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A l’épreuve d’enseigner à l’Université. Enquête en France, par Saeed Paivandi et Nathalie Younès

28 novembre 2020 par Charlotte Pourcelot RIPES 692 visites 0 commentaire

Un article repris de http://journals.openedition.org/rip...

Rédigé par Saeed Paivandi et Nathalie Younès, cet ouvrage propose une approche scientifique du métier d’enseignant-chercheur. Unique par ses sources pluridisciplinaires, percutant par la mobilisation d’une démarche ethnographique, phénoménologique et compréhensive, riche par les solutions rigoureuses qu’il propose, ce manuscrit est une référence en pédagogie universitaire. L’enquête menée par les deux chercheurs s’est déroulée entre 2013 et 2017 au sein de deux universités françaises, l’Université de Lorraine et l’Université de Clermont-Auvergne, dont sont issus les auteurs, dans le but de découvrir la réalité plurielle de l’homo academicus. Le défi est réussi. Les résultats issus de l’observation de dispositifs et d’une enquête qualitative menée auprès de 49 enseignants-chercheurs originaires de 6 disciplines différentes viennent alimenter les réflexions sur les différentes caractéristiques du métier d’universitaire et mettre en lumière les difficultés qu’ils rencontrent et les changements possibles afin qu’ils puissent trouver un équilibre.

Un article de Charlotte Pourcelot repris de la Revue RIPES, une publication sous licence CC by sa nc

RIPES est la revue officielle de l’Association internationale de pédagogie universitaire. D’orientation pluridisciplinaire, elle a pour vocation d’étudier les problématiques touchant à l’enseignement supérieur (ou postsecondaire) et à ses pratiques pédagogiques. Elle vise à susciter et alimenter des débats concernant des enjeux reliés à l’éducation supérieure ainsi qu’à faire connaître des travaux de recherche, des cadres de référence et des pratiques susceptibles d’améliorer la compréhension et la qualité des dispositifs, des programmes et des stratégies de formation dans l’enseignement supérieur.

Charlotte Pourcelot, « A l’épreuve d’enseigner à l’Université. Enquête en France, par Saeed Paivandi et Nathalie Younès », Revue internationale de pédagogie de l’enseignement supérieur [En ligne], 36(2) | 2020, mis en ligne le 23 novembre 2020, consulté le 28 novembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/ripes/2806 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ripes.2806

Un métier dynamique et original en constante évolution

L’évolution de l’université et du métier d’universitaire est d’abord retracée. Les auteurs mentionnent ses origines médiévales qui en font l’un des métiers les plus anciens au monde ainsi que le modèle humboldtien qui a contribué à articuler l’enseignement et la recherche. L’histoire de la structuration de l’université française est elle aussi décrite, ce qui permet de mieux appréhender la fragmentation entre les écoles, les organismes de recherche et les universités. Le manque d’homogénéité de cette organisation est présenté comme une faiblesse, notamment par le peu de visibilité donné aux établissements étrangers. Puis, progressivement le métier d’enseignant-chercheur est dévoilé. Selon qu’il s’exerce dans une grande école ou à l’université, ses missions sont vécues différemment. La mondialisation de l’enseignement supérieur impacte elle aussi le métier. Les enseignants-chercheurs du 21e siècle sont de plus en plus contraints de rechercher des financements pour exercer leurs activités de recherche alors que d’un point de vue pédagogique, le métier requiert depuis plusieurs années de nouvelles compétences techno-pédagogiques avec l’arrivée des jeux sérieux, des MOOCS et ou encore des robots de simulation.

Un métier à la triple facette

L’articulation de l’enseignement, de la recherche et des tâches administratives définissent le métier d’enseignant-chercheur. Si l’enseignement est la mission la plus ancienne de l’université, le travail des universitaires a fortement été impacté par l’évolution du public étudiant, toujours plus nombreux et hétérogène, et par la professionnalisation des formations. Malgré la charge de travail toujours croissante, la plupart des enseignants s’astreignent à établir des liens entre leur enseignement et la recherche qui, bien que chronophage, s’avère être la principale source de valorisation professionnelle institutionnelle. D’après les auteurs, le modèle humboldtien pose donc problème aux enseignants-chercheurs actuels qui parviennent difficilement à concilier enseignement et recherche dont les pratiques qui découlent de cette articulation dépendent de stratégies personnelles et du moment de la carrière. Par contre, pour les enseignants les plus investis en pédagogie, les étudiants sont sources de reconnaissance.

