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Éducation et numérique : quels défis et quels enjeux ?

15 décembre 2020 par binaire Coopérer 517 visites 0 commentaire

Un article repris de https://www.lemonde.fr/blog/binaire...

Éducation et numérique : deux domaines de plus en plus fréquemment associés, a minima pour en débattre. Entre les farouchement « pour » et les non moins motivés « contre », il est souvent difficile d’appréhender les véritables défis et enjeux posés par ce sujet pourtant vraiment central pour notre société. C’est pour participer à ce débat que des chercheur.e.s, tant des sciences du numérique que des sciences de l’éducation, ont entrepris la rédaction d’un livre blanc consacré à l’éducation et au numérique (disponible sur HAL) en apportant des éléments factuels sur la situation, en faisant le point sur les recherches actuelles et enfin en émettant une série de recommandations notamment pour contribuer à lutter contre l’échec scolaire.
Binaire.

un article repris du blog binaire, une publication sous licence CC by

La crise liée à la pandémie de Covid-19 est survenue au moment de la finalisation du document et bien entendu, nous nous sommes interrogés sur notre projet. Était-il toujours d’actualité ? Le contenu était-il toujours pertinent ? Quels ont été les usages et les limites du numérique pour soutenir la continuité pédagogique pendant la crise ? De nouvelles questions de recherche sont-elles posées ? Autant d’interrogations qui nous ont conduits à un travail supplémentaire de réflexion.

Cette réflexion a tout d’abord débouché sur la mise en lumière, encore plus criante, des inégalités que nous avions placées au cœur de notre document posant de façon encore plus explicite la question de l’inclusion numérique. En effet, que ce soit pour l’Éducation nationale, l’Enseignement supérieur et plus généralement pour toutes les formations, dans cette période de crise, la continuité pédagogique les a encore accrues pour des raisons diverses et souvent cumulatives :

Conditions matérielles : la mise en place de cours en ligne a davantage souligné les effets réels de la fracture numérique avec la présence d’un seul ordinateur (voire pas du tout) pour une famille entière et/ou une connexion internet défaillante (voire absente) ;

Perte de soutien : naturellement les élèves en situation d’échec scolaire, d’isolement social et/ou de handicap ont été les plus touchés car le confinement les a empêchés de bénéficier des soutiens humains qui leur permettaient de compenser – au moins partiellement – leurs difficultés ;

Contexte social : la présence et l’engagement inégal de parents pouvant aider à organiser le travail, à expliquer les consignes et à soutenir les enseignements complexes ont été encore plus déterminants qu’à l’habitude.

Plus largement, le déploiement d’outils pour assurer la continuité pédagogique n’est qu’un prérequis mais il a parfois été considéré comme suffisant pour le retour à un niveau d’enseignement opérationnel, alors que certains élèves (et en particulier des étudiants) se retrouvaient plongés dans un état d’isolement ou de précarité qui leur interdisait de penser à leurs études. Mentionnons également que certains enseignants, s’ils pouvaient envoyer du matériel pédagogique, n’arrivaient pas à retrouver le niveau de contact leur permettant d’identifier des problèmes ; autrement dit, ces outils, souvent conçus comme un accompagnement au présentiel et non pour un enseignement à distance, n’avaient peut-être pas été suffisamment pensés pour procurer des retours, y compris émotionnels voire existentiels, des apprenants.

Le deuxième axe de notre réflexion a été l’analyse (partielle et sûrement imparfaite à cause du recul trop court) du comportement des systèmes numériques liés à l’éducation offerts aux élèves et au monde enseignant. Commençons par les outils et les plates-formes : il nous semble que ce bilan est mitigé. D’une part, des outils préconisés par les structures de formation qui, malgré la très forte implication d’individus tentant de les maintenir à flot, ont connu beaucoup de difficultés et se sont révélés inadaptés dans de nombreuses situations. D’autre part, afin d’assurer une présence pédagogique, beaucoup d’enseignants et d’enseignantes, parfois conseillés par leurs élèves et/ou leurs enfants, ont plébiscité des plates-formes permettant de mettre à disposition des contenus, d’entretenir des échanges, voire de dispenser quelques cours. Enfin, il faut absolument mettre en exergue de très belles initiatives animées par des enseignants et enseignantes afin de pallier les difficultés d’outils ou de contenus peu adaptés aux besoins immédiats.

À partir de cette analyse, le troisième axe de notre réflexion nous a conduits à lister les forces et les faiblesses des usages associés à cet environnement numérique dédié à l’éducation.

