Référence(s) :
Comas-Quinn, A., Beaven, A., & Sawhill, B. (Eds.). (2019). New case studies of openness in and beyond the language classroom. Research-publishing.net.
__________________________________
Cet ouvrage est la suite d’un premier volume qui a été publié en 2013 après la conférence Eurocall qui se déroula à Bologne en Italie et qui fut consacrée à l’apprentissage par le partage : ressources libres, pratiques et communications ouvertes. Comme l’ont remarqué les auteures (Ana Comas-Quinn, Ana Beaven et Barbara Sawhill), cette conférence a été l’occasion de souligner de quelle manière les praticiens (enseignants de langue) qui s’inspiraient de l’ouverture étaient amenés à aller plus loin dans l’expérimentation de ressources libres et ouvertes. En fournissant à l’enseignant un éventail large de possibilités de réutilisation, de modification et de recyclage, cette deuxième édition montre de quelle manière les ressources libres sont un vecteur d’intégration progressive de nouvelles pratiques pédagogiques dans les curricula et l’enseignement des langues.
Les trois parties distinctes abordent dans un premier temps la conception et l’usage de Ressources Éducatives Libres (REL). Sont ensuite présentés le travail et l’apprentissage au sein d’espaces ouverts et enfin sont envisagés le rôle de l’ouverture et sa contribution au développement des pratiques de l’enseignant. Les trois sections proposent chacune cinq articles à l’exception de la dernière section qui n’en comporte que trois. Plus qu’une simple esquisse et loin de s’arrêter à une prise de position sur le seul rôle primordial des REL, les études de cas organisées en chapitres, montrent de manière concrète des adaptations de méthodes pédagogiques et les opportunités éducatives qu’elles ouvrent. Notons que le choix des mots dans le titre « Openness » et « beyond the Language Classroom » reflète aussi bien les valeurs philosophiques que les perspectives innovantes des 4R (reuse-redistribute-revise-remix). Par ailleurs, la « classe » est à interpréter dans son sens large, associant la question de l’agentivité de l’apprenant, sa capacité à s’autodiriger et les Open Educational Practices (OEP). Notre décision dans le regard que nous avons porté sur les contributions des auteurs et dans l’organisation de ce compte-rendu de lecture a consisté à privilégier la portée des situations auxquelles se confrontent les différents acteurs, et à souligner les imbrications et la perméabilité des sphères éducatives et sociales des pratiques présentées.
Compte-rendu de lecture
Pour l’essentiel et à notre sens, l’ouvrage aborde trois thèmes principaux (1) la conception et l’amélioration continue de programmes, de cours et de matériels d’apprentissage de qualité, (2) l’organisation d’échanges interactifs d’apprenants avec des ressources, mais aussi entre eux, (3) les liens à établir entre apprentissage et monde du travail et la formation tout au long de la vie (FTLV).
Le premier thème regroupe des études de cas qui selon les auteures « fournissent les informations nécessaires pour comprendre et implanter une innovation pédagogique ou curriculaire spécifique » (p. 10). Les chapitres du premier thème abordent notamment, la mise en œuvre d’un manuel de langue portugaise inclusif et contributif en accès libre, l’implantation et le développement d’une plateforme de Ressources Libres pour le stockage, le partage de vidéos virtuelles destinées à l’apprentissage de la langue italienne. Ils envisagent, d’autre part, les possibilités d’actions (les affordances) et les contraintes de l’introduction de REL du point de vue de l’apprenant au sein d’une classe de langue. La description du contexte et des projets présentés au fil des études de cas est suffisamment précise pour ouvrir de nouvelles perspectives pour la pratique. Il s’agit bien de proposer aux lecteurs une description claire pour en assurer une potentielle réutilisation.
Cette ambition s’illustre dans le souhait renouvelé à chaque chapitre de donner au lecteur accès à la compréhension des processus en jeu parmi l’ensemble des acteurs, et ce dans chaque projet. Ainsi si les parties méthodologiques des études de cas sont explicitées, elles n’en constituent pas l’essentiel, les différents auteurs préférant se consacrer davantage à la description du contexte, à l’explicitation des objectifs et aux détails de chaque expérimentation pour éclairer le pourquoi de chaque projet mené. Cette dimension plutôt « narrative » sert ici de moyen d’améliorer la compréhension des situations, des comportements et du sens que les acteurs (enseignant et apprenants) accordent aux ressources. La fin de la première partie souligne la manière dont la flexibilité des différents usages de REL les rend potentiellement efficaces pour l’apprentissage et l’engagement de l’ensemble des acteurs impliqués, apprenants et enseignants. Elle lève en complément le voile sur la traditionnelle opposition entre les pratiques formelles et informelles des apprenants de langue.
