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Des bibliothèques aux logiciels : une histoire d’amour !

26 juin 2021 par binaire Coopérer 395 visites 0 commentaire

Un article repris de https://www.lemonde.fr/blog/binaire...

C’est si important, pour toutes celles et tous ceux qui vont nous suivre dans l’histoire de l’humanité, de préserver notre patrimoine, y compris immatériel. Mais qu’en est-il de nos logiciels ? Donnons la parole à Sabrina Granger qui du haut de ses bibliothèques va nous expliquer, pourquoi et comment thésauriser ses productions intellectuelles humaines.

Pierre Paradinas, Serge Abiteboul et Thierry Viéville.

« Louis, je pense que c’est le début d’une belle amitié » : déclaration d’amour des professionnels de l’information au patrimoine logiciel [1]

Un article repris du blog binaire une publication sous licence cc by sa

Nous ne nous battons pas tous à armes égales : dès lors qu’il s’agit de sensibiliser le plus grand nombre aux enjeux historiques et culturels d’une cause, les protecteurs de patrimoines à belles dorures partent avec une longueur d’avance comparativement aux défenseurs de patrimoines intangibles (#BeingStephaneBern). Et dans le cas des logiciels, le défi est double puisqu’il s’agit aussi de faire évoluer le regard que posent citoyens et décideurs publics sur ce patrimoine. En effet, la préservation du patrimoine logiciel ne se réduit pas à des enjeux économiques et gestionnaires, même s’ils sont présents. Ce patrimoine est certes technique mais aussi culturel : les logiciels façonnent nos savoirs et découlent des partis pris des personnes qui les écrivent. Dans son discours prononcé à Londres le 21 juin 1936 au secrétariat général élargi de l’Association internationale des écrivains pour la défense de la culture, Malraux déclarait : « Toute civilisation est en cela semblable à la Renaissance et fait son propre héritage de tout ce qui, dans le passé, lui permet de se dépasser. » Les logiciels s’inscrivent pleinement dans cette perspective car ils traduisent un état de l’économie des connaissances. Mais ils sont fragiles aussi. Roberto di Cosmo souligne que nous vivons une période charnière : des millions de logiciels se développent dans une multiplicité de silos à la durée de vie variable et aux gouvernances évolutives. Ce contexte appelle des mesures de conservation spécifiques et urgentes.
Le premier programme écrit par une personne humaine : un mécanisme de calcul des nombres de Bernoulli dans la note G d’Ada Lovelace (1843), pour tourner sur une « machine analytique ».

Mais quelle contribution apporter à ce gigantesque édifice quand on n’est pas un expert de l’informatique ? Précisément parce que la tâche est titanesque, elle appelle des expertises plurielles. Si les professionnels de l’information ne sont pas forcément les acteurs auxquels on pense spontanément lorsqu’on aborde le sujet de la préservation des logiciels, ils peuvent pourtant jouer un rôle essentiel aux côtés des experts en informatique. Tout d’abord, ces professionnels sont rompus aux méthodes et aux techniques d’organisation de flux de données. Dans la culture populaire, le geste professionnel du bibliothécaire pour remettre de l’ordre dans le chaos consiste surtout à dire « chut » dans une salle de lecture déjà silencieuse. Dans la vraie vie, les professionnels de l’information moissonnent des entrepôts où des données sont disséminées afin de créer des passerelles et de donner une cohérence pour l’utilisateur final. Ils ont aussi fait évoluer les objets sur lesquels porte leur expertise en contrôle de la qualité des données : si les bibliothécaires continuent de décrire des documents imprimés pour les rendre identifiables par tous, ils déploient aussi ces compétences dans de nouveaux domaines. C’est ainsi qu’est née la collaboration entre l’équipe de l’archive logicielle Software Heritage et les documentalistes du pôle « Information et Edition Scientifique » d’Inria, pour rendre le code source accessible et réellement disponible.

En outre, les professionnels de l’information ont également développé des compétences dans le domaine de la médiation. Par ailleurs, leur habitude de nouer des partenariats, notamment avec le monde associatif, rend ces professionnels particulièrement aptes à créer un lien entre le patrimoine logiciel et l’ensemble des citoyens. La question est ici politique. Dans l’enseignement supérieur comme dans la lecture publique, les professionnels de l’information ont investi le terrain en développant des actions visant à réduire la réticence que peut susciter le domaine logiciel parmi les publics qui en sont les plus éloignés. Il ne s’agit pas uniquement de vulgariser des notions, mais defournir des outils conceptuels ainsi que des compétences, dans une logique d’encapacitation.

Le dernier dossier du Bulletin des bibliothèques de France met ainsi en lumière plusieurs initiatives de médiation émanant de professionnels de l’information ici et là En donnant envie au plus grand nombre de s’emparer du patrimoine logiciel, sur le plus long terme, ces actions peuvent aussi contribuer à une plus forte diversité des auteurs de programmes informatiques. Le panel des créateurs de logiciels reste encore très homogène, même si progressivement, la situation évolue.

Certes, on attend encore le documentaire sur le patrimoine logiciel à base d’effets de contre-plongées et d’intérieurs dont on pousse les portes dorées avec l’œil qui brille (#BeingStephaneBern bis). Mais ce patrimoine différent possède bel et bien une dimension culturelle et s’avère passionnant, même pour les néophytes de l’informatique, pour peu qu’on dispose de quelques clés que les professionnels de l’information sont bien décidés à remettre au plus grand nombre. Alors, oui, c’est sans doute le début d’une très belle amitié autour du code source.

Sabrina Granger, Rédactrice en chef du Bulletin des Bibliothèques de France, Responsable adjointe du Pôle Editions de l’Enssib – Direction de la Valorisation, Référente « Science ouverte » de l’Enssib.

En savoir plus :

Software Heritage : pourquoi et comment construire l’archive universelle du code source, Roberto di Cosmo, Bulletin de la Société Informatique de France, N°10, avril 2017

Licence : CC by

Notes

[1Vous aurez reconnu la célèbre citation d’Humphrey Bogart dans Casablanca.

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