Julie Denouël, « La reconnaissance professionnelle de l’ingénierie et du conseil pédagogique dans les universités françaises. Un processus en cours, mais en tension », Distances et médiations des savoirs [En ligne], 34 | 2021, mis en ligne le 24 juin 2021, consulté le 29 juin 2021. URL : http://journals.openedition.org/dms/6309
Dans le prolongement de la thématique de l’ingénierie pédagogique travaillée l’an passé au sein de la rubrique Débat-discussion, Daniel Peraya propose cette année de porter l’attention sur les acteurs de l’ingénierie, du conseil et de l’accompagnement pédagogique, ces personnels dont « le rôle est de concevoir, de mettre en œuvre [d]es formations avec les enseignants et de les accompagner dans cette tâche ainsi que dans l’acquisition de nouvelles compétences et dans leur
Cette proposition est opportune dans la mesure où elle invite à questionner un point relativement aveugle de la recherche francophone sur l’ingénierie et le conseil pédagogique (désormais IGCP). Qu’ils soient à visée épistémique et/ou praxéologique, les travaux de ce champ d’études ont été essentiellement abordés sous l’angle de l’enseigner, de l’apprendre et de l’accompagner. Les recherches sur les professionnels et les services qui prennent en charge ces missions sont restées relativement marginales, à l’exception de quelques enquêtes [1]. Si l’on observe le contexte français (celui à partir duquel l’analyse ultérieure sera construite), ce manque d’intérêt est assez surprenant dans la mesure où, d’une part, les fonctions et professions non enseignantes sont au cœur de nombreuses recherches en sociologie et en sciences de l’éducation et de la formation (Barrère, 2006 ; Barrier et Musselon, 2015 ; Condette, 2014 ; Kherroubi et Lebon, 2017) ; où, d’autre part, le nombre de ces postes d’ingénieur et de conseiller pédagogique a augmenté de façon significative ces dernières années, avec une accélération nette ces douze derniers mois à la suite de la crise sanitaire (notamment dans les secteurs de la formation professionnelle et de l’enseignement supérieur) ; et où, enfin, ce sont ces professionnels que l’on mandate pour initier et soutenir la mise en œuvre des transformations organisationnelles, curriculaires, pédagogiques et numériques impulsées par les politiques européennes et nationales de modernisation de l’éducation, de l’enseignement supérieur et de la formation professionnelle (Amar et Burstin, 2017 ; Beccheti-Bizot, 2017 ; Bertrand, 2014). S’intéresser aux acteurs, aux missions et aux services de l’IGCP constitue donc une voie de recherche pertinente pour comprendre le contenu, le rôle, la place, les statuts et les enjeux de ces métiers au sein des institutions éducatives et formatives.
L’ingénierie et le conseil pédagogique sous l’angle de la reconnaissance professionnelle
Dans son texte de cadrage, Peraya rend compte des traits qui caractérisent la figure professionnelle de l’ingénieur conseiller pédagogique. Il insiste d’emblée sur sa polyvalence et sa pluridimensionnalité, tout à la fois « mal définie » et souvent « brouillée ». Prenant appui sur différentes études internationales, il identifie les facteurs qui sont au fondement de cette situation : des référentiels de compétences et d’activités pluriels et peu homogènes ; une diversité de titres professionnels et d’intitulés de métier en fonction des contextes nationaux et territoriaux (concepteur, ingénieur, conseiller, ingénieur-conseiller, coordinateur, responsable d’ingénierie, etc.) ; une diversité de niveaux et de parcours de formation, mais aussi de parcours professionnels ; une diversité de contextes d’emploi (secteur public/secteur privé ; champ scolaire, enseignement supérieur, formation professionnelle, etc.), dont les dynamiques et cultures professionnelles spécifiques sont susceptibles d’infléchir l’orientation des missions et la division du travail [2] ; une hétérogénéité dans les statuts, les fonctions et les activités attribués ; des différences dans les compétences et les connaissances requises selon les pays, les secteurs professionnels et les établissements ; selon les contextes professionnels et les dynamiques de développement pédagogique impulsées à l’échelle nationale et locale, des difficultés plus ou moins importantes de légitimité et de reconnaissance professionnelle vis-à-vis des responsables institutionnels ainsi que des autres professionnels (enseignants et non enseignants) avec lesquels les IGCP sont amenés à travailler [3].
