisante. Elle se mue ensuite en curiosité ciblée, circonscrite au sujet de thèse, ce qui contribue à faire disparaitre des émotions désagréables telles que la confusion.
Un peu dans la même perspective, des doctorants notent que la curiosité permet d’éviter l’ennui et facilite grandement leur investissement dans le travail, qui demanderait, en l’absence de curiosité, des efforts considérables.
Certains évoquent une autre évolution authentiquement épistémique pour le coup, qui les font passer d’une curiosité pour le thème de recherche à une curiosité plus « scientifique » pour les concepts et méthodes d’investigation : « Autant dans un premier temps, je crois que j’étais plus intéressée à savoir ce qui se faisait sur le terrain, curiosité à mener des interviews, savoir ce que les gens pensaient, etc. Ici, je crois qu’il y a maintenant une curiosité vraiment beaucoup plus, simplement, théorique » (Jill).
4.1.2 Le plaisir/la joie
À la différence de la curiosité vécue de manière assez intense et relativement continue par les doctorants, les émotions de plaisir et de joie sont rapportées comme étant plus ponctuelles et concomitantes à des évènements particuliers.
Pour certains doctorants, les émotions de plaisir et de joie présentent un caractère véritablement épistémique en ce qu’elles trouvent leur source dans le travail intellectuel lui-même ; le plaisir et la joie proviennent alors d’un sentiment d’avancer dans son travail intellectuel, de maîtriser progressivement son sujet de thèse, notamment via le développement d’une écriture personnelle, la création d’analyses et de connexions nouvelles. Ces émotions surgissent notamment à l’occasion de découvertes intellectuelles et de la confirmation progressive de l’originalité du sujet de recherche. Dans ce sens, le plaisir et la joie découlent de la curiosité : « je crois que le plaisir est lié à cette question de la curiosité et au plaisir d’apprendre et de découvrir de nouvelles choses […] c’est une notion que je ressens très fort pour l’instant. Je suis dans un processus où j’écris un peu l’état de tout, des réflexions qu’on a tirées pendant quatre ans et je trouve ça très plaisant en fait » (Jill).
Pour d’autres doctorants, le plaisir et la joie relèvent plutôt d’un bien-être professionnel plus général. L’apparition de ces émotions est considérée comme une confirmation de leur choix de carrière, parfois en opposition avec des expériences professionnelles antérieures dans lesquelles ils ont moins connu de plaisir et de joie. De ce point de vue, la grande liberté dont jouit le chercheur est un facteur crucial, aux yeux des doctorants, en matière de plaisir professionnel : « Me dire que je suis payée à faire, je ne sais pas, à nourrir une petite lubie personnelle. Je trouve ça fou, quoi » (Émeline).
Pour d’autres encore, le plaisir et la joie revêtent une dimension plus sociale : ces émotions sont vécues ponctuellement lorsque qu’une validation externe (provenant du promoteur, d’autres doctorants, du terrain de recherche ou des revues auxquelles ont été soumises les premières propositions d’articles) leur est prodiguée et confirme qu’ils sont « sur le bon chemin » : « quand j’ai eu quelques signaux positifs que ce soit de la part de [le promoteur] […] Ça a pu m’aider parce que ça me rassurait de savoir que j’étais dans la bonne direction. En fait, c’est surtout pour le côté me rassurer d’avoir une espèce de validation externe sur mon travail et me dire je ne suis pas en train de faire n’importe quoi » (Bachir). Le plaisir et la joie jouent alors le rôle d’antidote à l’anxiété de ne pas « être à la hauteur », de ne pas pouvoir y arriver. Elles sont donc ici davantage liées à un but de performance.
Le plaisir et la joie peuvent également émerger de l’existence de bonnes relations avec les autres doctorants, notamment plus âgés qui peuvent leur renvoyer des feedbacks positifs mais aussi de l’ambiance agréable de travail du laboratoire dans son ensemble. Lorsqu’un doctorant évoque principalement des origines de type social à l’apparition de plaisir et de joie, l’exigence intellectuelle elle-même (notamment de maîtriser des théories complexes) peut devenir une source de déplaisir, au contraire d’autres doctorants (au même stade de la thèse) ayant évoqué des origines purement épistémiques à leur plaisir et à leur joie. Autrement dit, un même aspect du travail de thèse peut engendrer du plaisir ou du déplaisir selon but poursuivi.