Une mission d’enseignement et trois types d’approches de l’enseignement

Le savoir et sa transmission préoccupent grandement les enseignants-chercheurs qui, pour la plupart, ne sont pas formés à la pédagogie. Les auteurs du livre distinguent ainsi trois approches de l’enseignement. Premièrement, l’approche transmissive se définit comme la transmission du savoir de façon magistrale. Le caractère directif et peu interactif des enseignements est bien présent. A l’université, il semble que le cours magistral soit sacralisé. Il semblerait que les enseignants-chercheurs soient en panne d’idées et d’outils pour changer ou améliorer leurs pratiques pédagogiques. Deuxièmement, l’approche transmissive améliorée privilégie, quant à elle, plus de participation et d’interaction. Troisièmement, l’approche centrée sur l’apprentissage étudiant porte sur la manière de comprendre et d’apprendre. La motivation, les ressources et l’accompagnement pédagogique la caractérise. Ici, les enseignants-chercheurs développent une réflexion critique et ose de nouvelles expériences pédagogiques. Enfin, plusieurs démarches existent pour faire évoluer les approches de l’enseignement telles que la communauté d’apprentissage professionnelle qui se centre sur l’apprentissage étudiant et l’amélioration de leur performance. En outre, les projets institutionnels sont aussi la source de changement des pratiques d’enseignement.

Se former pour se développer professionnellement

L’importance d’apprendre à enseigner a été reconnue grâce au décret du 9 mai 2017 qui instaure une formation pédagogique obligatoire et une décharge d’enseignement. D’après les auteurs, sans avoir été formés, les enseignants reproduisent ce qu’ils ont connu et les références sur lesquelles ils s’appuient majoritairement pour exercer sont les expériences pédagogiques individuelles et l’apprentissage expérientiel, les expériences collectives (échanges, travail en équipe, observations), les expériences en tant qu’apprenant, tandis que les moins citées sont la formation (initiale et continue), les expériences antérieures (enseignants-formateurs), les activités formatrices individuelles, l’autodidaxie et les colloques. Une large part des enseignants-chercheurs ont donc appris leur métier sur le terrain en imitant et en expérimentant et de fait, les connaissances qu’ils ont développées sont rarement conscientisées et formalisées. Ainsi, bien que le métier d’enseignant s’apprenne tout au long de la carrière, les chercheurs ont observé que les pratiques s’inspiraient peu des théories d’enseignement et d’apprentissage. Alors que le développement professionnel implique la réflexion sur l’action, l’enquête de Saeed Paivandi et Nathalie Younès révèle que les enseignants et les contextes pédagogiques sont souvent peu outillés pour vivre un développement professionnel réfléchi et collectivement assumé et travaillé. Nénamoins, ces pratiques évoluent, en France par exemple, la formation formelle, l’autoformation et la formation en situation de travail se développent progressivement.

L’importance du collectif pédagogique

Dans l’enseignement supérieur, la liberté académique prévaut. Les enseignants-chercheurs ont peu l’habitude de travailler en équipe lorsqu’il s’agit d’enseigner. Or, les exigences du ministère, des universités et des publics ont changé, et il est de plus en plus attendu que les enseignants collaborent avec leurs collègues, leurs étudiants et des partenaires professionnels extérieurs. L’approche de l’enseignement est individualiste et le travail interdisciplinaire est rendu difficile par différents clivages et notamment, par la spécialisation de la recherche et la semestrialisation des formations. Les rencontres coopératives entre les enseignants sont difficiles à mettre en place, notamment car les espaces communs sont souvent désertés. De plus, la charge de travail croissante des enseignants que nous évoquions précédemment est également responsable de cet isolement pédagogique et du manque de concertation. Du point de vue des ressources humaines, l’augmentation du nombre de personnels contractuels temporaires - recrutés pour pallier la multiplication des effectifs étudiants notamment - a nuit à la cohésion des équipes, tout comme la multiplication des diplômes qui incite par essence à la dispersion des enseignants dans différentes formations. Une perte du sens de la communauté est constatée et la rivalité entre les universitaires est également citée pour traduire l’absence d’esprit d’équipe. Ainsi, l’enquête réalisée par Saeed Paivandi et Nathalie Younès pointe une absence de réflexion collective autour de la pédagogie. Contrairement aux temps collectifs qui semblent plus nombreux en école d’ingénieurs, une solitude pédagogique prédomine à l’université. Cette absence de dynamique collective freine l’amélioration de la qualité de l’enseignement et la qualité de vie des enseignants. La solution pourrait se trouver auprès des responsables de formation qui détiennent les résultats aux évaluations des enseignements par les étudiants.