Je me propose de contribuer à la discussion initiée par Peraya à partir de cette problématique de la reconnaissance professionnelle de l’IGCP. Enseignante-chercheure en Sciences de l’éducation et de la Formation, coordonnant un master professionnel « Technologies pour l’Education et la Formation » [4] formant des chargés de mission, des ingénieurs et des conseillers pédagogiques [5] et travaillant par ailleurs sur la professionnalisation des acteurs de l’accompagnement aux usages pédagogiques numériques, mes enseignements et mes travaux de recherche questionnent successivement les notions de reconnaissance (Honneth, 2000), de reconnaissance professionnelle (Lallement, 2007a ; Jorro et Wittorski, 2012), de professionnalité (Mathey-Pierre et Bourdoncle, 1995), de métier et de profession (Champy, 2011). Ainsi, les données qui seront mobilisées dans cette contribution sont issues de deux sources : les questionnements de terrain discutés avec les étudiants de Master TEF dans le cadre des ateliers d’analyse de pratiques et de leurs mémoires professionnels [6] ; les enquêtes que je conduis actuellement sur la professionnalisation des ingénieurs, des conseillers pédagogiques et des services universitaires d’appui à la pédagogie (désormais SUAP) dans le contexte français (Denouël, 2019, 2021).
Parmi les travaux cités par Peraya dans son texte de cadrage, l’enquête coordonnée par Laurent Cosnefroy en 2015 m’intéresse particulièrement, car elle offre des éclairages sur cette question de la reconnaissance professionnelle des acteurs, des fonctions et des services de l’IGCP au sein des universités françaises. Cette étude relève quatre séries d’obstacles qui, semble-t-il, font écran à la reconnaissance professionnelle des IGCP et, corrélativement, freinent les dynamiques de transformation des pratiques pédagogiques au sein des établissements. A un premier niveau, les obstacles identifiés sont d’ordre institutionnel et politique : tant que les référentiels de compétences et les référentiels métiers de l’IGCP manqueront de prendre en compte l’évolution des activités et des tâches réelles effectuées au quotidien, et tant que les équipes de direction des établissements ne mettront pas les moyens financiers et humains pour développer des SUAP, la reconnaissance institutionnelle de ces services et des professionnels qui les composent restera en tension. Pour Cosnefroy, les obstacles sont aussi d’ordre communicationnel : à l’intérieur des établissements, le manque de publicisation des actions d’accompagnement, des services spécifiques qui les proposent et des professionnels qui les dispensent contribuent à l’invisibilisation et donc à la non-reconnaissance des missions et des acteurs de l’ingénierie et du conseil pédagogique. Ce sont des obstacles d’ordre culturel qui sont également pointés : parce que les enseignants-chercheurs font souvent montre d’un intérêt timide (voire distancié) pour les questions pédagogiques et parce que l’évaluation de leur carrière s’opère principalement à travers des indicateurs de production scientifique, la réflexion pédagogique ne constitue pas la voie de développement professionnel la plus fréquemment privilégiée et les IGCP dédiés à ce soutien sont souvent peu ou mal considérés [7]. Enfin, ce sont des obstacles d’ordre fonctionnel que l’on repère et qui se traduisent par « une inadéquation entre les profils standards conçus pour les anciens postes d’ingénieurs et les tâches effectuées dans les structures de pédagogie universitaire nouvelles » (Cosnefroy, 2015, p. 51). In fine, ce rapport souligne que la reconnaissance professionnelle des ingénieurs et conseillers pédagogiques est dépendante d’une plus grande reconnaissance institutionnelle des activités pédagogiques dans la carrière des enseignants-chercheurs et, corrélativement, du rôle des services SUAP dans le soutien au développement professionnel pédagogique.