4.1.3. La confusion
Par rapport aux émotions positives de curiosité, de plaisir et de joie, les doctorants rapportent avoir rencontré moins fréquemment et avec une moindre intensité la confusion. Cette émotion semble marquer surtout l’entrée en thèse et la découverte, sur le tas, d’un « métier » très peu cadré et pour lequel ils n’ont pas bénéficié d’explicitations des différents gestes professionnels. Les doctorants rapportent une entrée en thèse marquée par l’incertitude dans un métier que l’on apprend à maîtriser, par essais et erreurs, souvent seul, ce qui engendre des moments de confusion : « J’associerai cette émotion plus au début de la thèse. […] en fait, quand je suis arrivée à la faculté, on m’a donné un bureau, on m’a dit : "voilà, tu peux faire de la recherche". Et je ne savais pas du tout ce que je devais faire tellement. Il y a vraiment eu cette confusion, je vais dire, pendant une bonne année : à quoi s’est censé ressembler ce que je dois faire ? Comment est-ce que je dois le faire ? Et je ne savais vraiment pas » (Laia).
Plus précisément, la confusion peut avoir plusieurs sources :
- La nécessité de préciser et d’affiner progressivement son sujet de thèse, souvent seul et dans un domaine considéré comme particulièrement vaste en SHS ;
- La difficulté à faire reconnaître son sujet qui se précise par d’autres personnes (d’autres chercheurs ou des personnes extérieures au monde de la recherche), parce qu’on ne dispose pas encore des cadres nécessaires à « défendre » sa recherche, son intérêt et sa pertinence ;
- La difficulté à définir sa propre identité de chercheur non seulement sur le thème mais aussi sur le paradigme et les méthodes, surtout si ces éléments diffèrent, plus ou moins fortement, de ceux de son promoteur ;
- La maîtrise d’aspects plus techniques de la recherche tels que les méthodes de relevé de la littérature, l’approche et la synthèse d’ouvrages techniques ;
- Les doutes sur la validité de ses premiers choix personnels.
Même si les doctorants estiment que la confusion est difficile à vivre et à exprimer publiquement sur le moment, ils la considèrent rétrospectivement comme utile à l’avancement de leur thèse. En effet, la délimitation progressive d’un sujet réellement personnel, qui va motiver le doctorant, passe inéluctablement, à leurs yeux, par cette étape de confusion. De plus, le fait de vivre de la confusion constitue un signal d’alarme à prendre en compte, qui enclenche des actions telles que la prise de rendez-vous avec son promoteur.
La confusion, une fois résolue et dépassée, débouche sur le plaisir et la joie précisément de l’avoir surmontée : « Après coup, oui [cela a été utile]. Oui parce que moi ce que j’ai l’impression qui m’a fait beaucoup avancer dans ma thèse de doctorat c’est cette fameuse rupture épistémologique dont on parle, qui a été le fait d’un peu déconstruire la vue initiale, mes croyances » (Jill).
4.1.4. La frustration
Au contraire des émotions agréables de curiosité, de plaisir et de joie et de l’émotion désagréable de confusion, la frustration n’a pas été rapportée comme ayant été vécue par l’ensemble des doctorants interrogés. Deux d’entre eux disent ne l’avoir quasiment jamais rencontrée, à l’exception d’une occurrence qui s’est déroulée lors d’un incident ponctuel : une comparaison sociale défavorable et jugée injuste lors d’un séminaire pour le premier et une grande difficulté à se procurer certains articles pour la deuxième.
De plus, les doctorants qui ont fait état de frustration ont indiqué que cette émotion était en général de basse intensité et assez épisodique. Deux d’entre eux estiment toutefois qu’ils ont vécu un épisode de frustration très intense, dans les deux cas à l’occasion de retours sévères sur une production intermédiaire. Pour le premier, ce retour émanait de sa promotrice alors que, d’une part, il estimait avoir beaucoup travaillé pour produire le document en question et, d’autre part, qu’il ne s’attendait pas à recevoir encore de pareils feedbacks négatifs au troisième cycle. Pour la seconde, une intense frustration est née de six refus, par plusieurs revues, d’une de ses premières propositions d’article, alors qu’elle avait consacré plus d’un an à son écriture. Une frustration complémentaire, pour le coup authentiquement épistémique, a été de renoncer à situer cet article à l’intersection de deux champs disciplinaires et à choisir, de manière stratégique, un seul de ces champs selon la spécialité de la revue visée, alors que la doctorante continue de penser que l’aspect interdisciplinaire de son travail constitue une réelle plus-value.