Enseigner et faire apprendre

Rappelons-le, l’acte d’enseigner est le fait d’apprendre comment les étudiants apprennent. L’approche de l’enseignement de l’enseignant est liée à sa façon de percevoir les étudiants. Pour pouvoir faire apprendre, une bonne connaissance du monde étudiant est donc essentielle, car celle-ci contribue à la conception et à l’ajustement d’une démarche pédagogique. L’enquête menée par Saeed Paivandi et Nathalie Younès s’est justement intéressée aux représentations des enseignants sur les étudiants. D’après les témoignages recueillis, les enseignants-chercheurs déplorent le niveau de connaissances des étudiants et expriment un doute quant à la pertinence de leur présence à l’université. La difficile transition entre l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur est également évoquée, l’acculturation et l’adaptation qu’elle nécessite semblant toujours être aussi ardues. Un décalage relatif au rapport au savoir est aussi pointé. Les étudiants manqueraient de curiosité, de motivation, et d’implication contrairement aux universitaires pour lesquels le savoir est une passion. L’accompagnement pédagogique est regretté des enquêtés, c’est pourquoi la plupart disent être dans l’incapacité d’aider les étudiants en difficulté dont le manque d’intérêt intellectuel et l’attitude utilitariste et consumériste conduisent parfois à l’échec. Les auteurs rappellent avec justesse que ces simplifications peuvent faire obstacle au développement d’une réflexion pédagogique critique, les empêchant de répondre aux besoins des étudiants. Selon eux, les enseignants-chercheurs se nourrissent parfois de connaissances artisanales non formalisées et non explicitées qui devraient être confrontées aux connaissances provenant de la recherche universitaire. Ils encouragent ainsi la lecture et l’appropriation des théories et des recherches sur les étudiants, l’apprentissage et les pratiques d’études à l’université, car adjointes à l’expérience et aux représentations, ces sources se nourrissent mutuellement.

L’évaluation de l’enseignement par les étudiants, une clé pour l’amélioration de la qualité de l’enseignement

L’évaluation de l’enseignement par les étudiants a été mise en place à des fins de gestion de la carrière et d’amélioration de la qualité de l’enseignement. Au travers de leur enquête, Saeed Paivandi et Nathalie Younès ont repéré trois attitudes vis-à-vis de l’évaluation de l’enseignement par les étudiants : la vision négative, la position normative et la position affirmative.

Les aspects normatifs du questionnaire et l’interprétation qui peut en être faite sont critiqués, d’autant que le métier d’universitaire a des spécificités que les étudiants ne peuvent évaluer. L’évaluation de l’enseignement par les étudiants est aussi perçue comme une procédure bureaucratique qui alimente la vision économique de l’université, dans ce cas une démarche non institutionnalisée serait alors appréciée. Mais face aux multiples demandes des étudiants, les auteurs ont identifié quatre types de réaction : le refus d’ajustement, l’impossibilité de changer, le changement marginal et la réflexion critique sur l’enseignement. Les enquêtés ont ainsi exprimé des difficultés à faire face aux opinions contradictoires. Il semblerait que les enseignants qui utilisent une approche transmissive seraient moins ouverts aux résultats de l’évaluation de l’enseignement par les étudiants. A contrario, plus l’enseignant tient compte de l’apprentissage étudiant, plus il est à l’écoute des opinions des étudiants et à même d’améliorer sa pédagogie. Le feed-back étudiant devient alors une source essentielle de développement professionnel. Pour porter fruit et réduire l’asymétrie pédagogique, l’évaluation de l’enseignement par les étudiants devrait être adjointe à une formation, à un accompagnement, à une analyse critique des pratiques d’enseignement ou à une réflexion pédagogique individuelle ou collective. Ce dispositif deviendrait ainsi un outil formatif de développement professionnel. Du côté des étudiants, il semblerait que ce dispositif soit vecteur d’implication et d’engagement. Enfin, s’il est à regretter qu’un seul outil soit mobilisé pour évaluer un objet multidimensionnel, les auteurs suggèrent d’intégrer l’opinion des enseignants vis-à-vis des étudiants, les difficultés rencontrées, et l’avis des alumni.