C’est ce « pont » que cherchent à tisser les études de cas de la deuxième partie qui commence par une étude de cas sur l’usage du site Wikipédia et la contribution d’étudiants en traduction à celui-ci. Citant Wales (2016, p. 85) « Wikipedia is about building bridges, not walls », la métaphore nous conduit, au fil des études, à appréhender l’importance que revêtent l’engagement, l’implication et l’action pour l’apprentissage d’une langue additionnelle. Une dimension actionnelle se dégage clairement de cette partie davantage consacrée à l’interaction et au partage. Sans se limiter à la seule réutilisation de REL, les études y abordent des projets dans lesquels les apprenants contribuent à l’enrichissement des ressources. Le chapitre 5 sur la traduction d’articles Wikipédia en différentes langues « Building bridges not walls - Wikipedia in Translation Studies » montre par exemple que c’est un moyen pour les apprenants de « (1) comprendre comment la connaissance se crée, se conserve et est contestée en ligne, (2) créer une nouvelle REL qui perdure au-delà de la durée de vie d’une mission initiale et qui peut être à la fois ajoutée et améliorée en tant que projet communautaire dans le temps et (3) permettre une pratique nécessaire et utile avant d’entrer dans le monde du travail. » [1]
Cette notion d’engagement dans un projet social se retrouve aussi dans le chapitre 7 « Working with online communities : translating TED Talks » ou dans le chapitre 10 intitulé « Your language development : harnessing openness to integrate independant learning into the curriculum » . Dans ce dernier, l’auteure Tita Beaven (p. 154) propose d’utiliser la définition des OEP (Open Educational Practice) de Ehlers (2013, p. 94) pour qui, ces pratiques recoupent « les pratiques collaboratives dans lesquelles les ressources sont partagées en les rendant disponibles et les pratiques pédagogiques qui reposent sur l’interaction sociale, la création de connaissance, l’apprentissage par les pairs et les pratiques d’apprentissage ». Notons d’autre part, une autre dimension des REL qui concerne davantage leur capacité à faire disparaître les frontières entre différents contextes d’apprentissage. Celle-ci reflète une inter-pénétrabilité de systèmes (Narcy-Combes et Narcy-Combes, 2019) et fait disparaître les séparations entre apprentissages formels et informels. Par cela, il nous semble que cette dimension souligne la relation dialogique de continuité et de transformation (Erstad, 2018, p. 1) entre les REL et les OEP. Ainsi, dans la création de contenus produits par des utilisateurs, les enseignants ou les apprenants partagent et manipulent des ressources qui sont aussi mises à la disposition des autres (Kaplan et Haenlein cités par Zourou, 2012, p 5).
Abordons maintenant le dernier thème qui, selon nous, souligne un autre aspect intéressant de l’ouvrage. Se retrouve ici un autre prisme du potentiel des REL. En effet, parce que les exemples de pratiques impliquent une réflexion sur leur renouvellement, l’adaptation des usages numériques se place au service de la formation tout au long de la vie des enseignants. Il s’agit là de rappeler ce que les 4 R offrent pour permettre la mise en place de cycles et de phases d’autoformation ou de pratiques exploratoires. A travers une étude de cas aux résultats limités selon l’auteur (p. 159) qui porte sur des pratiques destinées à des enseignants de langues, le chapitre 11 montre que « les pratiques ouvertes peuvent servir de catalyseurs pour l’apprentissage et conduire au développement des connaissances et à l’amélioration des compétences en littéracie numérique et des compétences langagières [2] ».
On peut ainsi souligner ici un processus de « co-émergence » (Varela et al. 1993, p. 35 cités par Pennelaud, 2010, non paginé) qui s’associe à l’usage et la mise en pratique de REL. En dernier lieu, il est intéressant de mentionner l’étude de cas sur les MOOC (Massive Open Online Courses). Ce chapitre rappelle que certains de ces dispositifs font partie intégrante des REL et qu’ils sont susceptibles, par la diffusion de la connaissance qu’ils véhiculent, d’être pleinement placés au service de l’apprentissage en général et de la formation tout au long de la vie. Si cette étude est inscrite dans la deuxième section de l’ouvrage, elle nous semble ouvrir la discussion sur la manière dont l’expérience d’apprentissage au sein de certains MOOC peut favoriser le développement des compétences métacognitives des apprenants. Dans un contexte ouvert dans lequel la décision d’apprendre dépend de l’individu, liberté de choix des contenus d’apprentissage, satisfaction et implication sont des concepts qui renvoient aux construits complexes des motifs et de la motivation (Dörnyei et al., 2018) et à son rôle clé dans l’apprentissage d’une langue additionnelle.