Les théories personnelles des doctorants font aussi apparaître des liens intéressants entre différentes émotions : ainsi, la confusion entraîne de la frustration, qui peut ensuite être « balayée » par la curiosité : « la confusion génère pas mal de frustration. Le fait de faire deux pas en avant, cinq pas en arrière, ça, c’est assez frustrant, de se dire : ‘OK, j’avais des idées, j’avais quelque chose, mais quelque chose que j’aurais pu tirer et je me rends compte que ça ne marche pas pour une raison ou une autre, que ce n’est pas assez riche, que ce n’est pas valide, que ça n’a pas d’intérêt ou que je suis, moi-même, pas convaincu’. Bah, ça, c’est de dire : ‘OK, je dois abandonner cette idée’ là, c’est un petit peu frustrant […] mais je ne reste pas longtemps sans idée en fait. La curiosité fait qu’il y a tellement tout le temps des idées qui arrivent, que le fait de devoir en éliminer certaines ou devoir se réorienter, bah, c’est facile » (Gaël).
4.1.5. L’anxiété
L’anxiété est l’émotion pour laquelle les doctorants rapportent les expériences les plus contrastées. Quatre doctorants rapportent ne pas, ou très peu, connaître d’anxiété à l’occasion de leur travail de thèse. Une doctorante explique l’absence complète d’anxiété par un trait plus général de sa personnalité, à savoir le fait qu’elle n’est pratiquement jamais anxieuse dans la vie. Les trois autres doctorants n’évoquent que des moments ponctuels d’anxiété, qu’ils qualifient eux-mêmes de très légère, cette anxiété ayant été vécue de manière peu intense à la suite d’épisodes précis tels que la découverte d’une ancienne publication qui couvre le sujet de thèse, sujet que la doctorante pensait original.
Trois autres doctorants font état d’expériences plus significatives d’anxiété, même si c’est avec une intensité qui reste moyenne. Dans les trois cas, il s’agit d’une anxiété liée, au moins pour partie, au doute ressenti par le doctorant sur sa capacité à réaliser une thèse. Cette anxiété de passer pour un imposteur semble, dans ce cas, liée à un faible sentiment de compétence et à une crainte de ne pas être à la hauteur des standards de qualité en matière de production scientifique originale : « Est-ce que ma thèse ne va pas être rebutée parce que le thème, on va juger que c’est trop court ? Est-ce que… ou que c’est trop précis, c’est trop militant, pas assez, que j’oublie des choses, et… donc il y a ce côté parce que simplement je suis quelqu’un qui me pose beaucoup de questions, ce qui m’a emmené en partie dans la recherche aussi. Mais du coup, quand on se pose beaucoup de questions, on ne se pose pas toujours des questions rassurantes. Dans le lot, il y a aussi des questions un peu plus stressantes » (Bachir).
Enfin et à l’autre bout de l’échelle, l’une des doctorantes rapporte une anxiété à la fois très forte et quasi permanente. Elle explique l’importance de cette anxiété, non pas par le contexte particulier de la thèse, mais par un trait de personnalité, celui de craindre l’échec lorsqu’elle se lance dans une nouvelle activité. Paradoxalement toutefois – et alors que les autres doctorants vivant l’anxiété sur un mode mineur ne l’estiment guère utile à l’avancement de leur travail –, cette doctorante très anxieuse estime qu’il s’agit pour elle d’un facteur plutôt favorable à la réalisation de sa thèse dès lors qu’elle considère que le défi de surmonter son anxiété est une excellente stimulation professionnelle : « je crains très très fort l’échec. Et j’en avais déjà parlé avec mon promoteur, je savais que ça allait, peut-être, être bloquant parce que je vais avoir tendance à éviter de faire des choses pour éviter d’être confrontée à l’échec. […] Mais par contre, c’est quand même un moteur, enfin pour moi, parce que je pense que si je n’en ressentais pas, ça manquerait un peu de saveur. Et en fait, ce que je n’aimais pas beaucoup dans le métier que je faisais avant, c’était le fait que c’était trop calme et que je n’en ressentais jamais » (Élena).
4.1.6. L’ennui
Globalement, l’ennui est l’émotion épistémique qui semble la moins ressentie par les doctorants interrogés. La question a même provoqué des réactions de surprise, voire du rire de la part de certains d’entre eux, tant le travail de recherche leur semble antinomique de l’ennui. Il est toutefois arrivé que des épisodes ponctuels d’ennui, souvent en début de thèse, aient été rapportés, plutôt sous la forme de lassitude provoquée par la routine de certaines procédures ou la lecture d’auteurs ou la découverte de théories dont on s’aperçoit finalement qu’ils sont peu pertinents pour l’avancement de la thèse. Mais il s’agit d’expressions émotionnelles de faible intensité, qui ne nuisent pas à l’avancement de la thèse. Une certaine dose d’ennui est aussi mise en relation, par certains doctorants, avec l’aspect solitaire du travail doctoral, aspect qui s’est décuplé lors de la crise sanitaire et des périodes de confinement qui l’ont accompagnée. De ce point de vue, le télétravail est aussi, pour un doctorant, une source potentielle d’ennui, mais ici aussi sans que cela nuise gravement à la thèse.