Une reconnaissance professionnelle en cours, mais en tension
6Six ans après la publication du rapport de Cosnefroy pour le ministère de l’Enseignement supérieur, où en sommes-nous dans le contexte académique français ? Le champ de l’ingénierie et du conseil pédagogique bénéficie-t-il d’une meilleure reconnaissance professionnelle, sur les plans fonctionnel, organisationnel et institutionnel ? S’il est difficile d’avoir une réponse synthétique à cette question tant les situations vécues sur le terrain sont diverses, il est néanmoins possible d’identifier deux séries de facteurs qui ont favorisé le développement des fonctions d’IGCP au sein des établissements : de manière conjoncturelle, les mesures liées à la crise sanitaire mondiale ; de manière plus longitudinale, les réformes de l’enseignement supérieur à l’œuvre depuis la fin des années 2000 et accélérées depuis 2015. Or, comme on va le voir par après, les dynamiques de travail engagées sur le terrain semblent progressivement concourir à la reconnaissance professionnelle des missions, des métiers et des services de l’IGCP. Cependant, elles ne sont pas exemptes de tensions.
Du côté de la professionnalité
A la fin de l’hiver 2020, la propagation mondiale de la maladie de la Covid-19 entraîne des mesures de protection sanitaire d’une ampleur inédite sur toute la planète. En France, le gouvernement décide de confiner la population le 16 mars, pour une durée qui, au final, s’écoulera sur huit semaines. La continuité pédagogique est alors déclarée : du jour au lendemain, l’ensemble des formations universitaires doit être dispensé à distance (Wagnon, 2020). Jusqu’ici largement invisibilisés au sein des établissements, ingénieurs et conseillers pédagogiques ont été soudain placés sous le feu des projecteurs. Postés au front pour soutenir la mise en ligne de tous les cours et former à l’utilisation des plateformes d’apprentissage et des dispositifs de visioconférence celles et ceux qui n’en étaient pas tout à fait familiers, les IGCP sont apparus comme les soutiens essentiels des enseignants et enseignants-chercheurs dans la mise en œuvre des enseignements et des évaluations à distance, ainsi que du maintien du lien avec les étudiants. A cette occasion, la partie la plus technique de leurs compétences en médiatisation a été clairement identifiée, largement mobilisée et pleinement reconnue. En revanche, l’autre volet de leur professionnalité (associé aux connaissances et compétences de médiation, d’accompagnement à la scénarisation et au développement pédagogique) est souvent resté dans l’ombre, au point parfois de manquer d’être remarqué. Ainsi, quelques mois plus tard, on constate que, dans certains établissements, c’est surtout en tant que fonction support technique que les IGCP sont perçus par les enseignants-chercheurs et les étudiants. Dans d’autres établissements en revanche, les enseignants-chercheurs ont pu identifier les compétences pédagogiques des SUAP et mobiliser les professionnels de ces services afin de continuer d’assurer la continuité pédagogique dans les séquences ultérieures de confinement, et de développer des dispositifs de co-modalité structurés quand il s’est agi d’accueillir les étudiants en jauge partielle.
Ces observations m’amènent à aborder la question de la reconnaissance professionnelle de l’IGCP sous l’angle du métier et de la qualification.
Historiquement, les métiers servent de référence première pour instruire le dossier de la reconnaissance du travail et des travailleurs : « le métier institué recrute ses membres, les formes en organisant l’approche du métier fait de savoirs et de savoir-faire, de tours de main acquis sur une période plus ou moins selon le métier exercé. Dans ce contexte, la reconnaissance de la qualification est une affaire de pairs, seuls aptes à juger de l’expertise acquise dans la connaissance et l’art du métier » (Piotet, 2003, p. 31). La qualification apparaît alors comme « le propre des gens de métier, qui peuvent se prévaloir de qualités spécifiques » (Lallement, 2007a, p. 76). Avec le temps, cette vision du métier par la qualification a évolué de telle manière qu’elle apparaît désormais comme un rapport : un support pour la négociation de règles collectives permettant de qualifier les qualités attendues d’un professionnel et d’en tirer les conséquences dans la structuration des fonctions, des missions, du statut et de la rémunération, mais aussi un objet d’échange social qui met la reconnaissance des qualités professionnelles (connaissances, compétences) au centre des interactions.