Enseignant-chercheur, des métiers

Le métier d’enseignant-chercheur est constitué de multiples dimensions, surtout en France où la carrière est ponctuée de spécificités institutionnelles. Les auteurs rappellent que les postes de professeurs des universités et de maîtres de conférences diminuent d’année en année au profit de recrutements de personnels temporaires. Une meilleure gestion des ressources humaines universitaires est donc souhaitée, tout comme le soutien d’une parité entre l’enseignement et la recherche. Les auteurs décrivent une vision désenchantée de l’université au travers de divers témoignages, où les choix politiques, économiques et gestionnaires sont questionnés. Malgré tout, la plupart des enseignants-chercheurs interviewés ressentent un réel plaisir pour leur métier et emprunteraient la même voie si c’était à refaire. L’enquête de Saeed Paivandi et Nathalie Younès montre ainsi que le métier d’enseignant-chercheur possède différentes configurations selon les moments de la carrière, les préférences personnelles, les parcours et les contextes locaux.

Vers le développement de la pédagogie

Largement consacré à un état de l’art de la définition du concept de « développement professionnel », ce chapitre est foisonnant. Saeed Paivandi et Nathalie Younès relèvent d’abord qu’il n’existe pas de consensus. Les auteurs proposent aussi plusieurs pistes de réflexion quant au développement pédagogique. En la matière, les initiatives liées à la réflexion sur la pratique d’enseignement se multiplient. A titre d’exemple, puisqu’innover est une compétence attendue des enseignants-chercheurs, ils sont encouragés à échanger sur leurs pratiques et à connaître les initiatives de leurs collègues. Nous retiendrons qu’il est essentiel pour tout enseignant de se distancer et de réfléchir sur ses pratiques pédagogiques. Le collectif pédagogique a ici un rôle d’une grande importance à jouer. De nouvelles collaborations sont à créer, et la mise en commun et le partage sont plébiscités.

Une université qui vit et se transforme

L’université française et ses acteurs vivent une transformation à plusieurs égards. Dans ce contexte, la valeur de cet ouvrage tient au fait que la parole soit donnée aux universitaires, ce qui est rare. On y découvre une approche contemporaine du métier due en particulier à la pluralité de configurations entre les missions d’enseignement, de recherche et d’administration.

Cet ouvrage est unique dans le sens où, peu de recherches ont été conduites en France auprès des enseignants-chercheurs et, qui plus est, pour explorer leur point de vue sur leur métier. Il enrichit à la connaissance de la condition universitaire et le paysage pédagogique et humain de l’université. De notre point de vue, il amène à réfléchir sur sa propre pédagogie et contribue à une pédagogie plus coopérative, où les enseignants prennent conscience du rôle des pratiques pédagogiques dans l’apprentissage et la réussite des étudiants. Il apporte des éléments de réponse à plusieurs questionnements fondamentaux et nous éclaire sur les caractéristiques d’un enseignement universitaire de qualité. En d’autres termes, il donne les clés d’un climat favorable à la transformation pédagogique et oriente vers de bonnes pratiques tournées vers l’estime de soi académique.

Bibliographie

Paivandi, S. et Younès, N. (2019). A l’épreuve d’enseigner à l’Université. Enquête en France. Peter Lang.

Licence : CC by-nc-sa

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