Une doctorante estime, au contraire, qu’une certaine forme d’ennui – qui s’apparente davantage à une sorte de flânerie intellectuelle prolongée sur un même sujet – est plutôt propice à une compréhension en profondeur de ce sujet. Laisser son esprit « vagabonder » sur une idée un certain temps au point de connaître une certaine lassitude est parfois utile à ce qu’elle décrit comme un « déclic » intellectuel : « Cependant, j’essaie de m’ennuyer obligatoirement dans le sens où parfois quand je dois faire quelque chose pour ma recherche, je fais exprès de le procrastiner parce qu’en fait, j’y réfléchis en background tout le temps un petit peu. Et il y a un moment où ça fait clic » (Laia).
4.1.7. La surprise
Enfin, la surprise est rapportée par les doctorants comme ayant été vécue le plus souvent positivement et ponctuellement, avec une intensité ressentie comme moyenne. Dans la plupart des cas, elle découle d’évènement inattendus qui surviennent dans le déroulement de la thèse ; il peut s’agir d’évènements externes (un feedback positif d’un promoteur, alors que le doctorant doutait de la qualité de son travail ; la découverte d’une idée contre-intuitive ; le succès imprévu d’articles pourtant rédigés à la hâte) ou de progrès internes (l’observation de certains résultats inattendus ou, au contraire, de résultats qui confirment enfin les hypothèses ; l’originalité naissante de conclusions ; la socialisation progressive avec des éléments institutionnels comme les instituts de recherche).
Dans ce sens, la surprise est considérée majoritairement comme étant utile à la thèse, notamment à l’aspect créatif de son contenu et en tant que signe de curiosité. Comme le dit un doctorant, si a contrario un chercheur n’est pas surpris, c’est qu’il n’a pas découvert grand-chose de neuf : « le processus de la surprise fait un petit peu partie du processus de thèse. Parce que finalement, la thèse ce n’est pas quelque chose qui est anticipé, c’est aussi, à un moment donné, quelque chose parfois un peu par hasard qui retient notre attention » (Jill).
Au sein de leurs théories personnelles, les doctorants relient la surprise à d’autres émotions, essentiellement à la curiosité et, dans une moindre mesure, à la confusion. Ainsi, selon trois doctorants, des épisodes de surprise sont inhérents au processus de recherche : curieux, ils rencontrent par hasard des personnes, des auteurs ou des idées vis-à-vis desquels leur thèse va résonner et qui vont la faire progresser dans une voie originale. Leur curiosité les pousse également à découvrir d’autres champs, par rapport auxquels ils vont d’abord connaître de la confusion puis de la surprise, une fois ces champs maîtrisés.
4.2. Dispositifs doctoraux et régulation des émotions épistémiques
L’analyse de contenu des entretiens a également permis d’identifier des dispositifs d’accompagnement doctoraux que les répondants perçoivent comme en lien avec la régulation des émotions épistémiques vécues. Les émotions épistémiques mentionnées comme modulées par les dispositifs sont citées de manière exhaustive dans le texte (certains dispositifs ont donc été davantage mentionnés que d’autres comme aidant à la régulation des différentes émotions épistémiques).
Précisons que, dans les limites de cet article, l’analyse qui suit ne portera que sur les dispositifs formels – dès lors qu’une des retombées attendues de l’étude réside dans des propositions d’amélioration de l’accompagnement institutionnel offert aux doctorants –, bien que les répondants aient spontanément aussi évoqué le rôle de dispositifs informels dans la régulation de leurs émotions. Ainsi, ils ont rapporté que des moments spontanés de partage avec d’autres doctorants ont alimenté leur curiosité. Ils ont aussi évoqué le rôle diffus de dialogues impromptus avec des chercheurs seniors (post-doc, académiques), ces échanges augmentant le plaisir par le fait d’être écouté et rassuré par des chercheurs reconnus et diminuant l’anxiété liée au fait que ces chercheurs ont aussi rencontré des difficultés dans leur parcours de thèse.