À la suite des travaux d’Honneth (2000), l’on sait que la reconnaissance est un processus dialectique et réflexif qui s’accomplit d’abord sur un plan intersubjectif au travers d’interactions sociales, comme cela s’observe ici. Dans ce cadre, les parties concernées participent ensemble à la définition de la situation et contribuent à la catégorisation réciproque des positions de l’une et de l’autre. La ratification mutuelle est possible, mais jamais jouée d’avance, ni même assurée. Or, dans le contexte qui nous occupe, force est de constater que la reconnaissance professionnelle des IGCP est effectivement en cours, mais reste encore partielle, car, si ces acteurs tendent à être identifiés individuellement comme des professionnels détenteurs d’une expertise spécifique au sein des personnels de l’établissement, les formes de catégorisation professionnelle dont ils font l’objet par d’autres professionnels qu’eux-mêmes ne sont pas toujours pleinement coordonnées avec celles qu’ils estiment constitutives de leur professionnalité, tant sur le plan des savoirs que celui des savoir-faire.
Du côté des environnements de travail
Ces éléments relatifs à la reconnaissance des qualifications et des métiers sont à mettre en lien avec l’évolution des environnements de travail des IGCP, et notamment les services d’appui à la pédagogie. Ces toutes dernières années, de nombreux SUAP ont vu le jour et/ou ont fait l’objet d’un développement important. Cela s’est traduit par l’augmentation de leurs moyens matériels et financiers, le recrutement de nouveaux personnels, l’extension de leur périmètre fonctionnel, parfois le déplacement de leurs locaux vers des espaces plus visibles des usagers ou plus en proximité avec des services stratégiques (direction du service formation, direction des services informatiques, bibliothèque centrale, etc.) et, souvent, leur repositionnement dans l’organigramme de l’établissement (passant de cellule à service, voire service général). Dans de nombreux cas, ce développement a été rendu possible grâce à des financements qui ne proviennent pas de la dotation annuelle versée par le ministère de l’Enseignement Supérieur, mais de crédits extrabudgétaires issus d’appels à projets français (« Programmes d’investissement d’avenir PIA », relevant du « Grand Emprunt » [8]) ou européens (Programmes de la Commission européenne pour la Recherche et l’Innovation « Horizon2020 » et « Erasmus + »). Ces projets qui impliquent des financements conséquents de plusieurs millions d’euros sur une durée déterminée (entre 4 et 10 ans selon les programmes), s’inscrivent dans le cadre des politiques néo-libérales visant à soutenir la modernisation et la transformation de l’enseignement supérieur selon les stratégies du Processus de Bologne et du Nouveau management public (Musselin, 2017 ; Calviac, 2019 ; Mignot-Gérard et al., 2019).