– En tout premier lieu, rappelons que la relation forte entre les enseignants et leurs élèves est absolument fondamentale et que les pratiques se bornant à consulter des plates-formes délivrant de façon dépersonnalisée des contenus sont vouées à l’échec à moins que l’élève n’ait une motivation hors du commun. La situation actuelle souligne la nécessité de développer des nouvelles collaborations entre les enseignants, les élèves et les parents pour soutenir l’apprentissage des élèves et fait apparaître le défi de penser les modalités de la formation tant synchrone qu’asynchrone. Mais le fait de développer de nouvelles modalités scolaires en temps et en espace nécessitera une adaptation tant de la part des enseignants que des élèves et de leur famille.

– Ensuite, la nécessité d’un recours massif aux pratiques numériques a souligné le déficit de formation d’une partie du monde enseignant ; on parle ici d’abord de la capacité à concevoir son usage au service d’une pratique pédagogique, ce qui sous-entend aussi la capacité à « faire fonctionner » un logiciel. Cette réflexion entraîne un écho d’abord individuel mais aussi collectif. Une des difficultés pour les élèves a été de s’adapter et de jongler entre les approches très diverses de leurs enseignants : récupérer des consignes sur ProNote, passer de Skype à Discord pour suivre un cours, après être allé récupérer des fichiers pdf ou audio sur Moodle et avoir envoyé une évaluation par e-mail a constitué un redoutable parcours du combattant, souvent hors de portée d’élèves en échec scolaire et/ou en situation de handicap pour lesquels la quasi-totalité des outils est inaccessible. Il ne s’agit pas de critiquer ces décisions prises dans l’urgence mais simplement de les mettre en lumière pour motiver très rapidement une réflexion de fond sur l’accompagnement des pratiques pédagogiques soutenues par le numérique.

– Il faut également insister sur les problèmes importants liés à la souveraineté numérique nationale et européenne face aux géants américains voire asiatiques, notamment en lien à la confidentialité des données personnelles que pose l’utilisation de systèmes présentés comme gratuits mais dont la rentabilité est basée sur la monétisation de ces informations. Même si l’usage de tels outils s’explique, par facilité ou par économie, cela démontre, encore plus fortement en temps de crise, combien manquent des alternatives nationales ou européennes, offrant la sécurité des données comme élément de décision et donc pas uniquement la performance. De manière plus globale, c’est aussi une nouvelle illustration du manque de formation au numérique. Il est fondamental que le recours à ces systèmes soit très restreint, limité dans le temps et surtout qu’une fois la crise surmontée, de vraies réflexions soient menées et des formations proposées pour savoir choisir les « bonnes » solutions.

– Enfin, et ce n’est pas le moins important, si des enseignants et des formateurs ont su se mobiliser pour développer de belles initiatives, il est crucial que collectivement nous reconnaissions tant les actions que leurs auteurs, et que la société et les institutions commencent rapidement à les soutenir afin d’assurer leur pérennité. On parle ici explicitement d’introduire plus d’agilité (au sens informatique du terme) dans le fonctionnement de l’Éducation nationale afin qu’elle ne reste pas dans le seul modèle descendant (top-down) qui prévaut trop souvent et qui n’est manifestement pas le plus efficace face au besoin d’adaptation dans un contexte de disruption dans les modalités d’apprentissage.

Le passage d’un modèle de formation principalement présentiel à un modèle totalement distanciel, sans transition ni réflexion préalable, a conduit à une adoption massive du numérique pour assurer la continuité pédagogique aux différents niveaux éducatifs. Cette disruption a entraîné l’ensemble des acteurs à l’appropriation des outils numériques, comme les environnements numériques de travail (ENT). Le développement des usages du numérique, même si adoptés en raison de la nécessité liée à la fermeture des centres éducatifs, permet d’envisager pour l’après confinement, des compétences numériques davantage développées qui puissent permettre à un plus grand nombre d’enseignants de considérer les usages du numérique dans leurs pratiques éducatives.

Forts de cette réflexion, nous partageons avec les lecteurs de Binaire ce document et espérons que vous aurez autant de plaisir à le découvrir que nous en avons eu à le rédiger.

Gérard Giraudon – Pascal Guitton – Margarida Romero – Didier Roy – Thierry Viéville, avec la participation de Gilles Dowek – Fabien Gandon – Marc Schoenauer et les contributions de Frédéric Alexandre – Francis Bach – Anne Boyer – Bertrand Braunschweig – Marie-Claire Forgue – Martin Hachet – Jean-Marc Hasenfratz – Fabien Lotte – Florent Masseglia – Pierre-Yves Oudeyer – Jean-Baptiste Piacentino – Sophie Raisin.

Licence : CC by

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