4.2.1. Rôle des dispositifs formels
En premier lieu, l’encadrement offert par le promoteur en matière de conseils de lectures, d’avis méthodologiques et d’écoute des difficultés est rapporté par les doctorants comme répondant à des buts émotionnels variés. À leurs yeux, cet encadrement contribue à la régulation de la curiosité, en la canalisant sur l’objet à traiter et en la faisant évoluer d’une curiosité portant sur « tout objet » à une curiosité focalisée sur la thématique de recherche : « il [le promoteur] m’a expliqué ou donné des idées pour me canaliser au niveau des idées de recherche. J’ai eu des idées d’ouvrages aussi par mon directeur de précédent mémoire qui m’a donné des idées… Voilà ce qui à la fois rassure parce que ça donne un cap et en même temps, permet d’éviter de s’éparpiller. Donc ça, je dirais que ça n’amoindrit pas la curiosité, mais ça la canalise » (Gaël).
L’augmentation du plaisir et de la joie à réaliser une thèse est également signalée par les participants comme résultant, pour partie, des feedbacks de leur promoteur. Le fait de fournir des indices sur l’avancée de la thèse, de valider « le cap à suivre » mais également d’aider à la planification du travail participe à accroître le plaisir et la joie ressentis. La confusion est, quant à elle, diminuée lorsque le promoteur oriente vers des ressources adéquates et fournit des feedbacks au doctorant lui permettant d’agencer ses idées, d’éclaircir ou de structurer sa pensée : « J’ai eu un nouvel épisode de confusion après le fameux séminaire au mois de mai-juin [où le doctorant a été comparé à une doctorante plus expérimentée] qui a à nouveau disparu quand j’ai vu mon directeur de mémoire où là, il m’a dit : « écoute, lis ces éléments-là ! Vois ça ! Réponds à ces questions-là comme ça ! Normalement, tu vas avoir ta base ». Et donc à partir de là, à nouveau, la confusion a disparu parce qu’en fait, chaque fois, c’est quand j’avais un cap. En fait, quand j’ai des retours positifs et un cap, je n’ai plus de confusion parce que je sais qu’il me suffit de tracer mon sillon et je sais être autonome pour ça » (Bachir).
Toutefois, les échanges avec le promoteur peuvent également augmenter la confusion dans le cas où doctorant et promoteur ne partagent pas les mêmes paradigmes épistémologiques, les mêmes préférences méthodologiques ou les mêmes cadres théoriques ou disciplinaires. En outre, cette confusion épistémique ne peut être diminuée que si le doctorant ose « déranger » son promoteur en fixant proactivement des moments d’échanges quand il s’estime bloqué par cette émotion. Une doctorante note également que son promoteur a joué un rôle différent dans la régulation de la confusion qu’elle expérimentait selon la phase de sa thèse : en début de thèse, il l’a invitée à accepter cette émotion comme faisant partie intégrante du processus de recherche tandis que dans les étapes ultérieures, elle a contribué à la diminuer.
La confusion épistémique, abondamment évoquée par les doctorants, est également plus ou moins facile à exprimer selon les personnes en présence, notamment selon leur degré d’expertise sur le sujet (exprimer sa confusion à son promoteur ne serait, dès lors, pas toujours aisé). Certains doctorants rapportent également que l’encadrement offert par leur promoteur a contribué à les aider dans la régulation d’autres émotions épistémiques (alimenter la curiosité, par exemple si le promoteur est davantage perçu comme un « générateur » d’idées). Cet encadrement est également mis en lien avec la régulation de la frustration. En cas d’incompréhensions entre promoteur et doctorant ou de feedback formulé de manière inappropriée (sur la forme ou le fond), l’accompagnement du promoteur peut augmenter la frustration : « Je pense que la manière dont le feedback est formulé peut effectivement jouer pour diminuer cette frustration parce que frustration peut aussi s’accompagner peut-être de découragement parfois. Et dans le sens où l’exercice, je ne dis pas que c’est facile et sans doute pour les promoteurs et promotrices de réussir à faire un feedback qui soit constructif, qui arrive à dire voilà ça il faut le changer quand ça doit être changé, mais en le disant de manière bienveillante » (Raphaël).
En cas de bonne compréhension entre les protagonistes, l’accompagnement du promoteur peut également participer à diminuer l’anxiété pouvant être ressentie face à l’ambiguïté du travail de thèse et ses exigences, face à une charge de travail importante et difficile à gérer, ou encore, face à la gestion de la carrière dans l’après-thèse.
Enfin, l’émotion épistémique de surprise a été rapportée comme étant alimentée par les relations avec le promoteur, à condition qu’une place à la créativité soit laissée au doctorant. Le choix d’une co-promotion est également un élément cité par les doctorants comme alimentant la curiosité (par exemple, pour d’autres cadres théoriques ou méthodologiques).