Ainsi, l’on constate que de nombreux services d’appui à la pédagogie ont été ou sont financés par des programmes comme les « Initiatives d’excellence en formations innovantes » (phase 1 des PIA), « Développement d’universités numériques expérimentales », « Disrupt Campus » (phase 2 des PIA), « Écoles universitaires de recherche EUR » et « Nouveaux cursus universitaires NCU » (phase 3 des PIA) ou « Hybridation des formations de l’enseignement supérieur » (phase 4 des PIA, proposée à la suite du premier confinement) ; sachant que ces projets peuvent être couplés à des programmes de regroupement d’établissements à l’échelle territoriale (par exemple, dans le cadre des « communautés d’universités et d’établissements » dites COMUE) ou européenne (dans le cadre des nouvelles « universités européennes » depuis 2017). Il ne fait nul doute que l’obtention de ces financements par les services universitaires et interuniversitaires d’appui à la pédagogie favorise les conditions de leur développement et contribue à leur reconnaissance institutionnelle au sein des directions d’établissement et des instances ministérielles. Elle favorise également leur reconnaissance professionnelle auprès des enseignants-chercheurs par le soutien à des activités qui articulent plus étroitement enseignement et recherche, par exemple les « Appels à manifestation d’intérêt » qui sont portés par les IGCP des SUAP à l’adresse de la communauté enseignante et qui visent l’accompagnement, le développement et la valorisation d’initiatives pédagogiques dans un cadre scientifique. Toutefois, il ne faut pas masquer le fait qu’en certains endroits, le développement des SUAP dans le système organisationnel et financier des PIA peut les amener à être perçus comme participant des nouvelles fonctions d’exécution des politiques de transformation de l’enseignement supérieur (de la Loi relative aux libertés et responsabilités des universités en 2007 à la Loi de programmation de la recherche en 2020) dont les objectifs de rationalisation économique, de management par la performance et de contrôle gestionnaire de la qualité (pédagogique et scientifique) sont l’objet de vives contestations au sein de la communauté des enseignants-chercheurs français (Camille Noûs, 2020 ; Doussot et Pons, 2019). Là encore, on observe que le processus de reconnaissance professionnelle de l’IGCP est à la fois à l’œuvre et en tension, car au carrefour entre différents enjeux de développement de la pédagogie dans les universités.
Du côté de l’emploi
En complément de ces observations, il est intéressant d’aborder la question de la reconnaissance professionnelle de l’IGCP sous l’angle des conditions et des formes de l’emploi. Cette dimension est importante dans la mesure où l’on repère une forte augmentation des offres d’emploi d’ingénieur et/ou conseiller pédagogique (près d’une centaine sur ces dix derniers mois dont parfois trois ou quatre au sein d’un même service, selon les chiffres croisés de Pôle emploi et de l’Association pour l’emploi des cadres) ; ce qui encore une fois témoigne des dynamiques de développement des SUAP. L’examen du contenu des fiches de poste laisse à voir le rôle prépondérant des programmes PIA ou Erasmus+ précédemment cités puisque les postes proposés sont pour la plupart directement rattachés aux projets lauréats de ces programmes. Or il apparaît que cette situation a des conséquences sur la structuration des intitulés de poste et des missions ainsi que sur les modalités de recrutement et de rémunération ; éléments qui, encore une fois, sont facteurs de tensions dans le processus de reconnaissance professionnelle des ingénieurs et conseillers pédagogiques.
Ainsi, même si les titres d’« ingénieur pour l’enseignement numérique » ou d’« ingénieur en technologies de l’information et de la communication » (inscrits dans la branche d’activité professionnelle F « production et diffusion des savoirs » du Référentiel des emplois types de la recherche et de l’enseignement supérieur [9]) restent mobilisés, on constate que les intitulés qui apparaissent le plus fréquemment en en-tête des offres d’emploi sont ceux, plus génériques, d’« ingénieur pédagogique » ou de « conseiller pédagogique », auxquels parfois des précisions fonctionnelles sont ajoutées comme « chargé.e. de la transformation des enseignements », « chargé.e de transition pédagogique », « chargé.e de valorisation des innovations pédagogiques », etc. Le fait de ne pas mobiliser les titres des référentiels métiers officiels autorise les recruteurs à indexer le contenu des fiches de poste à des besoins plus contextuels, en incorporant des missions qui sont normalement rattachées à d’autres branches d’activités professionnelles (c.-à-d. les missions de conseil des métiers du BAP J « formation continue, formation tout au long de la vie » [10]) ou qui ont un lien plus étroit avec les objectifs des projets (et des PIA) auxquels les postes sont rattachés. Rappelons en effet que les programmes PIA « EUR », « NCU » ou « hybridation des formations » visent 1) la transformation des offres de formation par l’approche par compétences pour une plus grande individualisation et flexibilisation des parcours de formation tout au long de la vie, 2) le développement des innovations pédagogiques numériques pour hybrider les modes d’enseignement, améliorer les processus d’apprentissage et favoriser la réussite des étudiants, 3) appuyé par la recherche, l’accompagnement des enseignants-chercheurs pour rénover ou développer leurs pratiques, 4) la création d’indicateurs permettant de mesurer l’impact de ces actions sur la transition pédagogique des personnels et des établissements. En cohérence avec les objectifs de ces programmes, on observe que les offres d’emploi s’ordonnent de plus en plus autour de missions plurielles et complexes qui croisent les domaines de l’ingénierie pédagogique, de l’ingénierie de formation, de la formation pour adultes, de la pédagogie universitaire, de la conduite de projet et du suivi de gestion.