Perspectives de l’ouvrage
De fait, l’ouvrage ouvre une réflexion à visée didactique et prescriptive en direction des chercheurs et des praticiens. Celle-ci s’accompagne d’études de cas sous forme de comptes rendus d’expériences pédagogiques ou de pratiques réflexives. Selon nous, le chercheur et le praticien trouveront des éléments de réponses aux questions suivantes :
- Quelles pratiques pédagogiques peuvent-elles être potentiellement efficaces pour un enseignement-apprentissage des langues ?
- En quoi les usages et recyclages de différentes catégories de REL peuvent-ils accompagner le développement de ces pratiques ?
- Quelles affordances des REL et des outils numériques (plus largement) tant pour les enseignants que pour les apprenants ?
À partir de là, quels axes de réflexion donner à la formation des enseignants de langues ?
Ces questions s’enchaînent logiquement pour éclairer le processus de relation circulaire entre artefacts, dispositifs et concepteurs et le processus dialectique intégrant expérience, concepts, observation et action (Dewey, 1995). Elles mettent en lumière les potentialités socio-constructivistes de pratiques pédagogiques en tous genres sans cesse ajustées et étendues. Le point commun de l’ensemble des chapitres est, de fait, l’illustration concrète de ressources « creative commons in action » (p. 19) par la mise en valeur de leur apport cognitif et social. Ces ressources enrichissent l’information disponible (p. 2), contribuent à la construction des connaissances (p. 50) et suggèrent qu’une certaine latitude des acteurs et liberté de choix de contenus d’apprentissage sont bénéfiques.
Conclusion
Pour l’essentiel, l’ouvrage se place autant au service de la diversité des prismes adoptés que de la nature des études de cas et la variété de pratiques pleinement intégrées à un cursus. Si on peut regretter la faible place accordée dans l’ensemble de l’ouvrage au savoir langagier et à son évaluation, on retrouve dans les thèmes abordés au fil des chapitres, un souci de clarté et de simplicité dans les comptes rendus des pratiques pédagogiques ajouté à un examen de pratiques qui contribue certainement à soutenir la réflexion pédagogique. La question de la formation des enseignants avec une vision ajustée du précédent ouvrage sur les REL en tant qu’instruments d’apprentissage est abordée avec une orientation métacognitive non limitée au seul domaine de l’enseignement des langues. Cet ouvrage va donc bien au-delà de la classe de langue parce qu’il révèle des adaptations de ressources technico-sémio-pragmatiques (Peraya, 1999) ouvertes à la demande didactique.
Bibliographie
Dewey, J. (1897/1995). Mon credo pédagogique. Dans G. Deledalle, John Dewey. Paris : Presses universitaires de France.
Dörnyei, Z., Henry, A. et Muir, C. (2018). Introduction. Dans Motivational Currents in Language Learning. https://doi.org/10.4324/9781315772714-1
Erstad, O. (2018). Trajectories of knowledge builders. A learning lives approach. Qwerty-Open and Interdisciplinary Journal of Technology, Culture and Education, 13(2), 11-31.
Narcy-Combes, J.-P. et Narcy-Combes, M.-F. (2019). Cognition et personnalité dans l’apprentissage des langues : relier théories et pratiques. Paris : Didier.
Penelaud, O. (2010). Le paradigme (de l ‘opportunité) de l’énaction aujourd’hui. Apports et limites d’une théorie cognitive « révolutionnaire ». Plastir, 1, 93–112. https://doi.org/10.3166/RFG.206.93-112
Peraya, D. (1999). Médiation et médiatisation : le campus virtuel. Hermès, 25(2), 153-167.
Zourou, K. (2012). On the attractiveness of social media for language learning : A look at the state of the art. Alsic. Apprentissage des Langues et Systèmes d’Information et de Communication, 15(1).
Pour citer cet article
Référence électronique
Christelle Hoppe, « Pratiques ouvertes pour la classe de langue : potentialités et perspectives des REL », Distances et médiations des savoirs [En ligne], | 2020, mis en ligne le 28 septembre 2020, consulté le 26 octobre 2020. URL : http://journals.openedition.org/dms/5543 ; DOI : https://doi.org/10.4000/dms.5543
Auteur
Christelle Hoppe
Université de Nantes, Service universitaire des Langues
christelle.hoppe@univ-nantes.fr
Répondre à cet article
Suivre les commentaires : |