En deuxième lieu, l’encadrement assuré par le comité d’accompagnement est mis en lumière par les participants comme un dispositif suscitant le plaisir et la joie en aidant à la définition d’une méthodologie adaptée à l’objet de recherche ainsi qu’en diminuant la frustration de se sentir parfois incompris par d’autres chercheurs issus de champs différents. Bien que le plaisir d’apprendre et de chercher ainsi que la frustration d’idées non convergentes soient épistémiques, lorsqu’ils sont médiés par une relation, ces émotions académiques présentent également une dimension sociale : « Ce qui m’a aidée aussi [en termes de plaisir/joie] c’est… […] j’ai eu une discussion avec quelqu’un qui est dans mon comité d’accompagnement maintenant, j’ai déjà eu une réunion avec. Et donc, pour voir un petit peu, c’est quelqu’un qui connaît bien la méthode que je voudrais bien appliquer, qui l’a déjà appliquée avec une de ses thésardes » (Emeline).
Ensuite, le dépôt officiel du projet de thèse est également une étape du dispositif de la formation doctorale qui contribue à réguler le plaisir et la joie en offrant un cadre au sein duquel le doctorant est obligé de préciser sa recherche dans des contraintes temporelles déterminées, ce qui participe en corolaire à diminuer la confusion (vu l’obligation d’avoir les idées claires sur le projet pour en entamer la rédaction). Ici, la confusion est bien de nature épistémique tandis que le plaisir/la joie d’atteindre l’objectif fixé par l’échéance du dépôt du projet dans un temps imparti peut être assimilé à une émotion académique d’accomplissement.
En quatrième lieu, suivre un cours en « élève libre » contribue également à alimenter la curiosité des doctorants sur de nouveaux objets, champs ou outils méthodologiques mais qui a aussi eu un effet potentiellement déstabilisant, chez certains d’entre eux, par la confrontation à d’autres paradigmes, très éloignés de leurs paradigmes initiaux (par exemple, suivre un cours en sciences « dures » alors que l’on est formé en SHS).
La participation à des colloques, conférences ou séjours scientifiques a été mentionnée comme le cinquième élément de régulation des émotions épistémiques. Si leur choix est laissé au doctorant, ces participations alimentent la curiosité et suscite le plaisir par des échanges avec d’autres chercheurs. En outre, le fait d’être accepté pour communiquer augmente également le plaisir du doctorant pour ses tâches. Toutefois, si la thématique est trop éloignée de l’objet de recherche du doctorant, la participation à des évènements scientifiques peut augmenter la frustration issue de la sensation de perdre son temps, sans faire avancer sa recherche. En outre, la confrontation à des pairs plus avancés dans le processus doctoral peut aussi augmenter cette frustration par une comparaison sociale désavantageuse pour le doctorant peu expérimenté.
En sixième lieu, les séminaires proposés par l’école doctorale ou les instituts de recherche sont cités par les doctorants comme jouant un rôle dans la régulation des émotions épistémiques. Ils alimentent la curiosité, qui doit toutefois être canalisée si les thématiques traitées ne contribuent pas à l’avancée de la thèse. Ils influencent aussi la régulation du plaisir : ils l’augmentent par le fait d’échanger avec d’autres chercheurs et de développer son esprit critique : « Les interventions [du séminaire] qui sont proposées c’est aussi chouette de voir quels sont les liens avec ton travail, tes méthodes et comment tu pourras en tenir compte ou pas. Garder un regard critique et de se dire : OK, ici, je ne suis pas d’accord. Je trouve que ça m’apporte pas mal de joie aussi de me dire, bah en fait j’ai le droit de ne pas être d’accord » (Gaël). Mais ces séminaires peuvent aussi diminuer ce plaisir, lorsque le doctorant ne se sent pas à la hauteur de présenter publiquement son travail ou encore, lorsque le contenu du séminaire n’est pas en lien avec la thèse.
Par ailleurs, les échanges entre chercheurs (notamment sur le processus de thèse lui-même) qui se déroulent durant ce type de séminaire participent à partager l’idée que la confusion fait partie du processus de thèse donc à l’accepter : « C’est justement un séminaire d’école doctorale en… c’était à une soirée, je ne sais plus dans quel cadre on était, mais je sais qu’il y avait mes collègues didacticiens, didacticiennes. On nous a dit : une thèse dont la question de recherche change, c’est une thèse qui est en bonne santé. Et voilà, je dis : ah, ma thèse est en super santé, elle pète la forme ! » (Gaël).