Pour ces postes, la définition des contrats d’embauche s’opère, d’une part, dans le respect des règles nationales d’emploi qui prévalent au sein la fonction publique et des PIA (Peyrin, 2019) et, d’autre part, dans le respect des stratégies locales de développement des ressources humaines et de gestion de la masse salariale au sein de chaque établissement. Ce qui se traduit quasi exclusivement par des formes d’emploi contractuelles (c’est-à-dire privées des protections accordées aux fonctionnaires de la fonction publique), le plus souvent à durée déterminée et courte (des contrats d’un an pouvant être renouvelés jusqu’à six fois), bien que certaines offres de conseiller pédagogique proposent des contrats pouvant aller jusqu’à 36 mois. Alors que de nombreuses initiatives ont été impulsées dans la fonction publique pour offrir la possibilité aux agents contractuels de négocier leur salaire, on constate que le montant de la rémunération est le plus souvent déterminé sur la base d’une combinaison de critères objectifs : le niveau de diplôme de la personne recrutée, ses années d’expérience et, surtout, la grille salariale des personnels de catégorie A « ingénieur d’étude » dont les postes d’IGCP dépendent. Ainsi le salaire brut moyen des ingénieurs pédagogiques est aujourd’hui de 24K€ par an, ce que d’aucuns considèrent comme relativement faible et voient comme un manque de reconnaissance professionnelle, compte tenu de la complexité des missions sur lesquelles ils doivent s’engager et des enjeux scientifiques, institutionnels et politiques auxquels ils doivent répondre.
Pour ne pas conclure…
11
12 http://reseau-pensera.fr/
13 http://www.acope-asso.fr/blog/
14 https://www.anstia.fr/page/456784-presentation
Comme on vient de le voir, la reconnaissance professionnelle des acteurs, des métiers et des services de l’IGCP à l’université est en cours, mais elle est traversée de tensions nichées en différents endroits (la professionnalité, les environnements de travail, les conditions de recrutement et les niveaux de rémunération). Ces premiers constats invitent donc à prolonger la discussion et à approfondir l’analyse en mobilisant davantage les apports conceptuels de la sociologie du travail, de l’emploi et des professions, et en portant l’attention à différentes échelles : à l’échelle des acteurs de terrain au sein de leur projet et service ; à l’échelle des réseaux professionnels comme ceux de l’Association internationale de pédagogie universitaire, le Réseau des SUP, Pensera, Acopéou Anstia, etc. ; à l’échelle des fonctions institutionnelles dans les établissements (comme celles de responsable de SUAP ou de vice-président innovation et numérique) ainsi qu’au ministère (Mission de la pédagogie et du numérique pour l’enseignement supérieur, MIPNES). L’analyse croisée de ces différents points de vue pourrait permettre de mieux comprendre comment, dans le contexte universitaire français, ces niveaux individuels, collectifs, organisationnels et institutionnels sont susceptibles de s’articuler et d’objectiver les formes d’échange économique, social et politique (Lallement, 2007b) favorables à la professionnalisation des acteurs, des services et des métiers de l’IGCP.
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Bibliographie
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