Toutefois, cet effet sur la confusion n’a pas été vécu par d’autres doctorants qui estiment qu’il est difficile d’exprimer sa confusion face à d’autres chercheurs, surtout s’ils sont plus expérimentés ainsi que le fait d’être comparés à des doctorants plus avancés a plutôt augmenté leur anxiété. En ce qui concerne la régulation de la frustration, ces séminaires peuvent l’augmenter selon leur contenu (particulièrement s’il est trop théorique, trop éloigné de la thématique de thèse, de sa méthode, ce qui peut aussi positivement provoquer de la surprise) : « Ils [les dispositifs de l’école doctorale] la génèrent [la frustration] bah, de temps en temps quand je me rends compte que le sujet n’est pas celui auquel je m’attendais, l’intervention ou que je ne comprends pas que c’est juste des cadres théoriques et qu’il n’y a pas de concret et qu’on nous a juste assommés avec des concepts qu’on n’a pas compris » (Raphaël).
Néanmoins, les séminaires peuvent diminuer l’ennui en stimulant la curiosité. Ici également, le plaisir lié aux échanges scientifiques est en même temps une émotion académique sociale (dimension des échanges avec autrui) et épistémique (dimension du débat d’idée, du développement de l’esprit critique).
Les séminaires de recherche rassemblant des chercheurs d’une même faculté constituent la septième catégorie de dispositifs rapportés. À l’instar de la catégorie précédente, ces séminaires facultaires alimentent la curiosité par l’écoute de recherches différentes mais compréhensibles, par le partage de codes propres à une discipline ou à des disciplines connexes ; ils suscitent également le plaisir par la dimension d’échanges (avec parfois, la peur de divulguer des informations), le plaisir étant alors épistémique et social. Toutefois, ces séminaires risquent de diminuer le plaisir et d’engendrer des « surprises négatives » en cas de comparaison sociale défavorables et n’aident que peu à gérer la confusion : « Ce qui le diminue [le plaisir] c’est la peur et ce qui l’accentue, je dirais que c’est le partage avec les autres doctorants. On a le midi des doctorants qui est mis en place dans notre faculté où les doctorants se réunissent une fois par mois. Et ça, c’est de chouettes moments durant lesquels je prends beaucoup plaisir » (Elena).
Enfin, la participation à la publication d’écrits scientifiques est le dernier élément mentionné comme suscitant le plaisir en cas d’acceptation de la production (dans ce cas, plus qu’une émotion épistémique, ce plaisir est davantage une émotion d’accomplissement) et comme le diminuant quand le feedback renvoyé indique une inadéquation entre le travail du doctorant et les normes attendues. Ce déplaisir peut toutefois inciter à approfondir la réflexion pour progressivement répondre aux attentes, selon les doctorants interrogés.
4.2.2. Rôle du contexte : être assistant en SHS
Différents éléments du contexte professionnel plus général ont été mentionnés par les doctorants comme participant à la régulation de leurs émotions. Tout d’abord, la possibilité laissée en SHS de définir soi-même le sujet de sa thèse est perçue comme essentielle au maintien et à l’augmentation de la curiosité. En outre, le statut particulier d’assistant influence aussi la régulation des émotions épistémiques. L’obligation de devoir répartir son temps de travail entre les missions de recherche, d’enseignement et de service rend plus difficile pour le doctorant la régulation de la curiosité, qui a tendance à s’éloigner de l’objet principal de recherche au profit des autres tâches.
La régulation de la curiosité va de pair avec une gestion du temps compliquée, peu cadrée par des règles claires quant à l’investissement à réaliser pour chacune des missions, de manière à garantir une avancée de la thèse conforme aux attentes. Ce dilemme entre les tâches est également générateur d’anxiété et de frustration : « Moi en tout cas, je sais que ça m’aurait aidé qu’on me dise, bah en fait, dans ta semaine, si tes tâches extra thèse et assistanat te prennent plus d’une journée par semaine, c’est code rouge quoi. Et une demi-journée peut-être c’est orange quoi. Enfin, tu vois. Et donc, tu peux être comme ça, deux années en code orange, mais après, il va falloir te défaire un peu de ces choses-là » (Emeline).
Toutefois, la prise de recul contrainte par les temps d’enseignement contribue à maintenir la curiosité sur le sujet traité (parce qu’on n’y est pas engagé en permanence), à gérer la confusion en se distrayant avec les tâches pédagogiques (cette prise de recul permettant de sortir de la confusion provoquée par l’objet de recherche) ainsi qu’à diminuer l’ennui par la variété des tâches à accomplir : « Moi j’ai toujours dit "je n’aurais jamais pu faire une thèse à temps plein". Pourquoi ? Parce que le fait d’avoir cette diversité d’activités en tant qu’assistante me permet un moment de prendre recul par rapport à ce qui se passe et de laisser davantage de temps se passer. Et parfois c’est avec le temps, parce qu’on a lu une lecture, un truc, que « ah », clac , un déclic » (Jill).
5. Discussion générale et conclusion
Les résultats confirment d’abord l’importance du vécu émotionnel des doctorants, en particulier – par ordre de fréquence et d’intensité – la curiosité, la joie/plaisir, la surprise et la confusion. L’expérience relative aux autres émotions épistémiques est soit moins intense et moins fréquente (frustration) soit contrastée selon l’expérience et sans doute la personnalité de chaque doctorant (tendance à être plus ou moins anxieux, comme un trait de personnalité). L’ennui est, quant à lui, l’émotion épistémique la moins ressentie.
Il peut paraitre étonnant que l’anxiété ne soit pas rapportée plus fréquemment ou plus intensément, comme dans l’étude de Vincent et al. (2022). Cette différence pourrait s’expliquer par la focale placée sur la nature épistémique de l’anxiété au sein des entretiens et par le fait que les doctorants étaient majoritairement en début de thèse et donc, peu stressés encore par rapport aux échéances. Des recherches ultérieures pourraient d’ailleurs croiser utilement des données quantitatives récoltées à l’aide d’outils standardisés sur le bien-être des doctorants et sur leur santé psychologique (tels qu’élaborés par Vincent et al., 2022) avec des données qualitatives relatives à leur vécu émotionnel épistémique.
Bien qu’ils aient été interrogés spécifiquement sur leurs émotions épistémiques, les données recueillies montrent qu’il est parfois difficile de les isoler d’autres types d’émotions académiques. Ainsi, les doctorants évoquent fréquemment qu’une dimension sociale – une comparaison de l’avancement de leur travail par rapport à d’autres doctorants du même laboratoire par exemple – s’est révélée centrale dans l’origine de leurs émotions académiques (y compris épistémique et d’accomplissement). Il en va de même de la régulation qui peut revêtir une dimension sociale (par exemple, un échange avec des pairs) pour tempérer la frustration ou stimuler la curiosité.
Un résultat particulièrement intéressant réside dans le fait que les doctorants ont donné à voir, au sein de leurs théories personnelles sur les émotions, comment ces émotions sont, d’une part, fortement interconnectées entre elles et, d’autre part, reliées explicitement à des buts émotionnels. Ainsi, plusieurs ont évoqué un déroulé temporel reliant leur curiosité qui les pousse à découvrir avec surprise un nouveau champ ou concept mais dont l’absence de maîtrise provoque momentanément de la confusion, elle-même résolue lorsque ce champ ou ce concept fait l’objet d’un apprentissage, ce qui débouche sur la joie et le plaisir. Une émotion peut donc être régulée par une autre émotion ainsi que par l’apprentissage lui-même, qui se révèle alors un mécanisme parmi d’autres de régulation émotionnelle.
Par ailleurs, l’utilité d’une émotion varie selon le but poursuivi à un moment donné. Par exemple, si une certaine forme de curiosité « tous azimut » est considérée comme souhaitable dans une phase initiale d’exploration, elle pourrait s’avérer nocive lorsque le processus de thèse requiert de se focaliser sur un sujet précis. La pertinence d’une régulation émotionnelle dépend donc non seulement des stratégies utilisées mais également du but poursuivi, qui motive cette régulation (ces résultats corroborent les recherches de Tamir, 2009 ou encore de Millgram et al., 2019). Ainsi, s’il n’est pas attendu du promoteur de réguler la confusion en début de thèse (pour laisser libre cours au processus de création), cette émotion deviendrait nocive dans la phase finale de rédaction et requiert donc, à ce moment-là, d’être maîtrisée par des feedbacks précis.
Les limites de l’étude permettent d’esquisser des pistes pour de futures recherches. La plupart des doctorants interrogés se trouvaient en début de thèse ; ils étaient tous en SHS et volontaires, ce qui a pu induire un biais d’expression émotionnelle. Il serait dès lors intéressant d’investiguer le vécu émotionnel d’un panel plus large de doctorants, issus de domaines scientifiques plus variés – au sein desquels les processus de création de savoir pourraient être différents – et dont certains seraient proches de la fin de leur parcours doctoral. Alors que notre étude a essentiellement investigué le rôle des dispositifs doctoraux sur les stratégies de régulation des doctorants, il serait également utile d’investiguer leurs stratégies personnelles de régulation, en posant l’hypothèse qu’elles compensent peut-être ce que ne régulent pas les dispositifs.
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